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Full text of "M. Pasteur et la rage, Exposé de la méthode Pasteur - fréquence de la rage - insuccès du nouveau traitement - la rage du chien et du loup - statistiques complètes, etc"

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HX641 26455 
RC1 48  .L97  M.  Pasteur  et  la  rag 


Columbîa  Winihexsiitp 
in  tï)e  Cîtp  of  i^eto  Porfe 

Collège  of  ^tpëîdanô  anb  â)urgeong 


î^eference  ^.itirarp 


M.   PASTEUR 


LA    RAGE 


DU      MÊME     AUTEUR 


Manuel  de  médecine  légale  et  de  jurisprudence  médi- 
cale, un  volume  in-12  de  736  pages,  4^  édition.  Paris, 
Steinheil,  1886. 

Traité  clinique  des  maladies  des  femmes,  par  G.  Tho- 
51 -s  et  A  LuTAUD,  un  vol.  in-8  de  800  pagps,  avec  pré- 
face analytique  du  professeur  Pajot.  —  Paris,  Steinheil, 
1887. 

Du  vaginisme,  suivi  d'une  leçon  clinique  du  professeur 
Lorain, -in-g»  de  80  pages.  —  Paris,  1874. 

Traité  de  la  fièvre  typlioïde  de  Ch.  Murchisnn,  traduit 
de  l'anglais,  par  le  docteur  Lutaud,  in-8°  de  400  pages.  — 
Paris,  1878. 

Traité  j^ratique  de  Vart  des  accouchements  'en  collabo- 
ration avec  le  professeur  Delore,  de  Lyon)  un  vol  in-8°  de 
550  pages.  —  Paris,  1882. 

Précis  des  maladies  des  femmes,  un  vol.  in-! 2  de  516 
pages   —  Paris,  1882.  G.  Masson,  éditeur. 

Manuel  de  chirurgie  antiseptique,  de  Mac  Gormac,  tra- 
duit de  l'anglais,  par  le  docteur  Lutaud  un  vol.  in-8°  de 
360  pages.  —  Paris,  1882. 

Etude  sur  les  hôpitaux  d'isolement  en  Angleterre  (en 
collaboration"  avec  le  docteur  W.-D.  Hogg  ,  un  vol.  in-8 
de  300  pages,  avec  45  plans.  (Get  ouvrage  .i  été  cité  hono- 
rablement par  l'Institut).  —  Paris,  1886,    .J.-B.  Baillière. 

De  V è2oithélioma  du  col  utérin  (traduction  d'une  mémoire 
de  Marion  Sims\  —  Paris,  1880,  Steinheil. 

La,  profession  médicale  en  Angleterre  {Gazette  hebdo- 
madaire, mai  1873). 

Des  mesures  sanitaires  et  répressives  dirigées  contre  la 
prostitution  en  Angleterre  {Gazette  hebdomadaire, 
mai  1874). 

Le  cancer  devant  la  Société  'pathologique  de  Londres  en 
1874  {Archives  générales  de    médecine,   novembre,  1874). 

Du  rétrécissement  de  Vuréthre  chez  la  femme  et  de  son 
traitement  x>ar  Véiectrolyse.  traduction  d'un  mémoire  de 
M.  Newmann  {Archives  générales  de  médecine,  janvier 
1876) . 

De  l'ovulation  dans  ses  rapports  avec  la  menstruation 
{Annales  de  gynécologie,  iuin  1876). 

ASNIÈRES.    —    IMPRIMERIE   LOUIS  ROYER  ET    û". 


M.  PASTEUR 

ET     LA    RAGE 


D'   LUTAUD 

Rédacteur  en  chef  du  Journal  de  Médecine  de  Paris 


EXPOSÉ    DE    LA    METHODE   PASTEUR    —    FRÉQUENCE    DE    LA    RAGE 

INSUCCÈS    DU   NOUVEAU    TRAITEMENT 

LA    RAGE    DU    CHIEN    ET    DU     LOUP     —    STATISTIQUES     COMPLÈTES,     EU.,    EIC 


J'ai  toujours  réa>;i  poui'  ma  part  conirt 
les  déplorables  tendances  a  appliquer 
dune  façon  prématurée  à  la  patholo- 
fiie  les  données  encore  incertaiues  de 
la  physiologie  expérimentale. 

VULPIAN. 

Le  plus  grand  dérèglement  de  l'esprit 
est  de  croire  les  choses  parce  qu'on 
veut  qu'elles  soient. 

Pasteur. 


PARIS 

JULES    LÉVY,    ÉDITEUR 

2,    RUE    ANTOINE-DUBOIS,    2 

1887 


»-/-  /  5-  3  8  3 


LSI 


PRÉFACE 


Il  y  a  un  an  que  M.  Pasteur  communiquait  à 
l'Académie  de  médecine  un  procédé  de  traite- 
ment infaillible  de  la  rage.  Ce  traitement,  pom- 
peusement et  bruyamment  annoncé,  s'appuyait 
alors  sur  un  seul  fait  :  la  guérison  (?)  du  jeune 
Meister. 

A  cette  môme  séance,  le  président,  M.  Jules 
Bergeron,  déclarait  que  «  la  date  du  27  oc- 
tobre 1885  était  la  plus  mémorable  dans  l'histoi- 
re de  la  science  »,  puis,  inaugurant  un  système 
d'intolérance  qui  s'est  prolongé  jusqu'à  ce  jour, 
il  refusait  la  parole  à  MM.  Jules  Guérin  et  Colin, 
d'Alfort,  qui  désiraient  présenter  quelques  ob- 
servations à  M.  Pasteur  au  sujet  de  son  étrange 
communication. 

Tout  le  monde  connaît  lasuite  des  événements: 
les  réclames  charlatanesques  qui  inondèrent  la 
presse  politique  ;  les  3,000 guérisons('?)  effectuées 
à  l'Ecole  normale  et  pompeusement  annoncées  ; 
les  conférences,  les  banquets,  les  représentations 


—  6  — 

théâtrales  organisées  par  MM.  Pasteur,  Chau- 
temps  et  Grancher,  etc..  etc. 

Négligeant  la  clinique,  foulant  aux  pieds  les 
données  les  plus  élémentaires  de  la  médecine 
traditionnelle,  M.  Pasteur,  nouvel  hercule,  s'était 
contenté  de  la  simple  affirmation.  Nouveau  pro- 
phète, il  avait  posé  les  fondements  d'une  nou- 
velle église  dont  le  dogme  principal  était  :  Credo 
quia  ahsurdum. 

Tel  s'est  présenté  le  célèbre  chimiste  lorsqu'il 
a  prétendu  avoir  trouvé  un  traitement  infailli- 
ble de  la  rage,  avant  même  que  le  temps  néces- 
saire à  l'incubation  de  la  maladie  ait  permis  de 
contrôler  cette  téméraire  affirmation. 

Non  seulement  M.  Pasteur  affirmait  sans 
preuves,  mais  il  employait  pour  la  divulgation 
de  cette  prétendue  découverte  des  procédés  que 
la  science,  et  particulièrement  la  science  médi- 
cale, a  toujours  considérés  comme  indignes 
d'elle. 

La  science  nouvelle  se  présentait  en  outre  au 
monde  savant  avec  un  despotisme  inconnu  jus- 
qu'à ce  jour.  Appuyées  par  l'Académie  des  scien- 
ces et  par  un  jeune  professeur  de  notre  première 
Faculté  française,  les  théories  pastoriennes 
étaient  absolument  imposées.  Quiconque  les 
mettait  en  doute  était  honni  et  conspué.  On 
pouvait  être  anarchiste,  communiste  ou  nihiliste, 
mais  pas  antipastorien.  On  avait  fait  d'une  sim- 
ple question  scientifique  une  question  patrioti- 
que.. 


—  7  — 

C'est  alors  que  nous  avons  entrepris  dans  le 
Journal  de  médecine  cette  lutte  qui  dura  plus 
d'une  année.  Ceux  de  nos  lecteurs  —  et  ils  sont 
nombreux  —  qui  ont  appuyé  nos  efforts  et  nous 
ont  aidés  de  leurs  conseils,  ont  pu  seuls  com- 
prendre combien  il  a  été  difficile  de  recueillir  les 
documents  qui  ont  permis  de  démontrer  que 
non  seulement  M.  Pasteur  ne  guérissait  pas  la 
rage,  mais  que  les  doctrines  qu'il  exposait  étaient 
contraires  aux  données  les  plus  élémentaires  de 
la  clinique.  11  nous  a  fallu  des  efforts  inouïs  pour 
suivre  attentivement  les  maladesque  M. Pasteur 
renvoyait  de  son  laboratoire  guéris  et  qui  al- 
laient succomber  dans  leurs  provinces;  pour 
démontrer  que  l'année  1886  avait  compté  plus 
de  décès  par  la  rage  que  les  années  antérieures. 

Aujourd'hui  la  lumière  est  faite.  M.  Colin,  à 
l'Académie,  et  M.  Peter,  à  la  Faculté  de  médeci- 
ne, ont  parlé  et  enlevé  les  quelques  illusions  qui 
pouvaient  encore  rester.  Au  point  de  vue  expé- 
rimental, un  savant  autrichien,  élève  et  ancien 
admirateur  de  M.  Pasteur,  a  publié  le  résultat 
d'expériences  que  nous  ferons  connaître  dans 
un  chapitre  de  ce  livre  et  qui  démontrent 
a  qu'il  n'existe  pas  de  base  scientifique  pour 
l'institution  chez  l'homme  d'un  traitement  pré- 
ventif de  la  rage  après  morsure  et  que  le  procédé 
rapide  récemment  préconisé  par  M.  Pasteur 
transmettrait  probablement  la  maladie  à  l'hom- 
me ».  Ces  mêmes  expériences  répétées  à  Lisbon- 
ne par  le  professeur  Abreu,  et  à  Naples  par  les 


-,  8  — 

professeurs  de  Renzi  et  Amoroso  ont  donné  les 
mêmes  résultats  et  démontré  que  rien  ne  pou- 
vait empêcher  l'évolution  du  virus  rabique  intro- 
duit dans  l'économie. 

Ainsi  nous  disions  que,  non  seulement  le  trai- 
tement Pasteur  ne  pouvait  pas  guérir  la  rage^ 
mais  qu'il  pouvait  la  donner. 

Les  faits  ont  malheureusement  parlé  dans  le 
même  sens  que  nous. 

Pendant  un  an,  la  méthode  a  été  inoffensive 
et  inefficace,  elle  a  succombé  sous  le  ridicule. 

AujourcVkui  elle  est   devenue  dangereuse. 

Pendant  les  deux  derniers  mois  de  l'année 
1886  la  mortalité  à  la  suite  du  traitement  Pas- 
teur a  pris  des  proportions  vraiment  inquiétan- 
tes. Onze  individus  sont  morts  en  présentant 
des  symptômes  insolites  qui  ressemblaient  d'une 
manière  étrange  à  la  rage  de  laboratoire. 

Une  enquête  approfondie  sur  ces  onze  décès 
n'a  pas  permis  de  garder  plus  longtemps  le  si- 
lence. M.  le  professeur  Peter  est  monté  à  la  tri- 
bune de  l'Académie  de  médecine  et  n'a  pas  hésité 
à  déclarer  que  la  nouvelle  méthode  Pasteur 
était  dangereuse. 

On  ne  guérissait  pas  la  rage  au  laboratoire  de 
l'Ecole  normale  ;  on  la  donnait. 

On  m'a  reproché  d'avoir  discuté  ces  questions 
avec  passion  et  d'avoir  souvent  attaqué  avec  vio- 
lence les  pratiques  scientifiques  de  M.  Pasteur. 

Oui  l  j'en  conviens,  j'ai  écrit  ce  livre  avec  pas- 


sion,  mais  avec   la  passion  que   tout  médecin 
doit  apporter  lorsqu'il  recherclie  la  vérité. 

Je  le  demande  aux  plus  indifférents  :  était-il 
permis  de  rester  calme  lorsqu'on  entendait  jour- 
nellement émettre  les  hérésies  les  plus  extrciva- 
gantes  ? 

Etait-il  permis  de  ne  pas  avertir  les  malheu- 
reux qui  se  rendaient  en  foule  à  l'Ecole  normale 
lorsque  nous  étions  convaincu  qu'ils  couraient 
un  véritable  danger  ? 

On  nous  rendra  cettejustice  que  nous  avons, 
dans  le  courant  de  cet  ouvra[,^e,  réfuté  avec  plus 
ou  moins  d'ardeur  les  doctrines  émises  par  M. 
Pasteur  sur  le  traitement  de  la  rage,  sans  nous 
inquiéter  de  la  personnalité  de  l'individu. 

Nous  sommes  resté  exclusivement  sur  le  ter- 
rain médical;  et  si  nous  nous  sommes  parfois 
laissé  entraîner  par  l'ardeur  de  nos  convictions 
â  de  vives  polémiques,  elles  avaient  uniquement 
pour  objet  la  défense  de  la  vérité  scientifique  si 
outrageusement  offensée  par  les  hommes  de 
l'Ecole  normale. 

En  a-t-il  toujours  été  ainsi  chez  nos  adver- 
saires ? 

Dès  le  début  de  cette  étrange  guerre  contre  le 
sens  commun,  les  Pastoriens  et  leurs  amis  se 
sont  présentés  comme  des  matamores  intolé- 
rants. Ils  ne  proposaient  pas  leurs  prétendues 
découvertes  à  la  discussion  du  monde  médical, 
ils  voulaient  Vimposer.  On  avait  bâillonné  la 
presse  politique,  accaparé  l'agence  Havas,  me- 


—  10  — 

nacé  la  Presse  médicale  et  organisé  par  les  soins 
de  M.  Vallery-Radot,  gendre  de  M.  Pasteur, 
une  agence  de  publicité  qui  adressait  aux 
journaux  de  véritables  communiqués  qui  rap- 
pelaient les  beaux  jours  de  l'Empire. 

Afin  d'entretenir  et  de  réchauffer  l'enthou- 
siasme, on  faisait  vibrer  la  fibre  patriotique.  Qui- 
conque émettait  la  plus  petite  note  dubitative 
sur  la  valeur  de  la  méthode  était  un  mauvais 
Français  vendu  à  l'Angleterre  ou  à  la  Prusse. 

Enfin,  comme  la  découverte  étrange  de  M. 
Pasteur  paraissait  violemment  offenser  le  sens 
clinique  et  môme  le  sens  commun,  le  mot  d'or- 
dre du  camp  pastorien  était  de  surenchérir  sur 
la  valeur  de  l'homme  et  de  l'élever  à  la  hauteur 
d'un  demi-dieu.  Un  de  ses  panégyristes  qui  siège 
au  Conseil  municipal  de  Paris,  et  que  nous  ne 
voulons  pas  nommer  par  égard  pour  ce  Corps 
constitué,  écrivait  la  phrase  suivante  :  «  La 
preuve  que  M.  Pasteur  guérit  la  rage,  c'cîst  que 
pendant  toute  sa  vie,  qui  a  été  remplie  d'affir- 
mations hardies,  il  ne  s'est  jamais  trompe.  » 

Un  autre  Pastorien,  M.  Verneuil,  traitait  en 
pleine  Académie  de  médecine  d'oBscuRs  blas- 
phémateurs les  médecins  qui  se  permettaient 
de  critiquer  la  grande  découverte.  Ainsi,  pour 
eux,  critiquer  Pasteur,  c'était  hlasj^hémer  et  on 
sait  que  le  blasphème  est  une  offense  qui  ne 
s'applique  qu'à  Dieu. 

Tout  cela  était  du  reste  comique.  Mais  il  existe 
d'autres  antiennes,  d'autres  clichés  colportés  par 


~  11  -^ 

les  officieux  et  la  presse  officielle  qui  offensaient 
non  seulement  le  sens  commun,  maisqui  étaient 
la  négation  absolue  de  la  vérité. 

La  défense  de  la  vérité  exige  donc  que  nous 
en  disions  quelques  mots. 

Le  cliché  le  plus  répandu  et  qui  était  comme 
un  mot  d'ordre  dans  le  camp  pastorien  était 
celui-ci  : 

«  M.  Pasteur,  le  savant  désintéressé  qui.... 
que..,,  etc. 

Afin  de  mieux  répandre  cette  idée  du  désinté- 
ressement, M.  Pasteur  avait  fait  écrire  par  son 
gendre,  et  publier  à  la  librairie  Hetzel,  un  livre 
intitulé  :  Histoire  d'un  savant  par  un  igno- 
rant. 

Dans  cet  ouvrage  où  le  grotesque  le  dispute  à 
l'absurde,  il  est  dit  et  répété  cent  fois  que  M. 
Pasteur  est  l'homme  le  plus  désintéressé  des 
temps  modernes,  le  savant  le  plus  pur,  le  savant 
le  plus  modeste,  l'étoile  la  plus  brillante,  etc., 
etc.,  en  un  mot  les  superlatifs  les  plus  laudatifs 
y  sont  accumulés  à  l'envi. 

D'un  autre  côté,  les  Pastoriens  faisaient  distri- 
buer dans  toute  la  presse  officielle  une  seconde 
série  de  clichés  dans  lesquels  le  mot  d'ordre 
consistait  à  renchérir  sur  les  prétendues  décou- 
vertes antérieures  de  cet  homme  étonnant.  C'est 
ainsi  qu'on  imprimait  en  tête  de  tous  les  articles 
dithyrambiques  consacrés  à  l'Idole  : 


—  12  — 

M.  Pasteur  a  rendu  a  la  France  des  servi- 
ces INCALCULABLES  ; 

Il  a  rendu  la  richesse  aux  départements  du 
Midi  en  guérissant  la  maladie  des  vers  à  soie. 

Il  a  rendu  la  richesse  à  l'industrie  des  hières 
françaises  en  indiquant  un  procédé  infaillible 
pour  leur  fabrication. 

'  Il  a  centuplé  les  richesses  vinicotes  de  la 
France  en  indiquant  un  nouveau  procédé  pour 
la  conservation  et  la  production  du  vin. 

Il  a  rendu  la  richesse  aux  oviculteurs  fran- 
çais, en  préservant  leur  bétail  de  la  terrible 
maladie  charbonneuse. 

Il  a  rendu  la  richesse  aux  fermiers  français, 
en  guérisant  la  terrible  m,aladie  qui  sévissait 
sur  leurs  volailles  {choléra  des  poules). 

Il  a  rendu  à  la  France  ses  richesses  porcines 
en  guérissant  le  rouget  du  porc. 

L'énumération  des  services  rendus  à  la  France 
ne  s'arrête  pas  là  :  d'après  ses  panégyristes,  il 
aurait  guéri  non  seulement  le  choléra  des  pou- 
les, mais  le  choléra  humain.  C'est  lui  qui  aurait 
inventé  tous  les  nouveaux  procédés  de  chirurgie 
antiseptiques  indiqués  par  Lister^  etc.,  etc. 

La  question  est  du  reste  sans  importance  pour 
la  thèse  que  j'ai  soutenue   dans  ce  volume,  à 


—  ,13  — 
savoir  :  la  méthode  proposée  par  M.  Pasteur 
pour  le  traitement  de  la  rage  est  inefficace  ou 
dangereuse. 

Il  m'importe  donc  peu  de  savoir  si  M.  Pas- 
teur est  avide  ou  désintéressé.  Je  suis  convaincu 
qu'il  est  bon  fils,  bon  père,  bon  époux,  bon 
citoyen,  etc..  Mais  l'insistance  apportée  par 
ses  dangereux  amis  à  le  sacrer  demi-dieu,  les 
procédés  de  réclame  qu'il  a  employés  dans 
la  presse  politique  et  le  respect  que  nous  devons 
à  la  vérité,  nous  obligent  à  examiner  avec  quel- 
que attention  les  nombreux  clichés  imprudem- 
ment répandus  par  ses  amis. 

Il  ne  faut  pas  se  le  dissimuler  :  M.  Pas- 
teur, de  même  que  Mesmer  et  Cagliostro,  appar- 
tient à  l'histoire  scientifique  de  son  siècle. 
Nous  avons  la  conviction  qu'il  y  a  joué  un  rôle 
néfaste  ;  mais  ce  rôle  n'en  aura  pas  moins  été 
considérable. Les  générations  qui  nous  suivront 
auront  quelque  peine  à  retrouver  la  vérité 
dans  le  chaos  que  nous  traversons  aujourd'hui. 
Nous  croyons  donc  rendre  un  véritable  service 
à  nos  successeurs  en  rassemblant  dans  un  court 
appendice  placé  à  la  fin  de  ce  volume,  un  cer- 
tain nombre  de  documents  de  nature  à  jeter 
quelque  lumière  sur  la  vie  et  les  découvertes 
de  cet  homme  remarquable. 

Il  y  a  exactement  un  siècle  (1787)  un  savant 
étrange  bouleversait  le  monde  par  la  prétendue 
découverte  du  magnétisme  animal,  qui  pas- 
sionna à  cette  époque  tous  les  esprits. 


_  14  _ 

Ce  savant  e^a^Y  Mesmer. 

De  même  que  Pasteur  l'a  fait  pour  la  rage, 
Mesmer  a  passionné  la  France  sur  la  question 
du  magnétisme  ;  de  même  que  Pasteur,  il  atti- 
rait dans  son  Institut  magnétique  des  milliers 
de  malades  imaginaires  auxquels  il  rendait  la 
santé  ;  de  même  que  Pasteur,  Mesmer  recevait 
les  ovations  enthousiastes  de  la  foule  ;  de  même 
aussi  il  recevait  de  l'Etat  un  magnifique  domaine 
et  une  pension  de  20,000  livres  (1). 

La  nation  française  tout  entière  et  les  plus 
illustres  savants  de  l'Institut  ont  acclamé  Mes- 
mer comme  le  plus  grand  génie  du  monde. 
Celui  qui  aurait,  à  cette  époque,  émis  quelques 
doutes  sur  la  découverte  de  ce  grand  homme 
aurait  probablement  été  aussi  maltraité  que  nous 
l'avons  été  nous-même  en  discutant  la  valeur 
du  traitement  antirabique. 

Jussieu  et  l'Institut  étaient  avec  Mesmer,  en 
1787,  de  même  que  M.  Vulpian  et  l'Institut  dé- 
clarent que  M.  Pasteur  est  infaillible  en  1887. 
Triste  comparaison  I  Les  hommes  sont  et  seront 
donc  toujours  les  mêmes  ! 

Nous  ne  pouvons  cependant  nous  défendre 
d'un  profond  sentiment  de  tristesse  en  compa- 
rant ces  deux  époques.  En  1787,  Mesmer  et  le 
magnétisme  animal  avaient,  en  effet,  envahi  la 

(1)  On  sait  que  M.  Pasteur  s'est  fait  donner  par  l'Etat  la 
jouissance  du  magnifique  domaine  de  Villeneuve-l'Etang 
(dépendance  du  château  de  St-Cloud,  ancienne  résidence 
impériale) . 


—  15  — 

France  scientifique  et  jouissaient  d'un  engoue- 
ment aussi  absurde  et  irréfléchi  que  celui  avec 
lequel  on  a  accueilli  la  méthode  pastorienne  ; 
l'Institut,  les  grands  savants,  le  roi,  Marie-Antoi- 
nette (1),  et  les  ministres  avaient  déclaré  que  le 
traitement  magnétique  était  infaillible.  Mais  un 
corps  savant,  un  seul,  avait  résisté. 

Dans  une  séance  solennelle  tenue  le  18  sep- 
tembre 1787,  la  Faculté  de  médecine  de  Paris, 
composée  de  la  réunion  de  tous  les  docteurs 
régents  .avait  déclaré  (^  que  la  théorie  de  Mes- 
mer était  contraire  aux  théories  de  la  saine  mé- 
decine et  s'appuyait  sur  des  observations  de 
cures  impossibles  et  invraisem,blables.  » 

Il  faut,  pour  être  juste,  ajouter  que  cette  cou- 
rageuse protestation  fit  le  plus  grand  tort  à  la 
Faculté  auprès  des  pouvoirs  publics,  qui  étaient 
prosternés  autrefois  devant  Mesmer  comme  ils 
le  sont  aujourd'hui  devant  Pasteur. 

Mais  notre  Faculté  était  indépendante  il  y  a 
cent  ans,  et  on  n'aurait  pas  alors  rencontré  des 
professeurs  capables  de  marcher  à  la  remorque 
d'un  thaumaturge  comme  MM.  Vulpian  et  Gran- 
cher  ont  le  triste  courage  de  le  faire. 

Qui  donc  voudrait  soutenir  aujourd'hui  que 
l'Institut  et  Mesmer  avaient  raison  contre  la 
Faculté  de  médecine  de  Paris  en  1787  ? 

(1)  AujoUrd'liui  les  femmes  joueut  également  un  rôle 
Important  dans  la  coterie  pastorienne  ;  mais  c'est  la  géné- 
reuse Madame  Boucicaut  qui  a  remplacé  l'altière  prin- 
cesse Marie-Antoiuetie. 


—  16  — 

Qui  donc  soutiendra,  dans  un  siècle,  que 
l'Institut  et  MM.  Pasteur,  Grancher  et  Vulpian 
uA^aient  raison  contre  la  clinique  et  le  bon  sens 
médical  en  1887? 

Le  Puissant  Mesmer  a  passé;  le  Puissant  Pas- 
teur passera  aussi  i 

Que  ces  quelques  considérations  soutiennent 
le  courage  des  nombreux  médecins  indépen- 
dants qui  ont  lutté  avec  nous  pendant  cette 
dernière  année  contre  l'intolérance  et  la  témé- 
rité de  la  puissante  école  pastorienne.  Ils  ont 
combattu  pour  la  vérité.  De  même  que  le  soleil, 
celle-ci  a  pu  être  éclipsée  par  les  Mesmers,  les 
Pasteurs  et  les  Granchers  de  toutes  les  époques, 
mais  elle  n'en  est  réapparue  que  plus  radieuse. 

Nous  avons  la  conviction  que  l'Académie  des 
sciences  et  l'Académie  de  médecine  ont  été  l'ob- 
jet d'une  cruelle  mystification,  et  que  la  préten- 
due découverte  delà  guérison  de  la  rage  est  une 
des  plus  grandes  erreurs  du  siècle.  Il  faut  que 
cette  conviction  soit  bien  profonde  pour  que  nous 
ayons  abandonné  nos  études  habituelles,  et  con- 
sacré plus  d'une  année  à  remonter  un  courant 
qui  paraissait  alors  irrésistible  et  à  combattre 
des  théories  qui  avaient  pour  elles  l'appui  de 
certains  corps  savants,  qui  ne  nous  pardonne- 
ront sans  doute  jamais  d'avoir  osé  lutter  contre 
l'homme  dont  ils  avaient  imprudemment  consa- 
cré l'infaillibilité.- 

Mars  1886. 


LA  RAGE  &  M.  PASTEUR 


INTRODUCTION 


QUESTIONS  A  M.  PASTEUR. 

Quelques-uns  de  nos  amis  nous  ont  parfois 
reproché  la  réserve  et  même  les  critiques  plus 
ou  moins  acerbes  avec  lesquelles  nous  avons 
accueilli  les  étonnantes  communications  fai- 
tes par  M.  Pasteur  à  la  presse  politique,  puis 
à  l'Académie  des  Sciences  et  à  l'Académie  de 
Médecine. 

Nous  allons  nous  efforcer  aujourd'hui  d'expli- 
quer à  nos  amis  les  raisons  qui  ont  dicté  nos  ap- 
préciations et  notre  conduite.  Sans  entrer  à  fond 
dans  un  sujet  qui  touche  à  des  questions  aussi 
complexes;  nous  allons  passer  rapidement  en 
revue  les  arguments  pastoriens  qui  nous  ont  pa-r 

*  2 


—  18  — 

ru,  après  examen,  heurter  profondément  les  no- 
tions les  plus  élémentaires  de  la  clinique.  Nous 
dirons  ensuite  quelques  mots  des  procédés  ex- 
tra-scientifiques à  l'aide  desquels  M.  Pasteur  a 
sollicité  l'attention  du  public,  procédés  qui  nous 
ont  paru  de  nature  à  blesser  violemment  le  sens 
médical  et  les  sentiments  de  dignité  profession- 
nelle qui  ont  toujours  fait  le  plus  grand  honneur 
au  corps  des  médecins  français. 

Nous  relèverons  donc  contre  la  méthode  Pas- 
teur quelques  points,  ou  plutôt  quelques  simples 
et  timides  objections  qui  ont  dû  nécessairement 
se  présenter  à  l'esprit  de  tout  médecin.  Par  mé- 
decin, j'entends  l'individu  qui,  après  avoir  reçu 
une  solide  instruction  théorique  et  pratique,  se 
livre  ensuite  à  la  pratique  de  son  art.  Celui,  en 
un  mot,  qui  passe  sa  vie  à  soigner  des  malades. 
Le  type  ainsi  défini  se  trouve  naturellement  dif- 
férer essentiellement  de  l'individu  qui,  après 
s'être  rapidement  pourvu  du  diplôme  doctoral, 
s'élance  ensuite  dans  une  voie  latérale,  telle  que 
la  chimie,  la  physique,  la  botanique,  la  pharma- 
cie et  même  la  physiologie.  Quel  que  soit  le  ni- 
veau qu'il  atteigne  dans  sa  branche  accessoire 
et  les  services  qu'il  rende  à  la  science,  le  méde- 
cin ainsi  dévoyé  perd  le  sens  de  la  clinique  et  se 
trouve  par  cela  même  incapable  de  juger  les 


—  19  — 

questions  ressortissant  de  la  médecine  pratique. 
C'est  malheureusement  cette  catégorie  de  sa- 
vants, très  honorables  sans  doute,  qui  composent 
la  majorité  de  l'Académie  des  sciences  et  de  l'A- 
cadémie de  médecine  et  se  trouvent  par  cela 
même  les  juges  souverains  et  les  directeurs  de 
l'opinion  médicale. 

Après  cette  digression,  qui  m'a  paru  nécessai- 
re pour  expliquer  comment  nos  premiers  corps 
savants  ont  pu  emboucher  la  trompette  de  l'en- 
thousiasme en  présence  de  découvertes  dont  l'é  - 
Irangeté  nous  aurait  semblé  demander  un  peu 
pltis  de  réserve,  nous  allons  donc  poser  les  ques- 
tions suivantes,  que  nous  considérons  comme 
le  programme  de  la  discussion  scientifique  de  la 
méthode  : 

Le  chien  qui  a  fait  la  morsure  est-il   enragé  ? 

L'individu  traité  est-il  atteint  de  la  rage? 

Pourquoi  le  nombre  des  enragés  a-t-il  été  cen- 
tuplé depuis  trois  mois  ? 

Qu'est-ce  que  la  rage  des  loups  ? 

Pourquoi  la  rage  est-elle  plus  grave  lorsque 
la  morsure  est  plus  profonde  ? 

Pourquoi  le  virus  rabique  ne  donne-t-il  lieu  à 
aucune  réaction  locale  ou  générale  ? 


—  20  - 

Nous  aborderons  ensuite  quelques  points  se- 
condaires; mais,  nous  le  répétons,  nous  ne  pou- 
vons traiter  ici  ces  questions  à  fond,  notre  inten- 
tion étant  simplement  de  faire  toucher  du  doigt 
les  points  faibles  auxquels  les  pastoriens  n'ont 
pas  même  songé  à  répondre. 


Le  chien  qui  a  fait  la  morsure  est-il  en- 
?^a5fé ?  Dans  un  article  entièrement  favorable  à 
la  nouvelle  méthode,  notre  regretté  maître  et 
ami  Dechambre  écrivait  les  lignes  suivantes: 
«  Nous  comprenons  qu'on  se  montre  exigeant 
dans  l'interprétation  du  fait  de  vaccination  anti- 
rabique relaté  par  M.  Pasteur  ;  qu'on  demande, 
par  exemple,  si  le  chien  était  réellement  en- 
ragé. »  Nous  avons  donc  le  droit  d'être  exigeant, 
puisque  notre  maître  l'était,  et  la  première  ques- 
tion à  poser  est  la  suivante  :  Existe-t-il  des  si- 
gnes physiques  et  anatomiques  certains  pouvant 
prouver  qu'un  chien  est  atteint  de  la  rage  ? 

Les  vétérinaires  avouent  sur  ce  point  leur  incer- 
titude et  leurs  hésitations.  C'est  ainsi  que  le  chien 
qui  avait  mordu  Meister  a  été  déclaré  enragé 
parce  qu'o?2  a  trouvé  des  fragments  de  bois  dam 


son  estomac.  J'en  appelle  aux  professeurs  d'a- 
natomie  pathologique,  MM.   Cornil  et  Grancher, 
qui  ont  emboîté  le  pas  derrière  M.  Pasteur,   est- 
ce  là  un  eigne  anatomo-pathologique  de  quelque 
valeur  ?  C'est  cependant  le  seul  signe  certain  de 
la  rage,  si  nous  en  croyons  Bouley.  On  donne 
encore  comme  signe  de  la  rage  chez  le  chien 
quelques  symptômes  communs  à  un  grand  nom- 
bre de  maladies  de  la  race  canine,  tels  que  la 
tristesse,  l'œil  hagard,  la  perte  d'appétit,  etc. 
Mais,  nous  le  répétons,  la  rage  canine  ne  se  ma- 
nifeste par  aucun  signe  anatomo-pathologique  ; 
les  symptômes  de  cette  affection  sont  vagues  et 
mal  définis,  et  les  vétérinaires,  qui  discutent  de- 
puis longtemps  cette  question,  sont  loin   d'être 
d'accord.  Nous  affirmerons  donc,  jusqu'à  preuve 
au.  contYSiive.,  quQ  rien  n'établit   que   les   chiens 
qui  ont  mordu  Meister  et  Jupille  étaient  enra- 
gés et  qu'il  n'est  par   conséquent  pas  démontré 
que  ces  deux  individus  ainsi  que  les  1500  autres 
donnés  comme  guéris  étaient  vraiment  atteints 
de  la  rage.  Nous  reviendrons  du  reste  plus  lon- 
guement sur  ce  point. 


22  — 


II 


L'Individu  traité  est-il  atteint  de  la  ra- 
ge ?  Ce  que  nous  venons  de  dire  nous  dispense 
d'entrer  dans  de  longs  développements  sur  cette 
seconde  question.  Tant  qu'un  individu  n'a  pas 
présenté  les  symptômes  de  la  rage,  il  n'existe 
aucun  signe  permettant  d'afflrmer  qu'il  est  at- 
teint de  cette  affection .  Ce  point  n'est  contesté 
par  personne. 

J'ai  pu  recueillir  un  certain  nombre  de  faits 
qui  prouvent  jusqu'à  l'évidence  qu'il  n'existe  A, 
cet  égard  que  tâtonnements  et  incertitudes.  En 
voici  un  : 

.  Un  médecin  honorable  et  instruit,  qui  exerce 
aux  environs  de  Paris,  et  que  je  ne  puis  nom- 
mer dans  la  crainte  d'attirer  sur  sa  tête  les  colè- 
res des  puissants  pastoriens,  a  été  appelé,  le  16 
novembre  1884,  près  d'un  enfant  de  six  ans  hor- 
riblement mordu  par  un  chien.  Les  morsures 
avaient  labouré  le  visage,  perforé  la  lèvre  supé- 
rieure et  fait  sauter  deux  dents.  L'enfant  est 
cautérisé  deux  heures  après  l'accident,  avec 
une  solution  de  chlorure  d'antimoine.  Le  chien 
fut  abattu,  autopsié  et  déclaré  enragé.   Il  était 


—  23  — 

impossible  que  des  lésions  semblables  n'aient 
pas  inoculé  le  fatal  virus.  En  présence  d'une 
situation  aussi  grave,  notre  confrère,  grand  ad- 
mirateur de  M.  Pasteur,  (il  a  changé  depuis), 
écrit  au  maître  pour  le  supplier  de  faire  quelque 
chose  pour  cet  enfant.  Voici  la  réponse  du  pro- 
fesseur de  l'Ecole  normale  (1)  : 

«  Monsieur, 

«  Les  cautérisations  que  vous  avez  pratiquées 
doivent  vous  rassurer  pleinement  sur  les  consé- 
quences de  la  morsure. 

«  Ne  faites  plus  aucun  traitement  ;  c'est  inu- 
tile. 

«L.  Pasteur.  » 

Est-il  nécessaire  de  commenter  cette  épître  ? 
Ainsi,  voilà  M.  Pasteur  qui  convient  lui-même 
de  son  ignorance  des  choses  de  la  médecine,  qui 
donne  une  consultation  aussi  insensée  !  qui 
déclare  qu'en  présence  de  la  cautérisation  faite 
deux  heures  après  l'inoculation,  tout  traite- 
ment est  inutile  !  Ce  serait  presque  comique  si 
ce  n'était  profondément  triste  ! 


(1)  Il  va  sans  dire  que  nous   tenons  à  la  disposition 
de  nos  amis  ce  curieux  document. 


—  24  — 

Mais  le  fait  le  plus  remarquable  à  déduire  de 
cette  observation  est  le  suivant:  l'enfant  que 
M.  Pasteur  a  refusé  de  soigner,  mordu  par  un 
chien  déclaré  enragé  le  19  novembre  1884,  se 
porte  aujourd'hui  très  bien.,  deux  ans  après  l'ac- 
cident. Supposons  un  seul  instant  que  M.  Pas- 
teur ait  accepté  dQ  traiter  ce  petit  malade  et  lui 
ait  inoculé  ses  virus,  n'aurait-on  pas  considéré 
ce  cas  comme  le  pendant  bien  légitime  des  gué  ■ 
risons  miraculeuses  de  Jupille  et  deMeister?  On 
l'aurait  fait  avec  d'autant  plus  de  raison  que 
le  chien  qui  avait  inoculé  cet  enfant  avait  été 
déclaré  enragé  par  les  vétérinaires  les  plus  ins- 
truits de  Paris,  que  les  blessures,  nombreuses  et 
profondes,  avaient  été  immédiatement  constatées 
par  des  médecins  compétents.  Toutes  ces  garan- 
ties n'existaient  pas  pour  Jupille  mordu  dans 
le  fond  du  Jura  par  on  ne  sait  qui  et  on  ne  sait 
comment,  et  qui  avait  bien  des  chances  d'être  un 
enragé  de  circonstance. 

Ce  fait  démontre  donc  qu'il  est  impossible  d'é- 
tablir avec  certitude  qu'un  individu  est  atteint 
de  la  rage  et  qu'il  n'est  nullement  démontré  que 
les  3,000  enragés  guéris  par  M.  Pasteur  étaient 
véritablement  des  hydrophobes. 


—  Zo 


III 


Pourquoi  le  nombre  des  enragés  a  t-il  été 
plus  que  centuplé  depuis  quinze  mois']  Quelques 
statistiques.  —  Cette  question  en  est  une  que  le 
simple  bon  sens  nous  obligea  poser  à  M.  Pasteur. 
Les  statistiques  les  mieux  établies  démontrent 
que  la  rage  faisait  en  France,  avant  l'invention 
du  traitement  antirabique,  de  12  à  30  victimes. 
Or,  d'après  la  récente  circulaire  adressée  au  Fi- 
garo et  àtoute  la  presse  politique,  le  nombre  des 
ENRAGÉS  GUÉRIS  pendant  un  an  se  serait 
élevé  à  3,000 1  Cela  ferait  donc  pendant  l'année 
plus  de  TROIS  MILLE  CAS  de  rage  mortelle  au 
lieu  de  vingt.  Comment  expliquer  une  telle  as- 
cension ?  On  serait  presque  tenté  de  croire  que 
les  gens  deviennent  enragés  à  plaisir  depuis 
qu'on  leur  offre  la  certitude  de  la  guérison. 

Les  statistiques  de  tous  les  pays  démontrent 
que  le  nombre  des  victimes  que  fait  la  rage  est 
extrêmement  minime.  D'après  les  statistiques 
présentées  par  le  D^  Frisch  (1)  à  la  Société  des 

(1)  Ce  médecin,  qui  élait  venu  étudier  le  traite- 
ment Pasteur,  a  formulé  son  opinion  devant  la  So- 
ciété des  médecins  de  Vienne,  de  la  façon  suivante  : 
«  Quant   à   la  valeur    de  ce  traitement   préventif,  il 

2* 


—  26  — 

médecins  de  Vienne,  la  rage  a  fait  en  Autriche, 
de  1879  à  1885,  13,  8,  5,  7,  2  et  10  victimes.  En 
Prusse,  où  le  seul  traitement  prophylactique 
consiste  à  museler  les  chiens,  il  y  a  eu  dans  les 
cinq  dernières  années  10,  6,  4,  1  et  0  personne 
ayant  succombé  à  la  rage.  On  le  voit,  l'hydro  - 
phobie  occupe  une  place  peu  importante  dans 
notre  pathologie,  surtout  si  on  la  compare  à  la 
phthisie,  à  la  diphthérie,  à  la  variole. 

n'est  pas  encore  possible  de  se  prononcer  avec  cer- 
titude, parce  que  la  durée  de  l'inoculation  de  la 
rage  est  très  longue.  Il  faut  donc  attendre  encore 
des  renseignements  ;  mais  rien  n'empêche  de  répé- 
ter les  expériences  de  M.  Pasteur  (Séance  du  17 
avril]  886}.» 

Or,  voici  comment  M.  Pasteur  et  ses  amis  ont  inter- 
prété ces  paroles  dans  une  dépêche  reproduite  par  tous 
les  journaux  politiques:  «  Le  docteur  Frisch,  qui  a  été 
envoyé  dernièrement  à  Paris  par  un  comité  viennois 
pour  étudier  la  méthode  d'inoculation  Pasteur,  a  fait 
un  résumé  de  ses  recherches  dans  une  réunion  publi- 
que à  IHôtel-de-V^ille.  Il  a  loué  sans  réserve  le  systè- 
me de  M.  Pasteur  et  il  a  dit  qu'il  devrait  être  adopté 
par  tous  les  médecins  de  l'âutriche.  «  Je  ne  sais  pas 
qui  est  chargé  du  service  de  la  publicité  à  l'Ecole  nor- 
male, mais  je  crains  vraime  qu'il  n'abusent  par 
trop  de  la  crédulité  du  corps  medjcal  français. 

Depuis  cette  époque  Von  Frisch  a  institué  à  Vienne 
une  série  d'expériences  que  nous  reproduisons  plus 
loin  et  qui  contredisent  d'une  façon  absolue  celles  de 
M.  Pasteur. 


—  27  — 

Mais  cet  argument  ne  diminue  en  rien  le  mé- 
rite de  M.  Pasteur  s'il  a  vraiment  découvert  le 
remède  de  la  rage.  N'y  aurait  il  qu'un  seul  en- 
ragé en  France  chaque  année,  je  serais  éternel- 
lement reconnaissant  au  professeur  de  l'Ecole 
normale  s'il  le  guérit  et  ne  regretterais  pas  les 
millions  dépensés  à  cet  effet.  En  attendant,  je 
supplie  les  autorités  de  ne  pas  trop  s'en  rapporter 
à  la  méthode  nouvelle  et  de  ne  pas  négliger  les 
mesures  qui  sont  de  nature  à  contribuer,  con- 
curremment avec  M.  Pasteur,  à  la  prophylaxie 
de  la  rage,  nous  voulons  parler  du  musèlement 
des  chiens  qui,  rigoureusement  appliqué  en  Al- 
lemagne, a  fait  descendre  à  zéro  la  mortalité 
occasionnée  par  cette  terrible  maladie. 


IV 


Qu'est-cê  que  la  rage  des  loups  ?  Nos  lecteurs 
connaissent  dans  leur  ensemble  les  faits  sur- 
venus au  laboratoire  de  la  rue  d'Ulm.  Ils 
savent  que  la  méthode  a  donné  quelques  in- 
succès. Non  seulement  une  enfant,  puis  une 
femme  sont  morts  de  la  rage,  mais  encore  une 
série  de  Russes  se  sont  montrés  vraiment  réfrac- 


—  28  ~ 

taires  à  l'effet  des  virus  moelleux.  Au  nombre 
de  cinq,  ils  sont  venus  mourir  dans  nos  hôpi- 
taux et  un  sixième  a  succombé  à  son  retour  en 
Russie. 

Cet  insuccès  était  certainement  de  nature  à 
déconcerter  toutes  les  prévisions.  Mais  pourquoi 
n'ont-ils  pas  voulu  guérir  ?  Est-ce  parce  qu'ils 
étaient  Russes  ?  On  ne  pouvait  sérieusement 
penser  à  donner  cette  explication  et,  à  bout  d'ex- 
pédients, on  a  dit  qu'ils  étaient  morts  parce 
qu'ils  avaient  été  mordus  par  des  loups. 

D'après  M.  Pasteur,  la  rage  du  loup  serait  dif- 
férente de  celle  du  chien.  Elle  serait  plus  grave. 
En  outre,  les  loups  ont  une  manière  spéciale 
d'inoculer  leur  virus,  ils  vont  plus  profondé- 
ment, etc. 

A  l'appui  de  cette  assertion  le  professeur  a 
communiqué  au  Figaro  et  à  l'Académie  des 
sciences  une  série  de  faits  des  plus  concluants. 
Nous  les  reproduisons  textuellement  (1)  : 

(1)  Cette  communication,  envoyée  sous  forme  de 
circulaire  à  tous  les  journaux  français,  n'a  pas  été  lue 
à  l'Académie  de  médecine.  Pourquoi  ?  L'auteur  a  peut- 
être  pensé  qu'elle  y  serait  moins  favorablement  accueil- 
lie. 


—  29  — 

«  i»  En  1706,  le  27  février,  à  Saint-Julien-de- 
Civry  (Saône-et  Loire),  huit  personnes  étaient 
mordues  par  un  loup  enragé.  Elles  mouraient 
toutes  en  un  espace  de  temps  variant  de  dix- 
sept  à  soixante-huit  jours. 

2^*  Le  20  décembre  1806,  neuf  personnes 
étaient  mordues  près  de  Bourges  ;  huit  sont 
mortes. 

3"  Le  10  octobre  1812,  à  Bar-sur-Ormie,  dix- 
neuf  personnes  étaient  mordues.  —  Un  méde- 
cin cautérisa  et  lava  leurs  plaies  avec  du  mu- 
riate  d'ammoniaque  liquide.  Elles  ont  succombé 
en  une  période  de  treize  à  soixante- onze  jours. 

4°  Le  23  février  1849,  à  Darbois,  un  berger 
nommé  Dumont,  âgé  de  soixante-quatre  ans, 
mourait  mordu  par  un  loup,  après  trente-deux 
jours  de  souffrances. 

5"  En  1866,  trois  personnes  mouraient  dans 
l'Aveyron. 

Ainsi,  voilà  les  faits  cliniques  qu'on  nous  pré- 
sente I  M.  Pasteur  est  allé  chercher  dans  les  al- 
manachs  du  temps,  des  observations  datant  du 
dix-huitième  siècle,  et  dépourvues  de  toute  au- 
thenticité pour  expliquer  la  mort  de  ces  pauvres 
Russes.  Il  fallait  nous  donner  des  faits  récents 
ou  tout  au  moins  remontant  à  une  époque  moins 


—  30  — 

légendaire,  ce  qui  nous  eût  permis  de  les  contrô- 
ler. 

Nous  avons  nous-même  recherché  des  faits 
plus  récents  et  ceux  que  nous  avons  recueillis  et 
que  nous  pubherons  démontrent  que  la  mortali- 
té par  la  rage  du  loup  n'est  pas  plus  élevée  que 
celle  par  la  rage  du  chien. 

Je  crains  bien  que  les  honorables  confrères 
chargés  de  souffler  M.  Pasteur  lorsqu'il  parle 
médecine  ne  l'aient  engagé  dans  une  mauvaise 
voie.  Il  nous  semble  plus  simple  d'admettre  que 
ceux  des  Russes  qui  sont  morts  avaient  vrai- 
ment la  rage  et  que  ceux  qui  sont  retournés  en 
Russie,  ne  l'avaient  pas.  Ils  ont  été  mordus  par 
le  même  animal,  cela  est  vrai,  mais  les  uns  ont 
subi  l'inoculation,  les  autres  y  ont  échappé.  Si 
M.  Pasteur  était  médecin,  il  saurait  qu'il  arrive 
souvent  que  sur  plusieurs  enfants,  vaccinés  avec 
le  même  virus,  un  certain  nombre  échappent  à 
l'inoculation. 


Pourquoi  la  rage  est-elle  plus  grave  lorS' 
que  kl  morsure  est  plus  profondel  Dans  sa 
communication  au  Figaro  et  â  l'Académie  des 
sciences.  M.  Pasteur  donne  encore  une  raison 


"  31  — 

pour  expliquer  l'insuccès  de  sa  méthode  sur  les 
Russes.  Nous  citons  : 

a  La  différence  de  gravité  s'explique  par  la 
puissance  de  mâchoire  du  loup  qui  porte  le  vi- 
rus plus  profondément  dans  le  système...  Lat 
mort  des  personnes  mordues  par  les  loups  est 
beaucoup  plus  fréquente  en  raison  du  nombre 
des  blessures,  de  leur  profondeur  et  de  leur  gra- 
vité. » 

Cet  argument  doit  certainement  convaincre 
les  lecteurs  du  Figaro  et  du  Petit  Journal^  rasa?, 
je  crois  que  les  médecins  sont  plus  difficiles. 
Comment  !  l'inoculation  est  plus  grave  lorsque 
le  virus  est  porté  plus  profondément  dans  le  sys- 
tème !  Voilà  qui  renverse  toutes  les  idées  reçues. 
J'avais  cru  jusqu'à  ce  jour  que  le  vaccin  s'inocu- 
lait quelle  que  soit  laprofondeur  de  la  piqûre.  On 
nous  a  même  toujours  conseillé  de  préférer  l'ino- 
culation peu  profonde  comme  beaucoup  plus 
sûrcn  Tout  cela  est  peut  être  changé  ;  mais  je  se- 
rais heureux  de  connaître  à  cet  égard  l'opinion 
de  la  Commission  de  la  vaccine  à  l'Académie 
de  médecine. 


32  — 


VI 


«  Pourquoi  le  virus  moelleux  ne  donne-t-il 
lieu  à  aucune  réaction  locale  ou  générale  ?  Un 
des  principaux  griefs  qu'adressaient  les  Pasto- 
riens  à  leur  confrère  Ferran  était  ainsi  formulé  : 
«  Vous  prétendez  inoculer  un  choléra  atténué; 
comment  se  fait-il  que  votre  inoculation  ne  don- 
ne lieu  à  aucun  phénomène  local  ou  général  ? 
Vos  malades  devraient  avoir  un  petit  choléra  ou 
tout  au  moins  présenter  une  réaction  quelcon- 
que indiquant  l'introduction  du  virus  dans 
l'économie.  Comme  rien  de  tout  cela  n'a  heu, 
nous  avons  bien  des  raisons  de  croire  que  vous 
n'injectez  que  del'eau  sale  ne  possédant  aucune 
propriété  virulente  spéciale.  » 

Nous  n'avons  certes  pas  l'intention  d'émettre 
une  semblable  opinion  sur  le  virus  moelleux. 
Mais  les  faits  qui  se  passent  à  l'Ecole  normale 
n'en  sont  pas  moins  de  nature  à  renverser  ce 
qu'on  nous  avait  appris  autrefois  sur  les  virus. 
Prenons  des  maladies  essentiellement  virulen- 
tes, telles  que  la  variole,  la  vaccine,  la  syphilis, 
etc.  Nos  ancêtres,  qui  inoculaient  déjà  au  siècle 
dernier  la  variole  atténuée,  n'obtenaient-ils  pas 
toujours  une  petite  vérole,  une  éruption  quelcon- 


—  33  — 

que?  Le  virus  vaccinal  inoculé  ne  donne-t-il  pas 
toujours  naissance  à  une  pustule?  L'inoculation 
de  la  syphilis  ne  produit-elle  pas  le  chancre  in- 
duré ?  Tout  cela  est  clair,  positif,  incontestable. 
La  maladie  transmise  par  inoculation  donne 
naissance  à  une  maladie  de  même  nature.  Mais 
rien  de  tout  cela  n'a  lieu  pour  la  rage  atténuée. 
On  inocule  de  la  moelle  plus  ou  moins  virulen- 
te, et  puis  on  n'a  rien,  pas  la  plus  petite  pustule, 
pas  même  de  l'érythème,  aucune  réaction  géné- 
rale pouvant  se  rapprocher  des  accidents  rabi- 
ques  réels.  Tout  cela  est  bien  étrange  et  bien  en 
contradiction  avec  ce  qu'on  nous  avait  appris 
autrefois  sur  la  transmission  des  maladies  vi- 
rulentes. 

Telles  sont  les  principales  questions  que  nous 
voulions  adresser  à  M.  Pasteur  et  aux  honora- 
bles confrères  qui  ont  accepté  les  yeux  fermés 
les  faits  surprenants  cjui  ont  étonné  à  juste  rai- 
son le  monde  scientifique  pendant  ces  six  der- 
niers mois. 

Mais  nous  tenons  essentiellement  à  déclarer 
qu'il  n'y  a  dans  notre  attitude  ni  parti  pris,  ni 
hostilité.  Nos  lecteurs  savent  que  nous  avons  à 
cœur  de  prendre  au  sérieux  toutes  les  questions 
de  science  présentant  un  intérêt  pratique.  Celle 
qu'aborde  M.  Pasteur  est  certainement  de  ce 


-  34  — 

nombre,  et  nous  serons  très  heureux  de  voir  un 
jour  la  pratique  confirmer  ce  qui  a  semblé  de- 
voir rester  jusqu'à  ce  jour  dans  le  domaine  de 
là  théorie  spéculative.  Comme  l'a  fort  bien  dit 
le  savant  Autrichien,  M.  Frisch,  la  question  doit 
être  réservée,  la  période  d'incubation  de  la  rage 
étant  quelquefois  très  longue. 

Je   supplie  donc  mes  confrères  de  modérer 
leur  enthousiasme  et  je  crois  qu'il  est  convenable  " 
d'apporter  quelques  réserves. 

On  me  dit  :  «  La  France  n'a  qu'un  grand  hom- 
me et  vous  cherchez  à  le  déprécier.  »  Mais  c'est 
dans  l'intérêt  môme  du  Grand  Homme  que  les 
réserves  me  semblent  nécessaires,  indispensa- 
bles. Pensez  donc  comme  il  est  cruel,  aux  yeux 
de  l'Etranger,  de  reconnaître  que  nous  avons  été 
trop  loin,  que  la  méthode  est  imparfaite,  et  quel- 
le amère  déception  pour  notre  patrie  et  pour 
nous-mêmesi,  dans  un  an,  la  méthode  Pasteur 
était  abandonnée  ou  démodée  !  Que  le  public 
prenne  feu  et  flamme,  qu'il  s'enthousiasme  à  la 
lecture  des  tartines  dithyrambiques  qui  lui  sont 
servies  chaque  jour,  cela  est  dans  l'ordre.  Mais 
nous  pensons  que  les  médecins  et  les  véritables 
hommes  de  science  ne  doivent  accepter  que  sous 
bénéfice  d'inventaire  les  découvertes  dont  les 
applications  pratiques  ne  sont  pas  encore  dé- 
montrées. Comme  l'a  fort  bien  dit  le  professeur 


—  35  — 

Brouardel,  en  parlant  des  inoculations  préven- 
tives de  l'Espagnol  Ferran,  précurseur,  col- 
lègue et  émule  de  M.  Pasteur,  il  ne  faut  pas 
passer  trop  tôt  du  domaine  de  la  théorie  dans 
celui  de  la  pratique. 

Nous  aurons  à  parler  plus  tard  des  pro- 
cédés à  l'aide  desquels  M.  Pasteur  et  ses  amis 
ont  appelé  l'attention  des  gens  du  monde  sur 
leur  découverte.  Quoique  cette  question  sorte 
un  peu  du  cadre  purement  scientifique,  nous 
croyons  nécessaire  de  mettre  au  grand  jour  cer- 
tains agissements  qui  nous  paraissent  de  nature 
à  compromettre  sérieusement  la  dignité  de  no- 
tre profession. 

Tels  sont  les  points  les  plus  importants  qui 
nous  semblent  devoir  servir  de  base  à  la  discus- 
sion de  la  nouvelle  méthode. 

Nous  allons  les  reprendre  et  les  discuter  à 
nouveau,  en  faisant  connaître  les  principaux 
documents  qui  s'y  rattachent. 


CHAPITRE     ^^ 

EXPOSÉ    DE    LA  MÉTHODE 

Avant  d'aller  plus  avant  dans  la  critique,  il 
nous  a  paru  nécessaire  de  remémorer  à  nos  lec- 
teurs les  points  les  plus  importants  de  la  mé- 
thode. 

Cet  exposé  sera  fait  aussi  clairement  que  pos- 
sible et  avec  la  plus  stricte  impartialité. 

La  méthode  comprend  les  quatre  opérations 
suivantes  :  Trépanation  d'un  lapin  ;  Dessicca- 
tion de  ses  moelles  ;  Préparation  du  virus 
moelleux  ;  Injectio?!.  du  bouillon  à  Vhomme. 

l'J"  TEMPS  :   TRÉPANATION  DU  LAPIN. 

Voici  comment  on  procède  : 

On  coupe  avec  des  ciseaux  les  poils  qui  cou- 
vrent le  sommet  de  la  tété,  puis  on  divise  la 
peau  avec  un  bistouri  sur  une  longueur  de  quel- 
ques centimètres. 
Le  crâne  se  trouve  ainsi  mis  à  découvert.  Adap- 
tant alors  une  couronne  de  trépan  au  centre  de 


—  37  — 

cette  incision,  on  enlève  en  quelques  tours  de 
roues  une  rondelle  osseuse,  de  la  largeur  d'une 
lentille,  ce  qui  permet  d'apercevoir  la  dure-mère. 
On  pique  délicatement  cette  membrane  avec  l'ai- 
guille d'une  petite  seringue  Pravaz,  et  on  fait 
pénétrer  à  la  surface  même  du  cerveau  quelques 
gouttes  de  son  contenu,  lequel  contenu  n'est  au- 
tre que  le  prétendu  virus  rabique  de  M.  Pasteur. 
On  retire  alors  la  seringue  et  on  réunit  par  deux 
points  de  suture  la  plaie  des  téguments. 
Que  devient  alors  le  lapin? 

L'animal  se  réveille  de  l'anesthésie  à  laquelle 
il  a  été  soumis,  puis*  il  éprouve  du  cinquième  au 
sixième  jour  les  effets  du  virus  et  de  l'opéra- 
tion qu'il  a  subie.  Il  devient  triste  et  abattu, 
mange  peu  et  traîne  péniblement  ses  pattes  de 
derrière.  Puis  ses  pattes  de  devant  s'entrepren- 
nent à  leur  tour,  et,  la  paralysie  se  généralisant, 
il  tombe  sur  le  côté  et  meurt  le  septième  jour 
dans  cette  attitude  sans  convulsions,  sans  cris 
et  sans  présenter  du  reste  aucun  des  symptômes 
habituels  de  la  rage. 

Il  est  à  remarquer,  en  effet,  que  le  lapin,  de 
même  que  les  autres  animaux  auxquels  M.  Pas- 
teur inocule  son  virus  moelleux,  succombent 
sans  présenter  aucun  des  symptômes  de  la  rage. 
C'est  une  objection  que  faisait  très  judicieusement 


—  38  •-' 

M.  Jules  Guérin  à  l'Académie  de  Médecine, 
(séance  du  21  octobre  1885).  «  Ces  expériences, 
disait  l'illustre  savant,  se  rapportent  à  une  rage 
artificielle,  à  une  rage  théorique  et  nullement  à 
la  rage  des  rues,  à  celle  qui  est  transmise  du 
chien  à  l'homme.  » 

L'autopsie  des  lapins  vient  également  à  l'ap- 
pui de  cette  manière  de  voir.  On  sait  que  le 
centre  nerveux  est  (d'après  M.  Duboué)  le  siège 
de  la  localisation  du  virus  rabique  :  «  Vous  au- 
rez beau  soumettre  à  la  dissection  la  plus  minu- 
tieuse le  cerveau,  la  moelle  épinière  et  le  bulbe 
qui  réunit  le  cerveau  à  la  moelle,  a  dit  M.  Cons- 
tantin James,  à  qui  nous  empruntons  quelques- 
uns  des  passages  de  ce  chapitre,  nulle  part  vous 
ne  trouverez  des  traces,  je  ne  dis  pas  seulement 
de  la  présence,  mais  même  du  passage  de  ce 
virus. 

Le  microscope  donne  de  même  des  résultats 
entièrement  négatifs  :  point  de  microbes  ;  pas 
même  ces  granulations  que  M.  Pasteur  avait  si- 
gnalées d'abord  comme  caractéristiques  de  la 
rage.  C'est  au  point  qu'en  mettant  en  regard 
l'un  de  l'autre  le  cerveau  d'un  lapin  tué  plein  de 
vie  dans  une  garenne,  et  le  cerveau  d'un  lapin 
mort  de  la  rage  dans  nos  laboratoires,  il  vous 
sera  impossible  de  distinguer  le  cerveau  sain  du 
cerveau  contaminé.  » 


—  39  - 
En  somme,  pour  les  animaux  comme  pour 
l'homme,  il  n'existe  aucune  lésion  anatomique 
qui  puisse  démontrer  chez  un  individu  l'exis- 
tence de  la  rage.  11  faut  donc  convenir  que  cette 
maladie  est  peu  connue,  aussi  bien  dans  ses 
symptômes  que  dans  ses  lésions. 

2"  TEMPS.  —  DESSICCATION  DES  MOELLES, 

Nous  venons  de  voir  comment  on  inocule  le 
lapin  et  comment  il  succombe.  Les  moelles  qui 
doivent  être  soumises  à  la  dessiccation  pour  être 
délayées  ensuite  dans  du  bouillon  stérilisé  pro- 
viennenttoutes  deces  animauxinoculés  et  morts 
par  trépanation.  Voici  comment  on  procède  en- 
suite. 

Le  lapin  qui  a  succombé  sert  à  inoculer  celui 
qui  lui  succède,  et  tiinsi  de  suite,  sans  qu'il  y  ait 
jamais  d'interruption;  or,  chaque  jour  on  ino- 
cule quelque  nouveau  lapin  jusqu'à  ce  qu'on  ait 
obtenu  un  nombre  suffisant. 

Chaque  lapin  est  ensuite  autopsié  et  sa  moelle 
disposée  dans  un  flacon  spécial.  On  obtient  alors 
toute  une  collection  de  moelles  au  nombre  de 
quatorze,  chiffre  qu'avait  d'abord  fixé  M .  Pas- 
teur, comme  correspondant  à  celui  des  inocula- 
tions à  faire.  Ces  quatorze  moelles  représentent 
donc,  d'après  M.   Pasteur,  quatorze  degrés  dif- 


—  40  — 

férents  d'activité.  Le  degré  le  plus  faible  corres- 
pond à  la  moelle  la  plus  ancienne  et  ne  saurait 
déterminer  aucun  symptôme  rabiqae  ;  le  degré 
le  plus  fort  correspond  à  a  moelle  la  plus  récen- 
te et  renfermerait,  au  contraire,  les  éléments  de 
la  rage  la  plus  terrible  ;  quant  aux  degrés  inter- 
médiaires, ils  forment  une  véritable  gamme  de 
virulence. 

Il  s'agit  maintenant  de  .préparer  le  bouillon 
stérilisé  dans  lequel  on  doit  dissoudre  les  moel- 
les devant  servir  aux  inoculations.  On  obtiendra 
alors  le  virus  moelleux  dont  il  a  tant  été  ques- 
tion. 

3'    TEMPS.  —  PRÉPARATION  DU  VIRUS    MOELLEUX. 

Voici  comment  on  obtient  ce  fameux  virus  : 
On  prend  un  kilogramme  de  veau  que  l'on 
ajoute  à  un  poids  égal  d'eau  préalablement 
bouillie  et  fdtrée,  puis  ou  fait  bouillir  le  tout 
pendant  une  demi-heure.  A  ce  moment,  on  re- 
tire le  bouillon  du  feu,  et  on  le  filtre  pour  le  dé- 
barrasser de  la  graisse  et  autres  substances  in- 
solubles. Comme  il  est  d'ordinaire  un  peu  acide, 
on  le  neutralise  en  y  ajoutant  peu  à  peu  de  la 
potasse  jusqu'à  ce  que  le  papier  bleu  de  tourne- 
sol qu'on  y  plonge  ne  change  pas  de  couleur. 
•  Il  s'agit  maintenant  de  le  stériliser. 


—  41   — 

On  renferme  pour  cela  ce  bouillon  dans  un 
ballon  en  verre,  dont  on  étire  ensuite  le  goulot 
jusqu'à  ce  qu'il  se  termine  par  une  pointe  effi- 
lée qu'on  bouche  à  la  lampe  d'émailleur.  Ce  bal- 
lon est  placé  dans  une  sorte  de  marmite  de  Pa- 
pin,  pendant  quinze  à  vingt  minutes,  à  une  cha- 
leur de  115".  Comme  il  n'y  a  pas  de  microbe 
qui  puisse  résister  à  cette  température,  le  bouil- 
lon se  trouve  ne  pi  us  contenir  d'êtres  vivants,  en 
d'autres  termes,  il  est  «  stérilisé  ■».  Il  n'y  a  plus 
alors  qu'à  l'approprier  aux  inoculations. 

Voici  comment  procède  M.  Pasteur  ou  plutôt 
M.  Roux  (1). 

Il  enlève  délicatement  une  moelle  d'un  flacon 
en  la  retirant  par  les  fils  qui  la  maintiennent 
suspe]\due  au  coton  servant  de  bouchon.  A  por- 
tée de  sa  main  se  trouve  une  lampe  à  esprit  de 
vin.  Il  passe  rapidement  la  moelle  à  travers  la 
flamme,  pour  tuer  les  germes  qui  auraient  pu 
se  déposer  à  sa  surface.  Avec  une  paire  de  ci- 
seaux qu'il  flambe  également,  il  découpe  deux 
ou  trois  petits  morceaux  de  moelle,  d'un  centi- 
mètre de  longueur  environ,  qu'il  coupe  encore 

(1)  \r.  Pasteur  a  depuis  longtemps  abandonné  à  ses 
aides  la  manipulation  des  bouillons  et  le  traitement. 
Il  ne  daigne  aujourd'hui  se  montrer  que  pour  les  visi- 
teurs de  tnarqiie. 

.3 


—  42  — 

en  morceaux  plus  fins  et  qu'il  laisse  tomber  dans 
un  verre  à  pied.  Sur  la  table  sont  placés  aussi 
de  petits  ballons  en  verres  fermés  à  la  lampe  et 
préalablement  remplis  d'un  bouillon  stérilisé.  Le 
préparateur  brise  la  pointe  d'un  ballon  et  aspire 
avec  une  pipette  un  peu  de  liquide  qu'il  intro- 
duit dans  le  verre.  Ce  bouillon  va  servir  de  vé- 
hicule à  la  moelle  rabique.  Avec  une  baguette 
de  verre,  on  triture,  on  pile  la  moelle  au  milieu 
du  bouillon,  on  fait  une  sorte  d'émulsion  qui 
donne  une  liqueur  jaunâtre.  C'est  le  liquide  des- 
tiné aux  inoculations. 

D'après  cette  description,  exactement  emprun- 
tée au  manuel  opératoire  pastorien,  le  virus 
moelleux  se  composerait  donc  simplement  d'une 
solution  de  moelle  de  lapin  rabique  dans  du 
bouillon  de  veau. 

Ce  bouillon  aurait  une  virulence  plus  ou  moins 
intense  selon  le  degré  de  dessiccation  de  lamoelle 
qui  a  servi  à  la  solution.  Ainsi  la  moelle  de  dix 
jours  seraitdix  fois  moins  virulente  que  la  moel- 
le fraîche  d'un  jour. 

Voilà  du  moins  ce  que  nous  dit  M.  Pasteur. 
Mais  tout  cela  est-il  bien  conforme  aux  données 
scientifiques  qui  se  rapportent  à  l'étude  géné- 
rale des  virus  ?  Nous  nous  permettons  d'en  dou- 
ter. 


—  43   — 

C'est  toujours  la  vaccine,  ce  virus  parfaite- 
ment isolé  et  déterminé,  qu'on  prend  comme 
terme  de  comparaison  lorsqu'il  s'agit  de  liqui- 
des virulents.  Or,  ce  qui  a  lieu  pour  le  virus 
moelleux  de  M.  Pasteur  n'a  pas  lieu  pour  le  vi- 
rus jennérien.  Pourquoi  ?  La  vaccine,  dessé- 
chée et  recueillie  àPétat  de  croûte,  peut  être  en- 
voyée au  loin  et  conserver  sa  virulence  pendant 
des  mois  et  des  années.  Il  n'en  estpas  de  même, 
paraît-il,,  pour  le  virus  moelleux  que  les  Pasto- 
riens  se  plaisent  à  comparer  au  virus  jennérien. 
Ce  prétendu  virus  perd  toutes  ses  propriétés  par 
la  dessiccation  et  ne  peut  plus  les  recouvrer.  Mys- 
tère étrange. 

Or  admettons  qu'il  en  soit  ainsi.  M.  Pasteur 
coupe  ses  petits  fragments  de  moelle  et  les  met 
dans  son  bouillon  de  veau  après  les  avoir  sou- 
mis et  une  dessiccation  plus  ou  moins  longue. 


QUESTIONS    DE    QUANTITE    ET   DE    POIDS. 

Mais  il  omet  de  nous  dire  quelle  quantité  de 
moelle  il  place  dans  son  bouillon.  Il  ne  pèse  pas 
sa  moelle  et  ne  se  rend  nullement  compte  de 
la  proportion  dans  laquelle  elle  se  trouve  asso- 
ciée au  bouillon.  En  un  mot  la  question  de  poids 
et  de  quantité  lui  paraît  négligeable. 


_  44  — 

Quand  nous  employons  les  alcaloïdes  tels 
que  la  morphine,  la  strychnine  et  autres  poi- 
sons cent  fois  moins  redoutables  que  les  préten- 
dus virus  pastoriens.  nous  les  pesons  scrupu- 
leusement et  nous  tenons,  avant  de  les  faire  in- 
gérer à  nos  semblables,  à  savoir  dans  quelles 
proportions  ils  se  trouvent  associés  au  véhicule. 

Mais  M.  Pasteur  n'a  pas  jugé  cette  précaution 
nécessaire.  Il  découpe  deux  oq  trois  petits  mor- 
ceaux de  moelle  et  les  met  dans  son  bouillon. 
Quant  à  la  dessiccation,  elle  se  fait  également 
par  à  peu  près  sans  tenir  compte  de  l'état  hygro- 
métrique de  l'air  et  des  autres  circonstances. 

Et  voilà  la  méthodequ'on  nous  donne  comme 
le  type  de  la  précision  scientifique  ! 

4*^  TEMPS.  —  INOCULA.TION  A  l'hOMME. 

Arrivons  maintenant  au  point  délicat  :  l'ino- 
culation à  l'homme. -— Voici  comment  on  pro- 
cède : 

Sur  une  table  du  laboratoire  sont  rangées  dix 
fioles  dans  l'ordre  de  leur  activité.  Pourquoi  dix 
seulement,  puisque  nous  savons  qu'on  en  avait 
préparé  quatorze  ?  C'est  que  M.  Pasteur  a  pensé 
que  les  quatre  moelles  les  plus  récentes,  ne  pou- 
vaient être  utilisées,  à  cause  de  leur  trop  grande 


.^  45  — 

virulence.  Quant  au  nombre  dix,  il  représente 
la  durée  de  la  cure,  qui  est  en  moyenne  de  dix 
jours,  à  une  injection  par  jour. 

Mais  pourquoi  dix,  en  effet,  au  lieu  de  sept, 
de  douze  ou  de  quatorze.  M.  Pasteur  lui-même 
n'en  sait  rien.  Il  va  par  à  peu  près  comme  les 
empiriques.  Nous  verrons  du  reste  plus  loin  que 
la  méthode  a  été  souvent  modifiée  selon  que  les 
individus  étaient  Français  ou  Russes,  qu'ils 
avaient  été  mordus  par  des  chiens  ou  des  loups, 
etc.,  etc.  (1). 

Voici,  d'après  un  témoin  oculaire,  la  scène  qui 
se  passe  tous  les  jours  au  laboratoire  : 

«  M.  Pasteur,  debout  devant  la  porte  d'entrée, 
fait  l'appel  des  «  mordus  »,  qui  viennent  se  faire 
inoculer.  Ils  sont  divisés  en  dix  séries,  autant 
par  conséquent  qu'il  y  a  de  fioles. 

C'est  la  première  série  qui  commence  le  défilé. 
Celle-ci  se  compose  des  nouveaux  arrivants  qui, 
appartenant  pour  la  plupart  aux  nationalités  les 
plus  diverses,  sont  venus  pour  se  soumettre  au 
traitement.  Ils  passent  tous  devant  M.  Pasteur, 

(1)  Nous  reproduirons  plus  loin  les  variations  de  la 
MÉTHODE.  Depuis  les  nombreux  de'cès  survenus  après 
son  traitement  et  souvent  à  cause  de  son  traitement, 
l'illustre  ehimiste  a  modifié  la  méthode  dans  sa  tota- 
lité. 

3- 


—  46  — 

lequel  adresse  à  chacun  une  bonne  ■parole^  puis 
se  dirigent  vers  l'inoculateur,  afin  de  recevoir 
l'injection  préservatrice.» 

ROLE  DU  PROFESSEUR  GBANCHER, 

La  seringue  est  tenue  par  un  professeur  de  la 
Faculté  de  Paris,  M.  Grancher,  qui  injecte  déli- 
catement le  virus  moelleux  dans  l'abdomen  des 
enragés. 

On  se  demande  pourquoi  c'est  un  professeur 
de  la  Faculté  de  médecine  qui  fait  les  injections 
sous-cutanées,  alors  que  le  plus  modeste  externe 
des  hôpitaux  ferait  aussi  bien  cette  besogne. 

On  a  pensé  sans  doute  qu'il  fallait  un  peu 
de  solennité  et  il  s'est  trouvé  un  professeur  qui 
ne  dédaignait  pas  de  s'associer  à  la  publicité  et 
à  la  réclame  dont  on  entourait  la  méthode.  Mais 
cela  est  sans  importance.  Continuons  la  techni- 
que pastorienne. 

«  Quand  toute  la  première  série  a  été  inoculée, 
elle  se  retire,  puis  on  passe  1  la  seconde,  puis  à  la 
troisième,  et  ainsi  de  suite,  jusqu'à  ce  que  toutes 
les  dix  aient  reçu  l'injection  graduée,  augmen- 
tant chaque  jour  d'un  degré  la  force  de  la  liqueur. 

Chaque  injection  est  l'affaire  de  quelques  se- 
condes, car  on  procède  absolument  comme  pour 


—  47  — 


les  piqûres  de  morphine.  La  seule  sensation  per- 
çue est  celle  de  cette  piqûre.  Il  ne  survient  non 
plus,  ni  le  même  jour,  ni  les  jours  suivants,  la 
moindre  irritation  locale  de  la  peau, ^ 


IL  DOIT  y  AVOIR  DES  ERREURS. 

Mais  au  milieu  de  ces  centaines  d'individus 
qui  se  présentent,  il  est  impossible  de  conserver 
un  ordre  parfait  ;  supposez  qu'une  personne  qui 
fait  partie  des  premières  séries,  par  conséquent 
des  injections  les  plus  faibles,  se  trouve  en  re- 
tard, et,  ne  voulant  pas  s'être  déplacée  en  vain, 
se  glisse  parmi  celles  qui  appartiennent  aux  der- 
nières séries.  Comme  son  organisme  n'aura  pas 
été  préparé  par  des  injections  suffisamment  gra- 
duées, elle  recevra,  non  plus  le  préservatif  de  la 
rage,  mais  la  rage  elle-même,  car  le  virus  qu'on 
lui  inoculera  est  plus  terrible  que  la  bave  du 
chien  hydrophobe. 

Cela  a  dû  arriver  quelquefois,  et  les  inoculés 
ne  s'en  sont  pas  plus  mal  portés.  Je  n'hésiterais 
pas,  pour  ma  part,  à  me  laisser  inoculer  le  bouil- 
lon n°  10  et  même  le  n°  14  et  j'ai  la  conviction 
absolue  que  je  ne  prendrais  pas  la  plus  petite 
rage. 


—  48  — 

TRAITEMENT    TOUR   LES    MORSUB.ES  DE    LOUP. 

Le  traitement  que  nous  venons  d'indiquer 
s'appliquait  d'abord  à  tous  les  mordus  par  des 
chiens  ou  par  des  loups.  Mais  les  nombreux  in- 
succès survenus  sur  des  Russes  mordus  par  des 
loups  ont  engagé  le  maître  à  modifier  sa  mé- 
thode. Voici  à  quelle  occasion  : 

Neuf  Russes  de  Wladimir  furent  mordus  le 
25  mars  et  cautérisés,  six  heures  après,  avec 
l'cicide  azotique,  par  le  docteur  Vicknevsky  ; 
puis,  une  fois  qu'on  leur  eut  fourni  les  fonds  né- 
cessaires pour  leur  voyage,  ils  partirent  pour 
Paris  accompagnés  de  ce  médecin,  et  se  pré- 
sentèrent, le  8  avril,  à  la  consultation  de  M. 
Pasteur. 

C'est  par  eux  que  M.  Pasteur  inaugura  son 
nouveau  système  d'inoculations  à  l'usage  des 
«  Morsures  de  loup  ».  Ce  système  consiste  à  fai- 
re trois  injections  par  jour,  de  force  toujours 
croissante,  une  le  matin,  l'autre  l'après-midi,  la 
troisième  le  soir,  et  chaque  fois  deux  seringuées 
au  lieu  d'une,  par  conséquent  six  seringuées 
par  vingt-quatre  heures. 

Le  quinzième  jour  du  traitement,  M.  Pasteur 
a  interrompu  ses  inoculations,  afm  de  laisser  re- 
poser ses  malades,  se  proposant  (le  les  reprendre 


-    49  - 

plus  tard.  Mais  un  de  ces  Russes  étant  mort  de 
la  rage  le  19  avril,  le  D'  Vicknevsky  a  préféré 
repartir.  lia  donc  quitté  Paris  avec  les  huit 
Russes  restants.  Sur  ces  huit  Russes,  l'un  est 
mort  également  de  la  rage  pendant  la  route, 
après  trente-six  heures  de  cruelles  souffrances. 
Enfin,  quelques  jours  après  leur  retour  à  Wladi- 
mir,  un  troisième  Russe  a  succombé  de  même 
à  la  terrible  maladie.  Par  conséquent,  trois  dé- 
cès sur  neuf  mordus  1 

Tels  sont  les  faits  et  tels  sont  les  chiffres,  les 
seconds  aussi  authentiques  que  les  premiers.     ■ 

Voici  comment  un  des  panégyristes  de  M.  Pas- 
teur, M.  G.  James,  apprécie  les  faits  :  «  Evidem- 
ment toute  conclusion  basée  sur  ces  résultats  se- 
rait chose  prématurée,  puisque  M.  Pasteur  en 
est  encore,  pour  ce  qui  se  rapporte  à  la  morsure 
du  loup,à  la  période  d'essais.  »  Quant  à  ces  essais, 
je  les  quah fierai  d'un  mot  :  ils  me  stupéfient,  au 
point  de  vue  physiologique. 

Comment  !  Voilà  un  virus  —  le  numéro  2  par 
exemple  —  dont  une  goutte  suffit  pour  tuer  le 
chien  le  plus  robuste,  et  c'est  par  seringuées 
pleines  que  vous  l'injecterez,  plusieurs  fois  cha- 
que jour,  dans  les  veines  d'un  homme  !  Et  cet 
homme  n'éprouvera  ni  une  démangeaison  dans 
la  piqûre,  ni  un  simple  étourdissement  dans  le 
cerveau  ?  Mais  il  n'y  a  pas  d'animal  antédiluvien, 


-  -  50  — 

fût-ce  le  mastodonte,  qui  ne  fût  foudroyé  par 
un  pareil  poison  à  pareille  done.  Décidément  M. 
Pasteur  joue  ici  avec  son  virus,  comme  un 
dompteur  joue  avec  ses  fauves. 

Surtout  qu'on  ne  voie  pas  dans  cette  dernière 
réflexion  de  ma  part,  une  pensée  critique.  Non. 
.Ce  que  j'ai  voulu  dire,  c'est  que  jamais  un  mé- 
decin n'aurait  osé  faire  pareille  tentative  ;  car 
enfin,  ce  que  vous  inoculez,  ce  n'est  pas  le  contre- 
poison, c'est  le  poison  lui-même.  Or,  qui  vous 
garantit  que,  si  vous  en  centuplez  la  dose,  dans 
l'espoir  d'en  centupler  les  effets,  vous  ne  travail- 
lerez pas  au  contraire  dans  le  sens  du  mal,  en 
ajoutant  une  trop  forte  proportion  de  virus  à  cel- 
le dont  la  dent  de  l'animal  a  déjà  vicié  l'orga- 
nisme d'où  résultera  plus  tard  quelque  terrible 
explosion  rabique. 

Mais  le  prophète  a  prononcé  :  inclinons-nous. 
Seulement  c'est  le  cas  ou  jamais  de  dire  : 

« Mais  pour  être  approuvés 

De  semblables  projets  veulent  être  achevés.  » 

Depuis  cette  époque,  M.  Pasteur  a  fait  subir 
à  son  traitement  de  nombreuses  variations  qui 
ont  enlevé  à  sa  méthode  toute  la  rigueur  scien- 
tifique qu'elle  semblait  avoir  dans  les  débuts. 
Nous  aurons  l'occasion  d'en  parler  plus  loin. 


CHAPITRE    II. 

EXAMEN  DE  LA  MÉTHODE.  —  LES  PAR- 
TIES VRAIMENT  SCIENTIFIQUES  DE  LA 
DÉCOUVERTE  NE  SONT  PAS  DUES  A 
M.  PASTEUR  QUI  S'EN  EST  ATTRIBUÉ 
FAUSSEMENT  LA  PATERNITÉ. 

M.  Pasteur  a  exposé  à  l'Académie  des  sciences, 
dans  une  série  de  communications  solennelles, 
comment  il  était  arrivé  à  sa  splendide  découverte 
du  Traitement  de  la  Rage.  Cette  découverte  se 
compose  elle-même  d'une  sorte  de  trinité  com  ■ 
prenant  : 

1°  Découverte  de  l'état  réfractaire  par  inocu- 
lations. 

2°  Découverte  de  la  substitution  du  lapin  au 
chien  pour  les  inoculations  du  virus  rahique. 

3°  Découverte  du  siège  de  la  rage  dans  les 
centres  nerveux. 

Or,  il  se  trouve  qu'aucune  de  ces  découvertes 
ne  lui  appartient  en  propre.  Qui  ose  dire  cela  ? 
Précisément,  son  panégyriste,  M.  Constantin 
James.  Nous  n'en  voulons  d'autres  preuves  que 


—  52  — 

les  passages  guillemélés  qui  vont  suivre  et  que 
nous  empruntons  à  son  travail:  La  Rage;  Avan- 
tage de  son  traitement  par  la  méthode  Pasteur. 

a  On  peut  appliquer  à  la  découverte  de  M. 
Pasteur  ce  que  lui-même  a  dit  des  Générations 
spo7itanécs  à  propos  des  êtres  vivants  :  «  Elle 
n'est  pas  née  spontanément  dans  son  cerveau  ; 
«  il  en  existait  des  germes  dans  l'atmosphère  de 
la  science».  Ainsi  Magendie,il  y  plus  d'un  demi- 
siècle,  avait  jeté  les  fondements  de  la  méthode 
elle-même  par  des  expériences  que  celles  de  M. 
Pasteur  n'ont  fait  que  confirmer  et  féconder. 
Puis^  tout  à  fait  dans  ces  derniers  temps,  avant 
même  que  Pasteur  s'occupât  de  la  rage,  MM. 
Galtier  et  Duboué,  avaient  préparé  le  terrain 
par  d'importants  travaux.  » 

La  questian  ainsi  posée,  M.  Constantin  James 
va  nous  fan^e  l'exposé  des  titres  respectifs  des 
trois  savants  que  nous  venons  de  nommer  à  la 
découverte  de  M.  Pasteur. 

Magendie. 

«s  Voici  comment  s'exprimait  Magendie,  en 
1821,  dans  un  article  de  son  Journal  de  Physio- 
logie expérimentale  intitulé  :  Expériences  sur 
LA  Rage  : 

«  J'ai  pris,  sur  un  jeune  homme  atteint  de  la 


—  53  — 

rage  par  morsure  de  chien  que  j'avais  dans  une 
de  mes  salles  à  l'Hôtel-Dieu,  un  peu  de  sa  salive, 
et  ]'ai  inoculée,  avec  mon  confrère  Brescliet,  à 
un  chien,  en  la  plaçant  sous  la  peau  du  front. 
L'animal  est  devenu  enragé  au  bout  d'un  mois. 
Deux  chiens  qui  furent  mordus  par  celui-ci  de- 
vinrent aussi  enragés  après  quarante  jours. 
Ceux-ci  mordirent  plusieurs  autres  chiens,  mais 
sans  aucune  suite  fâcheuse  pour  eux. 

«  Dans  cette  série  d'expériences,  la  ragiî 
s'arrêta  donc  d'elle-même  a  la  troisième 
génération.  ») 

«  Ainsi  voilà  l'État  réfractaire  à  la  Rage 
découvert  et  signalé  par  Magendie,  il  y  a  plus 
de  soixante  ans  I 

»  Et  qu'on  ne  regarde  pas  ces  expériences  de 
Magendie  comme  n'ayant  eu  aucune  portée  dans 
son  esprit,  et  étant  tombées  depuis  lors  à  l'état  de 
lettre  morte.  Non  ;  il  aimait  au  contraire  à  y  re- 
venir. Ainsi,  pendant  que  Claude  Bernard  et  moi 
étions  attachés  à  son  laboratoire  du  Collège  de 
France,  lui  comme  préparateur  du  cours,  moi 
comme  rédacteur  des  leçons,  il  les  répéta  plu- 
sieurs fois  devant  nous  ;  seulement  il  crut  re- 
marquer que  l'état  réfractaire  était  obtenu  plus 
sûrement  à  la  quatrième  qu'à  la  troisième  ino- 
culation. 

4. 


-  54  - 
«  C'est  ce  qui  explique  pourquoi,  lorsque  j'eus 
plus  tard  l'occasion  de  rappeler  ces  expériences 
à  l'article  :  Mor,^ures  de  chiens  enragés^  de  mon 
traité  des  Premiers  soins  (1),  je  les  modifiai 
dans  le  sens  que  je  viens  d'indiquer.  Voici,  en 
effet,  comment  je  m'exprimais  : 

«  Je  citerai,  à  propos  de  certaine  innocuité  du 
virus  rabique,  les  expériences  suivantes  de  Ma- 
gendie  : 

«  On  fait  mordre  par  un  chien  enragé  un 
chien  qui  ne  l'est  pas  ;  celui-ci,  au  bout  de  qua- 
rante jours,  offre  tous  les  symptômes  de  la  rage. 
On  se  sert  alors  de  ce  second  chien  pour  en  faire 
mordre  un  troisième,  lequel,  au  bout  du  même 
temps,  devient  enragé  à  son  tour.  Ce  troisième 
chien  pourra  également  communiquer  la  rage  à 
un  quatrième;  mais  là  s'arrête  la  faculté  trans- 
missible  du  virus,  car  aucun  des  animaux  que 
mordra  ce  quatrième  chien  ne  deviendra  hydro- 
phobe. 

«  Partant  de  ces  expériences  que  M.  Pasteur 
toutefois  m'a  dit  n'admettre  que  sous  toutes 
réserves,  et  que  du  reste  il  ignorait,  on  peut  se 
demander  comment  la  rage  ne  s'est  pas  déjà 

(1)  Premiers  soins  à  donner  avant  Varrivée  du  mé- 
decin, page  77.  Paris,  l&GS. 


—  55  — 

éteinte  d'elle-même  depuis  longtemps,  par  épui- 
sement de  la  vertu  inoculable  de  son  virus. 

a  C'est  que,  chez  l'animal  en  liberté,  il  existe 
des  sources  où  ce  virus  se  retrempe,  chose  qui 
échappe  à  nos  expériences  de  laboratoire » 

K  Voilà  donc  la  découverte  de  Magendie  rap- 
pelée près  de  cinquante  ans  plus  tard,  puisque 
la  première  édition  de  mon  livre  parut  en  1868. 
Quant  au  passage  souligné  qui  se  rapporte  à  M. 
Pasteur,  il  trouve  son  explication  dans  un  entre- 
tien que  nous  eûmes  ensemble  au  sujet  de  la 
rage,  et  dont  je  dois  dire  un  mot. 

«  Ayant  été  lui  faire  visite,  le  lendemain 
même  du  jour  de  sa  nomination  à  l'Académie 
française,  pour  l'en  féliciter,  par  conséquent  le  9 
décembre  1881,  —  les  dates  ont  ici  leur  impor- 
tance —  la  conversation  tomba  sur  la  question  de 
la  rage,  dont  il  commençait  à  peine  l'étude.  Je 
lui  demandai  s'il  connaissait  les  expériences  de 
Magendie  ;  il  me  répondit  que  non.  Je  les  lui  ra- 
contai alors  dans  tous  leurs  détails,  insistant  sur 
chacune  :  il  y  opposa  la  plus  complète  incrédu- 
lité. C'est  en  souvenir  de  cet  entretien  et  de  cette 
dénégation  que  j'insérai  dans  la  seconde  édition 
de  mon  livre  qui  parut  un  an  après,  la  phrase 
soulignée. 

«  Il  est  vrai  que  plus  tard  M.  Pasteur  annon- 


-  56 

çait  à  l'Académie  des  Sciences  (séance  du  25 
février  1884)  qu'il  possédait  dans  son  laboratoire 
des  chiens  rendus  réfradaires  à  la  rage  au 
■moyen  d'inoculations  successives.  N'était-ce  pas 
reconnaître  tacitement  tout  à  la  fois  et  la  véracité 
des  expériences  de  Magendie  et  leur  antériorité  ? 

«  Mais  laissons  de  côté  ces  questions  de  priorité 
qui  ne  sauraient,  du  reste,  faire  doute  pour 
personne.  Je  me  serais  même  abstenu  de  les 
soulever  s'il  se  fût  agi  de  tout  autre  que  de  Ma- 
gendie. Mais,  maintenant  surtout  que  Bernard 
n'est  plus,  le  seul  avec  moi  qui  connût  «  à  fond  » 
ses  travaux,  je  regarde  comme  un  devoir  de  dé- 
fendre et  au  besoin  de  revendiquer  les  droits  de 
celui  dont  je  fus  pendant  plus  de  vingt  ans  — et 
ce  sera  l'honneur  de  toute  ma  vie  —  le  collabo- 
rateur et  l'ami.  » 

M.  Galtier. 

«  L'Académie  des  Sciences,  dans  sa  séance  du 
S5  août  1879,  recevait  de  M.  Galtier,  professeur  à 
l'Ecole  vétérinaire  de  Lyon,  une  note,  sous  forme 
de  Conclusions.,  qui  débutait  ainsi  : 

«  La  rage  du  chien  est  transmissible  au  lapin, 
qui  devient  de  la  sorte  un  réactif  commode  et 
inoffensif  pour  déterminer  l'état  de  virulence  ou 
de  non-virulence  des  divers  liquides  provenant 


—  57  - 

d'animaux  enragés.  Je  m'en  suis  déjà  servi  à  ce 
titre  un  grand  nombre  de  fois,  pour  étudier  les 
différentes  salives  et  beaucoup  d'autres  liquides 
pris  sur  le  chien,  sur  le  mouton  et  sur  le  lapin 
enragés.  » 

«  L'annonce  de  ce  fait  frappa  d'autant  plus 
vivement  les  esprits  que,  non  seulement  il  enri- 
chissait la  science  d'une  découverte  nouvelle, 
mais  que,  de  plus,  il  rendait  facile  et  sans  danger 
une  étude  qui  jusqu'alors  avait  été  très  difficile. 
Je  suis  peut-être  un  de  ceux  qu'elle  impressionna 
le  plus  fortement.  C'est  que  je  me  rappelais  les 
expériences  deMagendie  sur  la  rage  où  nous  ne 
disposions  que  de  chiens  contre  lesquels  il  nous 
fallait  soutenir  une  lutte  des  plus  vives  et  que 
nous  ne  pouvions  maîtriser  qu'en  les  garrottant, 
le  chloroforme  n'existant  pas  encore,  du  moins 
dans  la  pratique.  Avec  les  lapins,  au  contraire, 
on  agit  avec  une  sécurité  d'autant  plus  grande 
que  la  rage  elle-même  ne  les  fait  pas  sortir  de 
leur  placidité  naturelle 

«  Le  second  fait  annoncé  par  M.  Galtier  est 
celui-ci  : 

<t  Non  seulement  le  lapin  est  susceptible  de 
contracter  la  rage  et  de  vivre  un  certain  temps 
après  l'éclosion  de  la  maladie,  mais  il  est  cons- 
tant, d'après    toutes  nos  expériences,    que  la 


-~  58  — 

période  d'incubation  est  plus  courte  cliez  lui  que 
chez  les  autres  animaux.  Sur  vingt-cinq  cas  do 
rage  expérimentés  dans  ces  conditions,  je  suis 
arrivé  à  une  moyenne  approximative  de  dix- 
huit  jours,  » 

«  Prenons  acte  de  ces  deux  faits  dont,  à  me- 
sure que  nous  avancerons  dans  ce  travail,  nous 
verrons  grandir  l'importance  et  multiplier  les 
applications.  » 

M.  DuBOuÉ. 

Œ  M.  le  docteur  Duboué  (de  Pau)  a  publié, 
en  1879,  un  traité  sur  la  Rage  (I),  où  il  s'est 
surtout  proposé  d'en  bien  fixer  le  siège.  Dans  le 
compte  rendu  que  M.  Bouley  en  a  donné  à  l'Aca- 
démie des  Sciences  (séance  du  25  avril  1879),  il 
déclare  que  c'est  un  livre  aussi  original  que 
sérieusement  pensé.  11  est  de  fait  que  tout  dénote 
chez  son  auteur  un  rare  esprit  d'observation, 
puisqu'il  est  arrivé  par  la  physiologie  seule  à  des 
déductions  d'une  étonnante  justesse.  Voyons 
comment  il  pose  la  question  : 

«  Quand  on  veut  dégager  une  inconnue  à  l'aide 
d'une  équation  algébrique,  ce  serait  folie  que  de 
le  tenter  si  on  ne  possédait  pas  quelques  données 

(i)  De  la  Physiologie  pathologique  et  du  Traitement 
rationnel  de  l?  Rage.  Pans,  1879. 


—  59  — 

préalables  d'une  parfaite  exactitude.  Or,  nous 
trouvons  précisément  dans  la  rage  deux  choses 
d'une  saisissante  clarté,  ce  sont  ;  Le  -point  de 
départ  et  le  ■point  d'arrivée. 

«  Quel  est  le  point  de  départ?  C'est  une  plaie 
virulente  du  tégument  externe  d'un  des  tissus 
sous-jacents. 

«  Quel  est  le  point  d'arrivée?  C'est  la  mort  et  la 
mort  par  le  bulbe  rachidien  et  la  protubérance. 

«  Or,  il  n'est  jamais, indifférent,  en  physiologie 
pathologique  surtout,  de  savoir  d'où  l'on  part  et 
où  on  va.  » 

«  Non,  dirons-nous  aussi  à  notre  tour,  ce  n'est 
jamais  indifférent  ;  sous  ce  rapport,  notre  con- 
frère a  joint  l'exemple  au  précepte.  Hàtons-nous 
d'ajouter  que,  dans  la  solution  qu'il  donne  du 
siège  de  la  rage,  il  est  tombé  tellement  juste  que 
c'est  la  seule  aujourd'hui  qui  ait  cours  dans  la 
science. 

«  C'est  donc  bien  réellement  dans  le  bulbe  et  la 
protubérance  que  réside  le  virus  rabique.  » 

Telle  est,  d'après  M.  Constantin  James,  la  part 
contributive  de  chacun  à  la  découverte  de  M. 
Pasteur. 

Voici  le  résumé  qu'il  en  donne  : 

<t  Magendie  n'est  pas  seulement  le  premier  en 
date,  il  l'est  de  môme  en  importance.  C'est  bien 


—  60  -~ 

lui,  en  effet,  quia  créé  la  méthode  des  «  Inocula- 
tions successives  d'animal  à  animal  »,  pour  atté- 
nuer et  même  éteindre  la  virulence  de  la  rage, 
inoculations  qui  forment  la  base  du  système  de 
M.  Pasteur. 

«  M.  Galtier,  de  son  côté,  a  singulièrement 
facilité  les  études  sur  la  rage  en  substituant  pour 
les  inoculations  le  lapin  au  chien,  c'est-à-dire  un 
animal  moffensif  à  un  animal  féroce,  et  en  abré- 
geant d'une  manière  considérable  la  période d'm- 
cubation  de  cette  maladie. 

«  Enfin,  M.  Duboué  a  localisé  le  premier  le 
siège  de  la  rage  dans  les  centres  nerveux  et  dé- 
montré que  les  nerfs  sont  les  agents  de  trans- 
port du  virus  rabique  au  cerveau. 

«  Chose  aussi  piquante  que  bizarre  par  ses 
coïncidences  !  C'est  dans  le  courant  de  l'année 
1879,  par  conséquent  deux  ans  avant  que  M. 
Pasteur  s'occupât  de  la  rage,  que  MM.  Galtier 
et  Duboué  ont  exécuté  leurs  travaux  et  en  ont 
donné  la  primeur  à  l'Académie  des  Sciences, 
dont  précisément  M.  Pasteur  est  membre.  S'il 
s'agissait  d'hommes  moins  distingués,  je  dirais 
que  leur  histoire  a  été  un  peu  celle  de  ces  «  pra- 
ticiens »  qui  dégrossissent  le  marbre,  en  atten- 
dant que  le  ciseau  du  statuaire  en  fasse  sortir  le 
chef-d'œuvre  projeté  par  son  génie.  » 

Et  nous  aussi,  si  nous  ne  craignions  de  dépoé- 


—  61  — 

tiser  cette  gracieuse  image  de  notre  confrère, 
nous  dirions  que  ces  praticiens  qui  dégrossissent 
le  marbre  ressemblent  singulièrement  à  des  gens 
qui  tirent  les  marrons  du  feu  pour  qu'un  autre 
s'en  régale. 

Ce  qui  est  certain,  c'est  que  les  seuls  éléments 
scientifiques  qui  peuvent  être  dégagés  du  gâchis 
de  l'école  normale,  à  savoir  :  Vétat  réjractaire 
à  la  rage  chez  les  animaux  et  le  siège  de  la  vi- 
rulence clans  les  centres  nerveux  ont  été  décou- 
verts par  d'autres  que  M.  Pasteur  et  que  celui- 
ci,  qui  connaissait  parfaitement  les  travaux  de 
ses  prédécesseurs,  s'est  bien  gardé  de  les  citer. 
Gesontdes  procédés  scientifiques  auxquels  le  pro- 
fesseur de  l'école  normale  nous  a  habitués  depuis 
trop  longtemps  pour  que  nous  les  trouvions  ex- 
traordinaires. Nous  avons  cependant  pensé  qu'il 
était  de  notre  devoir  de  rétablir  les  faits  et  de 
rendre  justice  aux  vrais  et  modestes  savants  qui 
ont  illustré  la  science  par  des  travaux  sérieux 
sans  employer  la  publicité  charlatanesque  de 
l'Ecole  normale. 


4- 


CHAPITRE     III 

POURQUOI  LE  VIRUS  MOELLEUX  NE 
DONNE-T-IL  LIEU  CHEZ  L'HOMME  A 
AUCUN  PHÉNOMÈNE  MORBIDE  ? 

Le  fait  qui  étonne  peut-être  le  plus  les  médecins 
dans  les  recherches  nouvelles  de  Pasteur,  c'est 
qu'à  la  suite  des  inoculations  l'on  n'observe  aucun 
phénomène  morbide. 

Ceci  nous  parait  absolument  inexplicable  et 
tout  à  fait  contraire  à  ce  que  nous  savons  sur  les 
inoculations  des  maladies  virulentes  à  l'espèce 
humaine . 

Voyez  ce  qui  se  passe  après  l'inoculation  de  la 
vaccine,  de  la  variole,  du  charbon,  de  la  syphilis, 
etc. ,  etc. ..  Lorsque  le  sujet  n'est  pas  réfractaire  au 
développement  de  l'affection  inoculée  —  et  certes 
M.  Pasteur  ne  peut  guère  invoquer  limmunité 
rabique  de  ceux  qu'il  inocule,  car  alors  pourquo 
leur  distribuerait-il  ses  bouillons  de  culture?  — • 
lors  donc  que  le  sujet  n'est  pas  réfractaire  au 
développement  de  l'affection  inoculée,  il  se  pro- 


—  63  — 

duit  chez  lui,  après  un  laps  de  temps  variable 
suivant  les  cas,  une  série  de  phénomènes  morbi- 
des bien  connus,  bien  étudiés.  La  variolisation, 
la  vaccination  peuvent  être  considérées  comme 
les  types  de  ces  opérations  vraiment  médicales 
qui  ne  suppriment  certes  pas  totalement  le  mal, 
mais  qui  préservent  d'une  maladie  presque  tou- 
jours mortelle  au  prix  d'une  affection  qui  n'a  le 
plus  souvent  que  peu  de  gravité. 

Rien  de  semblable  dans  le  traitement  de  la 
rage  tel  qu'il  est  pratiqué  à  l'École  normale.  Le 
bon  sens  et  surtout  le  sens  médical  enseignent 
qu'une  maladie  atténuée  se  traduit  non  par  l'ab- 
sence de  tout  phénomène  morbide,  mais  par  des 
phénomènes  morbides  atténués.  Que  l'inocula 
tion  successive  de  virus  de  plus  en  plus  forts  ne 
détermine  pas,   grâce  à  une  accoutumance  de 
l'organisme  fort  peu  compréhensible,  je  l'avoue, 
les  symptômes  mortels  de  la  rage,  on  peut  à  la 
rigueur  le  soutenir,  mais  qu'elle  ne  produise 
rien,  absolument  rien  !   pas  le  moindre   petit 
symptôme  rabique,  pas  le  moindre  vestige  d'hy- 
drophobie!  voilà  qui  est  décidément  merveilleux! 
Ce  n'est  plus  de  l'art  médical,  c'est  de  la  prestidi- 
gitation I  Le  grand  savant  ne  guérit  pas  la  rage, 
il  l'escamote. 

Je  sais  bien  qu'un  de  nos  confrères  allemands, 
M.  Ullmann,  qui  a  travaillé  six  semaines  au 


—  64  — 

laboratoire  de  la  rue  d'Ulm  et  qui  a  subi  dix 
inoculations  ainsi  que  d'autres  médecins,  a  res- 
senti le  premier  et  le  second  jour  un  peu  d'abat- 
tement et  que  les  dernières  injections  ont  provo- 
qué une  légère  infiltration  avec  vives  déman- 
geaisons. 

Les  Pasto riens  triompheront  peut-être  en  lisant 
cette  émouvante  symptomatologie  ;  mais  j'avoue, 
pour  ma  part,  qu'elle  est  loin  de  me  suffire  et 
que  je  ne  saurais  en  rien  y  reconnaître  des  trou- 
bles morbides  dus  au  virus  rabique.  Qu'est  ce 
que  cet  abattement  ressenti  le  premier  et  le  se- 
cond jour,  alors  que  s'il  est  un  fait  bien  connu 
sur  la  rage,  c'est  que  c'est  une  maladie  à  plus  ou 
moins  longue  incubation  ?  Y  a-t-il  là  quelque 
chose  de  sérieux,  je  le  demande,  quelque  chose 
qui  réponde  à  cette  question  posée  par  tout  mé- 
decin vraiment  digne  de  ce  nom  :  «  Mais  dites- 
nous  donc  ce  qu'éprouvent  les  vaccinés  ?  » 

Cette  question  que  maintenant  ils  regardent 
comme  indiscrète,  les  élèves  de  M.  Pasteur  l'a- 
vaient cependant  bien  posée  à  M.  Ferran.  Ils 
étaient  même  allés  beaucoup  plus  loin,  puisqu'ils 
ne  s'étaient  pas  contentés  de  la  symptomatologie 
donnée  par  le  médecin  espagnol  et  avaient  pré- 
tendu qu'ils  n'y  reconnaissaient  que  des  phéno- 
mènes d'intoxication  vulgaire  ou  de  septicémie, 


—  65  - 

qu'il  leur  fallait  un  bon  petit  choléra  atténué  pour 
qu'ils  daignassent  reconnaître  que  Ferran  injec- 
tait autre  chose  que  de  l'eau  sale.  Comment 
donc  ne  veulent-ils  pas  que  nous  réclamions 
aussi  maintenant  une  bonne  petite  rage  atténuée, 
en  miniature,  oh  !  pas  grand'chose  —  nous  ne 
sommes  pas  exigeants  —  mais  enfin  quelque 
chose,  afin  que  nous  puissions  avoir  la  foi  qui 
sauve  et  nous  prosterner  devant  le  virus  mira- 
culeux ? 

On  nous  traitera  sans  doute  d'esprits  obtus  et 
l'on  nous  répondra  que  la  théorie  même  de  la 
méthode  veut  qu'il  ne  se  produise  aucun  phéno- 
mène morbide.  On  accoutume  progressivement 
l'organisme  aux  virus  successifs  de  plus  en  plus 
forts  et  l'on  arrive  ainsi  à  le  rendre  absolument 
réfractaire  à  l'action  de  la  rage  extravirulente. 
Ce  ii'est  plus  une  vaccination,  c'est  une  Mithri- 
datisatioyi  !  !  Nous  ne  faisons  plus  de  la  micro- 
biologie, mais  de  la  toxicologie.  C'est  assez 
risqué,  au  point  de  vue  scientifique,  d'assimiler 
un  virus  à  un  poison  végétal  ou  minéral.  Mais 
enfin,  admettons  le  rapprochement  pour  qu'on 
ne  nous  accuse  point  de  farouche  intolérance. 
Je  ne  sais  si  le  fameux  roi  d'Asie  ne  mettait  que 
10  jours  pour  s'habituer  à  tolérer  sans  la  moin- 
dre crampe  d'estomac  des  doses  hypertoxiques  ; 
ce  que  je  sais,  c'est  qu'il  ne  nous  viendra  jamais 


—  6Q  — 

à  l'esprit  d'administrer  à  un  malade  des  quanti- 
tés croissantes  d'arsenic  ou  de  strychnine,  de 
manière  à  lui  faire  prendre  le  dixième  jour  des 
doses  toxiques  de  ces  substances  :  nous  serions 
trop  sûrs  du  résultat  final.  Et,  cependant,  il  s'a- 
git là  de  substances  connues,  agissant  directe- 
ment sur  l'organisme,  que  l'on  peut  régler  et 
conduire,  tandis  que  dans  les  vaccinations  rabi- 
ques  on  est  aux  prises  avec  un  virus  mal  défini 
et  dont  lé  microbe  était  encore  absolument  in- 
connu il  y  a  quelques  semaines. 

M.  Pasteur  a  étudié  l'action  de  ses  bouillons 
de  culture  sur  le  chien,  c'est  possible  :  mais  ce 
qui  est  certain,  c'est  qu'il  ignore  complètement 
les  effets  de  ces  bouillons  sur  l'homme,  puisqu'il 
n'a  jamais  rien  observé  après  leur  administra- 
tion. 

Il  ignore  absolument,  je  le  répète,  si  le  pre- 
mier virus  qu'il  injecte  est  capable  de  produire 
le  moindre  phénomène  rabique  et  au  bout  de 
combien  de  temps  et  ainsi  de  suite  jusqu'à  son 
dixième  virus. 

Sur  tous  ces  points  nous  sommes  dans  l'obscu- 
rité la  plus  complète,  la  plus  absolue.  On  cher- 
che en  vain  dans  ses  travaux  sur  la  rage  et  sur- 
tout dans  l'application  qui  en  a  été  faite  à  l'hom- 
me, le  hen  scientifique  qui  a  pu  guider  le  pro- 


—  67  — 

fesseur  de  TEcole  normale,  on  ne  trouve  qu'em- 
pirisme et  résultats  stupéfiants. 

La  neutralisation  d'un  virus  rabique  déjà 
inoculé  par  V inoculation  successive  non  d'un 
antidote,  mais  de  virus  rahiques  de  virulence 
progressive,  et  tout  cela  sans  le  moindre  phéno- 
mène morbide,  voilà  le  Credo  qui  nous  est  pré- 
senté par  l'Ecole  normale.  C'est  le  grand  mystère 
de  la  religion  nouvelle.  Que  les  dévots  courbent 
la  tète  et  s'inclinent  ! 

Pour  nous,  nous  ne  pouvons  que  protester  :  au 
nom  de  la  critique  scientifique,  nous  réclamons 
des  explications,  et  nous  avons  la  ferme  convic- 
tion, en  provoquant  la  discussion  sur  ce  point, 
de  rendre  un  réel  service  à  la  science  française. 


CHAPITRE    IV 

LES  PERSONNES  SOIGNÉES  A  L'ÉCOLE 
NE  SONT  PAS  ATTEINTES  DE  LA  RAGE. 
—  ON  NE  PREND  AUCUNE  PRÉCAUTION 
SÉRIEUSE  POUR  S'EN  ASSURER. 

Nous  avons  démontré  combien  il  était  difficile, 
même  pour  un  vétérinaire  expérimenté,  de  dia- 
gnostique d'une  manière  certaine  la  rage  du 
chien. 

Nous  allons  établir  aujourd'hui, en  choisissant 
quelques  faits  précis  parmi  les  nombreux  que 
nous  possédons,  qu'on  inocule  à  l'Ecole  normale 
des  centaines  de  personnes  qui  ne  sont  pas  enra- 
gées et  qu'on  accepte,  pour  le  traitement,  des 
individus  qu'on  déclare  enragés  sans  se  livrer  à 
aucune  enquête  sérieuse. 

Les  faits  que  nous  allons  rapporter  sont  d'une 
authenticité  absolue  et  nous  sommes  en  mesure 
de  fournir  à  cet  égard  les  renseignements  les 
plus  positifs. 

Premier  fait.  -  Le  neuf  février  de  cette  année, 


—  69  — 

un  maréchal-ferrant  de  la  rue  Royer-Collard  est 
prié  par  une  femme  de  la  rue  Saint- Jacques  de 
mettre  à  mort  son  chat,  vieux,  infirme  et  galleux, 
mais  inoffensif  et  nullement  enragé,  dont  elle 
voulait  se  débarrasser. 

L'exécution  eut  lieu.  Le  maréchal-ferrant  s'a- 
perçut le  surlendemain  qu'il  avait  une  légère 
éraillure  à  la  main.  Immédiatement,  effrayé  par 
lalecture  de  son  Petit  Journal,  il  se  croit  enragé; 
il  éprouve,  en  effet,  48  heures  après  lamortde  ce 
chat,  des  spasmes  dans  la  joue.  A  partir  de  ce 
moment,  il  dit  qu'il  est  enragé,  ne  dort  plus  et 
est  en  proie  à  des  terreurs  continuelles. 

Le  27  février,  il  se  rend  à  l'Ecole  normale  sans 
aucune  attestation  de  vétérinaire  et  déclare  qu'il 
a  été  mordu  par  un  chat  enragé.  Sans  autre  pré- 
ambule ni  information,  il  est  inoculé  et  reçoit  les 
dix  bouillons  classiques  du  27  février  au  9  mars. 

Le  30  mars  suivant,  éprouvant  toujours  les 
mêmes  symptômes  spasmodiques,  en  proie  aux 
mêmes  terreurs  et  à  la  même  insomnie,  il  se 
décide  (il  aurait  pu  commencer  par  là)  à  consul- 
ter son  médecin,  qui  lui  prescrit  très  judicieuse- 
ment des  douches  froides.  Une  amélioration  est 
obtenue,  mais  comme  elle  n'est  pas  suffisante, 
notre  confrère  administre  en  outre  4  grammes 
par  jour  de  bromure  de  potassium.  A  partir  de 


—  70  — 

ce  moment,  l'amélioration  se  manifesta  et  les 
accidents  cessèrent  presque  complètement. 

Interrogé  par  son  médecin  et  par  un  professeur 
consultant  à  l'effet  de  savoir  s'il  avait  déclaré  à 
M.  Pasteur  avoir  éprouvé  les  symptômes  de  la 
rage,  il  répondit:  «  Je  m'en  suis  bien  gardé,  il  ne 
m'aurait  pas  inoculé.  » 

Le  beau-père,  homme  sensé  et  pratique,  qui 
avait  assisté  à  l'exécution  du  chat,  a  déclaré  que, 
non  seulement  son  gendre  n'avait  pas  été  mordu, 
mais  qu'il  n'avait  pas  été  égratigné  et  que  d'ail- 
leurs,eùt-il  été  égratigné,  le  chat  n'était  ni  malade 
ni  enragé. 

Deuxième  fait.  —  Un  étudiant  en  droit  à  la 
Faculté  de  Montpellier,  également  hanté  par  le 
spectre  de  la  rage  à  la  suite  des  lectures  des  jour- 
naux politiques  qui  en  parlent  avec  une  telle 
insistance,  se  croit  enragé.  Il  prend  le  train  et  se 
rend  immédiatement  rue  d'Ulm  où,  sans  aucune 
espèce  d'enquête  ni  de  certificat,  il  est  immédia- 
tement inoculé.  Le  lendemain,  inoculation  du 
bouillon  n°  2.  Ce  même  jour  l'étudiant  se  décide 
à  déclarer  qu'il  n'est  pas  sur  d'avoir  été  mordu, 
mais  qu'il  a  simplement  rêvé  l'avoir  été.  On 
cessa  les  inoculations  et  on  le  considéra  comme 
un  aliéné.  C'est  par  là  qu'on  aurait  dû  commen- 
cer avant  de  l'inoculer.  En  effet,  cet  étudiant, 


—  71  — 

examiné  depuis  pardeux  spécialistes,  fut  reconnu 
comme  étant  simplement  atteint  du  délire  des 
persécutions.  11  a  même  raconté  à  ses  consul- 
tants «  qu'il  avait  rêvé  être  mordu  par  un  mor- 
ceau de  chien  enragé  ». 

Nous  rapportons  ce  fait  pour  démontrer  avec 
quelle  légèreté  les  inoculations  sont  pratiquées 
chaque  jour  à  l'Ecole  normale. 

Troisième  fait.—  Mademoiselle  X.  voit  mourir 
son  chien  de  maladie.  Elle  se  rappelle  que  dans 
les  derniers  jours  de  sa  vie  le  pauvre  animal 
l'avait  léchée.  Prise  de  peur  à  la  suite  de  la 
lecture  de  son  journal,  elle  se  croit  menacée  de 
la  rage  et  se  rend  à  l'École  normale  où  elle  est 
immédiatement  inoculée  en  même  temps  que  son 
palefrenier  qui  s'était  dit  :  «  Si  mademoiselle 
est  enragée,  je  pourrais  bien  l'être  aussi,  puisque 
j'ai  été  également  léché.  »  Il  va  sans  dire  que  ces 
individus  furent  inoculés  comme  les  précédents 
et  sont  venus  grossir  la  liste  des  1,500  individus 
arrachés  à  une  mort  certaine. 

Quatrième  fait.  —  J'emprunte  ce  fait  au 
Temps,  organe  officiel  des  paslorieos.  On  lisait 
dans  le  numéro  du  8  mars  : 

a  Parmi  les  personnes  que  traite  en  ce  moment 


—  72  - 

M.  Pasteur  à  son  laboratoire  de  la  rue  d'Ulm,  se 
trouve  M.  Emile  Monestier.,  rédacteur  au  Petit 
National.  M.  Moiiestier  a  été  mordu,  jeudi  der- 
nier, à  onze  heures  du  soir,  par  un  chien  qui 
s'est  précipité  sur  lui  dans  la  rue  du  Bouloi,  et 
qui,  après  lui  avoir  enfoncé  profondément  ses 
crocs  d^ns  la  cuisse,  a  pris  la  fuite.  Le  rédacteur 
du  Petit  National  a  subi,  hier,  sa  première  ino- 
culation rabique.  » 

Ainsi  voilà  un  individu  qui  a  été  inoculé  sans 
que  rien  ait  prouvé  que  le  chien  qui  l'a  mordu 
était  enragé. 

Il  est  vrai  que  le  même  journal,  le  Temps.^ 
écrivait  dans  le  numéro  du  15  mars  : 

«  M.  Emile  Monestier  qui  fut  récemment 
mordu  par  un  ckien  enragé  a  pu  continuer  ses 
travaux  comme  à  l'ordinaire  ;  il  se  rend  chaque 
matin  au  laboratoire  de  M.  Pasteur  pour  y 
suivre  le  traitement  prescrit  et  il  a  constaté  que 
les  inoculations  qui  ne  durent  pas  plus  d'une 
demi-seconde,  ne  sont  jamais  douloureuses.  » 

Ainsi  voilà  comme  on  écrit  l'histoire  à  l'Ecole 
normale.  Le  chien,  qui  était  inconnu  le  8  mars, 
était  déclaré  enragé  le  15. 

Cinquième  fait.  —  En  juillet  1886,  un  méde- 
cin du  corps  de  santé  qui  habite  une  ville  du 
midi  est  venu  se  faire  traiter  à  l'Ecole  normale 
dans  les  conditions  suivantes  : 


—  73  — 

La  femme  de  notre-  confrère  avait  été  mordue 
au  doigt  par  un  petit  chien  d'appartement  très 
inoffensif  avec  lequel  elle  avait  l'habitude  déjouer 
fréquemment. 

Huit  jours  après  l'aaimal  présentant  une  ap- 
parence insolite,  on  envoie  chercher  un  vétéri- 
naire. 

A  peine  celui-ci  fut-il  entréque  le  chien  se  jeta 
sur  lui  et  le  mordit  au  bas  de  la  jambe  sur  son 
pantalon  et  ses  bottes  qui  ne  furent  en  aucune 
façon  lacérés. 

Il  n'en  fallut  pas  davantage  ;  il  fut  déclaré  en- 
ragé, condamné  et  exécuté  séance  tenante. 

C'est  alors  que  les  faits  deviennent  intéres- 
sants et  instructifs. 

Aussitôt  le  médecin  militaire  se  rappela,  non 
sans  effroi, que  le  chien  lui  avait  souvent  léché 
les  mains.  Il  examina  avec  anxiété  sonépiderme 
et  n'y  constata  aucune  espèce  d.'éraillure. 

De  son  côté,  lebrosseur  se  rappela  également 
avoir  été  léché  sur  les  mains  ;  il  conçut  les  mê- 
mes inquiétudes  et  crut  apercevoir  sur  ses  mains 
quelques  petites  gerçures.  Celles-ci  furent  immé- 
diatement cautérisées,  bien  que  rien  ne  démon- 
trât que  le  chien  l'eût  jamais  léché  sur  les  gerçu- 
res si  fréquentes  sur  la  main  d'un  brosseur. 

Un  conciliabule  eut  lieu  entre  les  quatre  parties 
intéressées  (le  médecin,  sa  femme,  le  vétérinaire 


—  74  — 

et  le  brosseur)  et  on  résolut  de  partir  pour  Paris 
pour  se  faire  traiter  par  le  maître. 

Il  n'est  pas  besoin  dédire  que  ces  quatre  clients 
furent  acceptés  à  l'Ecole  normale  et  soumis  aux 
inoculations  réglementaires. 

Ainsi,  voici  comment  on  recrute  les  clients, 
voici  les  garanties  qui  sont  demandées  aux  affo- 
lés qui  se  précipitaient  en  foule  rue  d'Ulm. 

Quelles  sont,  dans  ce  cas,  les  preuves  qu'on 
pourrait  fournir  à  l'appui  de  la  rage  chez  le  chien 
incriminé  ?  Le  seul  symptôme  morbide  qu'eût 
présenté  cet  animal  consiste  à  avoir  mal  accueilli 
le  vétérinaire.  Il  n'en  faut  pas  davantage  pour 
que  toute  la  famille  se  croie  atteinte,  y  compris 
ceux  qui  n'avaient  pas  été  mordus. 

Sur  ces  quatre  personnes,  une  seule  avait  été 
mordue  par  un  animal  qui  semblait  parfaite- 
ment sain  et  ne  présenta  quelques  symptômes 
insohtes  que  huit  jours  plus  tard. 

Et  voilà  comment  on  recrute  les  clients  dont 
l'agglomération  constitue  les  3,000  enragés  de 
l'Ecole  normale  ! 

Nous  abuserions  de  la  patience  de  nos  lecteurs 
si  nous  rapportions  tous  les  faits  de  nature  à 
démontrer  qu'on  inocule  à  l'Ecole  normale  des 
centaines  d'individus  qui  ne  sont  pas  enragés^ 
C'est  certainement  le  cas  de  dire  :  ah  uno  disee 
otnnes. 


—  75  — 

Je  ne  ferai  certainement  pas  un  crime  à  M. 
Pasteur  d'inoculer  ses  dix  bouillons  aux  indivi- 
dus qui  n'ont  point  de  mal  et  de  leur  donner 
ainsi  une  assurance  morale  qui  ne  peut  qu'être 
utile.  Mais  ce  que  je  reproche  au  grand  chimiste, 
c'est  de  déclarer,  par  les  circulaires  qu'il  adresse 
chaque  jour  au  Figaro,  que  les  3,000  individus 
qui  ont  passé  à  l'Ecole  normale  ont  été  arrachés 
à  une  mort  certaine.  Il  y  a  là  un  manque  de 
bonne  foi  et  d'exactitude  scientifique  qui  est  de 
nature  à  jeter  le  plus  grand  discrédit  sur  les 
procédés  employés  à  l'Ecole  normale. 

Nous  examinerons  plus  loin  les  questions  rela- 
tives à  la  mortalité  de  la  rage  et  les  faits  qui 
peuvent  expliquer  l'énorme  affluence  des  enra- 
gés pendant  ces  six  derniers  mois.  Nous  exami- 
nerons par  quels  prodiges  de  publicité  et  de 
réclame  l'école  pastorienne  est  arrivée  à  faire  de 
la  rage  une  maladie  à  la  mode.  Pourquoi  le 
nombre  des  enragés,  qui  avait  été  de  12  pen- 
dant le  dernier  trimestre  de  18S5,  s'est  subite- 
ment élevé  à  1,500  pendant  le  premier  trimestre 
de  l'année  1886. 


CHAPITRE     V 

FRÉQUENCE  DE  LA  RAGE. 

Nous  avons  déjà  donné  dans  l'introducliou 
(voir  page  25)  quelques  notions  sur  la  fréquence 
de  la  rage  dans  divers  pays. 

Les  documents  officiels  que  nous  reprodui- 
sons montrent  que  la  rage  est  d'une  grande 
rareté  en  France. 

On  sait  qu'en  Orient,  où  les  chiens  errants  ne 
sont  l'objet  d'aucune  surveillance,  la  rage  est  à 
peu  près  inconnue. 

Les  statistiques  de  tous  les  pays  démontrent 
que  le  nombre  des  victimes  que  fait  la  rage  est 
extrêmement  minime.  D'après  les  statistiques 
présentées  par  le  D''  Frisch  à  la  Société  des  mé- 
decins de  Vienne,  la  rage  a  fait  en  Autriche,  de 
1879  à  1885,  13,  8,  5,  7,  2  et  10  victimes.  En 
Prusse,  où  le  seul  traitement  prophylactique 
consiste  à  museler  les  chiens,  il  y  a  eu  dans  les 
cinq  dernières  années  10,  G,  4,  1  et  0  personne 
ayant  succombé  â  la  rage.  On  le  voit,  l'hydro- 


—  77  — 

phobie  occupe  une  place  peu  impoi  tante  dans 
notre  pathologie,  surtout  si  on  la  compare  à  la 
phthisie,  à  la  diphthérie,  à  la  variole. 

FRÉQUENCE  DE  lA  RAGE  EN  FRANCE. 

En  France,  sur  l'initiative  du  comité  consul- 
tatif d'hygiène,  une  circulaire  ministérielle  en 
date  du  17  juin  1850,  prescrivait  une  enquête 
générale  sur  la  rage.  Depuis  lors,  de  nombreuses 
circulaires  ont  rappelé  la  première  et  l'enquête 
résumée  dans  cinq  rapports  de  Tardieu  et  un  de 
Bouley  nous  donne  une  idée  exacte  de  la  fré- 
quence de  la  rage  et  de  sa  répartition  sur  le  ter- 
ritoire français. 

11  y  a  eu  en  France  : 

En    1850 27  cas  de  mort 

—  1851 12  — 

—  1852 46  — 

—  1853 37  - 

—  1854 21  — 

—  1855 21  — 

—  1856 20  — 

—  1857 13  - 

—  1858 17  — 

—  1859 19  — 

—  1860 14  — 

A  reporter. ,  247  — 


—  78  — 

Report 247  cas  (le  mort. 

En  1861.., 21  — 

—  1862 26  — 

—  1863 49  — 

—  1864 66  — 

—  1865 48  — 

—  1866 : 64  — 

—  1867 37  — 

—  1868  ,...  56  — 

—  1869 36  — 

.-  1870 6  — 

—  1871 14  — 

—  1872..  15  - 

Total 685  cas  de  mort 

en  23  ans  ou  30  par  an  en  moyenne. 

Ainsi,  d'après  les  chiffres  empruntés  à Brouar- 
del,  et  dont  personne  n-e  conteste  l'authenticité, 
de  1850  à  1872  la  moyenne  des  cas  de  mort 
par  hydrophobie  a  été  de  vingt-sept.  En  1851,  il 
y  en  a  eu  douze  ;  en  1857,  treize  ;  en  1860,  qua- 
torze ;  en  1870,  six  ;  en  1871,  quatorze  ;  en  1872, 
quinze. 

En  s'appuyant  sur  ces  chiffres,  il  est  donc 
établi  que  dans  certaines  années,  le  nombre 
des  cas  de  mort  par  la  rage  peut  s'abaisser  à 
six,  et  cela,  bien  entendu,  avant  l'avènement  de 
M.  Pasteur.  Or,  si  l'on  considère  que,  pendant 
un  an  5  c'est-à-dire,  depuis  l'invention  de  l'admi- 


—  79  — 

rable  découverte,  il  s'est  produit  en  France  trente 
décès  rabiques,  on  verra  que  le  traitement  pas- 
torien  n'a  pas  eu  une  grande  influence  sur  cette 
maladie  dont  la  mortalité  est,  d'ailleurs,  très 
faible. 

FRÉQUENCE  DE  LA  RAGE  CHEZ  LES  ENFAMTS. 

Au-dessous  de  5  ans 24 

de    5  à  15  ans 88 

de  15  à  20  —  36 

de  20  à  30  —  ....: 53 

de  30  à  60  — 164 

de  60  à  90  —  31 

Ce  tableau  fait  ressortir,  d'après  Bouley,  ce 
fait  intéressant  que  le  plus  grand  nombre  des  cas 
de  morsures  correspond  à  l'âge  de  l'imprévoyance, 
de  la  faiblesse  et  surtout  de  l'âge  des  jeux  et  de 
la  taquinerie.  Bien  des  chiens,  sous  le  coup  de 
la  rage,  épargneraient  les  enfants  auxquels  ils 
sont  familiers,  s'ils  n'étaient  poussés  à  bout  par 
les  harcèlements  continuels  auxquels  les  enfants 
se  livrent  d'autant  plus  volontiers,  que  ne  re- 
connaissant pas  dans  le  chien  avec  lequel  ils 
jouent,  son  humeur  habituelle  au  moment  des 
premières  manifestations  de  l'état  rabique,  ils 
sont  déterminés,  par   là,  à  l'exciter  davantage. 

D'un  autre  côté,  cette  si   grande  proportion 


_  80  ^. 

d'enfants  mordus  s'explique  par  le  nombre  plus 
grand  des  chances  qu'ils  courent  d'être  atteints 
par  des  chiens  errants  dans  les  rues  des  villes  ou 
des  villages,  où  ces  enfants  se  trouvent  si  com- 
munément réunis  en  groupes  pour  se  livrer  à 
leurs  jeux. 

Il  est  également  important  de  rechercher  l'es- 
pèce de  l'animal  qui  a  fait  la  morsure.  (Enquête 
du  comité  d'hygiène,  1850  à  1872.) 

Chien 655 

Loup 38 

Chat 22 

Renard -       1 

Vache 1 

"tïT 

COMBIEN     d'individus    MORDUS    DEVIENNENT 
ENRAGÉS. 

Il  est  non  moins  important  de  rechercher  com- 
bien, sur  une  quantité  donnée  d'individus  mor- 
dus, il  en  meurt  de  la  rage. 

La  statistique  suivante  empruntée  à  M.  Le- 
blanc, nous  donne  un  aperçu  de  la  question  et 
prouve  surabondamment  que  les  individus  mor- 
dus par  des  chiens  enragés  ne  deviennent  pas 
nécessairement  enragés. 


—  81  — 

«  Sur  trente-six  individus  de  sexe  et  d'âge 
différents,  dit  Leblanc  {Documents  -pour  sercir 
à  l'histoire  de  la  rage,  Paris  1873),  mordus  par 
des  cliiens  enragés  morts  sous  mes  yeux,  trente 
et  un  n'ont  présenté  aucun  symptôme  de  rage  et 
cinq  ont  succombé.  Le  siège  de  la  blessure  fai- 
te sur  des  parties  nues  et  l'absence  de  cautéri- 
sation ont  été  constatées  dans  ces  derniers  cas. 
Cependant,  parmi  ceux  dont  l'issue  n'a  pas  été 
funeste  on  remarque  des  blessures  faites  à  la 
main  et  non  cautérisées. 

DURÉE    DE    l'incubation. 

L'enquête  du  comité  d'hygiène  de  1862  à  1872 
portant  sur  cent  soixante-dix  cas,  montre  qu'a- 
près la  morsure,  les  accidents  rabiques  se  sont 
déclarés  : 

Avant  le  15e  jour 8  fois 

Du    15e  au    20'! 6     « 

Du    20&  au    30s 94    , 

Du    30e  au    40e 26    » 

Du    40e  au    50-3 29     » 

Du    50=  au    60° 19    . 

Du    G0«  au    703 H     » 

Du     70e  au     80e 9     , 

Du    80e  au    90° .  15    » 

Du.  90e  au  100° 6    ,, 

Du  100e  au  UOe.., 4    » 

5* 


—  82     • 

Du  110e  au  120e 1  fois. 

Du  120"»  au  130e 4  » 

Du  130e  au  140-= 1  » 

Du  140'=  au  150e 1  » 

Du  150«  au  160e 3  » 

Du  160e  au  170e 0  » 

Du  170e  au  180e 1  , 

Du  180e  au  190e 0  \ 

Du  190=  au  200" 0  » 

Du  200«  au  210° 0  y> 

Du  210e  au  220'= 1  » 

Du  220e  au  230e 0  » 

Du  230=  au  240e 1  » 

Soit: 

lei' mois  de      là    30  jours...  .  38  fois 

2e  _  de    30  à    60  —..,.,  74  » 

3e  —  de    60  à    90      — 35  » 

4e  _  de    90  à  120      — 11  » 

5e  _  de  120  à  150      —  6  » 

6e  _  de  150  à  180      — 4  » 

7-^  -  de  180  à  210     — ft   » 

8«  —  de  210  à  240      — 2  » 

En  sorte  que  sur  cent  soixante-dix  cas,  cent 
quarante-sept  fois  la  rage  s'est  déclarée  dans  les 
trois  premiers  mois  qui  ont  suivi  la  morsure  et 
vingt-trois  fois  à  une  époque  plus  éloignée.  D'a- 
près ces  documents,  la  rage  n'a  pas  paru  plus  de 
huit  mois  après  la  morsure. 


—  83 


Le  dépouillement  des  observations  publiées 
par  des  médecins  donne  des  chiffres  très  compa- 
rables aux  précédents  : 


1er  mois 16 


2e 
3e 

5= 
6" 


41 

16 

10 

4 

4 


7e  mois 

3 

8e     -    

9e     —    

....  0 
0 

1Û«     —    

15e     _    

1 
1 

18=     —    

....     1 

LES    MEDECINS    OBSERVENT    TRÈS     RAREMENT 
LA.    RAGE. 

Les  articles  critiques  que  nous  avons  publiés 
sur  le  Traitement  de  la  rag<i  ■par  la  rtiéthode 
Pasteur  et  les  questions  adressées  au  professeur 
de  l'Ecole  normale  nous  ont  valu  un  très  grand 
nombre  de  lettres.  Nous  remercions  sincèrement 
les  confrères  qui  ont  bien  voulu,  en  nous  -four- 
nissant des  renseignements  cliniques,  nous  en- 
courager ainsi  à  continuer  la  campagne  que  nous 
avons  entreprise  contre  l'intolérante  et  puissante 
coterie  qui,  des  hauteurs  de  l'Ecole  normale, 
voudrait  imposer  à  l'Ecole  clinique  des  procédés 
qui  répugnent  à  la  fois  au  sens  médical  et  à  la 
dignité  professionnelle. 

La  plupart  de  nos  correspondants  ont  été,  com- 
me nous,  frappés  du  nombre  énorme  de  1,^00 
enragés  arrachés  à  la  mort  par  M.  Pasteur.  Nous 


—  84  — 

publions  aujourd'hui  quelques  lettres  qui  s'élè- 
vent, au  nom  du  simple  bon  sens,  contre  les  as- 
sertions hyperboliques  du  professeur  de  l'Ecole 
normale  et  que  nous  pouvons  grouper  sous  ce 
titre  :  Fréquence  de  la  Rage. 

Gournay,  8  juin  1886. 

J'exerce  la  médecine  à  la  ville  et  à  la  en mpagne  depuis 
bientôt  30  ans  (septembre  1856).  Il  m'a  été  donné  de 
voir  et  d'observer  beaucoup  de  choses  pendant  ce  long 
exercice  dans  une  clientèle  nombreuse  et  très  variée. 
Or,  bien  que  j'aie  donné  mes  soins  à  un  assez  grand 
nombre  de  personnes  mordues  par  des  chiens,  les  uns 
reconnus  enragés,  les  autres  passant  pour  l'être  et  sur 
lesquels  je  n'ai  pu  être  renseigné,  je  n'ai  observé  qu'un 
cas  de  rage  et  encore  m'a-t-il  fallu  aller  dans  le  dépar- 
tement de  l'Eure,  à  25  kilom.  de  Gournay,  ma  rési- 
dence. J'ai  bien  entendu  parler  de  2  ou  3  autres  cas, 
mais  je  ne  les  ai  pas  constates  moi-même.  Peut-être 
convient-il  d'attribuer  cette  rareté  exceptionnelle  de  la 
rage  dans  nos  contrées  à  l'influence  d'un  pasteur 
connu  dans  un  rayon  peu  étendu,  n'ayant  pas  la  presse 
à  sa  disposition,  visité  seulement  par  les  commères  du 
pays  et  qui  est  célèbre,  en  Normandie  et  en  Picardie, 
depuis  plus  d'un  siècle  (l'aïeul,  le  père  et  le  fils  ne  fai- 
sant dans  l'esprit  du  public  qu'un  seul  berger)  sous  le 
nom  modeste  d'homme  du  Gallet. 

Toutes  les  bêtes  mordues  (hommes  ou  animaux) 
lui  sont  conduites  et  pas  une  ne  devient  enragée.  A 
quel  traitement  a-t-il  recours,  quel  genre  d'inoculation 


—  85    - 

pratique-t-il  ?  Je  n'en  sais  rien,  ne  l'ayant  jamais  vu 
opérer.  11  se  contenterait,  m'a-t-on  dit,  de  la  simple 
apposition  des  mains.  Elles  ont  une  vertu,  telle,  ses 
mains,  qu'il  lui  sufCt  d'en  tendre  une  vers  un  troupeau 
de  bestiaux  ravagé  par  un  chien  enragé  pour  que  tous 
les  animaux  mordus,  ceux-là  seulement,  viennent  vers 
lui  et  il  les  renvoie  guéris  delà  rage  présente  et  préser- 
vés de  toutes  les  rages  futures.  Jugez  si  cet  homme  ne 
devrait  pas  être  plus  connu.  Il  joint  à  sa  propriété  an- 
tirabique une  modestie  excessive  et  un  désintéressement 
peu  commun.  Je  suis  convaincu  que  dans  notre  pays  les 
braves  gens  mordus  par  des  chiens  enragés  continue- 
ront encore  longtemps  à  l'allei'  trouver  de  préférence  à 
tout  autre,  avec  cette  pensée  qu'il  guérit  toujours  aussi 
bien  et  qu'il  ne  fait  jamais  de  mal. 

Voilà,  Monsieur,  ce  que  j'ai  vu  de  la  rage  depuis  30 
ans  dans  le  pays  de  Bray. 

Veuillez  agréer,  etc. 

Dr  Ch.  DUVÀL, 
Membre  du  Conseil  Général  de  la  Seine-Inférieure. 

Saint-Céré  (Lot). 

J'exerce  la  médecine  à  Meyssac(Gorrèze)  et  plus  tard  à 
Saint-Céré  (Lot)  depuis  33  ans  :  je  voyage  assez  réguliè- 
rement, dans  un  rayon  de  SO  à  30  kilomètres  autour 
de  ma  résidence. 

J'ai  la  certitude  qu'il  y  a  eu  assez  souvent  autour  de 
moi  des  chiens  liydrophobes  qui  ont  même  communiqué 
la  rage  à  une  vache,  une  autre  fois  à  un  taureau,  mais 
bien  souvent  à  d'autres  chiens  ;  il  ne  se  passe  guère 
d'années  sans  que  la  municipalité  se  voie  dans  la  néces- 


site  d'ordonner  d'abattre  les  bêtes  mordues  et  de  muse- 
ler les  chiens  qui  doivent  paraître  dans  les  rues.  Cinq 
ou  six  fois  j'ai  eu  à  cautériser  des  plaies  faites  aux 
mains  ou  aux  bas  des  jambes  par  des  chiens  crus  enra- 
gés. 11  ne  m'a  jamais  été  donné  d'observer  un  cas  de 
rage  humaine. 

Faut-il  vous  raconter  que  dans  nos  contrées  les  sujets 
mordus  (bourgeois  ou  paysans)  ne  manquent  pas  de  se 
rendre  chez  un  empirique  des  environs  de  Souillac 
Lot)  pour  y  manger  (comme  moyen  préventif)  une 
omelette  que  l'on  prétend  faite  avec  de  la  poudre  d'huî- 
tres mâles  ! 

Je  crois  pouvoir  attribuer  à  ce  fait  le  petit  nombre  de 

sujets  que  mes  confrères  et  moi  avons  à  cautériser. 

Agréez,  etc. 

D''  Brun. 

J'ai  l'honneur  de  vous  informer  que  j'ai  exercé  la  mé- 
decine pendant  vingt  ans  en  ville  et  dans  mon  service 
d'hôpital  (je  suis  médecin  en  chef  de  l'hôpital  civil d'Au- 
xerre)  et  que  je  n'ai  jamais  observé  dans  ma  pratique 
personnelle  un  seul  cas  de  mort  par  la  rage  confirmée 
consécutive  à  la  morsure  d'un  chien. 

Agréez,  etc. 

D"^  Drouin, 
à  A'ixerre. 

J'ai  exercé  la  médecine  pendant  42  ans  en  ville  et  dans 
mon  service  d'hôpital  (pendant  33  ans)  ;  je  n'ai  observé 
dans  ma  pratique  personnelle  ou  dans  celle  de  mes  con- 
frères aucun  cas  de  mort  par  la  rage  confirmée,  consé- 
cutive à  la  morsure  d'un  animal.  J'ai  70  ans,  j'ai  fait  et 


—  87  — 

je  fais  encore  beaucoup  de  clientèle,  je  n'ai  jamais  vu 
un  seul  cas  de  rage,  quoique  j'aie  eié  appelé  à  donner 
des  soins  à  de  nombreuses  personnes  mordues  par  des 
animaux  déclarés  enragés  (chiens  et  chats)  par  des  vété- 
rinaires des  plus  autorisés.  D''  X. 

Monsieur  et  honoré  Confrère, 

Je  reçois  à  l'instant  le  n»  13  du  Journal  de  médecine 
de  Paris  renfermant,  entre  autres  articles,  la  nécrolo- 
gie des  individus  qui,  ayant  été  mordus  par  des  loups, 
par  des  chiens  ou  par  des  chats,  et  traités  (1)  par  M. 
Pasteur  ou  ses  complices,  n'ont  pas  été  préservés  de 
la  rage,  malgré  les  affirmations  du  maître.  Il  est  vrai 
que  tous  ceux  qui  sont  restés  indemnes  sont  comptés  à 
l'actif  de  ce  qu'oa  appelle  la  méthode  ;  quant  à  ceux 
qui  sont  atteints,  il  y  a  toujours  une  excuse  à  l'usage 
des  crédules  :  ainsi,  l'homme  de  Grenoble  était  un  ivro- 
gne ;  l'inoculation  devait  échouer  (il  est  vrai  qu'on  n'a 
inventé  cette  excuse  phénoménale  qu'à  la  mort)  j  les 
parents  du  jeune  homme  de  Dordrecht  ne  connaissaient 
que  la  langue  hollandaise  ;  ils  n'auront  pas  compris 
les  instruciions  qu'on^leur  a  données  en  français  ;  d'où 
inexécution  des  prescriptions  et  mort  de  l'inoculé. 
Quant  à  la  petite  Peltier,  de  Paris,  l'institutrice  de  la 
rue  Saint-Benoit,  que  j'ai  vue,  m'a  affirmé  que  M.  Pas- 
teur avait  dit,  après  le  traitement  :  «  Il  n'y  a  plus  au- 
cuti  danger,  vous  pouvez  la  renvoyer  en  classe.  « 
L'institutrice  a  refusé  de  la  reprendre  ;  4  jours  après 
elle  était  atteinte  de  la  rage  et  mourait  en  moins  de  36 
heures.  Alors  M.  Pasteur  déclara  qu'il  avait  commencé 


—  88  — 

le  traitement  trop  tard  ;  et,  chose  curieuse  !  les  parents 
défendent  énergiquement  M.  Pasteur. 

Que  de  luttes  j'ai  soutenues  déjà  oonlre  Tengouc- 
ment  incroyable  da  public,  même  médical,  qui  accepte 
comme  inlailliblc  (et  démontré  tel),  celte  pratique  con- 
sistant à  ajouter,  pour  préserver  de  la  rage,  un  peu  de 
virus  rdbique  à  celui  que  l'animal  a  déjà  inoculé  par 
sa  morsure  !  Mais  quand  je  considère  le  culte  que  l'on 
rend  à  feue  Mme  Paillasson  sous  le  nom  de  Notre-Dame 
de  Lourdes,  je  me  dis  que  la  bêtise  humaine,  la  crédu- 
lité ignorautc,  n'ont  pas  de  limites  et  sont  les  seuls 
agents  sur  lesquels  comptent  les  thaumaturges  de  la 
rue  d'Ulm,  ainsi  que  ceux  de  Lourdes.  Comment  se 
fait-il  que  l'Académie  de  médecine,  si  sévère  envers 
les  autres  remèdes  secrets,  se  montre  si  bienveillante 
pour  celui-ci  ?  Comment  se  fait-il  que  mon  ex-collègue 
d'internat  Peter,  qui  avait  entrepris  une  louable  cam- 
pagne contre  ec  charlatanisme,  ait  donné  seslôfr.  pour 
l'institut  Pasteur  {Officiel  du  20  septembre)  ?  Est-ce 
qu'il  aurait,  lui  aussi,  trouvé  son  chemin  de  Damas?  Je 
ne  puis  le  croire,  et  je  me  propose  de  l'interroger  à  ce 
sujet. 

Véritablement,  M.  Pasteur  cst^  devenu  le  fondateur 
d'une  religion,  et  ses  adeptes  sont  des  fanatiques  aussi 
intolérants  que  les  sectaires  des  autres  cultes  ;  je  m'en 
aperçois  à  chaque  instant  à  la  Chambre,  où  les  Paul 
Bert  de  tous  les  déparlements  me  traitent  en  profane, 
en  impie,  et  ne  seraient  pas  fâchés  de  voir  allumer  à 
mon  usage  une  foule  de  bûchers.  Pensez-donc  :  oser 
élever  des  doutes  sur  une  affirmation  de  M.  Pasteur  ! 
De  plus,  j'ai  publié  il  y  a  2  ans  environ,  dans  le  Jouf 


—  89  — 

nal  de  médecine  de  Laborde,  une  protestation  contre  la 
communication  louangeuse  faite  à  l'Académie  de  mé- 
decine, par  Dujardin-Beaumetz,  sur  des  expériences  de 
désinfection  faites  en  ma  présence  à  l'hôpital  Coctiin,  à 
propos  du  choléra,  sur  les  microbes  du  charbon,  de  la 
tuberculose  et  de  la  maladie  des  poules,...  et  rien  du 
choléra.  Enfin,  dans  plusieurs  circonstances,  à  la 
Chambre  des  députés,  je  me  suis  élevé  contre  cet  en- 
goûment  pour  les  affirmationssanspreuvesd'un  homme, 
contre  les  expériences  peu  sérieuses,  point  concluantes 
qu'il  donne  comme  des  axiomes  ;  contre  ces  principes 
posés  :  tout  chien  qui  mord  est  enragé  ;  tout  homme 
mordu  deviendra  enragé,  qui  sont  la  base  du  traite- 
ment préventif.  Bochefontaine,  pour  démontrer  qu'il 
était  certain  de  la  non  contagion  du  choléra,  inoculait 
sur  lui-même  des  liquides  de  l'intestin  des  cholériques 
et  même  en  avalait  ;  M.  Pasteur  a-t-il  assez  de  certi- 
tude sur  l'excellence  de  sa  méthode  (!)  pour  se  faire 
mordre  par  un  chien  véritablement  enragé  et  se  traiter 
ensuite  ? 

J'admire  les  chiffres  publiés  par  son  entourage  : 
quand,  il  y  a  quelques  années,  on  ne  constatait  que  de 
40  à  10  mordus  par  des  chiens  certainement  enragés, 
sur  lesquels  1/9  ou  même  1/10  devenaient  enragés,  je 
frémirais —  si  j'étais  un  partisan  du  Pastor  asinorurn— 
en  considérant  que  depuis  10  mois  il  y  a  eu  en  France 
2,503  individus  mordus  par  des  chiens  qualifiés  enragés. 
Il  est  vrai  que  l'on  tue  aussitôt  l'animal  qui  a  donné  le 
coup  de  dent  et  qu'on  se  donne  bien  garde  de  l'en- 
fermer pour  savoir  ce  qu'il  deviendra.  —  Pendant  une 
pratique  médicale  à  la  campagne,  s'étendantà  14  ou  15 


--  90  — 

villages,  où  les  chiens,  très  nombreux,  sont  en  toute 
liberté,  j'ai  souvent  traité  des  morsures  de  chiens  et  de 
chats  ;  je  n'ai  pas  été  une  seule  fois  appelé  pour 
une  morsure  de  chien  ou  de  chat  enragé.  Et  dans 
mon  département  non  plus  que  dans  la  Côte-dOr  et 
la  Haute-Marne,  limitrophes  d'Essoyes,  j'affirme  que 
pendant  ces  20  ans  il  n'y  a  pas  eu  un  seul  êlre  hu- 
main mordu  par  un  animal  enragé.  Il  est  vrai  qu'on 
parait  aujourd'hui  vouloir  rattraper  le  temps  perdu  ; 
une  morsure  fait  aussitôt  penser  à  la  rage,  et  deux  per- 
sonnes d'Autricourt  (Côle-d'Or),  village  voisin  d'Es- 
soyes, sont  allées  récemment  implorer  le  secours  du 
Dieu.  —  Dans  l'Yonne,  mon  pays  d'origine,  on  conduit 
les  chiens  mordus  à  Mezilles,  canton  de  Saint-Fargeau; 
le  sonneur  fait  rougir  au  feu  la  clé  de  l'église,  l'appuie 
sur  le  front  de  l'animal,  qui  est  certainement  préservé 
delà  rage,  aussi  bien,  du  moins,  que  par  le  virus  atté- 
nué. Tout  récemment,  la  condamnation,  en  Savoie, 
d'un  rival  gênant  de  M.  Pasteur  nous  a  révélé  l'exis- 
tence du  gâteau  antirabique. 

Pardonnez -moi  la  longueur  de  cette  lettre  qui  ne 
manquera  pas  de  vous  ennuyer  ;  mais  je  serais  inta- 
rissable quand  je  m'attaque  à  de  telles  monstruosités. 
Je  vous  en  dirai  de  belles,  si  vous  le  voulez,  quand  je 
serai  rentré  à  Paris,  et  je  vous  donnerai  l'appréciation 
de  M.  de  Saint- Vallier,  appréciation  très  juste  et  faite 
en  termes  exquis. 

Croyez,  je  vous  prie,  à  .nés  ineîlleuïfS  sentiments* 

D-"  MicHoUj 
Disputé  de  l'Aubôi 


—  91  — 


RARETE  DE  LA.  RAGE. 


rcrmettez-moi  d'apporter,  aussi,  à  mon  tour,  ma 
petite  pierre  à  l'édifice  que  vous  avez  entrepris,  poussé 
par  la  logique  et  l'intérêt  delà  vérité,  contre  les  ino- 
culations antirabiques  de  M.  Pasteur.  Comme  vous, 
Monsieur,  depuis  déjà  longtemps,  j'avais  des  tendances 
à  protester  contre  l'engouement  de  la  presse  politique 
pour  ce  qu'elle  appelle  la  guérison  de  la  rage.  Mais 
qu'aurait  pu  la  protestation  d'un  humble  médecin  de 
campagne,  d'un  pygmée  contre  l'aigle  dont  la  réputa- 
tion plane  sur  les  deux  hémisphères  ?  Néanmoins, 
enhardi  par  les  exemples  déjà  nombreux  de  vos  corres- 
pondants, je  viens  vous  dire,  aussi,  que,  exerçant  dans 
le  Lot-et-Garonne  depuis  près  de  40  ans,  j'ai  eu  bien 
des  fois  l'occasion  de  voir  des  individus  mordus  par  des 
chiens,  quelquefois  par  des  chats  bien  et  dûment  enra- 
gés. Je  les  ai  cautérisés  soit  avec  le  nitrate  d'argent, 
soit  avec  l'acide  phénique,  soit  avec  la  teinture  d'iode, 
très  rarement  avec  le  fer  rouge.  Les  uns  peu  après 
l'accident,  d'autres  au  bout  de  24  et  même  48  heures, 
et  je  n'ai  jamais  vu  survenir  un  seul  cas  de  rage.  Je 
suppose  que  mes  confrères  de  la  contrée  ont  dû,  comme 
moi,  avoir  eu  leur  bonne  part  d'individus  mordus  et 
j'affirme  n'avoir  jamais  entendu  dire  qu'un  seul  cas  de 
rage  se  soit  présenté  dans  un  rayon  de  40  lieues  et  plus. 
Quand  il  est  question  de  rage  on  se  rabat  encore  sur 
un  cas  qui  aurait  eu  lieu  dans  notre  région,  il  y  a  plus 
de  80  ans,  chez  une  demoiselle  qu'on  étouffa  entre  deux 
matelas.  De  sorte  que  sans  être  aussi  affirmatif  que  votre 


—  92  — 

correspondant,le  Vieux  vétérinaire  (1),  je  ne  serais  pas 
éloigne'  d'adopter  sa  doctrine  et  considérer  ce  qu'on 
appelle  la  rage  comme  une  espèce  de  tétanos  auquel  je 
l'avais  déjà,  in  petto,  comparée  depuis  long-temps  en 
cherchant,  surtout,  à  me  rendre  compte  de  la  façon 
dont  se  transmet  le  virus  de  la  circonférence  au  centre 
et  ne  pouvant  faire  introduire  dans  ce  cas  que  la  lésion 
nerveuse  locale  qui  un  peu  plus  tôt  un  peu  plus  tard, 
sous  l'influence  de  la  douleur  et,  surtout,  de  la  crainte 
et  de  la  surexcitation  morale  provoque  les  accidents 
nerveux  qui  constituent  la  rage  comme  ils  constituent 
le  tétanos. 

J'ai  vu,  dans  ces  dernières  années,,  un  industriel  qui, 
dans  une  chute  de  plusieurs  mètres] de  hauteur,  se  frac- 
tura les  2  malléoles  du  pied  droit  avec  une  large  ouver- 
ture de  l'articulation  tibio-tarsienne  à  travers  laquelle 
sortirent  les  extrémités  du  tibia  et  du  péroné.  Je  pro- 
posai l'amputation  immédiate  à  laquelle  se  refusa  le 
malade.  Devant  ce  refus,  je  me  décidai  à  lui  appliquer 
un  bandage  par  occlusion,  c'est-à-dire  le  bandage  de 
l'entorse  un  peu  élevé  sur  la  jambe,  collodionné,  phéni- 
qué,  etc. 

Pendant  neuf  jours  le  malade  alla  parfaitement  ;  pas 
de  suintement,  pas  de  fièvre,  pas  d'odeur  ;  je  croyais  à 
un  succès  certain, lorsque,  tout  à  coup,  après  un  ébran- 
lement nerveux  occasionné,  la  veille  au  soir,  par  une  vive 
contrariété  et  aussi  par  les  préoccupations  inévitables 

(1)  Nous  publions  plus  loin  une  lettre  d'un  vieux  vété- 
rinaire qui  contient  de  curieuses  observations  sur  la 
rareté  de  la  ra^e. 


—  93  — 

que  causait  au  blessé  le  chômage  de  son  industrie,  il 
fut  pris  de  trismus  et  ensuite  de  convulsions  dans  la 
gorge  et  les  voies  respiratoires  et  mourut  étouffé  dans 
les  36  heures  sans  pouvoir  avaler  ni  salive  ni  liquides. 
S'il  eût  été  mordu-  par  un  chien,  nul  doute  que  cette 
affection  eût  été  prise  pour  un  cas  de  rage. 

Je  vous  autorise,  à  faire  de  cette  communication 
l'usage  que  vous  voudrez  bien  dans  l'intérêt  de  la 
science  et  de  la  vérité.  Dans  tous  les  cas,  je  reconnais 
que  si  la  pratique  de  M.  Pasteur  n'a  pasd'autre  efficacité, 
elle  a,  jusqu'à  présent,  celle  de  rassurer  les  malades 
qui  viennent  réclamer  ses  soins,  et  c'est  beaucoup. 
Il  est  à  souhaiter  qu'elle  n'ait  pas  de  plus  grands  in- 
convénients que  l'omelelle  traditionnelle. 

Agréez,  etc. 

D''  GiPOULou. 

Libos,  28  juinl88ô. 


CHAPITRE    VI 

LA  RAGE  DU  CHIEN. 

Nous  avons  énoncé,  dans  un  précédent  chapi- 
tre, les  principales  objections  qui  se  présentent 
nécessairement  à  l'esprit  de  tout  médecin  en  pré- 
sence des  miracles  opérés  chaque  jour  à  l'Ecole 
normale  où  le  nombre  des  enragés  augmente 
dans  d'effroyables  proportions  et  approche  au- 
jourd'hui le  chiffre  énorme  de  3,000. 

Cette  excessive  et  soudaine  élévation  du  nom- 
bre des  rabiques  nous  avait  amené  à  poser  à  Fil- 
lustre  chimiste  une  question  qui  ne  s'était  peut- 
être  pas  présentée  spontanément  à  son  esprit  : 
Pourquoi  tant  d'enragés  ?  Êtes-vous  sûr  que  les 
chiens  qui  ont  mordu  vos  3,000  clients  étaient 
vraiment  atteints  de  la  rage  ? 

C'est  en  étudiant  ce  second  point  que  nous 
avions  ém.is  l'opinion  que  la  rage  était  encore, 
même  chez  le  chien,  une  maladie  mal  définie  et 
qu'il  n'existait  aucun  signe  anatomique  certain 
pouvant  prouver  qu'un  chien  est  vraiment  ai- 
teint  de  la  rage. 


—  95  — 

Cette  affirmation  nous  a  valu  plusieurs  déné- 
gations de  la  part  de  vétérinaires  distingués. 

Nous  devons  donc  répondre  à  nos  confrères  de 
l'art  vétérinaire  et,  au  risque  d'entraîner  nos  lec- 
teurs dans  une  discussion  un  peu  technique,  nous 
allons  nous  efforcer,  par  une  longue  incursion 
dans  le  domaine  vétérinaire,  de  démontrer  que  : 

L'étiologie  et  la  symptornatologie  de  la  rage 
sont  encore  mal  définies  chez  le  chien  et  chez  la 
plupart  des  autres  animaux. 

L'autopsie  ne  révèle  aucun  signe  anatomiqiie 
se  rattachant  particulièrement  à  cette  affection, 

La  grande  majorité  des  chiens  qui  ont  mordu 
les  3,000  malades  de  l'Ecole  normale  ont  été 
déclarés  enragés  sans  qu'aucune  preuve  incon- 
testable ait  permis  d"  étahlir  cette  assertion. 

Nous  allons  nous  adresser,  pour  établir  notre 
démonstration,  aux  auteurs  les  plus  autorisés 
de  l'art  vétérinaire,  et  notamment  à  Bouley,  dont 
l'article  Rage  occupe  plus  de  200  pages  du  Dic^ 
tionnaire  de  Dechambre,  à  M.  Watrin  et  à 
M.  Signol,  notre  distingué  collègue  de  la  So- 
ciété de  médecine  de  Paris. 

Avant  d'aborder  Isi  symptomatologie  de  la  rage 
du  chien,  nous  dirons  quelques  mots  de  la  viru- 
lence^ de  la  spontanéité  de  Vincubation  et  de  l'é 
tiologie. 


SIÈGE    DE    LA    VIRULENCE. 

Sur  ce  premier  point,  les  auteurs  sont  loin  d'ê- 
tre d'accord.  Alors  ciu'il  est  généralement  admis 
aujourd'hui  que  le  siège  de  la  virulence  réside 
dans  les  tissus  des  nerfs  et  du  cerveau,  fait  qui  a 
été  établi  par  Duboué,  de  Pau  (et  non  par  M. 
Pasteur),  les  auteurs  vétérinaires  considèrent  gé- 
néralement la  salive  comme  le  seul  véhicule  du 
virus  rabique. 

«  En  défmitive,  dit  Bouley.  ce  qui  ressort  de 
tous  les  faits  observés  et  de  toutes  les  expérien- 
ces qui  ont  été  faites,  c'est  que  la  salive  surtout 
est  virulente,  aussi  bien  dans  les  glandes  qui  la 
sécrètent  que  dans  la  cavité  buccale  :  et  même 
ces  faits,  comme  ces  expériences,  semblent  dé- 
montrer que  c'est  dans  la  salive  exclusivement 
que  résident  les  propriétés  virulentes.  Toutefois, 
rappelons-le  bien,  à  l'égard  de  la  deuxième  par- 
tie de  cette  proposition  il  faut  se  tenir  dans  une- 
certaine  réserve  qui  est  commandée  par  les  quel- 
ques cas  où  l'inoculation  du  sang  est  signalée  par 
les  expérimentateurs  comme  ayant  donné  lieu 
à  des  manifestations  morbides  d'ordre  rabique 
(Gohier  et  Hertwig)  ou  s'en  rapprochant  (Eckel 
et  Lafosse).  »  (1) 

(1)  Dictionnaire  des  sciences  médicales,  art.  Rage. 


—  97  — 

En  ce  qui  concerne  la  virulence,  il  est  bon  de 
rappeler  que  Rossi,de  Turin,  avait  déjà  affirmé, 
en.  1820,  que  les  nerfs  partageaient  avec  la  salive 
la  propriété  de  communiquer  la  rage. 

Mais  Bouley  n'a  jamais  admis  ce  fait  et  se 
trouvait  en  désaccord  complet  avec  les  Pastoriens 
lorsqu'il  disait  «  que  ces  faits  doivent  être  consi- 
dérés comme  exceptionnels  ».  Chacun  sait,  en 
effet,  que  les  inoculations  se  font  à  l'école  nor- 
male non  pas  avec  la  salive  de  l'animal  enragé, 
mais  avec  sa  moelle. 


SPONTANEITE    DE    LA    RAGE. 

Les  mêmes  divergences  existent  chez  les  au- 
teurs vétérinaires  en  ce  qui  concerne  la  sponta- 
néité de  la  rage.  Alors  que  Bouley  et  l'école  pas- 
torienne  la  nient  absolument,  M.  Leblanc  a  ac- 
cumulé un  nombre  considérable  de  faits  qui  en 
démontrent  la  possibilité.  Ce  qui  est  certain,  c'est 
que  la  rage  est  inconnue  encore  aujourd'hui 
dans  plusieurs  contrées. 

D'après  Azara,  cette  maladie  serait  inconnue 
sur  le  versant  oriental  des  Andes  (  Voyage  dans 
l'Amérique  méridionale  ,  et  Ulloa  déclare  n'en 
avoir  jamais  entendu  parler  à  Quito,  capitale  de 
l'Equateur  (A  voyage  io  South  America). 

6* 


Au  rapport  de  M.  Liguistin,  vétérinaire  en 
premier  de  l'un  des  régiments  faisant  partie  de 
l'expédition  du  Mexique,  la  rage  serait  extrême- 
ment rare  dans  ce  pays. 

Les  Barbades  ne  la  connaissaient  pas  avant 
1741,  Saint-Domingue  avant  1776,  la  Jamaïque 
et  la  Guadeloupe  avant  1783.  La  rage  ne  s'est 
montrée  à  l'île  Maurice,  pour  la  première  fois, 
qu'en  1813. 

Clarke  affirme  qu'elle  est  inconnue  à  la  Gôte- 
d'Or  (Guinée)  et  au  Cap  de  Bonne-Espérance. 
Nous  savons  de  source  certaine  que  la  rage  n'a 
jamais  été  observée  sur  le  territoire  australien, 
qui  compte  plusieurs  millions  d'habitants. 

M.  U.  Leblanc  croyait  à  la  spontanéité  de  la 
rage  canine,  et  il  y  croyait  si  bien  qu'il  lui  attri- 
buait une  part  principale  dans  le  développement 
de  cette  maladie,  la  contagion  n'ayant,  suivant 
lui,  qu'un  rôle  secondaire  ;  et  si  la  rage  sponta- 
née est  si  fréquente  à  Paris,  comme  il  se  croyait 
en  droit  de  l'affirmer,  c'est  que  les  chiens  étaient 
maintenus  par  leurs  propriétaires  dans  un  état 
d'étroite  séquestration,  soit  dans  les  apparte- 
ments, soit  dans  les  cours,  et  mis  ainsi  dans  l'im- 
possibilité de  satisfaire  leurs  appétits  sexuels, 
d'autant  plus  excités  que  ces  animaux  étaient 
dans  de  meilleures  conditions  hygiéniques.  «  Il 
suffit,  disait  M.  Leblanc  dans  sa  communication 


—  99  =- 

académique,  d'avoir  été  témoin  une  seule  fois  de 
l'état  d'exaspération  d'un  chien  qui  est  à  côté 
d'une  chienne  en  chaleur,  pour  comprendre  com  - 
bien  peuvent  être  grands  les  troubles  fonction- 
nels qui  résultent  des  besoins  sexuels  non  satis- 
faits. J'ai  vu  encore  tout  récemment  un  chien 
qui  était  resté  pendant  un  assez  long  temps  à 
côté  d'une  chienne  en  chaleur,  dont  il  était  sé- 
paré par  une  barrière  à  claire  voie.  Ce  ctiieii  avait 
été  constamment  agité  et  en  érection.  Son  maî- 
tre, qui  le  conduisit  à  la  promenade  pour  le  dis- 
traire, remarqua  que,  contre  son  habitude,  ce 
chien  cherchait  querelle  à  tous  les  chiens  quil 
rencontrait  dans  la  rue  ;  quelques  jours  plus  tard, 
les  signes  formels  de  la  rage  se  manifestèrent.  » 

On  le  voit,  la  non  spontanéité  de  la  rage,  qui 
ait  partie  du  dogme  pastorien,  est  loin  d'être 
admise  par  tous  les  vétérinaires. 

Il  est  également  démontré  qu'il  existe  fré- 
quemment des  épizooties  de  rage  survenant  sou- 
vent sous  les  influences  météorologiques.  Les 
faits  publiés  à  cet  égard  sont  nombreux  et  con- 
cluants. 

RÉCIT  d'une  Épidémie  de  rage  au  pérou. 

Le  récit  le  plus  intéressant  que  nous  connais- 
sions sur  ce  point  est  celui  que  M.  Fleming  a 


—  100  — 

extrait  d'un  article  de  l'Edinhurgh  med.  and 
surg.  Journal,  1841,  sur  les  Maladies  du  Pérou 
{Diseuses  in  Peru],  par  A,  Smith,  etd'un  livre  du 
même  auteur  :  Pcru  as  it  is,  vol.  II,  p.  248.  Voi- 
ci ce  récit,  tel  que  M.  Fleming  l'a  reproduit  dans 
son  livre  :  Rahies  and  Hydrophobiai 

«  Avant  1803,  on  n'avait  jamais  eu  connaissan- 
ce qu'aucun  chien  eût  été  attaqué  delà  rage, soit 
dans  le  Pérou,  soit  dans  les  contrées  qui  l'entou- 
rent ;  mais  à  cette  époque,  cette  maladie  fit  ex- 
plosion, pendant  les  chaleurs  de  l'été,  dans  les 
vallées  des  côtes  du  nord  ;  de  là  elle  se  répandit 
vers  le  sud,  le  long  des  plaines  maritimes,  attei- 
gnit la  cité  d'Aréquipa,  au  commencement  de 
1807,  et  s'étendit  jusqu'à  Lima,  à  la  fin  de  la 
même  année. 

Cette  maladie  se  développa  spontanément  sous 
l'influence  de  la  température  excessive  des  an- 
nées 1803  et  1804.  Sur  la  côte  nord,  communé- 
ment appelée  Costa  Abajo,  où  elle  commença,  le 
thermomètre  Réaumur  marquait  30°  dans  quel- 
ques-unes des  vallées.  L'air  était  immobile  :  au- 
cune brise  ne  ridait  la  surface  de  l'Océan.  Les 
animaux  se  précipitaient  instinctivement  dans 
les  eaux  inanimées  des  lacs  et  des  étangs  pour 
trf'uver  quelque  soulagement  aux  souffrances 
que  leur  infligeait  l'excès  de  la  chaleur. 

La  maladie  s'attaqua  à  tous  les  quadrupèdes, 


—  101   -- 

sans  distinction  d'espèces,  et  elle  donna  lieu  à 
de  tels  accès  de  frénésie  que  quelques-uns  d'en- 
tre eux,  dans  leur  fureur,  se  mordaient  eux- 
mêmes  et  se  mettaient  en  lambeaux.  Dans  les 
localités  où  la  chaleur  était  extrême,  plusieurs 
personnes  présentèrent  tous  les  symptômes  de 
Vhydrophobie  sajis  avoir  été  m.ordues. 

Ce  fut  parmi  les  animaux  de  l'espèce  canine 
que  la  maladie  fit  le  plus  de  victimes,  et  elle 
revêtit  sur  quelques-uns  un  tel  caractère  de  bé- 
nignité que  leurs  morsures  n'étaient  pas  mor- 
telles, mais  le  plus  grand  nombre  étaient  gra- 
vement atteints,  et  par  leur  intermédiaire,  la 
contagion  se  propagea  aux  animaux  de  leur 
espèce,  aux  autres  quadrupèdes  et  à  l'homme 
lui-même. 

«  Dans  les  villes  d'Ica  et  d'Aréquipa,  le  nom- 
bre des  personnes  qui  moururent  des  suites  de 
morsures  de  chiens  enragés  fut  plus  considéra- 
ble encore,  et  les  cas  observés  moins  équivoques 
que  ceux  dont  il  vient  d'être  question.  Dans  Ica, 
une  seule  chienne  enragée  mordit,  dans  une 
nuit,  quatorze  personnes,  dont  douze  mouru- 
rent; les  deux  qui  survécurent  avaient  été  sou- 
mises à  un  traitement  médical. 

« Dans  la  cité  d'Aréquipa,  on  discourut 

beaucoup  sur  la  question  de  savoir  si  la  mala- 
die à  laquelle  on  avait  affaire  était  une  hydro' 


—  102  — 

phobie  vraie  (légitimate  hydrophobia),  et  de  'sa- 
vants écrits  furent  publiés  pour  et  contre  parles 
docteurs  Rosas  et  Salvani.  Beaucoup  de  temps 
fut  perdu  à  cette  guerre  de  plumes 

«  Dès  que  le  vice-roi  du  Pérou,  Abascal, 
fut  avisé  que  l'hydrophobie  épidémique  s'appro- 
chait de  la  capitale,  il  ordonna  que  tous  les 
chiens  de  la  ville  fussent  mis  à  mort  :  et,  par 
cette  mesure  prévoyante,  il  sauva  Lima  du  fléau 
qui  le  menaçait.  Les  quelques  malades  hydro- 
phobes,  qui,  à  cette  époque,  furent  admis  dans 
les  hôpitaux,  n'étaient  pas  des  habitants  de  la 
cité,  mais  venaient  des  vallées  et  des  fermes  en- 
vironnantes. 

Lorsque  cette  calamiteuse  épidémie  fit  son 
apparition  dar s  les  vallées  de  Costa-Abajo,  les 
chiens,  d'après  la  relation  de  don  José  Figuera, 
s'en  allaient  la  queue  pendante  entre  les  jambes, 
et  la  bave  s'écoulait  abondamment  de  leur 
gueule  ;  ils  fuyaient  la  présence  de  l'homme, 
poussaient  des  hurlements  retentissants,  puis 
ils  s'affaissaient  sur  leurs  membres  et  restaient 
sans  mouvements.  Les  chats,  avec  leurs  poils 
hérissés,  se  sauvaient  sur  le  toit  des  maisons.  Les 
chevaux  et  les  ânes  se  précipitaient  furieux  ^  les 
uns  contre  les  autres;  ils  se  jetaient  à  terre,  se 
roulaient  et  mouraient  comme  foudroyés.  La 
décomposition  des  cadavres  était  immédiate.  Les 


—  103  — 

bestiaux,  au  noir  pelage,  beuglant  et  mugissant, 
se  précipitaient  en  bondissant  les  uns  contre  les 
autres,  et  luttaient  avec  tant  d'acharnement 
qu'ils  se  brisaient  leurs  cornes.  Leur  mort  était 
aussi  foudroyante. 

Le  professeur  Estrada  a  constaté  que,  sur  les 
quarante-deux  personnes  qui  moururent  à  Ica 
des  suites  des  morsures  des  chiens  enragés,  le 
plus  grand  nombre  succombèrent  du  douzième 
au  quatre-vingt-dixième  jour  après  l'accident. 
Leur  maladie  se  caractérisa  par  des  convulsions, 
une  grande  oppression  de  la  poitrine,  des  soupirs, 
de  la  tristesse,  une  respiration  laborieuse,  l'hor- 
reur des  liquides  et  des  objets  brillants,  des  fu- 
reurs, des  vomissements  de  matières  bilieuses, 
et  enfin  des  prières  instantes  adressées  par  les 
patients  à  ceux  qui  les  assistaient,  afin  qu'ils 
s'écartent  d'eux,  car  ils  se  sentaient  dominés 
par  le  besoin  impérieux  de  les  attaquer,  de  les 
mordre,  et  de  les  mettre  en  pièces.  Pas  un  ne  sur- 
vécut au  delà  de  cinq  jours. 

Depuis  l'année  1808,  cette  terrible  épidémie  a 
complètement  disparu.  De  temps  en  temps  ce- 
pendant, on  voit  encore  des  chiens  se  précipiter 
avec  violence,  ça  et  là,  et  mordre  tous  ceux 
qu'ils  rencontrent  sur  leur  route,  absolument 
comme  le  font  les  chiens  réellement   enragés.  » 

Smith  ajoute,  après  avoir  fait  cette  relation 


—  104  — 

dans  VEdinburgh  Med.  and  Surg.  Journal,  que 
«  durant  sa  longue  résidence  au  Pérou,  il  n'a  ja- 
mais été  témoin  d'un  seul  cas  d'iiydrophobie  dé- 
clarée ». 

ÉTIOr.OGIE  DE  LA  RAGE  DU  CHIEN. —  ACTION  DES 
INFLUENCES  MÉTÉOKOLOGIQUES.  —  LA  RAGE  EST 
INCONNUE  DANS  CERTAINS  PAYS  OU  LES  CHIEMS 
NE  SOXT  CEPENDANT  l'OBJET  d'AUCUNE  SUR- 
VEILLANCE. 

Les  nombreuses  statistiques  publiées  jusqu'à 
ce  jour  et  les  observations  de  tous  les  médecins 
et  voyageurs  démontrent  cependant  que  les  in- 
fluences météorologiques  n'ont  aucune  action 
sur  la  production  de  la  rage  chez  les  animaux. 

Dans  un  grand  nombre  de  pays  chaud?  où  les 
chiens  ne  sont  l'objet  d'aucune  surveillance  la 
ragé  est  absolument  inconnue;  aucun  cas  de 
rage  n'a  jamais  été  observé  en  Australie. 

Que  conclure  de  ces  renseignements,  qui  nous 
sont  fournis  parce  que  l'on  sait  de  l'histoire  géo- 
graphique delà  rage?  Viennent-ils  apporter  quel- 
ques témoignages  en  faveur  de  l'action  prépon- 
dérante de  quelque  influence  météorologique  ? 
Evidemment  non.  On  invoque  les  chaleurs  ex- 
cessives comme  une  des  causes  les  plus  favora- 
bles au  développement  spontané  de  cette  mala- 
die, et  les  voyageurs  qui  sont  le  plus  autorisés 


—  105  - 

parleur  savoir  et  la  justesse  de  leurs  observa- 
tions, sont  d'accord  pour  affirmer  que  la  rage 
est  une  maladie  inconnue  dans  les  régions  du 
globe  où  la  température  est  le  plus  élevée,  com- 
me Quimto  et  Sumatra,  par  exemple,  dans  les 
régions  équatoriables  ;  ou  encore  dans  les  con- 
trées les  plus  chaudes  de  l'Afrique,  que  Livings- 
tone  a  visitées,  sans  y  constater  l'existence  de 
cette  maladie  sur  les  animaux  réputés  suscepti- 
bles de  la  contracter  spontanément.  Mais  ne  peut- 
on  pas  inférer  alors  de  cette  immunité  de  quel- 
ques pays  très  chauds,  que  l'élévation  de  la  tem- 
pérature est  la  condition  à  laquelle  cette  immu- 
nité se  rattache  ?  Non,  car  la  rage  sévit  dans 
d'autres  contrées  où  les  chaleurs  sont  souvent 
excessives,  comme  rAbys3inie,rindoustan,rAf- 
ganistan,  le  nord  de  l'Afrique  ;  on  la  vue  faire 
aussi  irruption  au  Pérou,  au  Chili,  au  Brésil, 
etc.  etc.  De  sorte  qu'en  définitive,  en  présence  de 
ces  faits,  on  ne  saurait  attribuer  à  l'élévation  de 
la  température  atmosphérique  une  influence 
telle  sur  l'organisme  du  chien,  qu'elle  serait  sus- 
ceptible d'y  faire  développer  le  germe  de  la  rage 
ou  d'empêcher  son  éclosion. 

Quand  on  a  vu,  en  Europe,  les  recrudescences 
de  la  rage  coïncider,  dans  les  grandes  villes,  avec 
un  hiver  doux  et  un  printemps  précoce,  on  a  rat- 
taché cette   manifestation   morbide  exception- 


—  106  — 

nelle,  à  ce  que  l'évolution  des  saisons  présentait 
d'exceptionnel  elles-mêmes  ;  et,  d'un  rapport 
de  coïncidence,  on  a  fait  un  rapport  de  causalité. 
Mais  la  rage  ne  règne  pas  en  Australie,  où  la 
moyenne  de  l'hiver  est  de  12"  et  celle  du  prin- 
temps de  18°.  Et  puis,  est-ce  que,  dans  tous  les 
cas  où,  en  Europe,  l'hiver  s'est  montré  excep- 
tionnellement doux  et  le  printemps  précoce, 
toujours  et  par  une  conséquence  connue  néces- 
saire, on  a  vu  les  cas  de  rage  se  multiplier  et  ac- 
cuser ainsi  rinffuence  causale  dont  ils  dépen- 
draient ?  En  aucune  façon  :  bien  des  fois,  au 
contraire,  malgré  cette  influence  présumée  cau- 
sale, aucune  recrudescence  rabique  ne  s'est  ma- 
nifestée dans  les  contrées  ou  les  saisons. 


INCUBATION  DE  LA  RAGE    CHEZ    LE    CHIEN    DANS 
TOUTES  LES   ESPÈCES. 

Dans  toutes  les  espèces,  la  durée  de  la  période 
d'incubation  de  la  rage  reste  variable  entre  des 
limites  de  temps  quelquefois  les  plus  extrêmes, 
et,  dans  aucun  cas,  il  n'est  possible  de  la  déter- 
miner même  d'une  manière  approximative. 
Etant  donnée  une  inoculation, il  est  impossible  de 
prévoir  au  bout  de  combien  de  temps  elle  produi- 
ra ses  effets,  si  elle  doit  en  produire. 

Suffira-t-il  pour  cela  de  quelques  jours  ou  de 


—  107  — 

quelques  semaines  ?  Ou  faudra-t-il  quelques 
mois  et  même  une  longue  série  de  mois  ?  A  tous 
ces  points  de  vue,  incertitude  absolue.  Pourquoi 
cela  ? 

Pourquoi  le  même  virus,  puisé  à  la  même 
source  et  inoculé  dans  un  même  moment  à  des 
individus  d'une  même  espèce,  est-il  tantôt  stéri- 
le, tantôt  fécond  ?  Et  pourquoi,  lorsqu'il  mani- 
feste son  activité,  le  fait-il  dans  des  périodes  de 
temps  dont  la  durée  est  si  variable  ? 

Trois,  cinq,  six,  huit,  dix,  douze  jours  dans 
quelques  cas,  et,  dans  d'autres,  au  bout   seule- 
ment d'un  nombre    de  mois  égal  à  celui  des 
jours  qui  peuvent  suffire  à  son  évolution  ? 

Dire  que  les  différents  organismes  constituent 
des  terrains  plus  ou  moins  propices  pour  la  se- 
mence virulente,  qu'ils  ont  pour  cela  plus  ou 
moins  de  réceptivité,  ou  bien  encore  que  le  viru  s 
est  plus  ou  moins  actif,  c'est  exprimer  le  fait, 
mais  non  pas  l'expliquer.  » 

On  le  voit,  Bouley,,àqui  nous  empruntons  ces 
lignes,  se  déclare  impuissant  à  expliquer  un  des 
faits  les  plus  extraordinaires  de  la  virulencf.  ra- 
bique.  Dans  tous  les  autres  virus  (syphilis,  vac- 
cine, etc.  )  la  durée  de  l'incubation  est  à  peu 
près  la  même  chez  tous  les  individus. 

C'est  là  encore  un  des  points  qui  contri- 
buent le  plus  à  démontrer  notre  ignorance  sur 


—  108  ~ 

cette  maladie  qui  fait  depuis  si  longtemps  la 
terreurde  l'humanité  et  qui  fait  cependant  si  peu 
de  victimes. 

SYMPTOMES    DE    LA    RAGE. 

Mais  arrivons  enfin  au  point  essentiel  de  notre 
étude. 

En  reproduisant  les  faits  empruntés  aux  au- 
teurs les  plus  compétents,  nous  avons  surtout 
pour  but  de  montrer  la  difficulté  du  diagnostic 
et  l'impossibilité  dans  laquelle  se  trouve  un  vé  - 
térinaire  qui  ne  voit  un  chien  qiiune  seule  fois 
et  qui  ne  peut  le  suivre  pendant  toute  V évolution 
de  là  maladie,  de  déclarer  avec  certitude  qu'il 
est  enragé. 

Bouley  a  d'abord  fort  bien  réfuté  les  idées  ab- 
solument erronées  que  le  public  et  même  beau- 
coup de  médecins  ont  encore  sur  la  rage. 

«  Le  mot  rage,  dit-il,  dans  notre  langue, 
comme  dans  toutes  les  autres,  du  reste,  n'ex- 
prime  pas  autre  chose  que  les  passions  furieuses, 
la  colère,  la  haine,  la  cruauté. 

Dans  le  style  élevé,  comme  dans  le  langage 
commun,  il  a  la  même  signification,  et  même 
lorsque  ce  mot  est  employé  d'une  manière  figu- 
rée ou  familière,  il  exprime  quelque  chose  d'ex- 
cessif et  d'outré.  On  ne  saurait  trop  se  tenir  en 


~  109  — 

garde  contre  cette  idée  si  fausse  que  l'on  se  fait 
de  la  rage  du  chien,  sur  la  foi  même  du  mot  qui 
sert  à  la  qualifier.  Cette  maladie  ne  se  caracté  - 
rise  pas,  dans  les  premiers  temps  de  sa  manifes- 
tation, par  des  excès  de  fureur  et  des  actes  de 
férocité.  Souvent  mème^  c'est  le  contraire  qui  a 
lieu.  Un  seul  jour  ne  fait  pas  d'un  chien  affec- 
tueux, cet  animal  féroce,  furieux  et  cruel  à  l'ex- 
cès que  tout  le  monde  croit  ;  c'est  par  une  transi- 
tion insensible  qu'il  arrive  à  la  période  de  la 
frénésie  rabique.  Mais  quand  bien  même  cette 
période  n'est  pas  encore  déclarée,  il  faut  que  l'on 
sache  bien  que  du  moment  que  les  premiers 
symptômes  de  la  maladie  ont  apparu,  déjà  la 
salive  du  malade  est  virulente  et  que  ses  lèche- 
ments  peuvent  être  tout  aussi  dangereux  que 
ses  morsures.  Déjà,  dès  1828,  un  vétérinaire  an- 
glais, M.  Delabère-Blaine,  avait  insisté  sur  cette 
particularité  importante.  «  On  suppose  naturel- 
lement, disait-il,  qu'un  chien  affecté  de  la  rage 
doit  nécessairement  être  farouche  et  furieux,  et 
dans  tous  les  tableaux  que  l'on  en  a  faits,  cette 
maladie  est  ainsi  décrite.  Mais  bien  loin  que  ce 
soit  le  fait  constant,  à  peine  ai-je  trouvé  un  seul 
chien  adulte  qui  avait  une  aliénation  totale  ; 
tandis  qu'au  contraire,  dans  le  plus  grand  nom- 
bre, les  facultés  mentales  ont  été  à  peine  déran- 
gées. Les  malheureuses  victimes  de  cette  mala- 


-  110  — 
die  reconnaissent  ordinairement  la  voix  de  leur 
maître,  et  y  obéissent,  et  cela  souvent  jusqu'au 
dernier  moment.  » 

LE  CniEN  ENRAGÉ  n'eST  PAS  TOUJOURS  FURIEUX. 

«  Non  seulement  le  chien  enragé  est  inoffensif 
au  début  de  son  mal,  en  ce  sens  qu'il  s'abstient 
de  toute  attaque,  mais  il  arrive  souvent  encore 
que,  chez  lui,  les  sentiments  affectueux  grandis- 
sent et  s'exagèrent,  pour  ainsi  dire,  proportion- 
nellement à  l'intensité  du  malaise  qu'il  éprouve. 
Son  instinct  le  pousse,  à  de  certains  moments, 
à  se  rapprocher  de  son  maître,  comme  pour  lui 
demander  un  soulagement  à  ses  souffrances,  et, 
si  on  le  laisse  faire,  il  témoigne  volontiers  sa  re- 
connaissance pour  les  soins  qu'on  lui  donne  par 
l'ardeur  de  ses  léchements  sur  les  mains  et  le  vi- 
sage. Ce  sont  là  de  perfides  caresses,  car,  tout 
aussi  sûrement  que  les  morsures,  elles  peuvent 
inoculer  la  rage,  si  la  langue  hwnide  d'une  bave 
déjà  virulente  vient  à  toucher  des  parties  oie  la 
peau  est  excoriée  ou  blessée.  » 

«  Mais  dans  l'un  ou  l'autre  de  ces  états,  il  ne 
montre  aucune  propension  à  mordre.  Il  est  do- 
cile à  la  voix  de  son  maître  et  va  vers  lui  quand 
il  s'entend  appeler.  Toutefois,  ce  n'est  pas  avec 
le  même  empressement  que  par  le  passé  et  sur- 


—  111  — 

tout  avec  la  même  expression  de  physionomie. 
Si  sa  queue  est  agitée,  elle  est  lente  dans  ses 
mouvements.  Son  regard  a  quelque  chose  d'é- 
trange ;  destitué  de  son  animation  habituelle.que 
la  voix  du  maître  n'a  réveillée  qu'un  instant,  il 
n'exprime  plus  qu'une  sombre  tristesse,  et,  dès 
que  l'animal  ne  se  sent  plus  sous  l'excitation  de 
cet  appel,  il  retourne  à  sa  solitude.  » 

Quand  on  examine  en  silence  un  chien  enragé, 
on  le  voit  qui  s'endort  ;  ses  yeux  se  ferment,  sa 
tête  s'affaisse,  puis  quand  elle  arrive  trop  bas  et 
qu'elle  rencontre  les  pattes  ou  un  obstacle,  l'ani- 
mal se  réveille  subitement,  pour  se  rendormir 
de  suite  après,  comme  fait  un  homme  qui  dort 
debout  et  dont  la  tète  s'abaisse  et  se  relève  auto- 
matiquement. «  J'ai  vu  fréquemment,  dit  M.  Du- 
buc,  des  petits  chiens  qui,  étant  couchés  sur  des 
chaises,  présentaient  ce  symptôme.  Emportés  par 
la  somnolence,  ils  glissaient  de  dessus  le  siège, 
tombaient  sur  le  plancher,  la  tête  la  première,  et 
n'étaient  réveillés  que  par  la  chute.  »  {De  la  rage 
des  chiens^  etc.,  par  Dubuc,  Bordeaux.  1873.) 

Ainsi,  voilà  donc  un  premier  point  :  le  chien 
enragé  n'est  pas  furieux  et  le  plus  souvent  il  n'a 
pas  de  tendances  à  mordre. 


—  112  — 

UN  CHIEN  QUI  LÈCHE  EST  AUSSI  DANGEREUX  QU'uN 
CHIEN    QUI  'mord. 

En  outre,  dit  Bouley,  les  léchements   sont 

AUSSI    DANGEREUX    QUE   LA    MORSURE.     Yoilà    UTl 

point  qui  me  semble  bien  peu  connu  des  Pasto- 
riens.  Parmi  les  clients  de  l'Ecole  normale,  il  n'y 
a  que  des  mordus  et  non  des  léchés  ;  que  de- 
viennent donc  les  malheureux  qui  ont  contracté 
la  rage  par  léchement  ?  Ils  doivent  cependant 
être  nombreux  étant  donné  la  fréquente  et  dé- 
plorable habitude  qu'ont  un  grand  nombre  d'in- 
dividus de  se  faire  lécher  par  des  chiens. 

J'insiste  sur  ce  point  qui  ouvre  une  parenthèse 
nouvelle  dans  la  voie  de  transmission  de  la  rage 
canine. 

Bouley,  continuant  sa  symptomatologie,  s'ex- 
prime ainsi  :  «  Au  début  de  la  rage,  le  malaise 
intérieur  que  le  chien  éprouve  se  traduit  par  un 
changement  de  son  humeur.  Le  plus  souvent,  il 
devient  triste,  sombre  et  l'on  peut  dire  taciturne, 
car  il  n'est  plus  déterminé  à  aboyer  comme  il  le 
faisait  en  santé,  quand  sa  vigilance  était  excitée. 
Il  cherche  à  s'isoler,  se  comptait  dans  la  solitude 
et  dans  l'obscurité  et  va  se  cacher  dans  les  coins 
des  appartements,  sous  les  meubles  ou  dans  le 
fond  de  sa  niche.  » 

Qui  donc  n'a  vu  des  chiens  dans  cet  état? 


-  113  — 

Pourrait-on,  après  un  seul  examen  constatant 
ces  symptômes,  déclarer  l'animal  enragé  ?  Nous 
ne  pouvons  que  très  difficilement  l'admettre. 

Blaine  et  Bouley  attachent  une  grande  impor- 
tance à  l'irritabilité  de  l'anim.al.  «  Alors  même, 
disent-ils,  que  l'animal  ne  paraît  pas  avoir  de 
propension  à  attaquer  les  personnes  qui  sont  au- 
près de  lui,  cependant  il  se  montre  disposé  à 
ressentir  les  offenses,  et  si  on  lui  présente  un  bâ- 
ton, on  est  sur  d'exciter  sa  colère,  même  envers 
ceux  qu'il  aime  le  plus,  et  il  le  prend  et  le  secoue 
avec  violence.  Ainsi  fait-il  encore  quand  on  l'ex- 
cite avec  le  pied.  » 

Cette  épreuve  du  bâton  a,  pour  Blaine,  une 
telle  signification  qu'elle  lui  suffit  pour  affirmer 
la  rage  :  «  On  ne  saurait  trop  fortement  persua- 
der, dit-il  dans  une  note,  ceux  qui  y  ont  intérêt, 
que  quand  un  chien  qui,  dans  d'autres  moments 
est  doux  et  tranquille,  saute  après  un  bâton  qu'on 
lui  présente,  surtout  si  c'est  quelqu'un  qu'il  con- 
naît, on  peut,  sans  hésitation,  déclarer  que  ce 
chien  est  enragé.  » 

J'avoue  que,  si  ce  symptôme  est  caractéristi- 
que, j'ai  rencontré  beaucoup  de  chiens  enragés 
dans  mon  existence. 


—  114 


LE  CHIEN  ENRAGÉ  n'a  PAS  HORREUR  DE  l'EAU. 

Nous  devons  ensuite  signaler  l'absence  de  l'hy^ 
drophobie  que  la  plupart  des  auteurs  considèrent 
comme  le  symptôme  capital  : 

a  Depuis  le  premier  jusqu'au  dernier  moment, 
dit  Bouley,  jamais  on  n'observe  d'aversion  pour 
l'eau.  Dans  les  premiers  moments,  l'animal 
prend  les  liquides  comme  à  l'ordinaire,  et  il  y  en 
a  qui  continuent  à  les  prendre  pendant  toute  la 
maladie.  D'autres  ne  peuvent,  à  cause  de  la  tu- 
méfaction et  de  la  paralysie  des  parties  de  l'ar- 
rière-bouche,  avaler  si  facilement  lorsque  la 
maladie  est  avancée  ;  mais  dans  ceux-là  l'effort 
ne  cause  aucun  spasme  et  aucune  douleur  ou 
crainte.  Au  contraire,  à  cause  de  la  chaleur  et 
de  la  soif  occasionnées  par  la  fièvre,  l'animal 
cherche  de  l'eau  et,  dans  la  plupart  des  cas,  il 
témoigne  en  avoir  le  plus  grand  désir.  » 

«  Loin  que  la  rage  du  chien,  dit-il,  soit  carac- 
térisée par  l'horreur  de  l'eau,  elle  est,  au  con- 
traire, signalée  par  une  soif  qui  souvent  est  tout 
à  fait  inextinguible.  » 


115 


LE  CHIEN  ENRAGE  NE  REFUSE  PAS  TOUJOURS  LA 
NOURRITURE. 

En  ce  qui  concerne  la  perte  d'appétit,  il  suffit 
de  citer  le  passage  suivant  pour  montrer  que  le 
symptôme  est  loin  d'avoir  la  valeur  que  lui  accor- 
dent M.  Signol  et  la  plupart  des  vétérinaires. 

«  Le  chien  ne  refuse  pas  d'ordinaire  sa  nourri- 
ture, et  quelques-uns  même  font  preuve,  lors- 
qu'on la  leur  présente,  d'une  voracité  qui  ne  leur 
est  pas  habituelle.  Mais  tous  ne  tardent  pas  à 
perdre  complètement  l'appétit,  et  alors  tantôt  ils 
s'éloignent  de  leur  pitance,  sans  y  toucher  et 
comme  dégoûtés,  et  d'autres  fois  ils  en  mangent 
quelque  peu,  puis  ils  la  rejettent  en  renversant 
l'écuelle  qui  la  contient.  Cette  manifestation  de 
dégoût  est,  d'après  Youatt,  un  signe  dans  lequel 
il  faut  avoir  une  grande  confiance,  » 

Mais  Vinappétence  existe  dans  toutes  les  ma- 
ladies du  chien  et  ne  peut  avoir  aucune  impor- 
tance dans  le  diagnostic  différentiel  de  la  rage. 
11  en  est  de  même  pour  la  salivation  qu'on  a 
souvent  considérée  comme  caractéristique  et  sur 
laquelle  Bouley  s'exprime  ainsi  :  «  La  bave  ne 
constitue  pas,  par  son  abondance  exagérée,  un 
signe  caractéristique  de  la  rage  du  chien,  comme 
on  l'admet  généralement  d'après  les  préjugés 
populaires.  i 


—  116 


INFLUENCE  DES  LYSSES. 


La  même  incertitude  et  les  mêmes  difficultés 
se  présentent  à  l'égard  de  la  présence  des  lysses 
que  plusieurs  vétérinaires  avaient  données 
comme  un  symptôme  capital  : 

«  Existe-t-il  des  lysses  sous  la  langue  des 
chiens  enragés  ?  Un  ingénieux  et  infatigable 
chercheur,  Auzias-Turenne,  a  lu  sur  ce  sujet,  à 
l'Académie  de  médecine,  dans  sa  séance  du  l*"" 
septembre  1868,  un  mémoire  plein  d'intérêt  in- 
titulé :  Aperçu  historique  et  philosophique  sur 
les  lysses  ou  vésicules  de  la  rage,  où  se  trouvent 
des  renseignements  très  curieux,  à  tous  les 
points  de  vue,  sur  cette  sorte  d'éruption  qu' Au- 
zias-Turenne assimilait  volontiers  à  celles  des 
affections  éruptives  proprement  dites. 

Auzias-Turenne  a  démontré  incontestable- 
ment par  ses  recherches  que  les  vésicules  rabi- 
ques  ont  été  vues  par  un  certain  nombre  d'obser- 
vateurs à  l'autopsie  de  chiens  qui  étaient  morts 
de  la  rage  ;  mais  cette  éruption  est-elle  cons- 
tante ?  Et  quand  elle  se  montre,  à  quelle  période 
apparaît-elle  après  l'inoculation  rabique  ?  Est-ce 
avant  la  manifestation  des  symptômes? Est-ce  à 
leur  période  initiale  ?  Est-ce  à  la  fin  ?  Autant  de 


—  117  — 

questions  qu'il  faut  se  contenter  de  poser,  car 
leur  solution  n'est  pas  actuellement  possiîile.  » 
{Bouley^  art.  Rage,  p.  103.) 


FRENESIE  ET  EXCITATION  SEXUELLE. 

On  a  attaché  une  grande  importance  aux 
symptômes  fournis  par  l'excitation  sexuelle. 

(I  Parmi  les  symptômes,  dit  Bouley,  il  faut  si- 
gnaler maintenant  l'orgasme  génital  qui,  chez 
le  chien,  est  une  manifestation  très  fréquente  de 
la  rage  à  sa  période  initiale,  et  même  ultérieure- 
ment. On  sait  que,  même  dans  l'état  physiologi- 
que, au  moment  où  le  chien  témoigne  à  ses  maî- 
tres ses  sentiments  affectueux,  cet  orgasme  in- 
tervient assez  communément  et  se  traduit  par 
l'éréthisme  du  pénis  et  par  des  attitudes  et  des 
mouvements  dont  la  signification  n'est  pas  dou- 
teuse. Rien  d'étonnant  donc  que,  dans  l'état  ra- 
bique,  l'exagération  de  ces  sentiments  donne  lieu 
à  des  manifestations  de  même  ordre,  elles-mêmes 
exagérées.  C'est  ce  que  l'on  observe  effective- 
ment sur  un  certain  nombre  de  chiens  familiers. 

Quand  ils  se  trouvent  en  rapport  avec  d'autres 
chiens,  tout  à  fait  au  début  de  la  maladie,  et 
avant  qu'ils  n'aient  encore  de  la  propension  à 
mordre,  ils  expriment  l'état  de  surexcitation 
sexuelle  où  ils  se  trouvent  par  l'ardeur  avec  la- 


—  118  — 

quelle  ils  leur  lèchent  l'anus  et  les  parties  géni- 
tales. «  Je  prédis  une  fois  l'approche  de  la  rage, 
dit  Blaine,  par  l'attachement  extraordinaire  d'un 
petit  roquet  à  un  petit  chat  qu'il  léchait  conti- 
nuellement.» 

Il  me  paraît  bien  difficile  d'admettre  ce  symp- 
tôme comme  caractéristique.  D'après  les  auteurs 
vétérinaires,  on  doit  soupçonner  tout  chien  qui 
présente  une  excitation  sexuelle  extraordinaire. 
Tout  le  monde  connaît  l'ardeur  excessive  de  ces 
animaux,  et  il  faut  convenir  que  bien  peu  de 
chiens  ont  pu  échapper  dans  leur  existence.au 
soupçon  de  rage. 

Alors  que  certains  auteurs  donnent  la  frénésie 
comme  un  symptôme  capital,  d'autres,  au  con- 
traire, font  ressortir  l'importance  de  symptômes 
diamétralement  opposés.  C'est  ainsi  que  Dela- 
bere-Blaine  dit  qu'il  y  a  des  cas  où  la  docilité  et 
la  bonté  de  caractère  du  chien  sont  augmentés 
par  la  maladie. 

CONCLUSIONS, 

Nous  craindrions  de  fatiguer  nos  lecteurs  en 
prolongeant  plus  longuement  notre  incursion 
dans  le  domaine  vétérinaire.  Nous  avons  sim- 
plement voulu  démontrer  que  les  symptômes 
de  la  rage  sont  complexes.^  mal  définis  et  qu'il 


—  119  — 

est  hnpos&ible^  même  à  iin  vétérinaire  exercé, 
de  reconnaître  cette  maladiepar  unseul  examen. 

Les  signes  fournis  par  l'autopsie  sont  absolu- 
ment nuls.  Sans  doute  on  trouve  chez  le  chien 
mort  de  la  rage  de  la  congestion  des  méninges  et 
des  poumons,  mais  il  n'existe  aucune  lésion 
caractéristique. 

Les  vétérinaires  admettent  généralement  que, 
lorsqu'on  trouve  de  l'herbe,  de  la  paille  ou  des 
fragments  de  bois  dans  l'estomac  d'un  chien  on 
doit  le  considérer  comme  enragé.  Dans  beau- 
coup de  cas,  les  médecins  vétérinaires  déclarent 
enragés  les  chiens  accusés  de  morsures,  alors 
mèm.e  que  V existence  de  la  rage  n'est  pas  abso- 
lument déynontrée.  En  cela  je  m'empresse  de 
déclarer  qu'ils  ont  parfaitement  raison.  En  pre- 
mier lieu,  tous  les  honorables  vétérinaires  qui 
existent  dans  nos  campagnes  n'ont  pas  le  talent 
des  cliniciens  de  l'Ecole  d'Alfort  ;  d'un  autre 
côté,  j'aime  mieux  voir  mourir  un  chien  injus- 
tement que  d'exposer  des  individus  à  la  rage, 
alors  même  que  celle-ci  est  problématique. 

Le  vétérinaire  qui  fait  abattre  un  chien  seule' 
ment  soupçonné  de  rage  ne  fait  donc  que  son 
devoir.  Il  met  sa  responsabilité  à  l'abri,  protège 
la  vie  des  citoyens  et  débarrasse  sa  commune 
d'un  animal  qui,  s'il  n'est  pas  enragé,  s'est  tout 


—  120  — 

au  moins  rendu  coupable  de  morsures  plus  ou 
moins  graves. 

Je  persiste  donc  à  croire  que  les  3,000  individus 
qui  ont  suivi  le  traitement  Pasteur  n'avaient  pas 
tous  été  mordus  par  des  chiens  atteints  de  la  rage. 

OPINION  DE  M.    COLIN. 

Voici  du  reste  comment  s'exprime  M.  Colin, 
professeur  à  l'Ecole  vétérinaire  d'Alfort,  sur  les 
chiens  qui  ont  mordu  les  inoculés  de  M.  Pasteur 
dans  la  communication  qu'il  a  faite  à  l'Académie 
de  médecine,  dans  la  séance  du  9  novembre  1886. 
Nous  reproduisons  plus  loin  cette  importante 
communication  : 

«  Il  me  paraît  impossible  d'accepter  sans  exa- 
men les  chiffres  effrayants  de  la  statistique  de 
M.  Pasteur.  En  un  an,  3000  individus  sont  venus 
rue  d'Ulm  faire  traiter  leurs  morsures  d'animaux 
enragés.  Ces  3,000  individus  sont  venus  après 
avoir  été  mordus  par  des  chiens,  des  loups,  des 
chats  et  ont  été  traités,  c'est  certain  ;  mais  que 
ces  3,000  individus,  dont  1,700  Français,  aient 
été  mordus  par  des  animaux  enragés,  c'est  ce 
que  je  ne  puis  admettre. 

Les  éléments  de  cette  statistique  sont  recueil- 
lis par  des  gens  incompétents,  ils  ne  sont  pas 
contrôlés,  ni  même  très  souvent  susceptibles  de 


—  121  - 

contrôle.  Voici  un  chien  triste,  qui  sans  motif 
s'échappe  du  logis,  se  jette  sans  provocation 
sur  les  passants.  On  le  poursuit  et  on  le  tue.  Ce- 
lui-ci est  à  peu  près  certainement  enragé.  Mais 
voici  un  autre  chienqui,  dans  la  rue,  est  agacé  ; 
il  donne  un  coup  de  dents,  on  tombe  sur  le  dé- 
linquant ;  naturellement,  il  se  défend  d'un  air 
féroce  ;  sa  physionomie  confirme  les  spectateurs 
dans  l'idée  que  l'animal  peut  être  enragé  ;  il  est 
mis  au  même  rang  que  l'autre.  S'il  se  trouve  un 
vétérinaire  dans  le  voisinage,  on  songe  à  l'au- 
topsie, mais  elle  est  rarement  faite  ;  si  elle  est 
faite  elle  ne  peut  donner  qu'une  présomption. 
Si  l'on  trouve  un  peu  d«^,  rougeur  à  la  gorge, 
quelques  brins  de  paille  dans  l'estomac,  et  il  s'en 
trouve  sur  tous  les  chiens  qui  n'ont  pas  l'avan- 
tage de  manger  à  table,  on  incline  à  déclarer 
l'animal  enragé.  On  le  fait  encore  parce  que  le 
chien  a  mordu  et  a  paru  furieux^  parce  qu'on  l'a 
tué,  parce  que  dans  le  doute  il  est  bon  de  pren- 
dre des  précautions,  de  cautériser  les  individus, 
de  surveiller  les  individus  mordus,  etc. 

Pour  ces  cas,  qui  sont  les  plus  fréquents,  il 
n'y  a  pas  de  certitude  ;  cette  certitude  ne  peut 
être  acquise  qu'au  vu  de  l'animal  vivant,  malade 
et  surtout  mourant  paralysé,  quelques  jours 
après  les  premiers  symptômes  rabiques.  « 


CHAPITRE     VII. 
LA  RAGE  DU  LOUP 

En  présence  des  nombreux  insuccès  survenus 
â  la  suite  du  traitement  des  Russes  mordus  par 
des  loups,  M.  Pasteur,  qui  n'est  jamais  pris  à 
rimproviste,  imagina,  pour  disculper  sa  mé- 
thode, que  la  rage  était  constamment  mortelle 
chez  le  loup  ou  que  la  mortalité  atteignait  gé- 
néralement 95  pour  cent. 

Il  suffit  de  jeter  un  coup  d'œil  sur  la  littéra- 
ture médicale  pour  reconnaître  que  l'assertion 
du  grand  chimiste  est  absolument  inexacte.  Si, 
au  lieu  de  remonter  comme  il  l'a  fait  intention- 
nellement, à  des  faits  du  siècle  dernier  et  à  des 
légendes  qui  échappent  à  tout  contrôle  scientifi- 
que, on  recherche  des  faits  récents,  on  constate 
que  la  mortalité  de  morsures  de  loup  est  d'en- 
viron 25  à  50  pour  cent  et  non  pas  de  95  pour  cent. 

J'indiquerai  à  M.  Pasteur  les  faits  que  vient 
de  publier  la  Gazelle  hebdomadaire  (n°  17,  23 
avril  1886)  et  desquels  il  résulte  que  sur  vingt- 


—  123  — 

trois  personnes  mordues  par  une  louve  enragée, 
six  seulement  ont  succombé. 

D'autres  faits  publiés  dans  le  Journal  des  con- 
naissances  médicales  par  le  D^  Magistel  donnent 
une  mortalité  de  9  sur  30  mordus. 

Enfm,  nous  publions  sur  cette  importante 
question  de  la  rage  du  loup,  un  travail  lu  à  la 
Société  de  Médecine  pratique  le  15  avril  1886  par 
M.  Mathieu.  M.  Pasteur  et  ses  élèves  pourront  y 
puiser  d'utiles  renseignements. 

Les  questions  qui  se  rattachent  à  la  rage,  à  la  rage 
du  loup  notamment,  ont  en  ce  moment  un  vif  inté- 
rêt d'actualité. 

Nous  pensons  donc  que  la  Société  de  Médecine 
pratique  ne  trouvera  pas  inopportune  la  communica- 
tion de  la  note  suivante  extraite,  en  partie,  dune 
thèse  présentée  en  1826  à  la  Faculté  de  médecine  de 
Paris  par  le  Dr  H.  N.  Thierry  (de  l'Yonne). 

Les  26  mai  1824  et  octobre  1825,  vingt-sept  person- 
nes ont  été  mordues  par  deux  louves  enragées  dans  la 
commune  d'Argenteuil  (Yonne). 

La  durée  de  la  période  d'incubation  a  été  chez  les 
individus  mordus  de  dix-neuf  à  trente  jours,  de  qua- 
rante à  quarante-deuxjours,  de  cinquante-deux  jours, 
une  fois.  Nous  avons  lieu  de  croire  que  dans  un  cas 
qui  n'est  pas  relaté  dans  le  travail  précité,  le  temps 
écoulé  depuis  la  morsure  jusqu'à  la  manifestation, 
des  symptômes  rabiques  a  été  d'une  année  environ 


—  124  — 

Des  vingt-sept  personnes  mordues  dix-huit  sont 
mortes  de  la  rage;  soit  les  deux  tiers. 

Quinze  avaient  été  mordues  à  la  tête. 

Trois  autres  ont  succombé  à  la  suite  de  morsures 
dont  le  siège  n'a  pas  été  indiqué. 

Trois  individus  mordus  à  la  tête, 

Deux  mordus  aux  mains  et  à  nu, 

Trois  mordus  au  bras  à  travers  ses   vêtements, 

Un  mordu  à  la  jambe  à  travers  leurs  vêtements, 

N'ont  présenté  aucun  phénomène  rabique. 

Après  ce  résumé  succinct,  faisons  connaître  quels 
ont  été  le  siège,  la  gravité  des  morsures  faites  par  ces 
louves  à  chacune  de  leurs  victimes  ;  quelles  ont   été 
pour  chacunes  d'elles  les  suites  de  ces  morsures. 
B âgé  de  quinze  ans.  Perforation  de  la  région  mé- 
tacarpienne à  nu.  Cautérisation  avec  l'acide  nitri- 
que. (Aucun  accident  rabique.) 
F...,  âgé  de  trente-cinq  ans.  Vingt-sept  blessures  à 
la  face,  au  cuir  chevelu  ;  déchirement  des  ailes  du 
nez,  et  enlèvement  partiel  de   l'oreille.  Cautérisa- 
tion au  cautère  actuel.  (Mort.) 
Dans  les  six  cas  suivants,   l'étendue  des  blessures 
a  rendu  la  cautérisation  impossible. 
S.  B...,  âgé  de  sept  ans.  Une  partie  delà  joue  en- 
levée, plaie  grave  au  cuir  chevelu,  occiput  dénudé. 
(Mort.) 
B.  J..., âgé  de  cinquante  ans.   Maxillaire  inférieur, 
cartilage  du  nez,  os  des  pommettes  dénudées,  plu- 
sieurs doigts  arrachés.  (Mort.) 
B.  M...,  âgée  de  douze  ans.  Dénuation  de  la  partie 


— .  125  - 

postérieure  de  la  tête,  du  côté  gauche  de  la  face, 
et  plaies  profondes  aux  bras.  (Mort.) 

L.  J. , .,  âgé  de  soixante  ans.  Coronal  dénudé,  ainsi 
que  la  racine  du  nez  ;  les  bras  et  les  mains  horri- 
blement déchirés.  (Mort.) 

L.  M...,  âgée  de  quinze  ans.  Cuir  chevelu  presque 
totalement  enlevé,  la  face  entièrement  dilacérée. 
(Mort.) 

S.  S...  Plaies  au  visage  pénétrant  dans  l'orbite,  lè- 
vre inférieure  emportée,  blessures  nombreuses  à 
la  tête,  aux  bras  et  aux  mains.  (Mort.) 

Les  cinq  blessés  suivants  ont  été  cautérisés  avec 
l'acide  nitrique  : 

B. . . ,  âgé  de  sept  ans.  Quatorze  blessures  au  cuir  che- 
velu. (Mort.) 

P.  J. . .,  âgé  de  50  ans.  Blessure  à  la  racine  du  nez. 
(Mort.) 

B .  D . . . ,  âgé  de  soixante-six  ans .  Ailes  du  nez  per- 
forées. (Mort.) 

B.  N. . .,  âgé  de  cinquante-cinq  ans.  Blessure  légère 
à  la  commissure  droite,  enlèvement  d'une  partie 
de  l'expansion  muqueuse  de  la  lèvre  inférieure 
(Mort.) 

V.  B. .  .,âgé  de  quarante  ans.  Six  blessures  à  la  face. 
(Mort.) 

Les  trois  suivants  ont  été  cautérisés  au  cautère 
actuel. 

A.  J...,  âgé  de  soixante  ans.  Trois  blessures  à  la 
face-  (Mort.) 

8. 


—  126  — 
M        âgé  de  quatorze  ans.  Plaie  pénétrante  dans  la 
pai'Otide,   commissure  dam  côté,   égratignures  au 

cou.  (Mort.)  ^ 

G. . .,  âgé  de  dix-huit  ans.  Morsures  légères  a  1  angle 
de  la  mâchoire  et  au  cou.  (Mort.) 
Les  six  blessés  suivants  ont  été   cautérisés  avec 
l'acide  nitrique,  et  n'ont  présenté  aucun  symptôme 
rahique  : 
Th...,  âgé  de  douze  ans.  Mordu  au  bras,  à  travers 

les  vêtements. 
J...,  âgé  de  trente  ans.  Six  blessures  extrêmement 

profondes  au  bras. 
B.  D...,  cmquante  ans,  idem. 
J.  P. . .,  âgé  de  six  ans.  Légères  morsures  au-dessous 

de  roreille  et  à  la  nuque. 
M.  N . . . ,  âgé  de  quarante-huit  ans.Morsm^es  aux  deux 

mains,  dénudation  du  médius. 
J.  S...,  Egratignures  aux  tempes. 

Les  deux  blessés  qui  suivent,  cautérisés  au   fer 
rouge,  ont  survécu: 

P. . .,  âgé  de  vingt-huit  ans.  Morsure  au  front. 
D.V.',  âgé  de  trente-cinq  ans.  Cinq  blessures  profon- 
des à  la  jambe. 
Trois  autres  personnes  sont  mortes  des  suites  de 

blessures. 

La  durée  des  phénomènes  rabiques  depuis  leur 
apparition  jusqu'à  la  mort  a  été  : 
lo  Chez  un  enfant  de  sept  ans,  d"mi  jour^ 
2»  Chez  un  second  enfant  de  sept  ans,  de  deux  jours. 


—  127  — 
3»  Chez  un  homme  de  cinquante  ans,  de  deux  jours. 
4°  Chez  un  homme  de  quarante  ans,  de  trois  jours  et 
demi. 

5o  Chez  un  homme  de  soixante-six  ans,  de  trois  jours 
et  demi. 

6°  Chez  un  homme  de  cinquante  ans,  de  deux  jours 
et  demi. 

La  durée  du  drame  pathologique  a  été  moindre 
chez  les  jeunes  enfants  que  chez  les  adultes. 

Il  ne  serait  pas  sans  intérêt  de  rechercher  si  la 
rage  qui  a  pour  cause  la  morsure  du  loup  n'a  pas 
une  marche  plus  rapide  que  la  rage  inoculée  par  les 
chiens  de  rue. 

Les  lysses  rabiques  ont  été  recherchées  dans  la 
bouche  des  malades  et  n'ont  pas  été  découvertes. 

Il  eût  été  plus  à  propos  de  se  livrer  à  cet  utile 
examen  pendant  la  période  d'incubation,  époque  à 
laquelle  les  lysses  rabiques  ont  été  signalées  et  dém- 
érites par  Magistel  et  avant  lui  par  d'autres  obser- 
vateurs chez  des  individus  mordus  par  des  loups  en- 
ragés. 

En  comparant  le  nombre  des  victimes  qui  succom^ 
bent  à  la  suite  de  morsures  de  loups  enragés  (les  2/3 
dans  l'observation  que  nous  venons  de  relater)  à  celui 
des  victimes  de  la  rage  du  chien  de  rue  (5  à  6  %  des 
individus  mordus)  on  arrive  à  cette  conclusion  : 

«  La  nocuité  du  virus  rabique  chez  le  loup  est  su- 
périeure à  la  nocuité  du  virus  rabique  chez  le  chien 
de  rue;  » 


—  128  — 
La  division  des  virus  en  torts  et  en   faiWes  n'est 
pas  un  fait  scientitique  nouveau:  il  a  été  déduit  de 
l'observation  clini([ue,  il  y  a  vingt-cinq  ans,  par  Au- 
zias-Turenne. 

Le  chien  familier  n"est,  zoologiquement  parlant, 
qu'un  canis  (loup,  chacal),  dégénéré,  modifié  à  rinfini 
par  lïnfluence  des  milieux,  des  croisements,  de  l'ali- 
mentation, de  réducation,  etc.  Cet  animal  essentiel- 
lement carnassier  à  l'état  sauvage,  est  devenu  par- 
fois, dans  l'intimité  de  l'homme,  forcément  herbi- 
vore. 

Devant  des  modifications  aussi  profondes  que  celles 
qui  séparent  un  canis  primitif  de  l'un  de  ses  dérivés 
éloignés,  le  chien  comestible  des  Chinois,  par  exemple, 
n'es't-il  pas  permis  d'admettre  que  chez  ce  dernier  la 
rage  a  perdu  de  son  intensité  contagieuse. 

Remarquez  bien,  je  vous  prie,  qu'en  admettant 
cette  h\-pothèse  à  laquelle  les  laits  observés  donnent 
l'apparence  de  la  probabilité,  nous  ne  disons  pas  que 
la  Rage,  quel  que  soit  l'animal  du  genre  chien  d'où 
elle  procède,  ait  perdu  de  sa  gravité. 

Elle  est  toujours  mortelle,  et  cette  terrible  maladie 
eût-elle,  chez  un  chien  enragé  arrivé  au  maximum  de 
dégénérescence  zoologique,  une  tendance  à  s'atté- 
nuer, que  le  virus  rabique  affaibli  chez  ce  dernier 
anim'al  reprendrait  bientôt  de  la  force  en  passant  par 
un  autre  chien  se  rapprochant  du  type  primitif. 

Auzias-Turenne  a  dit  : 

«  Un  virus  est  régénéri  par  un  bon  terrain.  Un 


—  129  — 

virus  est  affaibli  par  un  ma«¥ais-terrain  ;  il  s'y  dé- 
grade. » 

Quelle  que  soit  la  valeur  des  appréciations  qui 
précèdent  et  qui  pourront  être  contestées,  les  taits 
observés  restent  et  ceux-ci  autorisent  à  croire: 

«  Que  le  loup  est  un  plus  puissant  agent  de  conta- 
gion de  la  rage  que  le  chien  de  rue.  » 

Nous  disons  «  que  le  chien  de  rue  »,  car  il  est  des 
chiens  familiers  très  rapprochés  des  types  primitifs 
et  dont  les  morsures  rabiques  sont  presque  aussi 
souvent  mortelles  que  celles  du  loup  enragé  lui- 
même. 

Quant  au  siège  des  blessures  rabiques,  qu'elles 
soient  infligées  à  l'homme  par  un  loup  ou  par  un 
chien,  il  est  reconnu  depuis  longtemps  que  celles  de 
la  tête  ont  une  gravité  exceptionnelle. 

Nous  avons  déjà  cité  plus  haut  les  faits  pu- 
bliés par  ^r,  Magistel  en  1824  et  que  M.  Pasteur 
ignore  sans  doute.  Nous  avons  sous  les  yeux  le 
travail  publié  par  ce  médecin  (1),  qui  a  observé 
dans  les  communes  de  Burlay  et  de  Saint-Tho- 
mas-des-Bois  (arrondissements  de  Saintes  et  de 
Marennes),  dix  cas  de  morsures  de  loup  enragé.. 
Cinq  seulement  sont  morts. 

(1)  Mémoire  sur  l'hydrophobie.  Cn  vol.  in-8".  Chez 
Compère  jeune,  Paris,  1824. 


—  130  — 

On  voit  donc  que  M.  Pasteur  a  été  mal  ren- 
seigné lorsqu'il  a  affirmé  à  l'institut  que  la  mor- 
talité à  la  suite  de  morsures  de  loups  était  de  75 
et  même  de  95  pour  cent.  Une  observation  plus 
exacte  des  faits  ramène  cette  mortalité  de  30  à 
50  pour  cent. 


CHAPITRE    VIIL 

LA  MÉTHODE  PASTEUR  CONTRÔLÉE  A 
VIENNE  PAR  LES  EXPÉRIENCES  DU 
PROFESSEUR  VON  FRISCH. 

Nous  avons  parlé,  dans  l'introduction  de  cet 
ouvrage,  de  la  visite  faite,  il  y  a  six  mois,  par  le 
Dr  von  Frisch,  professeur  de  Bactériologie  à 
Vienne,  au  laboratoire  de  la  rue  d'Ulm.  Ce  sa- 
vant, qui  avait  été  envoyé  à  Paris  par  un  Comité 
de  dames  viennoises,  présidé  par  la  princesse  de 
Metternich,  pour  y  étudier  le  traitement  de  la 
rage,  était  retourné  à  Vienne  complètement  sé- 
duit par  la  nouvelle  méthode. 

La  visite  du  professeur  viennois  eut  lieu  en 
avril  1886.  Depuis  cette  époque,  M.  von  Frisch  a 
entrepris  une  série  d'expériences  destinées  à  con- 
trôler celles  de  l'Ecole  Normale.  Les  résultats 
obtenus  à  Vienne  ont  été  en  contradiction  abso- 
lue avecceux  de  M.  Pasteur.  Nous  reproduisons, 
d'après  le  correspondant  viennois  de  la  Semaine 
médicaZe,  le  travail  du  professeur  von  Frisch. 

Avant  d'emploj'er  les  inoculations  antirabiques  chez 


—  132  - 

l'homme,  M.  Pasteur  avait  appliqué  avec  succès  son 
traitement  préventif  à  20 chiens  qu'il  avait  fait  mordre 
par  un  chien  enragé.  Ces  expériences  ne  sont  pas  — 
d'après  M.  von  Frisch— exemptes  de  toute  objection, 
parce  qu'on  ne  sait  pas  combien  de  ces  chiens  mor- 
dus ont  été  réellement  atteints  de  rage  ;  il  n'est  mê- 
me pas  impossible  que  le  virus  rabique  ne  se  soit 
fixé  chez  aucun  des  animaux  mordus.  Le  procédé  le 
plus  siir  pour  transmettre  le  virus  rabique  est,  d'a- 
près M.  Pasteur  lui-même,  la  transplantation  de 
particules  de  substance  cérébro-spinale  au  moyen  de 
la  trépanation.  Il  faut  donc,  dit  M.  von  Frisch,  étu- 
dier Fefficacité  des  inoculations  préventives  de  M.  Pas- 
teur, sur  des  animaux  auxquels  on  a  transmis  le  virus 
rabique  par  la  voie  de  la  trépanation,  autrement  dit 
sur  des  chiens  qui,  sans  ces  inoculations  préventives, 
seraient  atteints  de  la  rage  au  bout  d'une  certaine 
période  d'incubation. 

Dans  ce  but,  M.  von  Frisch  a  entrepris  les  expé- 
riences suivantes  : 

Seize  lapins  ont  été  inoculés  par  la  voie  de  la  tré  . 
PANATioN  avec  un  morceau  de  moelle  cervicale,  dis- 
soute dans  du  bouillon  stériUsé.  Cette  moelle  prove- 
nait d'un  chien  enragé;  inoculée  à  des  lapins  jusqu'à 
la  troisième  génération,  elle  donna  à  la  troisième 
transmission  une  période  dïncubation  de  seize  jours. 

Quinze  de  ces  animaux  furent  inoculés  d'après  la 
méthode  de  ^I.  Pasteur  ;  on  commença  avec  le  virus 
le  plus  faible  (la  moelle  séchée  pendant  quinze  jours 
d'un  lapin  inoculé  avec  le  virus  fixe  d'une  période 


—  133  — 

d'incubation  de  sept  jours)  et  on  injecta  chaque  jour 
des  virus  de  plus  en  plus  forts.  Chez  le  premier  ani- 
mal, la  première  inoculation  préventive  fut  pratiquée 
vingt-quatre  heures  après  la  trépanation  ;  chez  tous 
les  autres,  un  jour  plus  tard,  pour  voir  combien  de 
temps  avant  l'apparition  probable  de  la  rage  l'in- 
fluence de  l'inoculation  préventive  se  manifesterait 
encore. 

Le  seizième  lapin  ne  fut  pas  inoculé  d'après  la  mé- 
thode de  Pasteur,  pour  pouvoir  servir  de  témoin.  Il 
tomba  malade  le  dix-huitième  jour  et  succomba  à  la 
rage  le  vingt  et  unième  jour  après  la  trépanation. 

Des  quinze  animaux  inoculés,  le  treizième,  le  qua- 
torzième et  le  quinzième  présentèrent  les  premiers 
symptômes  de  la  rage  avant  qu'on  leur  eût  appliqué 
le  traitement  préventif;  treize  sont  morts  de  la  rage 
du  quatorzième  au  vingt  et  unième  jour  après  la  tré- 
panation. 

A  l'époque  où  M.  von  Frisch  a  fait  cette  commu- 
nication à  l'Académie  des  sciences,  deux  animaux  se 
trouvaient  encore  dans  la  péiiode  d'incubation  ;  ces 
deux  animaux  succombèrent  à  la  rage,  Fun,  le  hui- 
tième, et  l'autre,  le  treizième  jour  après  la  dernière 
inoculation  préventive,  c'est-à-dire,  le  premier,  28 
jours,  et  le  second,  33  jom's  après  la  trépanation. 

Dans  une  seconde  série  d'expériences,  M.  von 
Frisch  a  essayé  d'abréger  la  série  des  onze  inocula- 
tions indiquées  par  M.  Pasteur,  en  omettant  méthodi- 
quement quelques  virus  de  façon  à  rendre  ainsi  les 

8- 


—  134  — 

animaux  plus  vite  aptes  à  la  réception  du  virus  le 
plus  fort.  Tous  les  animaux  de  cette  série  succombè- 
rent à  la  rage.  Un  seul  survécut.  Celui-ci  reçut  dix 
injections  (virus  fixe  séché  depuis  treize  jours  jus- 
qu'à un  jour)  ;  les  injections  furent  commencées  le 
cinquième  jour  après  la  trépanation.  Il  est  impossible 
de  dire  pourquoi  cet  animal  a  échappé  à  l'infection, 
dit  M.  von  Frisch,  mais  eu  égard  aux  résultats  obte- 
nus chez  les  autres  animaux,  il  est  permis  de  suppo- 
ser que  le  virus  n'a  pas  été  fixé  par  la  trépanation. 

Bien  que  les  symptômes  présentés  par  les  animaux 
devenus  rabiques  à  la  suite  de  la  trépanation,  et 
malgré  les  inoculations  préventives,  aient  été  tout  à 
fait  identiques  au  tableau  clinique  présenté  par  les 
animaux  auxquels  la  rage  a  été  inoculée  parla  voie 
de  la  trépanation,  M.  von  Frisch  a  injecté  des  par- 
celles de  la  moelle  allongée  de  ces  lapins  à  d'autres 
animaux,  afin  de  ne  laisser  place  à  aucun  doute  sur 
la  cause  de  la  mort.  Les  animaux  ainsi  injectés  tom- 
bèrent malades  entre  le  neuvième  et  le  quatorzième 
jour  et  moururent  entre  le  treizième  et  le  dix-huitiè- 
me jour  après  la  trépanation.  11  est  à  remarquer  que 
la  période  d'incubation  chez  ces  animaux  a  été  réduite 
de  quatre  ou  cinq  jours.  Après  avoir  obtenu  ces  ré- 
sultats, M.  von  Frisch  a  répété  les  mêmes  expérien- 
ces sur  des  chiens. 

Cinq  chiens  furent  inoculés  le  même  jour  avec  du 
virus  rabique  provenant  d'un  chien  enragé,  transmis 
à  des  lapins  jusqu'à  la  quatrième  génération  et 
ayant  présenté,  à  la  dej'nière  inoculation,  une  période 


—  135  — 

d'incubation  de  quatorze  jours.  Chez  trois  de  ces 
chiens,  on  commença  les  inoculations  préventives 
vingt-quatre  heures  après  la  trépanation  :  deux  autres 
servirent  de  témoins.  Ceux-ci  tombèrent  malades  le 
douzième  et  le  treizième  jour  après  la  trépanation  : 
l'un  succomba  à  la  rage  au  bout  de  trente-six  heures  ; 
l'autre  fut  tué  quarante-huit  heures  après  le  début 
de  la  période  maniaque,  à  cause  de  sa  tendance 
excessive  à  mordre.  Quant  aux  trois  chiens  inoculés 
préventivement,  le  premier  tomba  malade  le  treiziè- 
me jour  et  succomba  trente-six  heures  plus  tard.  Le 
second  présenta  les  premiers  symptômes  morbides  le 
quinzième  jour  et  succomba  à  la  rage  le  dix-huitième 
jour.  Le  troisième  était  encore  bien  portant  vingt- 
trois  jours  après  la  trépanation. 

M.  von  Frisch  a  inoculé  le  même  jour  six  lapins  en 
leur  pratiquant  une  INJECTION  sous-cutanee  avec  de 
la  moelle  cervicale  provenant  d'un  chien  atteint  de 
«  rage  de  rue  ».  Trois  de  ces  animaux  furent  soumis 
au  traitement  préventif;  la  première  inoculation  fut 
faite  24  heures  après  l'injection .  Les  trois  autres  ani- 
maux ne  furent  pas  inoculés,  ils  servirent  de  témoins. 
Tous  ces  lapins,  aussi  bien  ceux  qui  avaient  été  ino- 
culés que  ceux  qui  servaient  de  témoins,  étaient  en- 
core en  bonne  santé  quatre  semaines  après  l'injection. 

Il  résulte  de  ces  expériences  —  dit  M.  von  Frisch 
—  quonne  peat  ni  cht^  las  lapins,  ni  che^  les  chiens, 
entraver  l'apparition  de  la  ra^e  par  les  inoculations 
préventives  de  M.  Pasteur,  lorsque  le  virus  (d'une  pé- 
riode d'incubation  de  14  jours  au  minimum)  est  trans- 
mis aux  animaux  par  la  voie  sûre  de  la  trépanation. 


13G  — 


BEFLEXIONS    SUR  CES   EXPERIEN'CES. 

Les  très  remarquables  expériences  du  profes- 
seur von  Frisch,  de  Vienne,  sur  la  prétendue  pro- 
phylaxie pastorienne  de  la  rage,  semblent  avoir 
eu  pour  but  «  la  recherche  de  l'absolu  »,  ce  qui 
n'est  pas  pour  déplaire  à  M.  Pasteur,  grand 
amateur  de  précision,  comme  on  sait. 

Pour  déterminer  la  valeur  de  la  prétendue  pro- 
phylaxie pastorienne,  il  fallait,  en  effet,  possé- 
der la  «  rage  absolue  i,  et  lui  opposer  les  inocu- 
lations pastorienhes. 

Comme  contre-épreuve,  il  importait  de  se  pla- 
cer dans  les  conditions  de  rage  contingente  et 
éventuelle,  et  opposer  à  celle  ci  les  mêmes  inocu- 
lations. 

Von  Frisch  a  donc  fait  deux  séries  d'expérien- 
ces qui,  toutes  deux,  ont  réduit  à  néant  les  pré- 
tentions de  M.  Pasteur, 

La  première  série  d'expériences  consiste,  rap- 
pelons-le, à  donner  la  rage  d'une  façon  inévita- 
ble. Par  sa  seconde  série  d'expériences,  le  savant 
professeur  de  Vienne  place  ses  animaux  dans  les 
conditions  où  se  contracte  habituellement  la  rage. 

C'est-à-dire  que,  dans  sa  première  série  d'ex- 
périences, von  Frisch  inocule  directement  la  ma- 
tière rabifique  au  sein  même  de  la  moelle.  Dans 


—  137  — 

la  seconde  série  d'expériences,  c'est  sous  la  peau 
qu'il  introduit  cette  matière  rabique. 

Ce  qu'il  voulait  donc,  c'était  d'obtenir  la  rage 
d'une  façon  certaine  et  absolue  —  et  de  l'obtenir 
à  jour  fixe  —  de  façon  à  déterminer  si  les  ino- 
culations pastoriennes,  dites  préventives,  retar- 
daient l'apparition  de  la  rage  soit  de  quelques 
jours,  soit  indéfiniment  (ce  qui  équivaudrait  à  la 
préservation). 

En  conséquence,  il  inocula  par  trépanation  de 
la  substance  nerveuse  d'un  chien  enragé  dans  le 
bulbe  d'un  certain  nombre  de  lapins  et,  à  la  troi- 
sième génération  (1),  il  obtint  une  rage,  dont  la 
durée  d'incubation  était  de  seize  jours. 

Cette  rage  absolue  dans  sa  production  et  fixe 
dans  son  incubation,  étant  obtenue,  il  l'inocula 
par  trépanation  à  10  lapins.  Puis  voici  ce  qu'il 
fit  et  voici  ce  qui  advint. 

Un  seul  des  lapins  ne  fut  pas  inoculé  par  le 
bouillon  moelleux,  dit  piéservateur,  et  suivant 
la  méthode  pastorienne.  Il  devait  servir  de  té- 
moin. Eh  bien,  ce  lapin  mourut  de  la  rage,  le 
vingt  et  unième  jour  après  la  trépanation. 

(1)  On  entend  par  généralion  l'inocula  lion  qui  est 
successivement  répétée  d'un  animal  à  l'autre.  Exemple;  : 
Le  lapin  n"  1  est  inoculé,  puis  succombe,  sa  moelle 
sert  à  l'inoculation  du  n"  2  qui  succombe,  et  ainsi  de 
suite. 


—  138  — 

Quant  aux  15  autres  lapins,  ils  furent  inoculés 
par  le  bouillon  dit  préservateur,  et  inoculés  de 
jour  en  jour.  Tous  moururent  de  la.  rage  et 
tous  moururent  dans  le  même  tem,ps  que  le  lapin 
non  inoculé. 

De  sorte  que  l'inoculation  pastorienne  dite  pré- 
servatrice, non  seulement  ne  préserva  de  la  rage 
AUCUN  des  animaux,  mais  même  ne  retarda 
chez  AUCUN  l'apparition  de  celle-ci.  En  somme, 
il  se  passa  sur  les  lapins  du  professeur  von  Frisch, 
ce  qui  se  passe  tous  les  jours  sur  les  inoculés  de 
M.  Pasteur  à  l'Ecole  normale. 

On  ne  pouvait  pas  plus  complètement  échouer  ; 
on  ne  pouvait  pas  plus  complètement  démontrer 
que  la  méthode  pastorienne,  dite  préservatrice 
de  la  rage,  n'en  préserve  absolument  pas. 

C'est  là  une  première  démonstration  de  von 
Frisch  contre  Pasteur. 

Voici  la  seconde  : 

Ce  n'est  pas  par  trépanation,  c'est  par  morsure 
qu'on  contracte  habituellement  la  rage,  c'est-à- 
dire  par  inoculations  sous-cutanées.  En  consé- 
quence, von  Frisch,  pour  se  rapprocher  des  con- 
ditions habituelles  de  transmission  de  la  rage, 
injecta  sous  la  peau  de  six  lapins  une  dissolution 
de  la  moelle  cervicale  d'un  chien  enragé  :  trois 
de  ces  lapms  furent  inoculés  avec  les  bouillons 


—  139  — 

pastoriens  et  trois  ne  le  furent  pas.  Or^  ceux-ci 
ne  devinrent  pas  plus  enragés  que  ceux-là. 

Cette  expérience  est  donc  absolument  l'inverse 
de  la  première,  dans  laquelle  tous  les  anhiiaux 
meurent  ;  tandis  qu'ici  aucun  ne  devient  malade. 

Ce  qui  démontre  :  1°  Que  ce  ne  sont  pas  les 
inoculations  pastoriennes  qui  préservent  ;  2"  Que 
l'on  ne  devient  pas  nécessairement  enragé  pour 
avoir  été  mordu  (ou  inoculé  sous  la  peau). 

Ce  qui  démontre,  comme  corollaire,  que  la 
plus  grande  partie  des  mordus  de  M.  Pasteur  ne 
devaient  pas  devenir  enragés,  et  que  ses  fameu- 
ses statistiques  ne  prouvent  pas  ce  qu'il  prétend 
qu'elles  prouvent. 

Mais,  il  est  très  possible  que  quelques-uns  des 
lapins  de  la  deuxième  série  des  expériences  de 
von  Frisch  (inoculés  pastoriennement  ou  non,  ce 
qui  revient  au  même,  l'inoculation  préventive  ne 
servant  à  rien),  il  est  très  possible  que  quelques- 
uns  de  ces  lapins  deviennentenragés  d'ici  à  quel- 
que temps,  la  période  d'incubation  étant  indé- 
terminée pour  les  inoculations  ou  les  morsures 
sous-cutanées. 

On  retombe  alors  dans  le  cas  des  inoculés  de 
M.  Pasteur  qui  n'en  sont  pas  moins  morts  enra- 
gés quelques  semaines  après  les  inoculations  pré- 
ventives et  même  sept  mois  après  celles-ci  (Ma- 
thieu Videau). 


—  140  - 

En  résumé,  quand  les  conditions  de  transmis- 
sion de  la  rage  sont  absolues,  les  inoculations 
pastoriennes  ne  préservent  absolument  pas. 
Quand  les  conditions  de  transmission  de  la  rage 
sont  éventuelles,  les  inoculations  pastoriennes 
ne  préservent  pas  davantage,  puisque,  dans  les 
dites  conditions,  la  rage  peut  ne  pas  apparaître. 

Quod  erat  demonstrandum. 

REPONSE  DE  M.    PASTEUR  AU  PROFESSEUR 
VON    FRISCH 

Les  expériences  de  von  Frisch  étaient  con- 
cluantes et  M.  Pasteur  ne  pouvait  rester  sous  le 
coup  d'une  aussi  accablante  déception.  Aussi, 
répondit-il,  au  professeur  viennois  dans  la  com- 
munication qu'il  fit  à  l'Académie  des  Scien- 
ces le  2  octobre.  La  réfutation  du  maître  est 
vraiment  surprenante.  Elle  est  contenue  dans 
ces  lignes  étranges  que  nous  reproduisons  tex- 
tuellement : 

«  11  me  reste  à  faire  connaître  à  l'Académie  les  ré- 
sultats de  nouvelles  expériences  sur  les  chiens. 

On  pouvait  objecter  à  la  pratique  habituelle  des 
vaccinations  de  l'homme  après  morsure,  fondée  sur 
la  vaccination  des  chiens  avant  morsure,  que  l'im- 
munité des  animaux  n'avait  pas  été  suffisamment 
démontrée  après  leur  infection  certaine  par  le  virus 


_  141  — 

raJDique.  Pour  répondre  à  cette  objection,  il  suffit  de 
produire  l'état  réfractaire  des  chiens  après  trépana- 
tion et  inoculation  intra-crânienne  du  virus  de  la 
rage  des  rues.  La  trépanation  est  le  mode  d'infec- 
tion le  plus  certain  et  ses  effets  sont  constants. 

Mes  premières  expériences  sur  ce  point  remon- 
tent au  mois  d'août  1885.  Le  succès  avait  été  ¥A.Kimi.. 
Dans  le  cours  de  ces  derniers  mois,  j'ai  repris  ces  ex- 
périences aussitôt  cfue  le  service  de  la  rage  m'en  a 
laissé  le  loisir.  Voici  les  conditions  de  leur  réussite  : 
la  vaccination  doit  commencer  peu  de  temps  après 
l'inoculation,  dès  le  lendemain,  et  l'on  doit  y  procé- 
der rapidement,  donner  la  série  des  moelles  préser- 
vatrices en  vingt-quatre  heures  et  même  dans  un 
délai  moindre,  puis  répéter,  de  deux  en  deux  heures, 
le  traitement  une  ou  deux  fois. 

Si  le  docteur  de  Frisch  (de  Vienne)  a  échoué  dans 
des  expériences  de  ce  genre,  cet  échec  est  dû  à  la 
méthode  de  vaccination  lente  qu'il  a  adoptée.  Pour 
réussir,  il  faut,  je  le  répète,  procéder  rapidement, 
vacciner  les  animaux  en  peu  d'heures,  puis  les  re- 
vacciner. On  pourrait  formuler  ainsi  les  conditions 
de  réussite  ou  d'échec  de  ces  expériences  :  le  succès 
de  la  vaccination  des  animaux,  après  leur  infection 
par  trépanation,  dépend  de  la  rapidité  et  de  l'inten- 
sité delà  vaccination. 

L'immunité  conférée  dans  de  telles  conditions  est 
la  meilleure  preuve  de  l'excellence  de  la  méthode.  » 


—  H2  — 


COMMENTAIRES  SUR  LA.  REPONSE  PASTEUR. 

Dans  cette  partie  de  la  communication  de  M. 
Pasteur,  l'invraisemblable  le  dispute  à  l'irra- 
tionnel, et  l'incohérence  du  langage  s'ajoute  à 
l'incohérence  des  doctrines. 

La  vaccination  (1),  dit  M.  Pasteur,  «  doit  com- 
mencer peu  de  temps  après  l'inoculation,  dès  le 
LENDEMAIN.  »  —  «  Pcu  dc  tcmps  »,  c'cst-à-diro 
afin  que  le  virus  rabique  «  naturel  »  inoculé  au 
bulbe  du  chien  n'y  ait  pas  produit  de  trop  grands 
ravages.  Pourquoi  dès  lors  attendre  vingt-quatre 
heures  ? 

«  Et  l'on  doit  y  procéder  (à  Ira  vaccination)  ra- 
pidement, donner  (sous  la  peau  et  par  injections), 
la  série  des  moelles  préservatrices  en  vingt-qua- 
tre heures  et  «.  même  dans  un  délai (2)  moindre». 
Qu'est-ce  que  cela  veut  dire  ?  L'espace  de  temps 
doit-il  être  de  vingt,  dix  ou  cinq  heures  ?  M. 
Pasteur  nous  le  laisse  ignorer.  Il  ne  nous  dit  pas 
si  le  «  délai  »  de  vingt-quatre  heures  peut  faire 

(1)  On  sait  que,  par  un  abus  de  langage  volontaire, 
M.  Pasteur  appelle  «  vaccination  »  son  inoculation  dti 
moelles  diluées. 

(2)  «  Délai  »  est  mis  ici  pour  «  espace  de  temps  »  ; 
c'est  là  une  de  ces  impropriétés  de  langage  dont  M. 
Pasteur  (de  l'Académie  française)  est  si  coutuiuier. 


—  143  — 

échouer  la  vaccination  ;  ni  dans  combien  de  cas 
elle  a  échoué  alors.  —  Et,  si  la  vaccination  a 
échoué  dans  ce  «délai  »,  pourquoi  conseille- 
t-il  vingt- quatre  heures  ?  Si  elle  n'a  pas  échoué, 
pourquoi  conseille-t:il  un  «  délai  »  moindre  ? 
«  Puis  »  répéter,  de  deux  en  deux  heures, 

le  TRAITEMENT  a  UUC  »  OU  «  dCUX  »  folS.  »  Cc  paS- 

sage  est  absolument  et  volontairement  incom- 
préhensible. Voyons  :  que  veut  dire  «  traite- 
ment ?  »  Est-ce  la  vaccination  ?  Mais  il  conseille 
plus  haut  de  la  pratiquer  en  vingt-quatre  heures. 
Comment  peut-on  la  pratiquer  en  vingt-quatre 
heures,  puis  la  répéter  de  deux  en  deux  heures  ! 
—  Et  comment  peut-on,  après  l'avoir  pratiquée 
«  en  vingt-quatre  heures  »,  de  deux  ex  deux 
HEURES,  répéter  la  chose  UNE  OU  DEUX  FOIS  ! 

Ici  l'équivoque  est  évidente  ;  et  l'échappa- 
toire ne  l'est  pas  moins.  En  effet,  si  vous  prati- 
quez la  vaccination  en  vingt-quatre  heures  et 
que  vous  échouiez,  M.  Pasteur  vous  objectera 
que  vous  l'auriez  dû  faire  dans  un  «  délai  » 
moindre.  Si  vous  l'avez  fait  dans  un  moindre 
espace  de  temps,  et  que  vous  échouiez,  M.  Pas- 
teur vous  dira  que  vous  n'avez  pas  répété 
(chose  impossible)  le  traitement  (chose  incom- 
préhensible) de  deux  en  deux  heures.  Et  si 
(chose  irréalisable)  vous  aviez  répété  le  traite- 
ment (??)  de  deux  heures  en  deux  heures  et  que 


—  144  - 

vous  échouiez,  M.  Pasteur  vous  objecterait  que 
vous  ne  l'avez  pas  répété  a  une  »  ou  «  deux 
fois  ». 

De  sorte  que  ce  passage,  volontairement  in- 
compréhensible, ne  contient  pas  moins  de  trois 
échappatoires.  Et  nous  demandons  sincèrement 
pardon  à  nos  lecteurs  d'avoir  à  les  faire  ressor- 
tir. Il  est  pénible,  en  effet,  d'avoir  à  démontrer  à 
quels  subterfuges  s'est  abaissé  ce  pauvre  chimis- 
te fourvoyé  dans  la  médecine. 

Voilà  pour  le  modus  faciendi  de  la  nouvelle 
méthode.  Voici  maintenant  pour  son  modus 
agendi. 

M.  Pasteur  inocule  par  trépanation  la  matière 
nerveuse  de  la  «  rage  des  rues  »  :  puis,  quelques 
heures  après,  il  inocule  sous  la  peau  la  matière 
nerveuse  de  la  «  rage  de  laboratoire  »  ;  puis,  de 
deux  en  deux  heures,  il  sature  et  sursature  de  sa 
rage  de  laboratoire  l'animal  trépané  qui  se 
trouve  avoir  ainsi  deux  rages  :  une  dans  son 
bulbe  qui  se  diffuse  dans  son  système  nerveux  ; 
l'autre  sous  sa  peau  qui  se  diffuse  dans  son 
appareil  circulatoire  (lymphatique  et  sanguin). 
La  rage  de  laboratoire  va  ainsi  au  devant  de  la 
rage  des  rues  et  l'étouffé  sous  sa  masse  ;  car 
elle  est  en  plus  grande  abondance  et  arrive  par 
bataillons  pressés,  de  deux  en  deux  heures. 
C'est  affaire  de  quantité  et  non  plus  de  qualité. 


—  145  — 
Et,  chose  étrange  !  cette  rage  de  laboratoire, 
si  puissante  à  l'égard  de  la  rage  des  rues,  est 
impuissante  à  l'égard  de  l'organisme  qu'elle 
inonde  ;  car  elle  n'y  produit  rien  d'appréciable, 
pas  plus  au  point  de  vue  local  qu'au  point  de 
vue  général.  Tout  s'accomplit  dans  le  plus  pro- 
fond mystère. 

Et  ces  choses  mystérieuses,  combien  de  fois 
et  dans  quelles  conditions  M.  Pasteur  les  a-t-il 
observées  ?  Comment  sait-il  que  les  chiens  sur 
lesquels  il  a  opéré  ne  deviendront  pas  enragés, 
malgré  ses  inoculations  dites  préventives?  M. 
Pasteur  ne  le  dit  pas. 

Or,  nous  pouvons,  d'après  son  texte  même, 
affirmer  que  ses  expériences  sont  récentes,  puis- 
qu'il les  a  faites  dans  le  cours  de  ces  derniers 
mois.  Mais,  dans  le  cours  de  ces  derniers  mois, 
il  n'a  pu  tenter  qu'un  nombre  restreint  d'expé- 
riences ;  et,  puisque  ces  expériences  sont  récen- 
tes, il  ne  sait  évidemment  pas  ce  que  devien- 
dront ses  chiens  dits  «  préservés  ». 

Les  expériences  mystérieuses  dont  parle  M. 
Pasteur  ont  été  évidemment  tentées  pour  réfu- 
ter celles  de  von  Frisch,  de  Vienne,  auquel  il 
reproche  la  «  méthode  de  vaccination  »  lente 
qu'il  a  adoptée.  Mais  M.  von  Frisch  n'a  rien 
adopté,  il  n'a  fait  que  suivre,  en  disciple  docile 
et  enthousiaste,  la  méthode  qu'il  avait  vu  prati- 


—  146  ^ 

quer  à  l'Ecole  normale.  Il  est  bien  évident  qu'ici 
M.  Pasteur  tente  d'accuser  M.  von  Frisch  d'avoir 
suivi  une  méthode  mauvaise  alors  que  cette  mé- 
thode était  précisément  celle  de  l'Ecole  normale. 
On  a  rarement  vu  pousser  l'absence  de  probité 
scientifique  à  un  tel  degré  pour  soutenir  une 
cause  en  détresse. 

a  J'ai  repris  les  expériences  de  von  Frisch 
dans  le  cours  de  ces  derniers  mois  »,dit  M.  Pas- 
teur. Mais  de  quels  mois  s'agit-il  ?  Cela  ne  peut 
être  évidemment  que  depuis  la  publication  des 
travaux  du  savant  allemand  qui  a  eu  lieu  en  sep- 
tembre 1886.  Or  comme  la  note  aux  Académies 
est  du  2  novembre,  les  expériences  Pasteur 
n'ont  pu  être  faites  qu'en  octobre,  époque  à  la- 
quelle le  grand  chimiste  a  modifié  son  modus 
faciendi.  Mais  tous  les  physiologistes  au  cou- 
rant de  la  méthode  savent  que  ces  expériences 
demandent  plusieurs  mois  pour  être  exécutées 
et  surtout  pour  être  concluantes.  Il  ressort  du 
simple  exposé  de  ces  dates  que  M.  Pasteur,  sem- 
blable à  ces  médecins  peu  scrupuleux  qui  pu- 
blient des  observations  fabriquées  de  toutes  piè- 
ces, affirme  avoir  répété  des  expériences  qu'il 
n'a  pas  eu  le  temps-  matériel  d'exécuter.  Ce 
n'est  pas  la  première  fois  que  nous  avons  l'occa- 
sion de  signaler  l'absence  de  bonne  foi  chez  le 
thaumaturge  de  l'Ecole  normale. 


—  147  — 

Mais  il  est  encore  dans  cette  communication 
de  M.  Pasteur  un  passage  où  se  trouve  un  aveu 
bien  involontaire,  et  dont  la  conséquence  inat- 
tendue est  écrasante  aussi  bien  pour  la  méthode 
dite  «  intensive  »  que  pour  la  méthode  des  ino- 
culations antirabiques  en  général. 

Ce  passage,  le  voici  :  «  Mes  premières  expé- 
riences sur  ce  point  remontent  au  mois  d'août 
1885.  » 

«  Sur  ce  point»  veut  dire  l'inoculation  sous- 
cutanée,  dite  préservatrice,  à  des  chiens  inocu- 
lés dans  leur  bulbe  après  trépanation  ;  cette 
trépanation  étant  «  le  mode  d'infection  le  plus 
certain  »  (Pasteur). 

D'où  il  appert  que  M.  Pasteur  a  pratiqué  sur 
l'homme  le  6  juillet  1885  (sur  le  petit  Meister)  ses 
inoculations  antirabiques  avant  d'avoir  acquis  la 
certitude  expérimentale  de  leur  efficacité  sur  le 
chien. 

Ce  n'est  pas  tout  :  il  avoue  encore  que  ses  ex- 
périences tardives  sur  les  chiens  ne  lui  ont  don- 
né qu'un  «  succès  partiel  ».  Un  succès  «  partiel  » 
implique  des  insuccès.  M.  Pasteur  se  garde  bien 
de  nous  dire  le  nombre  et  n'en  continue  pas 
moins  ses  audacieuses  inoculations  sur  l'hom- 
me. 

Mais  le  plus  fort  est  qu'il  n'a  essayé  sur  le 
chien  sa  méthode  dite  «  intensive  »  qu'après  l'a- 


~  148  — 

voir  appliquée  sur  l'homme.  En  effet,  il  dit  que, 
«  très  troublé  »  en  voyant  mourir  de  rage  ses 
Russes  de  Smolensk.  il  résolut  de  faire  aux  au- 
tres trois  inoculations  par  jour  au  lieu  d'une 
seule.  Et,  «  comme  il  n'avait  pas  d'accident  i>,  il 
a  continué.  Or,  les  expériences  destinées  à  lui 
démontrer  sur  les  chiens  l'efficacité  de  la  mé- 
thode dite  intensive,  M.  Pasteur  ne  les  a  faites 
que  «  dans  ces  derniers  mois  »,  et  nous  avons  vu 
ce  qu'il  fallait  entendre  par  ces  paroles.  Ainsi, 
dans  sa  témérité  d'empirique  «  troublé  i,  le  chi- 
miste de  l'Ecole  Normale  a  renversé  l'adage 
médical  et  humain  :  «  Experbnentum  facia- 
mus  in  anima  vili  !  ».  Uanima  vilis  ici  c'est 
l'homme. 

Evidemment  M.  Pasteur,  malade  sans  doute, 
ne  savait  plus  exactement  ce  qu'il  faisait:  Il  a 
agi  «  au  petit  bonheur  t>.  Mais  ce  n'est  pas  avec 
de  tels  arguments  qu'on  peut  sauver  la  vacci- 
nation antirabique  et  convaincre  l'Europe  scien- 
tifique. 


CHAPITRE  IX 

LA  MÉTHODE  PASTEUR  A  L'ACADÉMIE  DE 
MÉDECINE  DE  PARIS.  —  LE  PROFES- 
SEUR COLIN. 

L'Académie  de  médecine  avait  d'abord  accueil- 
li avec  un  certain  enthousiasme  les  étranges 
communications  de  M.  Pasteur.  Les  faits  parais- 
saient bien  étranges,  mais  personne  n'avait  pu 
les  contrôler,  il  fallait  les  admettre  ou  mettre  en 
doute  la  bonne  foi  de  l'inventeur. 

Or,  M.  Pasteur  avait  été  considéré  jusqu'à  ce 
jour  par  la  docte  assemblée  comme  le  savant 
par  excellence,  le  savant  impeccable.  L'Acadé- 
mie lui  fit  donc  bon  accueil  à  la  fin  de  l'année 
1885  lorsqu'il  fit  sa  première  communication.  A 
part  une  protestation  très  énergique  de  M.  Jules 
Guérin,  on  crut  ou  on  feignit  de  croire  â  la  mé- 
thode curative. 

Mais  les  faits  surprenants  que  nous  avons  re- 
latés dans  cette  étude,  les  réclames  charlatanes- 
ques  répandues  à  profusion  par  les  amis  du 
maître,  puis  les  nombreux  décès  survenus  fini- 

9 


—  150  — 

rentpar  ouvrir  les  yeux  à  ceux  qui  avaient  vrai- 
ment le  désir  de  connaître  la  vérité. 

Au  mois  de  mai  1886,  l'Académie  fut  plus  ré- 
servée lorsque  le  maître  vint  lui  parler  delà  rage 
du  loup  et  de  la  mort  des  Russes.  Quelques 
membres  furent  même  très  surpris  et  froissés 
de  son  attitude  hautaine  et  de  la  colère  qu'il  ma- 
nifestait en  présence  de  la  plus  légère  contradic- 
tion. 

Le  2  octobre  1886,  M.  Pasteur  n'osa  pas  se 
présenter  pour  lire  sa  communication  dans 
laquelle  il  préconisait  la  nouvelle  méthode  pro- 
gressive, préventive  et  intensive.  Il  fit  lire  la 
note  par  le  secrétaire  perpétuel.  M.  Béclard. 
Celle-ci  ne  fut  pas  écoutée  et  on  eut  beaucoup 
de  peine  à  faire  cesser  les  conversations  particu- 
lières. Cinq  ou  six  fidèles  seulement  avaient  osé 
applaudir. 

Un  homme  cependant,  froissé  sans  doute  du 
pauvre  accueil  fait  au  savant  dont  il  avait  parta- 
gé les  errements  et  imité  les  procédés  de  récla- 
me se  leva,  prononça  quelques  phrases  ronflan- 
tes et  traita  d'obscurs  blasphémateurs.^  les  mé- 
decins qui  mettaient  en  doute  l'infaillibilité  du 
Grand  Pasteur. 

Cet  homme  était  le  professeur  Vernouil  qui 
avait,  une  année  auparavant,  prononcé  un  dis- 
cours dan,s  lequel  il  se  proclamait  le  seul  chirur- 


—  151  — 

gien  honnête  et  jetait  la  calomnie   sur  ses  con- 
frères. 

M.  Verneuil  ne  recueillit  que  le  ridicule  au- 
quel il  est  clu  reste  habitué. 

Enfin,  le  9  novembre  1886,  M.  le  professeur 
Colin,  d'Alfort,  protesta,  au  nom  de  la  science 
et  du  sens  commun,  contre  les  assertions  fantai- 
sistes du  chimiste  de  l'école  normale. 

Voici  la  communication  de  M.  Colin  : 

J'aurais  depuis  longtemps  dit  ma  pensée  sur 
les  vaccinations  rabiques,  charbonneuses  et  au- 
tres, si  on  m'eût  donné  la  parole  aux  rares  séan- 
ces où  M.  Pasteur  nous  a  apporté  le  résultat 
de  ses  travaux.  L'expression  de  mes  doutes,  de 
mon  incréduhté  à  l'endroit  de  beaucoup  de  points 
de  ses  communications,  lui  aurait  fourni  l'occa- 
sion très  belle  et  certainement  très  enviable  de 

Jeter  des  torrents  de  lumière 
Sur  ses  obscurs  blasphémateurs. 

Ces  torrents  de  lumière,  je  viens  les  réclamer 
pour  moi  et  pour  ceux  qui  n'ont  pas  la  vue  aus- 
si perçante  que  les  admirateurs  du  grand  maître. 

Tout  ce  que  je  vais  dire  se  rapportera  à  la 
question  de  savoir  si  les  résultats  indiqués  dans 
la  statistique  de  M.  Pasteur  donnent  la  mesure 
de  la  valeur  des  inoculations  rabiques,  dites  pré- 


—  152  - 

ventives,  telles  qu'elles  ont  été  pratiquées  jus- 
qu'à ce  moment. 

D'abord,  il  me  paraît  impossible  d'accepter, 
sansun  sérieux  examen,  les  chiffres  effrayants 
de  la  statistique  de  M.  Pasteur.  En  un  an  et 
quelques  mois,  2,400  individus  sont  verrus  rue 
d'Ulm  faire  traiter  leurs  morsures  d'animaux  en- 
ragés. Que  ces  2,400  individus  soient  venus  là, 
après  avoir  été  mordus  par  des  chiens,  des  loups 
ou  des  chats  et  qu'ils  y  aient  été  traités,  c'est  ce 
dont  je  ne  doute  pas,  puisqu'on  les  a  comptés. 
Mais,  que  ces  2,400  individus  dont  1,700  Français 
aient  été  mordus  par  des  animaux  enragés, sûre- 
ment enragés,  c'est  ce  que,  malgré  tous  mes 
efforts,  je  ne  puis  admettre.  Aucune  statisti- 
que passée  ou  présente  ne  changera  ma  convic- 
tion, car  je  sais  avec  quels  éléments  ces  statis- 
tiques sont  dressées.  Ces  éléments,  dans  une 
foule  de  cas,  sont  recueillis  par  des  gens  incom- 
pétents ;  ils  ne  sont  pas  contrôlés,  ni  même  très 
souvent  susceptibles  de  contrôle. 

Voici,  par  exemple,  un  chien  triste  depuis 
quelques  jours,  qui,  sans  motif  apparent,  s'échap- 
pe du  logif)  de  son  maître,  se  jette  sans  provoca- 
tion sur  les  hommes  et  les  animaux  qu'il  rencon- 
tre en  son  chemin .  On  le  poursuit  et  on  le  lue.  Ce- 
lui-ci est,  à  peu  près,  certainement  enragé.  Mais 
voilà  un  autre  chien  qui,  dans  la  rue,  est  agacé 


—  153  — 

et  maltraité.  Il  lui  prend  fantaisie  de  donner  un 
coup  de  dent  à  un  passant.  On  tombe  sur  le  dé- 
linquant à  coups  redoublés.  Naturellement  il  se 
défend  d'un  air  furieux,  féroce.  Sa  physionomie 
étrange  confirme  les  spectateurs  dans  l'idée  que 
l'animal  peut  être  enragé,  et  il  est  mis  au  même 
rang  que  l'autre.  Si,  dans  la  localité  ou  au  voi- 
sinage, il  se  trouve  un  vétérinaire,  on  songe  à 
l'autopsie.  Mais  comme  il  y  en  a  30  à  40  par  dé- 
partement, 1  pour  10  ou  15  communes,  l'autop- 
sie n'est  pas  faite,  ou,  si  elle  l'est,  elle  ne  donoe 
qu'une  présomption  au  lieu  d'une  certitude. 
Pour  peu  qu'on  trouve-une  légère  rougeur  à  la 
gorge,  quelques  brins  de  foin  ou  de  paille  dans 
l'estomac  —  et  il  s'en  trouve  sur  tous  ceux  qui 
n'ont  pas  l'avantage  de  manger  à  table  —  on 
incline  à  déclarer  l'animal  enragé.  On  le  fait  en- 
core pour  uae  foule  de  raisons  :  parce  que  le 
chien  a  mordu  et  qu'il  a  paru  furieux,  parce 
qu'on  a  cru  devoir  le  tuer,  enfm,  parce  que,  dans 
le  doute,  il  est  toujours  bon  de  prendre  des  pré- 
cautions, de  cautériser  les  individus  blessés,  de 
surveiller  les  animaux  mordus,  et,  d'ailleurs, 
parce  qu'il  n'y  a  aucun  inconvénient  à  éclaircir 
la  population  canine  en  abattant  un  certain  nom- 
bre de  ses  blessés. 

Dans  les  cas  du  genre  de  ceux-là  qui  sont  les 
plus  communs,  il  n'y  a  pas  de  certitude.  L'au- 

9" 


—  154  — 

topsie  seule  faite  avec  le  plus  grand  soin  ne  peut 
la  donner,  même  en  y  ajoutant  l'examen  micros- 
copique fait  par  le  vétérinaire  le  plus  habile,  fùt- 
il  de  la    force  des  Kœllicker  ou  des  Ranvier. 
Cette  certitude  ne  peut  être  acquise  qu'au  vu  de 
l'animal  vivant,  malade  et  surtout  périssant  pa- 
ralysé quelques  jours  après  la  manifestation  des 
premiers  symptômes  rabiques.  Aussi  faut-il,  tout 
en  commençant,  déduire  du  nombre  total  des 
animaux  donnés  comme  enragés  par  les  statis- 
tiques un  nombre  considérable  mais  indétermi- 
né de  non- enragés.   Par  conséquent,  il  faut  de 
même  déduire,  dans  celle  de  M.  Pasteur,  du 
chiffre  des  personnes  mordues  un  chiffre  égale- 
ment considérable  représentant  les  mordus  pour 
le  compte  desquels  les  résultats  du  traitement 
antirabique  ne  prouvent  absolument  rien. 

D'ailleurs,  il  importe  de  remarquer  que  le  chif- 
fre total  englobant  les  deux  catégories  de  mor- 
dus est  beaucoup  mcins  élevé  dans  les  statisti- 
ques officielles  que  dans  celles  de  l'École  norma- 
le. En  voici  une  toute  récente  qui  le  prouve  de 
la  façon  la  plus  nette  et  la  plus  sûre.  Elle  éma- 
ne du  Ministère  de  l'Agriculture  et  elle  est  dres- 
sée par  application  de  la  nouvelle  loi  sur  la  poli- 
ce sanitaire.  Ce  qui  lui  donne  de  l'intérêt,  c'est 
qu'elle  est  dressée,  mois  par  mois,  pour  la  pré- 
sente année.  Les  mordus  qui  y  figurent  sontceux 


—  155  — 

que  M.  Pasteur  doit  avoir  eus  pour  clients.  Or, 
je  trouve  clans  cette  statistique  ministérielle  que 
j'ai  sous  la  main  : 

En  octobre  1885.  24  personnes  mordues 

En  novembre . , . .  18 

En  décembre. ...  15  — 

En  janvier  ISSfi. .  40  — 

En  février. .    21 

En  mars >..  40  — 

En  avril 17  — 

En  mai 25  — 

En  juin..., 21  — 

En  juillet ...  50  — 

En  août 36  — 

En  septembre.. .  44  — 

Total  pour  les  12  mois  351  personnes. 

En  moyenne 29  personnes  par  mois. 

D'après  cette  statistique,  dont  je  ne  suis  pas 
chargé  de  garantir  l'exactitude,  il  y  a  beaucoup 
plus  d'animaux  mordants  que  de  personnes 
mordues.  Pour  l'année  entière  il  a  été  abattu 
1,713  de  ces  animaux,  savoir  :  1,697  chiens  et  16 
chats,  de  sorte  qu'il  a  tallu  4  chiens  8  dixièmes 
pour  mordre  une  seule  personne.  Cette  particu- 
larité suffit  seule  à  montrer  que  de  ces  animaux 
occis,  une  fconne  partie  ne  devaient  pas  être  en- 


—  156  — 

ragés,  car  s'ils  l'eussent  été  tous,  ils  auraient 
réussi  à  marquer  de  leurs  dents  un  bien  plus 
grand  nombre  de  victimes. 

En  tout  cas,  il  y  a  loin  de  ce  nombre  351  à  ce- 
lui que  donne  la  statistique  des  individus  soumis 
aux  injections  antirabiques.  L'écart  est  de  plus 
de  1,000,  puisqu'il  faut  retrancher  des  l,72ô  Fran- 
çais les  350  qui  ont  été  traités  antérieurement  au 
mois  d'octobre  1885. 

Qu'on  tienne  ou  qu'on  ne  tienne  pas  compte 
de  cet  écart  entre  les  deux  statistiques,  il  est 
une  première  défalcation  à  faire  dans  le  nombre 
des  individus  traités.  Il  faut,  au  point  de  vue  de 
la  valeur  du  traitement,  retrancher  de  ce  nom- 
bre celui  des  individus  mordus  par  des  chiens 
non  enragés,  chiens  qu'on  a  crus  rabiques  ou 
déclarés  tels  d'après  de  vagues  indices  ou  des 
constatations  insuffisantes. 

Une  deuxième  défalcation  est  non  moins  né- 
cessaire que  la  précédente.  Chacun  sait  que  tous 
les  individus,  hommes  ou  animaux,  mordus  par 
des  chiens  enragés  ne  contractent  pas  la  rage, 
quoiqu'ils  ne  soient  soumis  à  aucune  espèce  de 
traitement.  C'est  là  un  fait  d'observation  con- 
firmé par  un  grand  nombre  d'expériences  sou- 
vent répétées  dans  les  Ecoles  vétérinaires.  Tous 
ces  individus  ne  la  contractent  pas,  ne  peuvent 
pas  la  contracter,  pour   une  foule  de  raisons. 


—  157  — 

Souvent,  la  dent  est  sèche  et  ne  porte  rien  dans 
la  plaie  ;  lorsqu'elle  est  humide,  elle  s'essuie  en 
traversant  les  vêtements  ou  en  passant  entre  les 
poils.  Lorsqu'elle  porte  la  salive  dans  la  plaie, 
ce  peut  être  en  quantité  insuffisante,  ou  bien 
cette  salive  est  entraînée  par  l'hémorrhagie,  ou 
encore,  bien  qu'elle  reste,  ne  s'absorbe  pas,  soit 
parce  qu'elle  se  mêle  à  l'exsudat,  se  dessèche  avec 
lui  et  se  comporte  comme  un  corps  étranger;  en- 
fin, c'est  que,  dans  certains  des  cas  où  elle  est 
absorbée,  elle  peut  encore  être  neutralisée  ou 
détruite  sous  des  influences  inconnues. 

Quoiqu'on  ne  puisse  pas  établir  exactement 
la  proportion  des  sujets  qui  doivent,  pour  ces 
diverses  causes,  éviter  la  contagion  rabique,  — 
car  cette  proportion  est  variable  suivant  les  con- 
ditions où  se  trouve  l'animal  qui  mord,  —  on 
est  fondé  à  affirmer  qu'elle  est  assez  forte.  Les 
expériences  de  M.  Renault  ont  fait  voir  que  sur 
dix  chiens  couverts  de  morsures  dans  des  com- 
bats acharnés  avec  des  rabiques  de  leur  espèce, 
la  moitié  échappe  quelquefois  aux  suites  de  ces 
morsures.  Comme  l'homme  paraît  avoir  moins 
d'aptitude  que  le  chien  à  contracter  la  rage,  il 
doit  vraisemblablement  se  montrer  réfractaire 
dans  une  proportion  encore  plus  forte  que  le  car- 
nassier. 

Aux  deux  défalcations  précédentes  qui  rédui- 


—  158  — 

seïit  déjà  de  beaucoup  le  nombre  des  individus 
à  traiter,  il  faut  en  ajouter  une  troisième  et  fort 
importante,  celle  des  sujets  cautérisés,  j'entends 
assez  bien  cautérisés  pour  éviter  les  suites  des 
inorsures . 

l'importance  de  la  cautérisation. 

La  cautérisation  qui  est  appliquée  aujourd'hui 
à  la  presque  totalité  des  sujets  mordus,  n'est  pas 
appréciée  à  sa  juste  valeur,  parce  qu'on  s'imagi- 
ne que  les  inoculations  rabiques  la  réclament, 
sous  peine  d'inefficacité,  dans  des  délais  très 
courts.  C'est  là  une  grande  erreur.  La  salive, 
surtout  quand  elle  est  épaisse  et  filante  ou  sous 
forme  de  bave,  est  un  liquide  peu  diffusible,  peu 
miscible  à  l'eau,  à  la  sérosité  et  au  sang,  peu 
apte  à  pénétrer  les  tissus  et  à  former  des  courants 
osmotiques.  Elle  demeure  longtemps  dans  les 
solutions  de  continuité  avant  d'imbiber  les  tissus 
et  d'entrer  dans  les  absorbants.  Elle  est  encore 
au  lieu  du  dépôt  au  moment  où  une  foule  d'au- 
tres liquides  auraient  complètement  disparu. 
Aussi  la  cautérisation,  si  elle  est  suffisamment 
étendue  et  profonde,  peut-elle  être  efficace,  mê- 
me longtemps  après  la  morsure.  Il  est  à  peu  près 
certain  qu'elle  préviendrait  la  rage  sur  tous  les 
sujets,  si  elle  était  appliquée  exactement,   dans 


—  159  — 

de  courts  délais  et  que,  par  conséquent,  elle  pour- 
rait rendre  les  autres  traitements  superflus. 

A  cette  cautérisation,  mieux  pratiquée  aujour- 
d^ui  qu'autrefois  et  sur  la  presque  totalité  des 
sujets  mordus,  il  faut,  en  bonne  logique,  pour 
être  juste,  rapporter  une  grande  partie  des  cas 
de  préservation  mis  à  l'actif  de  la  vaccination 
rabique. 

Si,  maintenant,  nous  additionnons  les  sujets 
des  trois  groupes  à  déduire  de  la  somme  totale 
des  sujets  traités,  savoir  :  1^  les  mordus  par  ani- 
maux non  enragés  ;  2^  ceux  sur  lesquels  les  mor- 
sures ne  devaient  pas  avoir  de  suites  fâcheuses  ; 
3^  ceux  qu'une  cautérisation  efficace  a  préser- 
vés, il  nous  reste  les  sujets  pour  lesquels  la  vac- 
cination ou  un  autre  traitement  pouvait  être 
utile.  Quoique  nous  n'ayons  pu  arriver  à  la  dé- 
termination du  nombre  des  sujets  de  chacun 
des  trois  premiers  groupes,  celui  que  nous  cher- 
chons est  tout  trouvé  :  c'est  le  nombre  des  mor- 
dus qui  mouraient  annuellement  avant  l'emploi 
du  traitement  de  M.  Pasteur.  Ce  nombre,  d'a- 
près les  statistiques  les  plus  sérieuses,  est  une 
trentaine  par  an.  Il  ne  devrait  être  augmenté 
que  si  celui  des  animaux  enragés  s'était  accru, 
et  il  devrait  être  réduit  si,  ce  qui  est  très  proba- 
ble, le  traitement  par  la  cautérisation  était  mieux 


—  160  — 

appliqué  et  dans  une  plus  forte  proportion  qu'au- 
trefois. 

En  admettant  que  le  nombre  des  condamnés 
à  mort  à  la  suite  des  morsures  rabiques  soit  en 
moyenne  de  trente,  nous  arrivons  à  porter  à  cfTx- 
huitou  à  vingt  celui  des  sujets  que  la  vaccina- 
tion a  graciés. 

RÉSULTATS   REELS     DU     TRAITEMENT. 

Les  résultats  du  traitement  employé  par  M. 
Pasteur  ne  sont  donc  pas  ce  qu'ils  paraissent  être 
à  première  vue.  S'ils  semblent  en  démontrer 
l'efficacité  dans  un  certain  nombre  de  cas,  ils 
prouvent  aussi  que  ce  traitement  échoue  fort 
souvent.  M.  Pasteur  signale  dix  ou  douze  échecs 
parmi  les  sujets  français  :  on  en  acompte  trente- 
quatre  à  l'étranger.  La  méthode  des  inoculations 
rabiques  telle  qu'elle  a  été  appliquée  jusqu'ici 
n'a  donc  pas  la  sûreté,  lïnfaîllibilité  qu'on  vou. 
lait  lui  attribuer  dès  le  début. 

On  aurait  pu  cependant,  dès  les  premiers  mo- 
ments, se  fixer  exactement  sur  sa  valeur  par  l'ex- 
périmentation sur  les  animaux.  Il  fallait,  par 
exemple,  faire  mordre  cent,  deux  cents  chiens 
par  un  enragé  ou  par  plusieurs,  diviser  les  mor- 
dus en  trois  lots  :  un  d'animaux  abandonnés, 
un  de  cautérisés  et  un  de  vaccinés.  On  aurait  vu, 
en   quelques  mois,  dans  quelle  proportion  les 


-    161  — 

animaux  non  traités  contractaient  la  rage,  dans 
quelle  autre  les  cautérisés  et  les  vaccinés  échap- 
paient à  la  maladie.  Dans  des  séries  parallèles 
on  aurait  déterminé  la  valeur  relative  des  cau- 
térisations et  des  vaccinations  tardives  ou  à  bref 
délai,  celle  des  vaccinations  simples  ou  réitérées 
avec  virus  faibles  ou  énergiques. 

Si  j'avais  eu  l'honneur  de  faire  partie  de  la 
commission  chargée  de  suivre  des  expériences 
à  ce  sujet,  j'aurais  demandé  celles-là.  La  com- 
mission désignée  semble  avoir  été  moins  exi- 
geante que  moi.  On  ne  sait  pas  au  juste  ce  qu'el 
le  a  demandé  ni  ce  qu'elle  a  vérifié,  et  personne, 
je  crois,  ne  se  souvient  des  résultats  de  son  con- 
trôle. 

LES   INOCULATIONS    CHARBONNEUSES. 

Pour  moi,  je  n'ai  jamais  cru  à  rinfailUbllité 
du  traitement  antirabique,  et  ce  qui  m'a  empê- 
ché d'y  croire,  avant  tout  essai,  ce  sont  les  ré- 
sultats des  inoculations  ou  des  vaccinations  pré- 
ventives en  ce  qui  concerne  les  maladies  char* 
bonneuses.  J'avais  vu,  avant  les  vaccinations 
préventives  du  charbon  par  les  virus  atténués, 
que  les  inoculations  de  petites  quantités  de  sang 
charbonneux   plusieurs  fois  répétées   dévelop- 

10 


—  162  — 

pent  l'immunité  sur  le  chien,  sur  l'àne,  sur  le 
cheval,  au  point  qu'à  un  certain  moment  il  me 
devenait  impossible  de  tuer,  même  de  rendre 
malade  les  animaux  avec  des  doses  virulentes 
énormes  ;  mais  j'avais  vu,  en  même  temps,  que 
cette  immunité  n'est  pas  acquise  partons  les  in- 
dividus, qu'elle  est  d'une  durée  limitée,  qu'elle 
s'éteint  tantôt  insensiblement,  tantôt  tout  d'un 
coup,  et  qu'enfm  les  inoculations  tentées  dans 
le  but  de  l'obtenir  sont  fréquemment  dangereu- 
ses et  reproduisent  la  maladie  sous  une  forme 
mortelle.  Les  preuves  de  la  priorité  de  mes  ob- 
servations sont  écrites  et  datées. 

M.  Pasteur,  sur  tous  ces  points,  s'est  prononcé 
dès  le  début  d'une  m.anière  absolue.  Il  a  déclaré 
que  ses  virus  atténués  conféraient  l'immunité 
à  coup  sur,  dans  tous  les  cas,  et  qu'ils  n'expo- 
saient à  aucun  danger.  Mais  les  faits  n'ont  pas 
tardé  à  contredire  ses  assertions.  Il  a  fallu  vacci- 
ner deux  ou  trois  fois  pour  donner  l'immunité, 
une  immunité  temporaire,  de  très  courte  durée. 
On  a  tué  un  grand  nombre  d'animaux  avec  des 
virus  donnés  comme  inoffensifs.  Les  insuccès 
ont  d'abord  été  niés  et  cachés,  puis  ils  sont  de- 
venus si  nombreux  qu'il  a  été  impossible  de  les 
dissimuler. 


—  163  — 

DANGER   DES   VACCINATIONS    RABIQ.UES, 

Relativement  à  la  rage,  la  vaccination  ne 
paraît  pas  exposer  aux  dangers  qu'entraîne 
souvent  celle  du  charbon.  Je  les  craignais  au- 
trefois et  je  lôs  crains  encore  aujourd'hui  depuis 
que  j'entends  parler  de  ces  vaccinations  inten- 
sives, coup  sur  coup,  avec  les  moelles  rabiques 
du  troisième,  du  deuxième  et  du  premier  jour. 
Si  elles  sont  réellement  actives ,  on  ne  voit 
pas  pourquoi  elles  ne  pourraient  faire  quel- 
quefois renaître  la  rage,  comme  les  vaccins 
charbonneux  font  renaître  le  charbon,  notam- 
ment sur  les  animaux  qui  ont  une  grande  apti- 
tude à  le  contracter. 

D'autres  pourraient  penser  et  vous  dire,  non 
sans  vraisemblance,  que  de  tels  accidents  sont 
déjà  arrivés  à  l'insu  des  vaccinateurs  et  de  tout 
le  monde.  En  effet,  si,  parmi  les  10,  12  ou  34  su- 
jets morts  jusqu'ici  de  la  rage,  malgré  le  traite- 
ment, il  s'en  trouvait  dont  les  morsures  n'étaient 
pas  rabiques  ou  sur  lesquels  la  cautérisation 
avait  complètement  détruit  la  matière  virulen- 
te, ne  serait-il  pas  certain,  absolument  certain 
que  la  rage  leur  aurait  été  communiquée  par 
les  injections  préventives  ? 


—  164    - 

Nous  faisons  tous  des  vœux  et  des  vœux  bien 
sincères,  dans  l'intérêt  de  l'humanité,  pour  le 
succès  de  vos  tentatives,  mais  permettez-nous 
de  peser  et  de  discuter  leurs  résultats. 


CHAPITRE     X. 
LA  RAGE  DANS  LES  HOPITAUX  DE  PARIS 

M.  Pasteur  a  dit  que  dans  les  cinq  dernières 
années,  il  était  mort  de  la  rage  soixante  personnes 
dans  les  hôpitaux  de  Paris,  et  qu'ainsi  la  moyenne 
de  la  mortalité,  par  an,  dans  ces  hôpitaux,  avait 
été  de  douze. 

C'était  invraisemblable,  mais  Tinvraisemblable 
pouvait  être  vrai. 

Pour  s'en  assurer,  il  fallait  remonter  aux  sour- 
ces, c'est-à-dire,  aux  registres  de  l'Assistance  pu- 
blique de  Paris.  Eh  bien,  l'invraisemblable  n'est 
pas  vrai. 

]1  n'est  pas  exact  que,  durant  ces  cinq  derniè- 
res années,  la  mortalité  par  la  rage  ait  été  de  60 
dans  les  hôpitaux  de  Paris  ;  elle  y  a  été  de  26, 
c'est-à-dire,  pas  même  la  moitié  de  celle  que 
M.  Pasteur  est  venu  annoncer  sommairement  et 
sans  preuve. 

Il  n'est  pas  exact  que  la  moyenne  par  an,  dans 
ces  cinq  dernières  années,  ait  été  de  12  ;  elle  n'a 


~  166  — 

été  que  de  5.2,  moitié  moindre  que  celle  donnée 
par  M.  Pasteur. 

On  comprend  d'ailleurs  de  quelle  importance 
c'eût  été  pour  la  méthode  préventive  de  M.  Pas- 
teur que  la  mortalité  par  la  rage  fût  aussi  consi- 
dérable chaque  année  dans  les  hôpitaux  de  Paris. 
Aussi  toute  son  argumentation  repose-t-elle 
sur  cette  donnée.  Or  comme  ses  assertions  sont 
inexactes,  les  déductions  qu'il  en  a  tirées  s'éva- 
nouissent. Nous  allons  donner  tout  à  l'heure  les 
chiffres  authentiques  et  officiels  ;  mais,  avant  de 
le  faire,  nous  citerons  le  texte  même  de  M.  Pas- 
teur : 

NOTE   COMMUNIQUÉE    A   l'ACADÉMIE    DE   MÉDECIN.Î 
LE   2  NOVEMBRE    PAR   M.    PASTEUR 

«  Le  document  suivant  s'ajoute  à  tous  les  faits 
de  notre  statistique  : 

«  Le  nombre  des  personnes  qui  meurent  de  la 
rage,  à  Paris,  est  très  rigoureusement  connu 
pour  les  hôpitaux,  surtout  depuis  cinq  ans. 

8  Par  ordre  du  préfet  de  police,  tout  cas  de  rage 
qui  se  présente  dans  les  hôpitaux  de  Paris  est 
immédiatement  signalé  par  le  directeur  de  ces 
hôpitaux  à  M.  le  D'Dujardin-Beaumetz,  membre 
du  conseil  d'hygiène  et  de  la  salubrité  de  la  Seine, 


—  167  — 

qui  est  chargé  de  faire  une  enquête  suivie  d'un 
rapport  au  Conseil.  On  sait  ainsi,  pertinemment, 
que,  dans  les  cinq  dernières  années,  60  personnes 
sont  mortes  de  la  rage  dans  les  hôpitaux  de  Paris  : 
en  moyenne,  12  par  an.  Aucune  année,  d'ailleurs, 
n'a  été  exempte  de  morts  plus  ou  moins  nom- 
breuses. L'an  dernier,  il  y  en  a  eu  21.  Or  depuis 
le  1er  novembre  1885  que  fonctionne  la  méthode 
préventive  de  la  rage  à  mon  laboratoire,  il  n'est 
mort  de  la  rage,  dans  les  hôpitaux  de  Paris,  que 
deux  personnes,  toutes  deux  non  inoculées,  et 
une  troisième  qui  l'avait  été,  mais  non  par  les 
traitements  intensifs  répétés  dont  je  vais  parler 
dans  un  moment.» 

{Bulletin  de  l'Académie  de  Médecine. 
séance  du  2  novembre.) 

On  pourrait  dire  qu'il  y  a  ici  presque  autant 
d'erreurs  que  de  phrases. 

1°  Il  n'est  pas  mort  de  la  rage  60  individus  dans 
les  hôpitaux  de  Paris  durant  ces  cinq  dernières 
années. 

2<*  La  moyenne  n'y  a  pas  été  de  12  par  an. 

3"  Il  est  mort  de  la  rage,  en  1886,  plus  de 
trois  personnes  dans  les  hôpitaux  de  Paris. 

Première  proposition  de  M.  Pasteur  : 

«  On  sait  ainsi  pertinemment  que,  dans  les 


~  168  — 

a  cinq  dernières  années,  60  personnes  sont  mortes 
a  de  la  rage  dans  les  hôpitaux  de  Paris.» 

Première  rectification.  —  Dans  ces  cinq  der- 
nières années,  il  n'est  pas  mort  60  personnes  dans 
les  hôpitaux  de  Paris,  il  en  est  mort  vingt-six. 

(Je  ne  sais  vraiment  pas  où  M.  Pasteur  a  pu 
trouver  son  chiffre  de  60  morts.) 

Les  2Q  cas  de  morts  vrais  sont  pour  : 

1881 11  cas 

1882 3   — 

1883 4   — 

1884 3   — 

1885 5   -^ 

Total 26  cas 

Les  11  cas  de  1881  se  répartissent  ainsi  : 

Hôpital  Trousseau 1  mort 

—  Beaujon 3  — 

—  Lariboisière 1  — 

—  Pitié 2  — 

—  Enfants  malades 3  — 

—  Hôtel-Dieu 1  — 

Total 11  morts,  ci  11 

A  reporter 11 


J 


—  169  — 

Report Il 

Les  3  cas  de  1882  ont  été  ob- 
servés à  l'hôpital  Eeaujon 3  morts,  ci    3 

Les  4  cas  de  1883  ont  été  ob- 
servés à  : 

Hôpital  Trousseau 1  mort 

—  Necker 2     — 

—  Enfants  malades 1     — 

Total... 4  morts  ,  ci    4 

Les  3  cas  de  1884  ont  été  ob- 
servés à  : 

Hôpital  Trousseau 1  mort 

—  Saint-Louis 2     — 

Total 3  morts,  ci    3 

Les  cinq  cas  de  1885  ont  été 
observés  à  : 

Hôpital  Lariboisière 3  morts 

—  Saint-Louis  1 

—  Hôtel-Dieu 1      — 

1 f 

Total . . . , 5  morts,  ci    5 

Total 26  morts,  ci  2Q 

10* 


■    —  170  — 

Voici,  d'ailleurs,  leurs  noms  : 

1881 

HÔPITAL  Trousseau  :  i?enawf  (Henri), 
mort  le  30  mars.  —  Hôpital  Beaujon  : 
Masse  (Alfred),  mort  le  10  juillet;  Holu 
(Alexis),  mort  le.  3  novembre  :  Martin 
(Etienne),  mort  le  29  décembre.  —  Hôpital 
Lariboisière  :  Potier  (Edouard),  mort  le 
10  août.  —  Hôpital  de  la  Pitié  :  Becker 
(Michel),  mort  le  22  juin  :  Cluet,  mort  le  16 
septembre.  —  Hôtel-Dieu  :  Chicanot  (Cé- 
lestin),  mort  le  pr  décembre.  —  Hôpital 
DES  Enfants  Malades:  Fhlé  (Emile),  mort 
le  23  juillet  ;  Fauvet  (Charlotte),  morte  le 
25  juillet  ;  Rull  (Greorges),  mort  le  27  juil- 
let  ci  11 

1882 

Hôpital  Beaujon  :  Pedzer  (Emile),  mort 
le  9  août;  Aizières  (Emile),  mort  le  19 
août  ;  Millot  (Victor),  mort  le  7  décembre,   ci    3 

1883 

Hôpital  Trousseau  :  Grucy  (Alphonse), 
mort  le  12  mai . —  Hôpital  Necker  :  Lam- 
bert (Léon),  mort  le  5  août   ;  Huette  (Ga- 

A  reporter 14 


—  171  — 

Report 14 

mille),  morte  le  14  août.  —  Hôpital  des 
Enfants  Malades  :  Fauque  (Sévérin), 
mort  le  5  novembre ci    4 

1884 

HÔPITAL  Trousseau  :  Mathon  (Albert), 
mort  le  13  juin.  —  Hôpital  Saint-Louis  : 
Paulice  (femme  Monnet),  morte  le  l^""  mars 
iWaf/io  (Alphonse),  mort  le  8  juillet.  ...    ci    3 

1885 

Hôpital  Lariboisière  :  Bouillet  (Eu- 
gène), mort  le  19  août  ;  Bonnenfant  (Jac- 
ques), inoculé  par  M.  Pasteur  et  non  men- 
tionné dans  sa  statistique  mortuaire,  mort 
le  8  septembre  ;  Bibiant  (François^,  mort 
le  8  septembre.  —  Hôpital  Saint-Louis  : 
Schneider  (Pierre),  mort  le  14  août.—  Hô- 
tel-Dieu :  iîaZ/ïn  (René),  mort  le  18  dé- 
cembre   ci    5 

Total  général  . 26 

Ainsi,  26  morts  au  lieu  de  60,  première  inexac- 
titude de  M.  Pasteur. 

Deuxième  proposition  de  M.  Pasteur  :    «  En 
«  moyenne  1.2  morts  de  rage  par  an.  » 


—  172  — 

Deuxième  rectification  :  26  morts  divisés  par 
5  années  donnent  5.2  pour  moyenne  par  an.  La 
moyenne  vraie  pour  ces  cinq  dernières  années  est 
donc  de  5.2  au  lieu  de  12. 

Deuxième  inexactitude  de  M.  Pasteur. 

Jroisiènte proposition  de  M,  Pasteur:  «■  Aucu- 
a  ne  année,  d'ailleurs,  n'a  été  exempte  de  morts 
a  plus  OU  moins  nombreuses.  L'an  dernier,  il  y 
c  en  a  eu  21.» 

Troisième  rectification.  —  Ce  chifîre  de  21, 
qui  vient  ici  à  propos  de  la  mortalité  par  la  rage 
dans  les  hôpitaux  de  Paris,  ne  peut  vraiment  pas 
s'y  appliquer,  puisque  la  rage  y  a  été,  en  1885,  de 
cinq  seulement.  Ce  chiffre  de  21  s'appliquerait 
donc  à  la  France  entière.  Or,  on  verra  tout  à 
l'heure  qu'il  est  de  beaucoup  inférieur  à  celui  de 
1886,  où  la  mortalité  par  la  rage  a  été  de  30, 
c'est-à-dire  dans  l'année  même  où  la  méthode  de 
M.  Pasteur  a  été  mise  en  pratique. 

Quatrième  proposition  de  M.  Pasteur  :  «  De- 
«puis  le  1^^" novembre  1885  que  fonctionne  la  mé- 
«  thode  préventive  de  la  rage  à  mon  laboratoire,  il 
0  n'est  mort  de  la  rage,  dans  les  hôpitaux  de  Paris, 
«que  deux  personnes,  toutes  deux  non  inoculées, 
o  et  une  troisième  qui  l'avait  été.  mais  non  parles 
«  traitements  intensifs  répétés,  dont  je  vais  parler 
a  dans  un  moment.  » 


—  173  — 

Quatrième  rectification. —  Il  n'est  pas  mort 
de  rage  trois  personnes  seulement  de  novembre 
1885  à  novembre  1886,  dans  les  hôpitaux  de  Pa- 
ris. Il  en  est  mort  quatre,  qui  sont  : 

Raffm,  Hôtel  Dieu  (1886)  ; 
Rifflandi,  Hôpital  Beaujon  (1886)  ; 
Clerjot,  Hôpital  Tenon  (1886)  ; 
Peytel,  Enfants-Malades  (1886). 

Quant  à  Bonnenfant,  mort  à  Lariboisîère  en 
septembre  1885,  il  ne  figure  nulle  part  dans  les 
statistiques  de  M.  Pasteur  parmi  les  cas  de  mort. 

MORTALITÉ    PENDANT   l' ANNEE    1886 

Il  n'est  pas  mort  de  la  rage,  malgré  les  inocu- 
lations de  M.  Pasteur,  une  personne  seulement 
dans  les  hôpitaux  de  Paris,  il  en  est  mort  trois, 
qui  sont  : 

1°  Clerjot  ;  2°  Peytel  ;  3»  Bonnenfant.  Ce  cas  de 
mort,  malheureusement  incontestable  (il  est 
prouvé  par  la  feuille  officielle  émanée  de  Lariboi- 
sière  et  signée  du  directeur  de  cet  hôpital)  ;  ce 
cas  de  mort  incontestable  ne  figure  nulle  part 
dans  les  statistiques  de  M.  Pasteur. 

La  mortalité  a  donc  été  de  4  dans  les  hôpitaux 
de  Paris, dans  ces  douze  derniers  moisi  dont 
deux  non  inoculés,  et  deux  inoculés. 


—  174  -- 

Or,  ce  chiffre  de  4  morts  par  la  rage  est  inter- 
médiaire à  celui  de  la  moyenne  pour  les  cinq  der- 
nières années,  et  à  celui  de  la  moyenne  des  11 
années  qui  ont  précédé  l'application  de  la  mé- 
thode pastorienne,  chiffre  que  nous  allons  voir 
tout  à  l'heure  être  de  3.9. 

Il  était,  en  effet,  intéressant  de  savoir  combien 
de  sujets  étaient  morts  de  la  rage  en  11  ans,  de 
1875  à  1885,  dans  les  hôpitaux  de  Paris. 

Eh  bien,  il  en  est  mort  43. 

Que  nous  voilà  loin  des  60  morts  attribués  par 
M.  Pasteur  aux  hôpitaux  de  Paris  pour  la 
période  de  cinq  ans  ! 

Ces  43  morts  sont  pour  : 

1875 0  cas. 

1876 2  » 

1877 3  » 

1878 5  » 

1879 5  » 

1880 2  j  . 

1881 11  » 

1882 3  » 

1883 4  » 

1884 3  » 

1885 5  » 

Total 43  cas. 


-  175 


HOPITAUX    DE    PARIS 

Statistique  des 

cas  de  mort  par  rage. 

< 

1/2 

p 

6 

H 

'o 

1 

m 

.s" 

o 
O 

c 
o 

ci 

CD 

'o 

'2 

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ce 

13 
1 

9 

«o 

1875 

o 
Néant 

1875 

1876 

2 

1876 

2 

1877 

1 

T 

1 

1877 

3 

1878 

1 

1 

2 

1 

1878 

5 

1879 

1 

1 

2 

1 

1879 

5 

1880 

1 

1 

1880 

2 

1881 

1 

3 

1 

2 

3 

1 

1881 

11 

1882 

3 

1882 

3 

1883 

1 

2 

1 

1883 

4 

1884 

1 

2 

1884 

3 

1885 

3 

1 

1 

1885 

5 

Total 

5 

3 

2 

2 

11 

6 

3 

4 

4 

3 

Total 

43 

Mais  43  morts  divisés  par  11  années  donnent 
une  moyenne  de  3.9  ;  ou  à  peu  près  4:moris  par 
an,  moyenne  bien  différente  de  celle  de  M.  Pas- 
teur (12  morts  par  an)  et  qui  est  identique  à 
celle  de  1886. 

On  remarquera  qu'il  n'y  a  eu  aucun  cas  de  mort 
dans  les  hôpitaux  de  Paris  en  1875  ;  qu'il  n'y  en 
a  eu  que  deux  en  1876  et  1880;  qu'il  n'y  en  a  eu 
que  trois  en  1877, 1882  et  1884  ;  que,  par  consé- 


—  176  — 

quent,  s'il  n'y  avait  eu  aucun  cas  de  mort  dans 
ces  12  derniers  mois,  il  n'en  faudrait  rien  conclure 
en  faveur  de  la  méthode  de  M.  Pasteur,  puisque 
cela  pourrait  rentrer  dans  le  cas  de  l'année  1875. 
Même  raisonnement  pour  les  années  1876  et  1880, 
1877,  1882  et  1881. 

On  remarque  encore  que,  sauf  l'année  1881, où 
la  mortalité  dans  les  hôpitaux  a  atteint  le  chiffre 
11,  toutes  les  autres  années  présentent  les  chiffres 
nuls  ou  faibles  de  0,  2,  3,  4.  Or  ce  dernier  chif- 
fre est  précisément  celui  de  l'année  où  la  méthode 
dite  préventive  a  été  pratiquée.  C'est  donc  à  peu 
près  pour  Paris  comme  s'il  n'y  avait  eu  rien  de 
fait. 

En  somme,  M.  Pasteur  a  perdu  14  de  ses  ino- 
culés morts  de  rage  après  ses  inoculations  : 

1°  Bonnenfant  qui  a  été  découvert  par  hasard 
à  l'hôpital  Lariboisière  (et  que  M.  Pasteur  a  ou- 
blié de  citer),  mort  le  8  septembre  1885. 

2"  Dix  qu'il  veut  bien  reconnaître  et  qui  sont  : 
Lagut,  Peytel,  Clédière,  Moulis,  Astier,  Videau, 
la  femme  Leduc  (70  ans),  Marins  Bouvier  (30 
ans),  Clerjot  (30  ans),  Magneron  (Norbert)  (18 
ans). 

3"  Deux  qu'il  n'a  pas  le  droit   scientifique    de 


—  177  — 

repousser  et  qui  sont  :  Louise  Pelletier  (36  jours), 
et  Moermann,  43  jours  après  leurs  morsures. 

4°  Christin,  qui  a  été  découvert  par  hasard, 
près  d'Evian  (Haute-Savoie)  (et  que  M.  Pasteur 
a  oublié  de  citer),  mort  le  17  juillet  1886. 

C'est-à-dire  que  M.  Pasteur  a  perdu  un  de  ses 
inoculés  en  septembre  1885  et  treize  de  ses  inocu- 
lés de  novembre  1885  à  novembre  1886. 

Ces  13  morts  inoculés,  joints  aux  17  morts  non 
inoculés,  font  bien  30  morts  de  rage  en  France 
depuis  un  an,  en  admettant  qu'il  n'y  ait  pas  eu 
quelque  autre  mort  de  rage  oublié  par  hasard. 

Ainsi  l'année  1886  a  eu  un  nécrologe  par  la  rage 
absolument  semblable  à  la  moyenne  des  vingt- 
trois  dernières  années,  laquelle  est  de  30  :  on  ne 
voit  guère,  après  cela,  ce  que  la  France  a  gagné 
à  la  méthode  Pasteur. 

En  résumé,  il  est  inexact  que,  comme  M. Pas- 
teur nous  l'a  dit,  il  soit  mort  de  rage  dans  les  hô- 
pitaux de  Paris  durant  ces  cinq  dernières  années 
60  individus  ;  —  il  en  est  mort  26, 

Il  est  inexact  que,  comme  M.  Pasteur  nous  l'a 
dit,  la  moyenne  de  la  mort  dans  les  hôpitaux  de 
Paris,  durant  ces  cinq  dernières  années,  ait  été 
de  12  ;  —  elle  a  été  de  5.2  seulement. 

Il  est  inexact  que,  comme  M.  Pasteur  nous  l'a 


^  178  — 

dit,  il  ne  soit  mort  de  rage  dans  les  hôpitaux  de 
Paris,  durant  ces  12  derniers  mois  (où  la  méthode 
a  été  appliquée),  que  3  personnes  ;  —  il  en  est  mort 
4.  Or  ce  chiffre  4  est,  comme  je  l'ai  déjà  dit.  pré- 
cisément intermédiaire  entre  5.2,  moyenne  des 
cinq  dernières  années,  et  3.9,  moyenne  des  onze 
dernières  années.  De  sorte  que  la  mortalité  par 
la  rage,  dans  les  hôpitaux  de  Paris,  est  restée 
absolument  ce  qu'elle  était  avant  la  médication 
pastorienne. 

Il  est  inexact  que,  comme  M.  Pasteur  nous  l'a 
dit,  il  ne  soit  mort  de  rage  que  10  de  ses  inocu- 
lés ;  —  il  en  est  mort  14. 

En  résumé  encore,  M.  Pasteur  a  donc  involon- 
tairement grossi  le  chiffre  des  décès  par  rage 
dansées  cinq  dernières  années  et  amoindri  celui 
des  cas  de  mort  par  rage  dans  les  douze  derniers 
mois,  depuis  lesquels  on  a  pratiqué  ses  inocula- 
tions. 

Il  en  résulte  qu'il  a  involontairement  faussé 
la  statistique  en  indiquant  3  cas  de  mort  (en  réa- 
lité 4  cas  pour  ces  douze  derniers  mois;.  Aussi 
M.  Pasteur  a  très  inexactement  opposé  ces  trois 
cas  de  mort  (en  réalité  4  cas)  à  une  moyenne 
inexacte  de  12  morts.  Par  conséquent,  enfin,  il  y 
a  eu  autant  de  morts  par  rage,  dans  les  hôpitaux 
de  Paris,  depuis  les  douze  mois  de  l'inoculation 
pastorienne  qu'avant  cette  inoculation. 


—  179  — 

On  peut  même  dire  que  dans  le  cours  de  ces 
douze  mois  il  est  mort  de  rage  dans  les  hôpitaux 
de  Paris  plus  d'individus  (puisqu'il  en  est  mort  4) 
que  dans  le  cours  de  certaines  années  où  il  n'est 
mort  que  2  ou  3  individus  ou  même  aucun. 

On  ne  voit  pas  trop,  après  cela,  le  bénéflce  de 
la  nouvelle  méthode. 

Et  peut-être  trouvera-t-on  étrange  qu'une  mé- 
dication, annoncée  avec  un  certain  éclat,  abou- 
tisse à  des  résultats  pareils  et  s'appuie  sur  des 
chiffres  aussi  peu  exacts. 


CHAPITRE   XI. 

LA  MÉTHODE  PASTEUR  DEVANT  LE 
CONSEIL  MUNICIPAL  DE  PARIS. 

Au  moment  où  il  s'est  agi  de  la  création  de 
l'Institut  Pasteur,  le  Conseil  municipal  de  Pa- 
ris, de  même  que  tous  les  conseils  municipaux 
et  généraux  a  été  mis  à  contribution  par  les 
hommes  de  l'Ecole  normale.  Profitant  de  l'en- 
thousiasme qui  avait  alors  envahi  la  France,  on 
demandait  un  terrain  dont  la  valeur  dépassait 
un  million. 

Le  Conseil  municipal  ne  livra  pas  les  cordons 
de  sa  bourse  sans  examiner  sérieusement  la 
question.  Il  a  fallu  toute  la  pression  administra- 
tive et  des  démarches  nombreuses  des  pastoriens 
pour  vaincre  les  résistances  très  légitimes  des 
représentants  de  la  ville  qui  déclaraient  avec 
raison  ne  pas  être  suffisamment  édifiés  sur  la 
valeur  du  nouveau  traitement. 

On  a  beaucoup  exploité  dans  la  presse  pasto- 
rienne  les  opinions  téméraires  émises  par  les 


—  181  - 

édiles  de  Paris  à  cette  époque.  Il  suffit  de  relire 
froidement  'aujourd'hui  les  discours  prononcés 
pour  se  rendre  compte  de  leur  modération  et  de 
leur  justesse.  M.  Joffrin  lui-môme  est  resté 
dans  les  mesures  des  strictes  convenances. 

Parmi  les  discours  entendus  à  cette  occa- 
sion, il  en  est  un  qui  mérite  d'être  reproduit  ici. 
Il  a  été  prononcé  par  M.  le  H^  Chassaing  dans 
la  séance  du  19  mars  1886,  c'est-à-dire  à  une  épo- 
que où  aucun  journal  n'avait  osé  encore  lutter 
contre  l'engouement  irréfléchi  de  la  nation.  On 
peut  dire  que  tous  les  arguments  mis  en  avant 
par  M.  Chassaing  se  sont  trouvés  justifiés.  No- 
tre confrère  a  été  vraiment  prophète  et,  si  sa 
cause  n'a  pas  été  gagnée  devant  le  Conseil,  il  a 
au  moins  le  mérite  d'avoir  fait  entendre  une 
utile  protestation. 

Ce  n'est  du  reste  qu'avec  répugnance  que  le 
Conseil  a  contribué  à  la  création  du  célèbre  Ins- 
titut. 33  membres  seulement  sur  60  votants  ont 
accepté  la  proposition. 

Parmi  les  abstentions  ou  les  votes  hostiles  se 
trouvent  des  noms  appartenant  à  des  opinions 
très  diverses,  ce  qui  prouve  que  la  politique 
était  parfaitement  étrangère  à  la  question.  C'est 
ainsi  que  M.  Pasteur  s'est  trouvé  combattu  par 
MM.  Chassaing,  Réty,  Dufaure,  Gamart,  et  sou- 


—  182  — 

lenu  par  MM.  Vaillant  et  Alphonse  Humbert, 
anciens  membres  de  la  Commune. 

Nous  reproduisons  une  partie  de  la  remar- 
quable argumentation  de  M.  Chassaing.  Elle 
mérite  d'être  lue  avec  attention. 

DISCOURS   DE   M.    CHASSAING. 

«  Je  n'appartiens  pas  à  l'école  de  ces  péripatéti- 
ciens  qui  ne  disent  plus  rien  quand  le  maître  a 
parlé  ;  j'ai  le  courage  comme  le  droit,  tout  en  re- 
cevant volontiers  les  enseignements  de  nos 
maîtres,  d'y  réfléchir,  de  les  commenter,  de  les 
discuter. 

Gomme  le  rappelait  tout  à  l'heure  M.  Paul  Vi- 
guier,  notre  honorable  collègue,  M.  Strauss,  nous 
dit  très  justement  dans  le  rapport  qu'il  nous  pré- 
sente au  nom  de  la  8^  Commission  sur  sa  propo- 
sition : 

«  Il  n'est  évidemment  pas  en  notre  pouvoir  de 
nous  faire  juges,  au  véritable  sens  du  mot,  de  la 
méthode  de  M.  Pasteur  et  des  résultats  obtenus 
par  elle.  Ce  serait  une  singulière  confusion  que 
de  remettre  le  soin  de  prononcer  sur  une  telle 
cause  à  une  assemblée  délibérante,  si  éclairée 
soit-elle.  Le  débat  scientifique  esta  coup  sur  hors 
de  notre  compétence,  étranger  à  nos  attributions 
et  à  notre  rôle.  » 


-  183  - 
Comme  lui,  plus  que  lui,  devrais-jedire,  je  dé- 
sire rester  sur  le  terrain  purement  municipal  ; 
mais  si,  dans  le  cours  de  mon  argumentation,  je 
fais  une  excursion  sur  le  domaine  médical,  vous 
devrez  vous  en  prendre  à  notre  collègue,  dont  je 
vais  suivre  pas  à  pas  le  rapport. 

Et  d'abord,  immédiatement  après  avoir  dé- 
claré que  le  débat  scientifique  n'est  pas  de  notre 
compétence,  le  rapporteur  s'empresse  d'ajou- 
ter : 

«  Cette  réserve  n'est  pas  pour  porter  atteinte 
aux  prérogatives  du  Conseil.  La  preuve  est  faite 
ou  l'expérience  est  incertaine  ;  chacun  de  nous 
est  en  droit  d'opter  pour  l'une  des  deux  opinions 
en  présence.  La  majorité  de  votre  8^  Commission 
a  pris  partie  pour  l'opinion  soutenue  par  l'Acadé- 
mie des  sciences,  acceptée  par  l'Académie  de  mé- 
decine, presque  universellement  reconnue  dans 
le  monde  entier.  * 

Cest  donc  l'opinion  admise  par  la  majorité  de 
la  8«  Commission  que  l'on  nous  propose  d'adop- 
ter, et  le  Conseil  qui,  suivant  M.  Strauss  avec 
lequel  je  suis  d'accord  sur  ce  point,  «  n'a  pas  à 
juger  la  méthode  de  M.  Pasteur  et  les  résultats 
obtenus  par  elle  » ,  est  invité  à  dire  avec  M.  Strauss 
que  la  création  d'un  établissement  vaccinal 
«s'impose  comme  une  mesure  d'utilité  publique» . 


—   184  — 

Tels  sont  les  derniers  mots  du  dispositif  du  pro- 
jet de  délibération  de  notre  collègue. 

Faut-il  parler  des  considérants  ?  On  ne  vote 
pas,  disait-on  il  n'y  a  qu'un  instant,  sur  des  con- 
sidérants, et  cependant,  à  mon  avis,  ils  peuvent 
modifier  considérablement  la  portée  d'une  déli- 
bération :  l'amendement  que  vient  de  vous  lire 
M.  Viguier  en  est  la  preuve. 

La  8''  Commission  les  a  acceptés,  ces  considé- 
rants ;  et  l'on  y  voit  que  la  méthode  de  M.  Pas. 
teur  «  a  donné  des  résultats  positifs  »,  et  que  «  la 
prophylaxie  de  tarage  est  fondée  ». 

Je  m'élève,  Messieurs,  contre  cette  prétention 
d'ériger  le  Conseil  en  académie,  et  de  le  faire  par- 
ticiper à  des  débats  qui  sortent  de  sa  compé- 
tence. 

La  ville  de  Paris  peut,  si  elle  le  veut,  concourir 
financièrement  ou  autrement  à  l'œuvre  entreprise 
par  M.  Pasteur.  Mais  doit-elle  dire  que  la  méthode 
pastorienne  a  donné  des  résultats  positifs,  qu'il 
lui  est  actuellement  démontré  que  la  création 
d'un  établissement  vaccinal  s'impose  comme  une 
mesure  d'utilité  publique  ? 

Un  nombre  considérable  de  malades,  nous  dit 
M.  Strauss,  ont  été  traités  au  laboratoire  de  M. 
Pasteur.  Malades  n'est  pas  le  mot  qui  convient  ; 
c'est  mordus  qu'il  faut  dire. 


—  185  — 

Et  tous  ces  mordus  l'ont-ils  été  par  des  chiens 
enragés  ?  Ont-ils  été  cautérisés  ?  Devaient-ils  fa- 
talement contracter  la  rage  ?  Tout  le  monde  sait 
que  tous  les  individus  mordus  par  un  chien  en- 
ragé et  abandonnés  à  eux-mêmes  sans  traite- 
ment, ne  la  contractent  pas.  Bouley  soutenait 
que  sur  cent  personnes  mordues,  il  n'y  en  a  guère 
que  cinq  chez  lesquelles  la  rage  se  déclare.  A 
plus  forte  raison  y  en  a-til  moins,  si  on  leur  fait 
subir  immédiatement  la  cautérisation  au  fer 
rouge. 

Je  ne  m'attarde  pas  sur  l'insuccès  observé  chez 
une  personne  tardivement  traitée.  Rien  ne  dé- 
montre cependant  que  cette  personne  n'était  pas 
la  seule  qui  dût  contracter  la  rage. 

M.  Strauss  nous  donne  une  statistique  de  la- 
quelle il  résulte  que  : 

En  1878,  dans  le  département  de  la  Seine,  sur 
103  personnes  mordues,  il  y  a  eu  24  morts  par 
rage  ; 

En  1879,  sur  76  personnes  mordues,  il  y  a  eu 
12  morts  par  rage. 

En  1880,  sur  68  personnes  mordues,  il  y  a  eu 
5  morts  par  rage  ; 

En  1881,  sur  156  peri^onnes  mordues,  il  y  a  eu 
23  morts  par  rage  : 

11 


—   186  — 

En  1882,  sur  67  personnes  mordues,  il  y  a  eu 
11  morts  par  rage  ; 

En  1883,  sur  49  personnes  mordues,  il  y  a  eu 
6  morts  par  rage . 

Examinons  ce  tableau  :  il  nous  apprendra 
d'abord  que,  non  seulement  les  cas  de  mort  par 
la  rage  sont  en  décroissance,  mais  que  le  nombre 
même  des  personnes  mordues,  en  dehors  de  l'an- 
née 1881  qui  a  vu  une  recrudescence  due  à  des 
causes  que  M.  Strauss  ne  nous  fait  pas  connaître, 
diminue  d'année  en  année. 

Si  nous  prenons  la  moyenne  de  cette  statistique, 
nous  voyoDS  qu'il  s'agit  d'appliquer  le  traitement 
dit  préventif  à  60  personnes  environ  par  année 
pour  le  département  de  la  Seine.  La  création 
d'un  établissement  vaccinal  s'impose-t-eilepour 
ces  60  personnes  mordues,  mais  non  malades  ? 
Je  ne  m'arrête  pas  à  l'idée  d'un  établissement  in- 
ternational ni  même  national  :  je  dirai  tout  à 
l'heure  pourquoi.  N'y  a-t-il  pas  d'autres  affections 
beaucoup  plus  meurtrières,  atteignant  des  mil- 
liers de  malheureuses  victimes  qui  sont  sur  le 
pavé  parisien  et  que  nous  devrions  hospitaliser 
d'abord  ? 

En  effet,  si  la  rage  est  la  plus  effrayante,  c'est 
aussi  la  plus  rare  des  maladies.  Elle  est  prévenue 


—  187  — 

la  plupart  du  temps  parla  cautérisation  immé- 
diate au  fer  rouge.  En  Allemagne,  on  l'a  enrayée 
par  de  simples  mesures  administratives  (1). 

(I)  Nous  avons  vu  que,  en  Allemagne,  la  mortalité  par 
la  rage  avait  été  de  zéro  pendant  ces  dernières  années. 
11  est  intéressant  de  faire  connaître  la  mortalité  dans 
d'autres  pays. 

La  statistique  suivante,  relative  à  la  Suède,  reproduite 
par  plusieurs  recueils ,  ne  manque  pas  d'intérêt  au 
moment  où  s'agite  la  question  de  la  rage  à  rAcadémi3 
de  Médecine. 

Depuis  1776  jusqu'à  l'année  actuelle,  c'est-à-dire  pen- 
dant une  période  de  110  ans,  la  moyenne  annuelle  dos 
décès  par  rage  a  été  en  Suède  : 

1776-1785 8.5 

1786-1795 10.2 

1796-1805 8.7 

1806-1815 6.2 

1816-1825 7.0 

1826-1835 2.7 

1836-1845 1.1 

1846-1855..... 1.6 

1856-1865 2.2 

1866-1875 0.5 

1876-1885 0.0 

On  voit  cette  moyenne  diminuer  progressivement  et 
descendre  à  zéro.  Le  dernier  cas  de  mort  par  rage  cons- 
taté officiellement  en  Suède  remonte  à  1870, 

A  quoi  attribuer  ce  résultat?  à  des-  mesures  de  pro- 
phylaxie dont  nous  ignorons  les  détails,  mais  il  serait 
intéressant  de  les  étudier  pour  réaliser,  si  c'était  possi- 
ble dans  notre  pays,  les  conditions  qui  ont  produit  en 
Suède  et  en  Allemagne  des  effets  si  heureux. 


—  188  — 

M.  Strauss  a  tort  de  considérer  comme  «  hors 
de  dangerles  personnes  inoculées  qui  ont  dépassé 
la  période  normale  d'incubation  de  la  rage,  qui 
n'excède  pas  60  jours  ».  Ne  sait-on  pas  que  la 
rage  éclate  bien  souvent  après  plusieurs  mois  et 
même  après  une  année  ? 

Le  rapporteur  n'a  pas  raison  non  plus  d'affir- 
mer que  <t  l'opposition  est  morte,  que  le  parti  pris 
et  le  scepticisme  n'ont  ni  raison  d'être  ni  ex- 
cuse ».  Le  parti-pris,  mon  cher  collègue,  il  ne 
doit  pas  exister  et  il  n'existe  pas  dans  les  rangs 
de  l'opposition  scientifique  ;  mais  il  y  a  l'expecta- 
tion,  qui  n'est  pas  la  négation,  il  y  a  l'attente  de 
la  démonstration  et  de  la  preuve,  il  y  a  la  libre 
discussion  des  faits  allégués  et  des  théories  émi- 
ses. Et  ce  n'est  pas  après  quelques  mois,  mais 
bien  après  quelques  années  que  d'habitude  les 
observations  acquièrent  une  autorité,  que  les  ex- 
périmentations deviennent  indiscutables,  que  la 
lumière  se  fait,  en  un  mot. 

Ce  n'a  pas  été  jusqu'ici  avec  enthousiasme  et 
avec  engouement  que  les  grandes  découvertes 
ont  été  accueillies,  mais  avec  calme  et  avec  sang- 
froid.  Raisonner  et  approuver  sans  passion,  c'est 
rendre  un  plus  grand  hommage  au  savant  que 
d'applaudir  avec  frénésie  et  d'admirer  sans  dis- 
cernement. 


—  189     ' 

Et  ne  dites  pas  «  qu'il  n'y  a  plus,  désormais, 
qu'à  tirer  le  meilleur  parti  possible  d'une  telle 
découverte  »  !  Sans  parler  de  Guérin,  sans  parler 
de  Bochefontaine  qui  sont  morts,  sans  parler  de 
l'opposition  de  l'étranger,  il  en  est  encore  chez 
nous  qui,  au  milieu  de  l'exaltation  des  autres  et 
désirant  autant  que  ceux-ci,  par  amour  de  l'hu- 
manité, que  le  problème  soit  résolu,  se  rappel- 
lent que  M.  Pasteur  avait  aussi  la  certitude  que, 
muni  de  ses  instructions,  le  courageux  Thuillier 
reviendrait  sain  et  sauf  de  l'Egypte. 

Collin,  le  sévère  professeur  d'Alfort  ;  Peter,  le 
fidèle  interprète  des  grandes  traditions  médica- 
les, tous  deux  membres  aussi  de  l'Académie  de 
médecine,  ne  font-ils  pas  partie  de  cette  opposition 
que  vous  niez  ?  Je  ne  parle  pas  de  M.  Després, 
qui  siège  parmi  nous,  ni  d'autres  plus  modestes 
qui,  dans  la  presse  scientifique,  attendent  des 
démonstrations  que  vous  considérez  comme  ac- 
quises. 

M.  Strauss,  rapporteur. — Pourquoi  MM.  Colin 
et  Peter  n'ont-ils  rien  dit  à  l'Académie  de  méde- 
cine ? 

M.  Ghassaing.  —  M.  Colin  n'a  pas  attendu  la 
question  de  M.  Strauss  :  il  s'est  exprimé  à  l'Aca- 
démie depuis  longtemps.  Quant  à  M.  Peter,  s'il 

IL 


"—  190     . 

n'a  pas  parlé,  je  n'ai  pas  qualité  pour  répondre 
en  son  nom  aux  interrogations  de  M.  Strauss. 

M.  Hervieux.  —  Il  avait  peut-être  changé  d'a- 
vis. 

M.  Chassaixg.  —  Je  ne  crois  pas,  Monsieur. 

Je  poursuis.  —  Est-ce  dans  ces  conditions-, 
Messieurs,  que  vous  pouvez  voter  dans  son  inté- 
gralité le  projet  de  délibération  de  la  8'  Commis- 
sion? 

M.  Strauss  disait  tout  à  l'heure  que  ce  trai- 
tement renouvelé  de  Mithridate,  ne  ferait-il  que 
donner  la  sécurité  à  des  personnes  pusillanimes, 
rendrait  encore  des  services  incontestables.  Mais 
l'effet  moral  produit  par  la  seringue  de  M.  Pas- 
teur ne  peut-il  être  obtenu  par  d'autres  moyens 
analogues,  ou  m.ieuxpar  l'éducation,  par  la  per- 
suasion, par  la  suggestion,  s'il  le  faut  ?  Et  dé- 
montre-t-ii  l'utilité  d'un  établissement  vaccinal  ? 
Je  sais  bien  que  le  Conseil  municipal  peut  se  con- 
sidérer comme  couvert  par  l'autorité  de  l'Acadé- 
mie des  sciences  et  de  l'Académie  de  médecine. 
Mais  cette  garantie  lui  fait-elle  une  obligation  de 
se  prononcer  sur  une  question  scientifique  qui 
n'est  pas  de  son  ressort  ? 

Envisagez  la  responsabilité  que  vous  auriez 


—  191  — 

bénévolement  encourue  s'il  venait  à  être  démon- 
tré un  jour  que  l'inoculation  n'a  fait  que  retarder 
l'éclosion  de  la  maladie,  ou  si  les  personnes  ino- 
culées venaient  à  contracter  la  rage. 

M.  CocHiN.  —  C'est  impossible. 

M.Chassaing.  L'avenir  le  dira. 

En  résumé,  Messieurs,  le  traitement  curatif  de 
la  rage  est-il  trouvé  ?  Non.  —Le  traitement  pré- 
ventif ? 


Hippocrate  dit  non,  et  Galien  dit  oui. 

En  admettant  la  découverte  du  spécifique  pré- 
ventif de  la  rage,  la  création  d'un  établissement 
vaccinal  international  à  Paris  s'impose-t-elle 
comme  une  mesure  d'utilité  publique?  Je  réponds 
résolument  non  :  car  il  importe  alors,  non  d'atti- 
rer  à  Paris  tous  les  enragés,  les  mordus  et  les 
poltrons  du  monde,  mais  de  répandre  au  plus 
vite,  par  humanité,  la  méthode  et  le  vaccin  rabi- 
que  dans  tous  les  pays.  (Très  bien  !  Très  bien  !) 

Enfin,  Messieurs,  si  l'on  veut  créer  un  établis- 
sement vaccinal,  ce  n'est  pas  pour  les  hommes 
qu'il  faut  le  faire,  mais  pour  les  chiens  qui,  une 
fois  inoculés,  ne  pourront  contracter  la  rage   ni 


192 


par  conséquent  la  transmettre  à  rhomS^TS 
bien  !)  ^ 

Je  termine.  La  contagion  de  l'engouement  est 
autant  à  craindre  que  la  contagion   de   la  peur 
Il  y  a  eu  de  l'engouement  pour  Koch,  l'inventeur 
allemand  du  bacille  en  virgule  du  choléra.  Notre 
ami  Robmet  ne  nous  proposait-il  pas  l'envoi  de 
médecins  des  hôpitaux  en  Espagne  pour  étudier 
la  méthode  d'inoculation  du  choléra  du  docteur 
terran  ?  Grâce  à  quelques-uns  d'entre  nous    ce 
projet  a  échoué:  il  n'en  eût  pas  été  ainsi,   si  la 
chose  se  fût  passée  en  France.  Or,   en  Espa-ne 
même,  on  s'est  gardé  de  l'enthousiasme,  et^a 
théorie  de  Ferran  a  vécu. 

Est-ce  à  dire  que  je   refuse  toute  valeur  aux 
Idées  pastoriennes  ?  Loin  de  là .  L'observation   et 
1  expérimentation  scientifiques  ont  toujours  une 
oiihté.  La  doctrine  de^L  Pasteur  restera  si  elle 
est  vraie,  elle  tombera  si  elle  est  erronée.  Dans 
les  deux  alternatives,  elle   aura  servi,    soit  en 
indiquant  aux  savants  qu'il  ne  faut  plus  chercher 
de  ce  Côté  (Très  bien  1,  soit,  ce  que  je  désirera 
de  tout  mon  cœur,  en  donnant  à  l'humanité  un 
moyen  spécifique  de  se  préserver  d'une  terrible 
maladie.  (Approbation.)  «  lerrmie 

Pour  le  moment,  rien  n'est  démontré  d'une 


—  193      - 

façon  absolue,  la  question  est  encore  controveT* 
sée, 

....  adhuc  sub  judice  lis  est  ; 

et  le  Conseil,  s'il  a  pu  discuter  cette  question, 
grâce  à  l'initiative  d'un  de  ses  membres,  n'a  pas 
à  prendre  parti  dans  un  débat  qui  sort  de  sa 
compétence. 

Croyez-moi,  Messieurs,  laissons  un  libre  cours 
à  nos  sentiments  généreux,  oui  ;  mais  réprimons 
cette  tentative  d'empiétement  sur  le  domaine  de 
la  science. 

C'est  pour  atteindre  ce  double  but  que  je  vous 
prie  de  vouloir  bien  voter  l'amendement  dont 
M.  Paul  Viguier  vous  a  donné  connaissance. 


DISCOURS  DE  MM.   COCmN,  CATTIAUX  ET  JOFFRIN. 

M.  CocmM.  La  certitude  est  acquise  et  lapreu- 
ve  est  donnée. 

Quand  les  choses  sont  si  simples,  si  faciles  'à 
comprendre,  je  m'étonne  qu'on  puisse  hésiter. 

Les  travaux  de  M.  Pasteur  —  comme  d'ail- 
leurs tous  les  travaux  des  hommes  de  génie  -  • 
sont  parfaitement  nets,  parfaitement  clairs.  En 


—  194  ~ 

présence  de  tels  travaux,  de  tels  résultats,  ap- 
partient-il au  Conseil  municipal  de  se  montrer 
trop  modeste  et  de  dire  que  de  telles  choses  ne 
sont  pas  de  sa  compétence  ?  Non,  Messieurs,  di- 
tes au  contraire  hautement  que  vous  appréciez 
les  travaux  de  M.  Pasteur,  que  vous  en  admirez 
les  résultats  et  que  vous  entendez  le  manifester. 

Et  si  vous  persistez  à  êlre  trop  modestes,  eh 
bien  !  retranchez -vous  derrière  l'académie  des 
Sciences. 

On  disait  tout  à  l'heure  :  Hippocrate  dit  oui, 
Galiendit  non.  Cette  fois,  Hippocrate  et  Galien 
n'ont  eu  qu'une  voix  pour  applaudir  l'illustre 
savant  et  le  remercier  de  sa  découverte. 

En  présence  d'un  tel  fait,  je  demande  s'il  serait 
digne  delà  ville  de  Paris  de  ne  pas  s'y  associer 
et  de  ne  pas  donner  à  ce  grand  homme  l'hom- 
mage qu'il  mérite,  au  point  de  vue  des  services 
qu'il  a  rendus  à  l'humanité. 

M.  Cattiaux.  —  Bien  que  M.  Cochin  ait  dit 
que  tous  les  hommes  de  bon  sens  devaient  être 
de  son  opinion,  je  consens  volontiers  à  ne  pas 
me  trouver  parmi  les  hommes  de  bon  sens. . . 

M.  Pasteur  est  un  savant,  je  le  reconnais  ;  mais 
tous  les  savants,  comme  tous  les  inventeurs,  sont 


—  195  — 

sujets  à  se  tromper.  M.  Pasteur  a  cru  découvrir 
le  bacille  du  choléra  et  il  a  envoyé  M.  Thuillier 
en  Orient,  Pourquoi  n'y  est-il  pas  allé  lui-môme? 

M.  JoFFRiN.  —  Messieurs,  je  ne  suis  pas  assez 
prétentieux  pour  examiner  le  point  de  vue  scien- 
tifique de  la  question  qui  a  déjà  été  trop  longue- 
ment discutée  à  cette  triJDune.  (Très  bien  !;  Mais  je 
viens  vous  demander  d'adopter  l'amendement 
qui  limite  à  trente  années  la  durée  de  l'affecta- 
tion. 

Comme  je  l'ai  exposé  au  sein  de  la  Commis- 
sion, si  l'institut  qu'on  se  propose  de  créer  devait 
être  un  établissement  national  ou  municipal, 
nous  n'aurions  aucune  observation  à  présenter 
au  sujet  de  l'aliénation  du  terrain.  En  effet,  les 
socialistes,  partisans  du  progrès,  ne  refuseront 
jamais  les  moyens  d'ouvrir  un  champ  d'expéri- 
mentation. (Très  bien  !) 

On  a  objecté  qu'en  limitant  à  trente  ans  la  du- 
rée de  l'affectation,  on  empêcherait  par  cela  même 
d'élever  des  constructions  convenables. 

Je  ne  crois  pas  cette  assertion  fondée  et  je  ne 
fais  pas  à  nos  successeurs  l'injure  de  croire  qu'ils 
demanderont,  dans  trente  ans,  la  désaffectation 
du  terrain,  si  l'institut  Pasteur  a  rendu  les  ser- 
vices qu'on  en  attend. 


—  196  — 

Il  n'y  a  donc  aucun  inconvénient  à  n'affecter 
que  pour  trente  ans  et  à  ne  pas  engager  l'avenir. 

En  terminant,  je  déclare  que  les  socialistes 
regrettent  que  l'institut  qui  va  être  créé  ne  soit 
pas  un  établissement  national  ou  communal; 
car  c'est  avec  enthousiasme  que  nous  aurions 
accordé  la  concession  du  terrain. 


CHAPITRE  XII 

LA  MÉTHODE  A  LA  FACULTÉ  DE  MÉDE- 
CINE. M.  LE  PROFESSEUR  PETER. 

Malgré  l'anathème  lancé  par  les  Pastoriens  con- 
tre tous  ceux  qui  se  permettaient  quelques  ob- 
jections sur  la  nouvelle  méthode  ;  malgré  l'ad- 
miration imposée  par  les  régions  officielles  et  la 
connivence  de  M.  le  professeur  Grancher  qui 
avait  accepté,  à  l'Ecole  normale,  le  rôle  indigne 
et  inutile  de  porte-seringue,  il  s'est  trouvé  un 
professeur  indépendant  pour  faire  entendre  sa 
voix  autorisée  en  faveur  du  bon  sens  et  de  la 
clinique. 

C'est  M.  le  professeur  Peter  que  ses  importants 
travaux  placent  au  premier  rang  des  cliniciens, 
qui  a  vengé  Thonneur  médical  et  la  science  fran- 
çaise. Dans  une  remarquable  leçon  d'ouverture 
professée  à  l'hôpital  Necker,  Féminent  praticien 
s'est  exprimé  d'une  façon  sévère  sur  l'abus  que 
fait  l'école  moderne  des  théories  microbiennes. 
Nous  reproduisons  une  partie  de  cette  intéres- 
sante leçon.  Nous  verrons  plus  loin  que  M. Peter 

12. 


—  193  - 

s'est  prononcé  à  la  tribune  de  l'Académie  de 
médecine  où  il  a  apporté  des  faits  écrasants  pour 
la  méthode  pastorienne. 

«  Actuellement,  la  pathologie  tout  entière  sem- 
ble dominée  par  la  pathogénie  et  celle-ci  par  la 
bactériologie!  Bactérie  ici,  bactérie  là,  bactérie 
partout  !  Chaque  jour  vient  apprendre  au  public 
médical,  stupéfait,  que  telle  maladie  après  telle 
autre  est  manifestement  parasitaire  ;  que  la 
pneumonie  l'est  comme  le  rhumatisme  et  celui- 
ci,  comme  le  charbon  ;  qu'il  est  des  bactéries  à 
tout  faire  ;  des  bactéries  capsulées  de  la  salive, 
qui  font  le  bien  dans  la  bouche  et  le  mal  dans  les 
poumons,  où  elles  fabriquent  la  pneumonie  (il  y 
a  erreur  de  lieu)  ;  des  bactéries  qui  font  l'hyper- 
thermie  de  la  fièvre  typhoïde  et  des  bactéries 
qui  font  Talgidité  du  choléra  ;  des  bactéries  qui 
soufflent  le  chaud  et  des  bactéries  qui  soufflent 
le  froid  !  ! 

Il  y  en  a  trop  !  c'est  un  débordement. 

Cette  pathogénic,  à  tout  prendre,  pourrait  être 
considérée  comme  une  gymnastique  intellec- 
tuelle, salutaire  au  cerveau,  mais  le  médecin 
est  nécessairement  «  utilitaire  »,car,  se  trouvant 
toujours  en  présence  du  mal,  il  n'y  saurait  rester 
indifférent.  Il  cherche  à  appliquer,  à  utiliser,  si 
possible,  toute  notion  scientifique  nouvelle. 

On  a  donc  cherché  à  tirer  un  parti  thérapeuti- 


—  199  — 

que  des  doctrines  parasitaires  et  c'est  justice  de 
reconnaître  que  les  parasitistes  sont  tombés 
dans  la  même  erreur  que  les  organiciens.  Pour 
ceux-ci,  la  maladie  était  la  lésion  ;  pour  ceux-là, 
la  maladie,  c'est  le  «  microbe  ».  Pour  eux,  la 
pneumonie  n'est  plus  l'inflammation  du  pou- 
mon, mais,  ce  qui  n'est  pas  plus  exact,  c'est  la 
maladie  du  microbe  pneumonique  ;  la  dothié- 
nentérie  n'est  plus  la  lésion  des  plaques  de 
Peyer,  mais,  avec  tout  autant  d'inexactitude, 
la  maladie  du  microbe  dothiénentérique.  Et 
voilà  mes  parasitistes  qui  retournent  à  l'unicité 
par  la  généralisation  (ils  décrivent  un  circulus 
en  sens  inverse),  et  ils  proposent  de  combattre  le 
microbe  ennemi  par  une  médication  univoque. 

Les  uns,  considérant  que,  dans  la  dothiénen- 
térie,  c'est  le  microbe  qui  fait  la  fermentation 
et  la  fermentation  qui  fait  l'hyperthermie,  con- 
seillent de  refroidir  le  malade  pour  refroidir 
le  microbe  et  empêcher  ainsi  sa  malfaisance  fer- 
mentescible.  C'est  le  traitement  de  la  fièvre 
typhoïde  par  les  bains  froids. 

On  sait  ce  qui  est  advenu  en  France  de  celte 
médication  exotique,  à  la  suite  d'une  polémique 
à  laquelle  je  n'ai  pas  été  étranger. 

Mais  celte  médication  systématique  a  eu  ce 
résultat  bienfaisant  de  nous  apprivoiser  à  l'u- 
sage de    l'eau   froide,    dans  certains  cas  bien 


—  200  - • 

déterminés  de  fièvre  typhoïde.  Voilà  ce  qui  nous 
est  resté  de  la  doctrine  exclusive  de  Brand.  Et 
c'est  là  qu'est  le  progrès^  lequel  n'est  autre 
qu'une  série  d'additions  partielles  et  successives 
au  fond  traditionnel. 

D'autres,  à  propos  de  la  pneumonie  et  tou- 
jours pour  mettre  à  mal  le  microbe  morbifère, 
ont  conseillé  les  injections  dans  le  poumon^ 
sans  songer  à  ce  qu'il  y  a  d'irrationnel  dans  une 
semblable  médication,  puisque,  par  hypothèse, 
les  pneumocoques  étant  des  parasites,  les  para- 
sites étant  d'essence  repullulante,  il  suffirait  que 
dix,  que  deux,  qu'un  seul  pneumocoque  ne  fût 
pas  touché  par  l'injection  pour  que  la  maladie 
persistât  par  la  repullulation  du  ou  des  micro- 
coques survivants.  On  ne  peut  que  répéter,  à 
propos  d'une  semblable  médication,  quecequ'en 
ont  dit  avec  candeur  ceux  qui  l'ont  pratiquée.  Il 
n'y  a  pas  eu  d'accidents.  Les  malades  ont  sou- 
vent plus  de  résistance  qu'on  ne  croit. 

Une  troisième  tentative  thérapeutique,  direc- 
tement inspirée  par  l'observation  parasitiste, 
est  celle  de  Koch,  lequel,  remarquant  que  son 
bacille-virgule  du  choléra  cesse  de  se  reproduire 
dans  un  milieu  qui  n'est  pas  humide,  a  eu  l'idée 
de  le  faire  mourir  de  soif  et  n'a  pas  hésité  (la 
chose  est  historique)  à  conseiller  aux  malheii- 


~  201  — 

reux  xMarseillais  décimés  par  le  choléra,  de  ces- 
ser d'arroser  les  rues  de  Marseille. 

D'autres  encore,  pour  faire  pendant  à  l'anti- 
sepsie chirurgicale,  ont  imaginé  V antisepsie 
médicale  ;  idée  généreuse,  mais  chimérique,  car 
l'antisepsie  chirurgicale  repose  sur  cette  notion, 
que  le  blessé  est  un  individu  sain,  mais  porteur 
d'une  plaie.  Or,  cette  plaie  peut,  par  hypothèse, 
donner  entrée  à  ce  qu'on  appelle  les  germes  de 
l'air,  et  ces  germes  de  l'air  peuvent,  entrés, 
infecter  l'organisme.  Il  importe  donc  de  s'oppo- 
ser à  la  pénétration  de  ces  germes  ou  de  les  dé- 
truire afin  d'empêcher  cet  organisme  sain  de 
devenir  malade  :  telle  serait  la  tâche  du  chirur- 
gien. Mais,  pour  le  médecin,  la  situation  est 
toute  autre;  il  est,  lui,  non  pas  en  présence  d'un 
organisme  sain,  mais  d'un  organisme  déjà 
malade.  Quand  il  est  appelé  et  qu'il  invervient, 
cet  organisme  est  déjà  infecté  :  par  hypothèse, 
le  microbe  est  déjà  dans  la  place  ;  il  n'a  plus  à 
lui  en  défendre  l'entrée,  son  rôle  n'est  plus  que 
de  l'en  faire  sortir.  Je  n'ai  pas  à  insister  davan- 
tage pour  démontrer  le  chimérique  de  l'antisep- 
sie médicale,  dont  les  résultats  d'ailleurs  sont 
loin  d'être  encourageants. 

Les  inoculations  antirabiques  ne  sont    ni 
moins  généreuses  ni  moins  chimériques  :   irra- 


—  202  — 
tionnelles  en  priacipe,  elles  ont  été  inefficaces  en 

réalité. 

Irrationnelles,  puisqu'elles  ont  la  prétention, 
contraire  aux  faits,  d'empêcher  l'éclosion  d'une 
maladie  en  incubation  et  qui  tient  l'organisme 
en  sa  puissance  :  la  vaccine  n'a  pas  ce  pouvoir 
sur  la  variole  incubante  ;  et  l'on  voit  dans  l'or- 
ganisme contaminé  par  la  variole,  qu'on  veut 
entraver  par  la  vaccination,  variole  et  vaccine 
apparaître  à  leur  jour  et  simultanément  évo- 
luer. 

Inefficaces  ces  inoculations,  dites  antirabi- 
ques, qui,  après  avoir  été  annoncées,  avec  l'é- 
clat que  vous  savez,  échouent  aujourd'hui 
lamentablement.  La  France  ayant  eu  dans  l'an- 
née qui  vient  de  s'écouler  une  mortalité,  par  la 
rage,  égale  à  la  moyenne  des  années  précéden- 
tes", c'est-à-dire,  30  cas,  dont  14  morts  enragés, 
après  les  inoculations,  se  disant  préservatrices, 
et  16  morts  enragés,  sans  ces  inoculations. 

Vous  voyez  ce  que  la  médecine    vraiment 
scientifique  et  le  public  y  ont  gagné  !  o 


CHAPITRE   XIII 

L'OPINION  DE  LA  PRESSE  MÉDICALE  SUR 
LE  TRAITEMENT  DE   LA  RAGE. 

La  plupart  des  journaux  de  médecine  français 
se  sont  abstenus  de  discuter  les  faits  merveil- 
leux communiqués  à  la  Presse  politique  par  M. 
Pasteur  pendant  ces  derniers  mois.  A  part  deux 
ou  trois  organes  dévoués  à  la  coterie,  tous  ont 
gardé  le  silence  le  plus  absolu  et  se  sont  bornés 
à  enregistrer  les  faits  sans  commentaires.  Les 
Pastoriens  avaient,  bien  entendu,  interprété  ce 
silence  en  leur  faveur  et  M.  Pasteur  avait  dé- 
claré que,  à  part  le  Journal  de  Médecine  de  Pa- 
ris, la  Presse  médicale  était  unanime  à  recon- 
naître l'efflcacité  de  la  nouvelle  méthode  de  trai- 
tement parles  virus  moelleux. 

Les  nombreux  décès  survenus  pendant  l'an- 
née 1886  ont  enfin  ouvert  les  yeux  du  public  mé- 
dical. Un  grand  nombre  de  médecins  ont  eu  le 
courage  de  parler  et  ont  reconnu  que  l'engoue- 
ment avec  lequel  on  avait  accueilli  la  thérapeu- 
thique  pastorienne  était  au  moins  irréfléchi. 


—  204  - 

A  la  suite  d'un  nouveau  décès  survenu  chez 
une  petite  fille  de  six  ans  venue  de  Palerme,  et 
n'ayant  même  pas  eu  le  temps  de  subir  complè- 
tement le  traitement  pastorien,  un  des  journaux 
les  plus  autorisés  publiés  à  Paris,  le  Progrès 
médical^  s'est  décidé  à  faire  connaître  son  opi- 
nion sur  la  méthode  Pasteur. 

Voici  la  note  publiée  par  ce  journal  dans  son 
n°  du  11  septembre  1886,  au  nom  de  toute  sa  Ré- 
daction : 

«  Nous  ajouterons  qu'il  y  a  li eu ^  avant  de 
se  prononcer  sur  .l'efficacité  du  traitement 
de  la  rage  jpar  la  méthode  Pasteur,  de  de- 
mander des  statistiques  qui  nous  renseignent 
EXACTEMENT  sur  l'état  des  inoculés  depuis 
leur  retour  dans  leur  pays.  On  n'ignore  pas, 
en  effet,  que  la  durée  de  Vincuhation  rahi- 
que  est  très  variable,  qu'elle  peut  être  très 
prolongée,  que  l'inoculation  elle-même  pour- 
rait aussi  en  prolonger  la  durée,  etc.  Nous 
pensons  donc,  pour  ces  motifs  et  D'AurîiE.s 
ENCORE,  qu'il  est  prudent,  avant  de  préconi- 
ser et  d'admettre  définitivement  la  méthode 
Pasteur,  d' attendre  du  temps  des  renseigne- 
ments ultérieurs  et  complets.  » 

Nous  ignorons  quelles  sont  les  autres  raisons 
qui  ont  décidé  la  rédaction  du  Progrès  médical 


—  205  — 

à  exprimer  sur  le  traitement  pastorien  une  opi- 
nion aussi  dubitative  ;  mais  nous  félicitons  nos 
confrères  d'avoir  eu  le  courage  de  faire  connaître 
leurs  réserves  à  une  époque  où  la  plus  petite 
critique  sur  le  grand  homme  de  l'Ecole  normale 
est  considérée  comme  un  blasphème  (1). 

Un  peu  plus  tsivd,  le  Progrès  médical  [aisait 
lui-même  connaître  de  nouveaux  décès  surve- 
nus après  le  traitement  Pasteur  et  les  faisait  sui- 
vre des  commentaires  suivants  : 

«  Dans  sa  récente  communication  sur  la  rage, 
M.  Pasteur  après  avoir  éliminé  de  ses  statisti- 
ques un  certain  nombre  de  cas,  met  encore  à 
part  deux  autres  personnes,  Louise  Pelletier  et 
Moermann,  dont  la  mort  doit  être  attribuée  à 
leur  arrivée  tardive  au  laboratoire  :  Louise  Pelle- 
tier, trente-six  jours,  et  Moermann,  quarante- 
trois  jours  après  leurs  morsures.  Si  Moer- 
mann était  mort  de  la  rage  au  cours  du  traite- 
ment, comme  cela  est  arrivé  à  trois  Russes, 
nous  n'hésiterions  pas  un  instant  à  croire  que 
les  inoculations  avaient  été  trop  tardives.  Or, 
dans  le  cas  spécial,  cet  argument  ne  saurait  être 
mis  en  avant;  la  mort  est  survenue  27 jours 

(1)  Un  fougueux  pastorien,  M. .  Verncuil,  a  traité 
d'obscurs  blasphémateurs  les  médecins  qui  mettaient 
en  doute  ladécouTertc  Pasteur. 

12* 


-  20G  — 

après  la  première  inoculation,  et  17  jours  après 
la  dernière.  A  en  juger  d'après  les  théories  mê- 
mes de  M.  Pasteur,  les  Inoculations  avaient  eu 
largement  le  temps  d'agir  et  de  conférer  l'immu- 
nité. Dire  que  Louise  Pelletier  est  morte,  d'ail- 
leurs, après  le  traitement,  parce  qu'elle  ne  s"est 
présentée  au  laboratoire  de  la  rue  d'Ulm  que  le 
36*  jour,  ne  nous  semble  pas  non  plus  un  argu- 
ment de  grand  poids.  Jamin  fils,  et  Marie  Tou- 
chard,  que  l'on  considère  comme  guéris,  ne  sont 
venus  à  l'Ecole  normale  qu'au  bout  de  44  jours  : 
pourquoi  donc  ne  sont-ils  pas  morts  ?  En  somme, 
sur  quatre  individus  mordus,  deux  sont  morts, 
soit  50  pour  100,  ce  qui  est  notablement  supé- 
rieur à  la  proportion  habituelle.  Sur  trois  indi- 
vidus inoculés,  un  est  mort,  soit  33  pour  100, 
ce  qui  est  sensiblement  égal  à  la  proportion  or- 
dinaire des  cas  de  décès,  en  dehors  de  toute 
inoculation  curative.  Les  observations  rappor- 
tées plus  haut  ne  peuvent  donc,  en  aucune  ma- 
nire.  être  considérées  comme  démontrant  reffl- 
cacité  de  la  méthode  Pasteur  pour  le  traitement 
de  la  rage.  » 

Un  autre  journal  de  médecine  autorisé,  le 
Praticien,  s'exprimait  ainsi  après  la  communi- 
cation faite  à  llnstitut,  par  M.  Pasteur,  le  2  no- 
vembre 1886. 

«  Il  y  a  quelque  temps,  en  parlant  des  quelques 


—  207  — 

échecs  éprouvés  par  M.  Pasteur  dans  le  traite- 
ment de  la  rage  après  morsure,  nous  faisions 
ressortir  combien  la  clinique  réservait  de  déboi- 
res même  à  la  thérapeutique  la  mieux  assise  et 
fondée  sur  l'expérimentation  la  plus  rigoureuse. 
Ce  n'est  pas  la  communication  faite  hier  à  l'Aca- 
démie des  sciences  et  aujourd'hui  à  l'Académie 
de  médecine  qui  nous  fera  changer  d'avis.  Nous 
avons  toutefois  été  heureux  de  l'entendre,  non 
pas  que  nous  attachions  grande  importance  au 
nombre  (trop  considérable)  d'individus  inoculés, 
mais  parce  que  nous  avons  appris  incidemment 
que  M.  Pasteur  avait  fait  de  nouvelles  expérien- 
ces qui  contredisaient  les  mauvais  résultats  ob- 
tenus par  le  D'  von  Frisch,  de  Vienne. 

«  Il  est  encore  deux  points  sur  lesquels  M.  Pas- 
teur fera  bien  de  ne  pas  insister.  Le  premier, 
c'est  le  chiffre  des  personnes  traitées.  Il  ne  prou- 
ve que  la  vogue  de  l'inoculation  ;  or  l'engoue- 
ment du  public  même  pour  une  chose  juste  est 
loin  d'être  une  preuve  scientifique.  De  plus,  le 
chiffre  si  élevé  des  clients  de  l'institut  Pasteur 
démontre  la  fausseté  des  statistiques  (que  le  D" 
Grancher  a  eu  le  tort  d'employer),  qui  donnent 
1  mort  sur  10  mordus.  Au  compte  même  de  M. 
Pasteur,  et  en  supposant  que  tous  les  mordus  se 
soient  rendus  à  son  appel,  cela  devrait  nous  faire 
en  France  170  morts  enragés  qui,  ajoutés   aux 


--208  -- 

29  qui  ont  eu  lieu,  donneraient  200  enragés  suc- 
combant par  an,  ce  qui  n'a  jamais  eu  lieu. 

«  Le  second  point  faible,  c'est  d'affirmer  l'effl- 
cacité  de  la  nouvelle  méthode.  Hélas  !  en  mé- 
decine, rien  n'est  infaillible  !  et  M.  Pasteur  n'a 
qu'à  se  rappeler  que  son  ancienne  méthode  lui 
avait  aussi  paru  douée  de  cette  suprême  qua- 
lité !  Que  celle  qu'il  recommande  aujourd'hui 
soit  meilleure  ?  d'accord  !  Mais  qu'il  ne  se  fasse 
pas  trop  d'illusion,  pour  ne  pas  avoir  trop  de  dé- 
boires plus  tard.» 

Enfin,  un  médecin  compétent,  M.  Constan- 
tin James,  publiait  sous  le  titre  :  La  Rage  ; 
Avantages  de  son  traitement  par  la  méthode 
Pasteur,  un  ouvrage  entièrement  consacré  à 
l'apologie  de  la  méthode.  Nous  y  relevons  ce- 
pendant les  critiques  suivantes  : 

«  Les  cures  doivent  être  divisées  en  deux  catégo- 
ries, suivant  qu'elles  se  rapportent  aux  morsures  de 
loup  ou  de  clîien. 

«  Les  morsures  de  loup  ont  donné  des  résultats 
bien  moins  satisfaisants  que  ces  dernières,  probable- 
ment parce  qu'elles  sont  par  elles-mêmes  beaucoup 
plus  dangereuses.  Ainsi  nous  avons  vu  que,  sur  les 
dix-neuf  Russes  de  Smolensk,  trois  sont  morts  de  la 
rage,  et  que,  sur  les  neuf  Russes  de  Wladimir,  le 
même  nombre  a  succombé,  ce  qui  représente,  pour 
les  premiers,  une  mortalité  de  près  d'un  sixième,  et, 
pour  les    seconds,  une  mortalité,  d'un  tiers.  M.  Pas- 


—  209  — 

teur,  il  est  vrai,  en  est  encore,  pour  les  morsures  de 
loup,  à  la  période  d'essais.  Par  conséquent,  n'insis- 
tons pas. 

»  C'est  pour  les  morsures  de  chien  que  la  méthode, 
on  peut  le  dire,  s'épanouit  dans  toute  sa  splendeur. 
Comment  !  sur  plus  de  douze  cents  inoculés,  à  peine 
trois  ou  quatre  insuccès  !  Mais  c'est  de  la  féerie,  car 
cela  prouve  que  la  rage  qui,  avant  M.  Pasteur,  était 
la  maladie  dont  on  guérissait  le  moins,  est  devenue, 
grâce  à  lui,  la  maladie  dont  on  guérit  le  plus.  Le 
sulfate  de  quinine  lui-même,  ce  spécifique  par  excel- 
lence de  la  fièvre  intermittente,  ne  compte  pas  d'aussi 
beaux  états  de  service. 

((  Mais  ce  n'est  pas  tout,  en  fait  de  choses  extraor- 
dinaires. Les  meilleures  statistiques  établissent  qu'a- 
vant que  la  méthode  de  M.  Pasteur  ne  fût  connue, 
il  n'y  avait  pas  en  France  deux  cents  personnes 
mordues  par  année.  Or,  savez- vous  combien  il  s'en 
est  présenté,  rue  d'Ulm,  rien  qu'en  un  seul  trimes- 
tre ?  IIciT  CENT  CINQUANTE  ! 

ï  D'où  sortent-ils  donc  tous  ces  liydrophobes  ? 
Serait-ce  qu'aujourd'hui  on  attraperait  la  rage  comme 
on  attrape  un  rhume?  Sans  doute,  il  faut  en  défal- 
quer les  étrangers  ;  mais,  même  après  ce  triage,  ils 
représentent  encore  un  chiffre  énormément  dispro- 
portionné avec  ce  qui  se  voyait  autrefois. 

ï  Les  adversaires  de  la  méthode  s'en  font  une 
arme  pour  dire  qu'il  en  est  beaucoup  dans  le  nom- 
bre dont  la  maladie  consistait  bien  moins  dans  la 
rage  elle-même  que  dans  ce  qu'on  pourrait  appeler 
la  «  Rage  de  la  peur  ». 


—  210  — 

t  Je  suis  complètement  de  leur  avis  quant  au  fait  ; 
seulement  cela  n'infirme  en  rien  les  mérites  de  la 
raétliode.  Que  ceux  à  qui  la  dent  de  l'animal  n'avait 
point  inoculé  le  virus  rabique  prennent  patience  : 
bientôt  la  petite  seringue  Pravaz  les  compensera  et  au- 
delà  de  ces  retards.  Quand  ils  seront  à  la  fin  de  leur 
cure  et  que,  par  conséquent,  il  auront  reçu  les  dix 
injections  réglementaires,  ils  n'auront  plus  rien  à 
envier  aux  autres,  comme  approvisionnement  inté- 
rieur de  virus.  Aussi  pourront-ils  s'appliquer  égale- 
ment ce  que  M.  Pasteur  disait  du  jeune  Meister,  son 
premier  guéri,  qu'il  avait  échappé  (1)ala  rage  qu'il 

LUI  AVAIT  INOCULÉE,  RAGE  PLUS   VIRULENTE  QUE    CELLE  DU 
CHIEN  DES  RUES. 

«  Que  va-t-il  devenir,  en  somme,  ce  virus  ainsi 
emmagasiné  dans  l'organisme  ?  Ira-t-il  en  s'éteignauj 
comme  la  maladie  contre  laquelle  on  l'a  dirigé,  ou  au 
contraire,  après  une  incubation  plus  ou  moins  longue, 
signalera-t-il  son  réveil  par  quelque  terrible  catastro- 
phe? Nul  ne  le  sait,  M.  Pasteur  moins  que  personne. 
C'est  que,  n'étant  point  médecin,  il  ne  peut  trouver  de 
point  de  comparaison  avec  d'autres  maladies  égale- 
ment virulentes  ;  c'est  que,  de  plus,  ses  magnifiques 
travaux  sur  les  microbes  ne  peuvent  lui  être  ici  d'au- 
cun secours,  puisqu'il  n'existe  pas  de  microbes  dans 
la  rage. 

«  A  défaut  d'arguments  empruntés  à  la  science, 
M.  Pasteur  fait  valoir  celui-ci  ; 

(1)  «  Echappé  »  est  bien  le  mot.  Il  est  de  fait  que  pour 
avoir  osé  tenter  un  pareil  traitement,  il  a  fallu  à  M.  Pas- 
teur le  Robur  et  œs  triplea  dont  parle  le  poète. 


—  211  — 

«  L'iNOCULATIOS  FINALE  TRÈS  VIRULENTE  A  ENCORÏ  l'a- 

*  vaNtage  de  limiter  la  durée  des  appréhensions  qu'ok 
«  peut  avoir  su?,  les  suites  des  morsures.  Si  la  g  rae 
«  pouvait  éclate  :ï,  elle  se  décla.rerait  plus  vite  par 
«  un  virus  plus  virulent  que  celui  des  morsures.  » 

«  M.  Pasteur  a  cent  fois  raison.  Il  est  hors  de  doute 
que,  si  la  rage  avait  eu  encore  prise  sur  l'individu,  il 
y  a  longtemps  qu'avec  un  pareil  régime,  il  ne  serait 
plus  de  ce  monde.  Seulement  c'est  là  un  genre  d'ar- 
guments dont  il  faut  se  montrer  sobre. 

«  Je  m'arrête  et  surtout  je  m'abstiens  de  tout  com- 
mentaire sur  une  Méthode  qui,  nous  venons  de  le 
voir,  n'a  rien  de  commun  avec  nos  pratiques  médi- 
cales (1).  D'ailleurs,  maintenant  plus  que  jamais 
la  parole  est  aux  faits.  L'événement  jusqu'ici  a  donné 
gain  de  cause  à  M.  Pasteur,  en  ce  sens  qu'il  a  immen- 
sément rassuré  les  esprits;  espérons  qu'il  en  sera  de 
même  pour  le  reste.  L'opinion  ne  sera  donc  pas  trom- 

(1)  C'est  à  tort  que  l'on  a  comparé  rinoculatioii  de  la 
Rage  à  celle  delà  Variole.  Pour  la  variole,  on  faisait  choix 
d'une  éruption  très  bénigne,  et  l'on  prenait  avec  la  pointe 
d'une  lancette  quelques  atomes  de  virus  que  Ton  glissait 
délicatement  sous  Tépiderme  ;  puis  c'était  tout.  Pour  la 
rage,  au  contraire,  nous  venons  de  voir  qu'on  fabrique 
tout  exprès  un  virus  d'une  malignité  exceptionnelle,  qu'on 
l'injecte  par  seringuées  pleines  dans  les  vaisseaux  et 
qu'on  y  revient  au  moins  dix  jours  de  suite.  Enfin,  l'ino- 
culation du  virus  variolique  développait  ultérieurement 
une  petite  vérole  plus  ou  moins  mitigée,  tandis  que  l'ino- 
culatioa  du  virus  rabique  n'impressionne  pas  plus,  soit 
dans  le  moment,  soit  plus  tard,  que  si  c'était  de  l'eau 
claire. 


212   

pée  lorsque,  devançant  les  faits,  elle  Fa  proclamé 
l'un  des  grands  bienfaiteurs  de  l'iiumanité.   » 

Tel  est  le  jugement  plein  de  mesure  et  de  réserve 
porté  par  M.  Constantin  James  sur  une  méthode  dont 
11  se  déclare  partisan.  Que  serait-ce  s'il  ne  l'était  pas? 

Nous  nous  abstiendrons,  pour  le  moment  du  moins, 
de  tout  commentaire.  Il  nous  est  impossible  cependant 
de  ne  pas  faire  remarquer  que  si  M.  Pasteur  est  étran- 
ger à  toute  littérature  médicale,  il  n'en  est  pas  de 
même  pour  les  Souvenirs  iniimes  de  M.  de  la  Palisse. 
C'est  évidemment  à  ce  dernier  qu'il  a  emprunté  son 
raisonnement  pour  rassurer  les  gens  sur  les  dangers 
de  ses  inoculations,  en  leur  disant  que  «  la  meilleure 
preuve  qu'ils  ne  sont  pas  morts,  c'est  qu'ils  sont  encore 
en  vie  ». 

Les  Pastoriens  se  sont  si  souvent  vantés  de 
l'approbation  de  la  Russie,  de  l'argent  et  des 
décorations  envoyés  par  le  czar,  qu'il  nous  a 
paru  utile  de  faire  connaître  à  nos  confrères 
français  l'opinion  du  corps  médical  russe.  Cette 
opinion  a  plus  de  valeur  à  nos  yeux  que  celle 
des  empereurs  de  Russie  et  de  Turquie  qui  ont 
fait  pleuvoir  sur  la  poitrine  du  Maître  des  cons- 
tellations multiples  en  même  temps  qu'ils  em- 
plissaient sa  cassette. 

«  Dans  la  séance  ordinaire  de  la  Société  de 
MÉDECINE  DE  Saint-Pétersegurg,  tcnuc  Ic  2Q 
octobre,  M.  Kessler  a  fait  une  communication 


—  213  — 

sur  un  cas  de  mort  survenue  chez  un  enfant 
après  le  traitement  par  la  méthode  Pasteur  (1). 
Cet  enfant,  âgé  de  quatre  ans,  fils  d'un  employé 
du  chemin  de  fer  de  Kharkow-Nicolaïew,  nom- 
mé Tyjnenho,  avait  été  mordu  par  un  chien 
enragé  le  4  juillet.  Expédié  à  l'institut  Pasteur 
d'Odessa,  le  10  juillet,  pour  être  traité,  il  en  est 
revenu  le  21  juillet  après  avoir  subi  deux  inocu- 
lations. Le  12  août,  les  symptômes  de  la  rage 
se  sont  manifestés  et  le  14  août  l'enfant  mourait, 
—  42  jours  après  avoir  été  mordu  et  27  jours 
après  avoir  été  inoculé. 

Cette  communication  du  docteur  Kessler  a 
provoqué  une  discussion  fort  animée  au  sujet 
du  traitement  par  l'inoculation  du  virus  rabi- 
que.  La  discussion  a  duré  jusqu'à  minuit  et  elle 
sera  continuée  dans  la  prochaine  séance. 

Au  cours  de  la  discussion,  M.  Veniaminow  a 
sonmis  à  l'assemblée  la  statistique  des  résultats 
que  M.  Pasteur  a  obtenus  jusqu'au  l«r  octobre. 
Comparant  ie  total  des  individus  mordus  par 
des  chiens  dont  la  rage  a  été  constatée  au  labo- 
ratoire même  de  M,  Pasteur  avec  le  nombre  des 
décès,  l'orateur  dit  que  les  données  existantes 
sur  le  nouveau  traitement  «  ne  reposent  pas  sur 
des  faits  positifs  ^  et  ne  fournissent  que  des 
DÉCISIONS  DOUTEUSES.  Aussl  la  plupart  des  méde- 

(1)  Cotte  noie  est  adressée  à  la  Semaine  médicale. 


-  214  — 

ciiis  présents  à  la  réunion  se  sont-ils  prononcés 
dans  ce  sens  :  que  le  traitement  par  l'inoculation 
du  virus  rabique  n'est  qu'une  méthode  de  trai- 
tement préventive  et  que  la  rage  peut  être  traitée 
tout  aussi  bien  par  la  méthode  de  la  cautérisation. 

Les  pastoriens  ont  souvent  invoqué  en  faveur 
de  leur  méthode  l'opinion  de  la  presse  étrangère. 

11  nous  paraît  dès  lors  intéressant  de  placer 
sous  les  yeux  de  nos  lecteurs  quelques  extraits 
des  journaux  russes  où  le  pastorianisme  semble 
s'être  le  plus  rapidement  implanté. 

Un  journal  pastorien,  Le  Soleil,  du  21  août, 
publie  une  «  correspondance  particulière  »  de 
Pétersbourg  ;  et  cette  correspondance  ne  manque 
pas  d'humour  comme  on  va  voir  : 

LE   LION  DU   JOUR. 

Le  lion  du  jour,  ce  n'est  ni  l'archiduc  Charles,  ni  M. 
de  Bismarck,  ni  M.  de  Giers  ;  c'est  votre  compatriote, 
M.  Pasteur.  On  sait  à  quel  point  le  Russe  est  enthou- 
siaste des  nouveautés,  surtout  des  nouveautés  scien- 
tifiques ;  à  plus  forte  raison  lorsqu'elles  sont  d'ori- 
gine française.  Aussi,  dès  le  premier  jour,  la  décou- 
verte de  M.  Pasteur  a-t-elle  excité  ici  une  admiration 
voisine  du  fanatisme.  Dans  une  lettre  que  la  presse 
de  Pétersbourg  a  publiée,  M.  Pasteur  déclarait  qu'un 
seul  hôpital,  exclusivement  réservé  à  la  prophylaxie 
de  la  rage,  suffirait  amplement  pour   toute   l'Europe 


-   215  — 

et  MÊME  pour  V Amérique  du  Nord{\).  Mais  les  Russes, 
dans  leur  ardeur  de  néophytes,  n'ont  pas  suivi  ce 
conseil.  Il  n'est  pas  de  ville  qui  ne  veuille  avoir  son 
établissement  antirabique.  Pétersbourg,  Moscou, 
Odessa,  Samara  même  ont  déjà  ouvert  les  leurs.  Cha- 
que Zeimstro  (conseil  général)  de  province  veut  avoir 
le  sien.  C'est  la  rage  décentralisée. 

LA   RAGE  A    PÉTERSBOURG. 

L'établissement  de  Pétersbourg  a  été  inauguré  le  25 
juillet  en. présence  de  plusieurs  membres  delà  famil- 
le impériale  :  le  prince  d'Oldenbourg,  la  princesse 
Eugénie  Maximilianovna  et  le  duc  de  Leuchtenberg. 
Deux  Français,  les  docteurs  Loir  (2)  et  Perdrix,  étaien  t 
venus  prêter  l'aide  de  leur  expérience  au  docteur 
Krouglevski  et  au  médecin- vétérinaire  Helmann.  Le 
prince  d'Oldenbourg  avait  reçu  de  M.  Pasteur  deux 
lapins  inoculés  de  virus  (3).  La  première  opération  a 
été  faite  sur  un  enfant  de  troupe.  Aujourd'hui  plus 
de  vingt  malades  sont  en  traitement  à  Pétersbourg,  et 

(1)  Les  «  loups  »  de  Smolensk  ont  modifié  quelque  peu 
les  opinions  du  Sauveur  «  infaillible  ». 

(2)  Le  jeune  Loir  n'est  pas  docteur,  mais  étudiant  de 
troisième  année.  C'est  ravéuement  des  jeunes  !  Arriére  les 
vieux  et  les  envieux  ! 

—  N'en  est-il  pas  des  loirs  et  des  perdrix  comme  des 
hommes. 

«  Pour  leurs  âmes  bien  nées, 

La  valeur  n'attend  pas  le  nombre  des  années  ?  » 

(3)  Entre  princes  les  petits  cadeaux  entretiennent  l'amitié. 


—  216  — 

l'on  ne  parle  plus  d'autre  chose.  Bon  gré  mal  gré, 
il  faut  avoir  une  opinion  sur  le  virus  du  lapin,  du 
chien,  du  chat  ou  du  loup. 

LA    RAGE    EN    PROVINCE. 

Mais  la  province  tient  à  honneur  de  ne  pas  se  lais- 
ser dépasser  par  la  capitale.  La  Douma,  de  Moscou, 
télégraphie,  avec  un  certain  orgueil,  qu'elle  dispose 
de  quinze  enragés  authentiques,  actuellement  soignés 
à  l'hôpital  Alexandre  III.  La  municipalité  d'Odessa, 
qui  ne  veut  pas  rester  en  arrière,  fait  publier  par- 
tout qu'elle  reçoit  gratuitement  tous  les  individus 
mordus,  et  qu'elle  leur  réserve  le  meilleur  traitement. 
Enfin,  la  pauvre  ville  de  Sarama  est  contrainte  d'a- 
vouer qu'elle  n'a  pu  mettre  la  main  que  sur  deux 
malades,  dont  l'un,  il  est  vrai  (circonstance  légère- 
ment  consolante  ),  a  été  mordu  par  un  loup. 

PROTESTATION  DU  DOCTEUR  JAGELL. 

Pourtant,  au  milieu  de  ce  concert  d'éloges  qui  ont 
accueilli  la  découverte  de  Pasteur,  quelques  voix  dis- 
cordantes se  font  entendre.  Certains  journaux  font 
remarquer,  non  sans  malignité,  que  fro/s  (l)des  «  en- 
ragés »  d'Odessa  sont  déjà  morts  en  dépit  du  traite- 
ment antirabique  (2).  Un  médecin  polonais,  le  docteur 

(1)  «  Trois  !  »  la  belle  affaire  et  cela  vaut  bien  qu'on  en 
parle. 

(2)  M.  Pasteur  a  déjà  donné  à  entendre  que'  c'est  la 
faute  du  docteur  Gamalei  d'Odessa  «  qui  ne  sait  pas  s'y 
prendre  ».  C'est  bien  fait  pour  le  docteur  Gamalei  ! 


—  217  — 

Ignace  Jagell,  vient  de  lancer,  dans  le  Messager  da 
Vilna,  une  violente  attaque  contre  le  savant  Fran- 
çais. (3).  » 

Voici  maintenant  comment  le  Novoë  Vremia, 
un  des  principaux  organes  de  l'opinion  en  Rus- 
sie, apprécie  Tenthousiasme  irréfléchi  des  parti- 
sans de  M.  Pasteur  : 

L'entraînement  pour  une  nouveauté  à  la  mode  — 
surtout  lorsqu'elle  vient  de  Paris  —  est  dans  notre 
tempérament.  Ce  travers  vient  d'être  poussé  au  co- 
mique à  propos  des  théories  de  M.  Pasteur,  concer- 
nant le  traitement  préventif  de  la  rage. 

Depuis  longtemps  M.  Pasteur  attribue  une  influence 
pernicieuse  aux  organismes  inférieurs.  Ses  théories  à 
ce  sujet  ont  eu  beaucoup  de  partisans  et  de  nombreux 
adversaires,  surtout  lorsque,  les  portant  sur  le  ter- 
rain pratique,  il  a  voulu  les  appliquer  au  traitement 
de  la  maladie  des  vers  à  soie,  du  choléra  des  poules, 
du  rouget  des  porcs,  du  charbon  des  bestiaux,  et 
finalement  de  la  rage  des  chiens  et  des  hommes. 

A  l'étranger,  on  suivait  attentivement  tous  ces  ef- 
forts, mais  on  ne  taisait  pas  de  AI.  Pasteur  une  idole 
avant  même  qu'il  eût  fait  une  découverte. 

A  Paris  même,  l'organisation  de  l'Institut  Pasteur 
a  rencontré  une  grande  opposition  non  seulement 
de  la  part  de  savants  médecins,  mais  encore  de  la 
part  de  membres  du  corps  administratif  de  la  Ville. 

(1)  M.  Pasteur  répondra  que  M.JagoU  o.st  jaloux,  parce 
qu'on  ne  lui  a  donné  ni  place  ni  cordon.  Et  il  aui-a  bien  rai- 
son, comme  toujours. 


—  218     - 

Il  est  resté  mauvais  souvenir  de  M.  Pasteur  à  l'Ecole 
normale.  Enfin,  on  a  rappelé  ses  cabrioles  politiques, 
sa  passion  pour  l'argent,  etc.,  etc.  Il  est  donc  bien 
certain  que,  malgré  force  réclames,  l'admiration  n'a 
pas  été  unanime  en  France. 

Quant  aux  autres  pays,  l'indifférence  a  été  telle 
qu'il  n'y  a  pas  lieu  d'en  parler. 

Chez  nous  il  en  a  été  tout  autrement.  A  peine  la 
découverte  de  M.  Pasteur  a-t-elle  été  signalée  qu'il 
n'est  pas  jusqu'au  moindre  médecin  de  village  qui, 
désireux  d'aller  flâner  à  Paris,  ne  se  soit  empressé 
de  se  procurer  un  individu  quelconque  mordu  par 
un  cliien  enragé  ou  non,  chose  facile  dans  toutes  les 
villes  russes.  Puis,  sous  prétexte  d'aller  étudier  la 
méthode  du  savant  français,  ces  messieurs  fréquen- 
tent les  cafés-concerts  des  Champs-Elysées  ;  le  tout 
aux  frais  des  municipalités. 

La  mort  de  neuf  Russes  ayant  refroidi  l'enthou- 
siasme des  contribuables  pour  ces  promenades,  on  se 
prit  à  organiser  de  toutes  parts  des  instituts  Pasteur. 
Alors  qu'en  France,  on  en  obtient  un  à  grand'peine, 
nous  en  avons  déjà  chez  nous  quatre  ou  cinq  ;  à 
Saint  -  Pétersbourg,  Moscou,  Varsovie,  Saraara. 
Odessa.  Il  suffit  qu'il  plaise  aux  autorités  de  rayer 
tlu  budget  les  frais  de  voyage  pour  que  toute  la  Rus  • 
sie  se  couvre  de  laboratoires  antirabiques. 

La  mode  a  du  bon  lorsqu'il  s'agit  de  tournures  ou 
de  gilets.  En  médecine  et  surtout  lorsqu'elle  a  re- 
,  cours  aux  deniers  publics,  il  est  essentiel  de  consi- 
dérer le  but. 

Ainsi,  que  nos  médecins  fassent  du  bouillon  de 


—  219  — 

moelle  de  lapin,  qu'ils  observent  avec  attention  ce 
qui  se  passe  à  l'étranger  sans  se  presser  d'aller  là-bas 
aux  frais  d'autrui,  et  qu'ils  attendent,  avant  de  cou- 
vrir le  sol  d'instituts  Pasteur  aux  dépens  des  contri- 
buables, que  l'utilité  en  soit  définitivement  démon- 
trée. 


CHAPITRE  XIV 

LA  MÉTHODE  PASTEUR  EN  RUSSIE. 

La  Pasteuromanie.qui  avait  tout  envahi,  est 
partout  en  décroissance.  Elle  a  perdu  son  carac- 
tère intolérant,  a  pris  une  attitude  de  plus  en 
plus  défensive,  a  fait  des  concessions  à  la  criti- 
que sensée  et  ne  pose  plus  comme  dogme  Tin- 
faillibilité  du  pontife  de  la  rue  d'Ulm. 

En  Russie,  le  D'"Kessler,de  Saint-Pétersbourg 
a  pris  la  liberté  grande  d'avoir  son  opinion  sur 
les  inoculations  du  professeur  Méchnikofï  et  du 
D'  Gamalei,  d'Odessa,  qui  en  sont  à  défendre 
«  l'innocuité  de  la  méthode  »(!) 

Le  D""  Kesslerpose  aux  fougueux  inoculateurs 
une  série  de  questions  indiscrètes  et  embarras- 
santes. Il  demande  qu'on  veuille  bien  lui  expli- 
quer les  décès  suivants  survenus  parmi  les  ma- 
lades traités  par  le  procédé  de  M.  Pasteur  à  l'ins- 
titut d'Odessa. 

1 .  Le  paysan  Kouznetsofî,  inoculé  du  15  au 
52  juillet,  tombé  malade  le  9  octobre,  mort  le  12 
au  soir. 


221  

2.  Simon  Yolodinn,  inoculé  en  juin,  tombé 
malade  le  28  septembre,  mort  le  30. 

3.  Vassili  Mirochnltchenko,  mordu  en  juin, 
mort  après  inoculation,  le  30  août. 

4.  Nasstassia  Brétchkinn,  traitée  quatre  jours 
après  la  morsure,  tombée  malade  le  13  octobre, 
morte  le  14. 

5.  Popoff,  de  Belgrade,  mort  après  avoir  subi 
le  traitement  complet. 

Le  D""  Kessier  insiste  tout  particulièrement  sur 
le  cas  de  Mirochnltchenko,  qui  s'est  produit  dans 
les  circonstances  suivantes  : 

En  juin  dernier,  au  village  de  lachinn,  un 
chien  enragé  mord  quatre  personnes,  dans  l'or- 
dre suivant  : 

Marie  Kravtsoff,  Marie  Datzenkolî,  Vassili 
Mirochnltchenko  et  Iakoff  Kollessnikoff.  Les 
deux  jeunes  filles  se  soignent  à  domicile  par  les 
moyens  ordinaires.  Les  deux  hommes  vont  se 
faire  inoculer  à  Odessa,  et  l'un  d'eux  meurt. 

Les  femmes  mordues  en  premier  étaient  ce- 
pendant plus  exposées  <à  contracter  la  rage. 

CE    aU'ON    PENSAIT    EN    ALLEMAGNE. 

On  sait  que,  interrogé  par  un  député  du  Par- 
lement p  russien  sur  l'attitude  que  comptait 
prendre  le  gouvernement  à  propos  de  la  décou- 
verte Pasteur^  le  ministre  a  répondu  :  «  La  ques- 

13. 


222  

tion  n'est  pas  importante  pour  la  Prusse,  puis- 
que la  mortalité  par  la  rage  est  descendue  dans 
ce  pays  ù.  0  depuis  qu"on  y  applique  les  mesures 
administratives  décrétées  contre  les  chiens.  Le 
gouvernementpense  donc  qu'il  n'yapas  lieu  d'en- 
voyer personne  étudier  le  nouveau  trr.itement.  Il 
se  propose  d'attendre  que  la  découverte  pompeu- 
sement annoncée  ait  été  confirmée  par  le  temps.  » 

A  ce  soufflet  officiel  et  aussi  humiliant  pour  la 
science  française,  il  faut  ajouter  les  critiques  et 
les  quolibets  auxquels  la  nouvelle  méthode  qui 
attirait  300  enragés  à  l'Ecole  normale  donnait 
lieu  journellement. 

Il  est  pénible,  sans  doute,  à  notre  amour-propre 
scientifique  déparier  de  cette  question.  Mais,  la 
science  n'a  pas  de  patrie,  et  nous  pensons  qu'il 
vaut  mieux  savoir  ce  qui  se  dit  à  l'étranger  que 
de  s'infatuerdans  une  fausse  gloire  nationale. 

L'article  suivant,  qui  émane  d'un  savant  alle- 
mand, le  D''  de  Voigts  Rhetz,  montrera  aux 
pastoriens  comment  leur  prétendue  découverte 
était  appréciée  à  l'Etranger, 

«  Le  niveau  des  facultés  intellectuelles  de  la 
France  qui  ont  jusqu'à  présent  toujours  brillé 
d'un  si  vif  éclat,  aurait-il  baissé  et  le  Figaro  au- 
rait-il eu  raison  quand  il  discutait  naguère  très 
sérieusement  la  question  à  savoir  si  le    temps 


—  223     ~ 

n'était  pas  venu  d'introduire  dans  le  code  pénal 
un  supplément  en  faveur  des  demi-fous  ? 
On  pourrait  être  porté  à  le  croire  en  assis- 
tant aux  manifestations  de  l'enthousiasme 
irréfléchi  et  sans  bornes  dont  la  méthode  anti- 
rabique de  Pasteur  est  enfournée  en  France.  A 
peine  le  public  est-il  revenu  des  illusions  désas- 
treuses que  les  inoculations  prophylactiques  du 
D''Ferran  contre  le  choléra  avaient  répandues  en 
Espagne,  à  peine  cet  insigne  charlatan  s'est-il 
retiré  de  son  champ  de  bataille,  couvert  de  vic- 
times, et  ses  poches  remplies  de  leurs  dépouilles 
que  déjà  une  nouvelle  méthode  d'inoculation 
contre  une  autre  maladie  terrible,  la  rage  des 
chiens,  fait  son  apparition  dans  le  monde  et  ex- 
cite, en  dépit  des  protestations  énergiques  d'un 
grand  nombre  de  médecins  et  de  savants  distin- 
gués, une  admiration  frénétique  dans  toutes  les 
couches  de  la  société  française  ;  et  l'autorité  de 
ces  adversaires  de  M.  Pasteur  est  cependant 
d'autant  plus  grande  que  l'inventeur  de  la  nou- 
velle méthode  n'est  ni  médecin,  ni  physiologis- 
te, quoique  le  zèle  de  ses  partisans  l'ait  affublé 
de  ces  titres,  mais  seulement  un  savant  chimis- 
te. Ces  considérations  n'ont  pourtant  pas  empê- 
ché les  admirateurs  de  ce  nouveau  «  Sau- 
veur de  l'humanité  »  de  consacrer  des  sommes 
folles  au  projet  de  celui-ci  de  créer  un  établisse- 


224  

ment  grandiose  où  le  monde  entier  doit,  selon 
lui,  pouvoir  se  garantir  contre  les  suites  de  mor- 
sures de  chiens  enragés.  Tout  le  monde  ne  lit 
pas  des  traités  de  médecine  et  de  physiologie; 
mais,  abstraction  faite  de  toute  raison  scientifi- 
que, le  bon  sens  seul  devrait  déjà  avoir  entravé 
l'entraînement  général  pour  un  système  qui  ne 
repose  jusqu'à  présent  sur  aucune  preuve  sûre 
et  indiscutable. 

Je  ne  me  permettrai  pas  de  fatiguer  votre  pa- 
tience par  la  récapitulation  des  nombreuses  ques- 
tions qui  se  présentent  à  cette  occasion  toutes  seu- 
les, pour  ainsi  dire,  à  la  réflexion  de  chacun,  et 
qui  répandent  par  la  réponse  qu'on  est  obligé  à  y 
faire  les  doutes  les  plus  justifiés  sur  l'efficacité  de 
la  méthode  en  question.  Ce  qui  est  consolant  et 
heureux,  c'est  que  hors  de  France  on  a  persévéré 
jusqu'à  présent  dans  une  sage  réserve  par  rap- 
port à  la  méthode  Pasteur.  jNI.  le  professeur 
Virchow  ayant  demandé  à  f  occasion  de  la  dis- 
cussion sur  le  budget  des  affaires  médicales, 
quelle  position  le  gouvernement  Prussien  comp- 
tait prendre  par  rapport  à  la  méthode  Pasteur, 
le  Ministre  de  l'Instruction  publique  répondit 
que  le  gouvernement  suivait  avec  attention  les 
expériments  de  M,  Pasteur,  mais  qu'il  ne 
croyait  pas  encore  le  moment  venu  ni  pour 
l'Empire  ni  pour  la  Prusse  de  mettre  le  résultat 


-  225  — 

de  ses  travaux  en  pratique.  Le  ministre  ajouta 
que  la  question  avait  plus  d'importance  pour  la 
France  que  pour  la  Prusse  où  le  nombre  des 
personnes  mortes  de  la  rage  était  descendu 
dans  ces  5  dernières  années  pour  toute  la  mo- 
narchie de  10  à  6,  et  de  4  à  1,  et  que  depuis  la 
dernière  année  il  n'y  avait  plus  de  cas  de  mort 
causé  parla  rage. 

«  En  causant,  il  y  a  quelque  temps,  avec  un 
des  professeurs  les  plus  distingués  de  la  Fa- 
culté de  médecine  de  Strasbourg,  celui-ci  me 
montra  une  liste,  signée  par  des  docteurs  fran- 
çais et  par  laquelle  ceux-ci  engageaient  leurs 
collègues  d'outre-Rhin  à  participer  à  la  sous- 
cription pour  l'institut  Pasteur. 

«  J'espère —  dis-je  à  mon  interlocuteur —  que 
vous  ne  compromettrez  pas  votre  nom  en  le  met- 
tant sur  cette  liste,  car  quoique  un  profane, 
j'ai  la  conviction  puisée  dans  les  simples  don- 
nées du  bon  sens  que  la  méthode  antirabique  de 
Pasteur  fmira  dans  un  temps  peu  éloigné  par 
un  fiasco  semblable  à  celui  de  son  prédécesseur 
Ferran.  —  Je  suis  assez  disposé  à  partager  vo- 
tre opinion,  répondit  mon  professeur,  et  je 
me  garderai  bien  de  signer  la  liste.  » 

Quand  le  moment  de  la  débâcle  probable  de  la 
méthode  Pasteur  sera  arrivé,  la  seule  classe  de  la 
population  parisienne  qui  en   aura  réellement 


—  226  — . 

profité  sera  peut-être  celle  des  mendiantes  de 
Paris  qui  demandent  aux  passants  l'aumône 
en  disant  :  «  N'oubliez  pas  une  pauvre  mère  de 
famille  qui  a  un  enfant  chez  M.  Pasteur. 

CE    qu'on  en  pensait  EN  ANGLETERRE. 

L'Angleterre  scientifique,  toujours  à  la  recher- 
che des  nouveautés,  a  d'abord  accueilli  avec  fa- 
veur la  nouvelle  méthode  préconisée  à  l'Ecole 
normale.  Une  commission  envoyée  à  Paris  s'est 
prononcée  poûrrexpectalion  et  avait  d'abord  re- 
connu que  la  méthode  était  au  moins  inoffensive. 

Quelques  personnes  mordues  et  se  croyant 
atteintes  d'hydrophobie  sont  même  venues  sui- 
vre le  nouveau  traitement.  Mais  on  verra  plus 
loin  que  la  mortalité  sur  les  Anglais  a  été  consi- 
dérable et  a  dépassé  celle  qu'on  observait  avant 
la  célèbre  méthode. 

Les  savants  anglais  commencèrent  alors  non 
seulement  à  douter  de  l'efficacité  de  la  nouvelle 
méthode,  mais  à  avoir  des  soupçons  sur  son  in- 
nocuité. Et  comme  ils  étaient  indépendants  et  ne 
subissaient  pas  le  joug  de  la  puissante  Ecole  pas- 
torienne  ils  exprimèrent  nettement  leur  opinion. 

A  la  fin  de  décembre  1886,  deux  nouveaux 
décès  furent  signalés  en  Angleterre  après  le  trai- 
tement Pastorien  :  ceux  de  Goffi  et  de  Wilde. 


—  227  — 

La  mort  de  Goffi  et  celle  de  l'enfant  Wilde 
présentent  une  importance  considérable  en  ce 
sens  que  ces  deux  malades  avaient  subi  le  nou- 
veau traitement  préventif,  progressif  et  intensif 
inauguré  le  P""  septembre  et  que  M.  Pasteur 
avait  donné  comme  infaillible  dans  sa  commu- 
nication du  2  novembre  aux  Académies. 

Ces  deux  nouveaux  décès  ont  causé  une  vive 
émotion  dans  le  corps  médical  anglais  et  ont 
plongé  dans  la  consternation  les  quelques  néo- 
phytes que  la  méthode  des  virus  exaltés  comp- 
tait en  Angleterre. 

Un  médecin  qui  jouit  d'une  grande  notoriété, 
et  qui  avait  donné  ses  soins  au  jeune  Wilde,  a 
adressé  à  la  Lancet  et  au  Daibj  Telegvaph  la 
lettre  suivante  dont  nous  recommandons  la  lec- 
ture aux  Pastoriens  : 

t  La  mort  de  ces  deux  jeunes  gens  (Goffi  à 
Londres,  et  Wilde  à  Rotherham)  survenue  trois 
semaines  après  un  traitement  complet  à  l'École 
normale,  constituent  des  faits  qu'il  importe 
d'examiner  avec  la  plus  stricte  attention.  Dans 
le  cas  de  Goffi,  il  y  a  eu  une  enquête,  mais  la 
mort  n'a  pu  être  expliquée  par  aucune  autre 
maladie  que  la  rage  et  les  expériences  qu'on 
nous  a  dit  avoir  été  faites  n'ont  pas  encore  donné 
de  résultat.  Dans  le  cas  de  Wilde,  il  n'y  a  pas 


-  228  — 

eu  d'enquête,  mais  les  renseignements  qui  m'ont 
été  donnés  par  la  mère  sont  de  telle  nature  que 
je  considère  comme  mon  devoir  de  médecin  de 
leur  donner  la  plus  grande  publicité. 

On  a  prétendu  que  cet  enfant  avait  succombé 
à  une  congestion  pulmonaire  ;  mais  cette  ver- 
sion intéressée  ne  peut  être  acceptée.  Les  symp- 
tômes présentent  la  plus  grande  analogie  avec 
ceux  observés  sur  Goffi.  La  prostration  intense. 
la  paralysie  générale  de  tous  les  organes,  l'in- 
vasion foudroyante  de  la  maladie  et  la  rapidité 
de  la  mort,  tous  les  symptômes  présentent  une 
identité  presque  absolue  avec  ceux  que  M.  Pas- 
teur a  décrits  et  observés  sur  les  animaux  qu'il 
a  inoculés  et  qu'on  désigne  sous  le  nom  de 
paralysie  rahique.  Pour  moi,  il  me  semble 
ÉVIDENT  que  ces  deux  individus  ont  succombé 
à  la  suite  des  dix-neuf  inoculations  de  virus 
exaltés  qu'ils  ont  subies  à  Paris. 

La  mère  d'une  des  victimes,  madame  Wilde, 
m'a  autorisé  à  faire  connaître  ces  faits  afm  que 
les  autres  individus,  mordus  légèrement  par  des 
animaux,  puissent  se  soustraire  aux  obsessions 
dont  ils  sont  l'objet  et  éviter  le  sort  malheureux 
de  son  enfant.  Pour  moi,  j'ai  la  conviction  que 
le  jeune  Wilde  n'a  pas  succombé  à  la  rage  qui 
ne  lui  a  pas  été  inoculée  par  un  chien,  mais  qu'il 
est  mort  de  la  paralysie  rabique  qui  lui  avait  été 


-^  229  — 

inoculée  par  un   des  aides  de  M.  Pasteur  au 
laboratoire  de  l'École  normale. 

J.  H.  Clarke.  » 

Cette  lettre  est  extraite  du  Daily  Telegraph, 
ïi"  du  6  décembre  1886.  Nous  laissons  à  nos  lec- 
teurs le  soin  de  l'entourer  des  commentaires 
qu'elle  comporte. 

CEQO'ON  EM  PENSE  EN   SUISSE. 

Quelques  députés  de  la  suisse  romane  ont  fait 
la  proposition  d'allouer  5,000  francs  à  l'institut 
rabique  Pasteur  de  la  rue  d'Ulm,  à  Paris. 

La  Commission  médicale  Suisse  consultée  s'est 
unanimement  prononcée  contre  cette  proposi- 
tion, à  l'exception  d'un  seul  membre,  le  D""  Reali. 

Le  Conseil  fédéral,  à  son  tour,  vient  de  décla- 
rer habilement  et  dignement  que  '^  la  France 
était  en  état  de  pourvoir  largement  aux  besoins 
de  ses  savants  ;  et  que,  si  les  dépenses  dépas- 
saient ses  ressources,  elle  pouvait  provoquer  uue 
convention  internationale.  » 

Voilà  de  pénibles  soufflets  pour  la  méthode 
Pastorienne.  Quelque  douloureux  qu'ils  puis- 
sent être  pour  notre  amour-propre  national,  il 
était  de  notre  devoir  de  les  signaler  :  Magna  est 
Veritas. 


CHAPITRE    XV 

COMMENT  M.  PASTEUR  INTERPRÈTE  LES 

INSUCCÈS  ? 

Les  événements  sont  venus  malheureusement 
nous  donner  raison  et  justifier  les  réserves  que 
nous  avions  conseillées  à  ceux  de  nos  confrères 
qui  ont  pu  se  préserver  de  l'enthousiasme  con- 
tagieux, lorsqu'on  leur  a  annoncé  les  miracles 
de  la  rue  d'Ulm. 

Les  faits  qui  se  sont  succédé  montrent  que  M» 
Pasteur  ne  guérit  pas  la  rage.  Il  n'y  aurait  pas 
là  de  quoi  récriminer;  mais  la  manière  dont  le 
maître  interprète  ses  insuccès  est  de  nature  à 
nous  inquiéter  sérieusement  sur  la  méthode  et 
les  procédés  scientifiques  employés  à  lEcole 
normale. 

M.  Pasteur  s'est  d'abord  bien  gardé  de  com- 
muniquer à  la  Presse  et  à  nos  académies  la  mort 
des  Russes  qui  étaient  repartis  complètement 
GUÉRIS  et  qui  ont  succombé  en  très  grand  nom- 
bre dès  leur  arrivée  en  Russie.  Ceux-ci  avaient, 
du  reste,  été  mordus  par  des  loups,  qui  donnent, 


—  231      • 

paraît-il,  une  rage  spéciale,  réfractaire  à  la  mé- 
thode. Mais  les  décès  survenus  à  l'îIùtel-Dieu, 
chez  des  individus  mordus  par  des  chiens^  n'ont 
pu  être  dissimulés.  Il  a  donc  fallu  s'exécuter,  et 
voici  en  quels  termes  M.  Pasteur  a  fait  connaî- 
tre la  mort  de  l'un  d'eux,  dans  sa  communication 
adressée  au  Figaro  et  au  Petit  Journal,  ses  or- 
ganes attitrés  : 

Le  25  mai  arrivait  à  Pari«,  en  compagnie  de  plu- 
sieurs de  ses  compatriotes,  un  Roumain,  nommé  Jean 
Gagu,  agriculteur  à  Vasluin, 

Ces  malheureux,  mordus  dans  la  journée  du  II  mai 
par  un  chien  enragé,  venaient  se  soumettre  aux  inocu- 
lations de  M.  Pasteur. 

Descendus  dans  un  hôtel  du  boulevard  Saint-Michel, 
ils  repartaient  samedi  soir  pour  leur  pajs,  complète- 
ment GUÉRIS,  sauf  Gagu,  qui  avait  été  pris,  dans  la  jour- 
née même,  de  symptômes  ressemblant  à  ceux  de  la  ter- 
rible maladie. 

Transporté  àTHôtcl-Dieu  et  mis  dans  une  chambre 
spéciale,  il  se  montra  d'abord  relativement  tranquille, 
manifestant  seulement  quelque  inquiétude  lorsqu'il 
entendait  marcher  dans  le  couloir  voisin. 

Mais  vers  9  heures,  pris  tout  à  coup  d'un  accès 
épouvantable,  il  fallut  lui  mettre  la  camisole  de  force 
el  lui  injecter  une  forte  dose  de  morphine.  Enfin,  après 
une  nuit  et  une  matinée  fort  agitées,  Gagu  a  rendu  le 
dernier  soupir  hier,  à  trois  heures  quarante-cinq  du 
soir,  dans  un  accès  d'une  violence  épouvantable. 

Le  malade  n'a  pas  montré  Thorreur  des  liquides  qui 


—  233  — 

se  manifeste  ordinairement  chez  les  enragés.  Il  a  même 
bu  avec  satisfaction  à  plusieurs  reprises. 

//  se  pourrait  donc  que  Gagu  eut  succombé  tout 
siyiiplement  à  un  accès  de  delirium  tremsns  ;  mais  il 
faut  allendre,  pour  se  prononcer,  les  résultais  de  lau- 
topsie. 

Ainsi,  voilà  comment  M.  Pasteur  interprète 
les  faits.  En  premier  lieu,  les  malades  retournent 
en  Roumanie  complètement  guéris.  Mais  que 
savez-vous,  grand  maître,  s'ils  sont  guéris,  puis- 
qu'il est  démontré  que  l'incubation  de  la  rage 
peut  se  prolonger  jusqu'à  240  jours.  La  preuve 
qu'ils  ne  sont  pas  guéris  est  fournie  de  la  façon 
la  plus  catégorique  par  la  mort  de  ce  malheureux 
que  vous  aviez  déjà  inscrit  parmi  vos  succès 
avant  son  arrivée  à  l'Hùtel-Dieu. 

Mais  où  le  fait  est  plus  grave,  c'est  lorsque 
vous  annoncez  que  Gagu  est  probablement  mort 
du  DELiBiuM  TREMENS,  puisqu'H  n'a  pas  mon- 
tré Vhorreur  des  liquides.  En  agissant  ainsi, 
grand  maître,  vous  altérez  la  vérité  et  vous  nous 
montrez  que  vous  ignorez  absolument  les  symp- 
tômes de  la  maladie  que  vous  prétendez  guérir. 
Non,  M.  Pasteur, les  individus  atteints  de  la  rage 
n'ont  pas  toujours  l'horreur  des  liquides;  c'est  là 
une  croyance  du  siècle  dernier  que  vous  et  les 
gens  du  monde  avez  seuls  conservée.  Les  enragés 
boivent;  ils  boivent  souvent  avec  avidité  jusqu'à 


—  233  — 

la  fin.  Cela  est  écrit  dans  tous  les  traités  clas- 
siques, et  si  vous  aviez  surveillé  vous-même 
les  victimes  qui  sont  mortes  à  l'Hôtel-Dieu, 
vous  auriez  vu  qu'elles  n'ont  pas  toujours  eu 
l'horreur  des  liquides.  L'un  des  enragés  que  vous 
aviez  inutilement  inoculé  a  accepté  des  mains 
deM.Tillauxun  verre  d'eau  qu'il  a  bu  en  sa  pré 
sence  un  quart  d'heure  avant  de  succomber. 

En  insinuant  que  le  malade  est  mort  du  deli- 
rium  tremens  et  non  pas  rabique,  vous  altérez 
la  vérité  et  vous  faites  planer  une  imputation 
malveillante  sur  une  honnête  victime  de  la  rage 
canine. 

Il  est  vrai  que  vous  aviez  déjà  déclaré  que  la 
petite  Lepelletier,  morte  également  de  la  rage 
après  votre  traitement,  était  morte  d'une  ménin- 
gite. 

Prenez  garde,  M.  Pasteur,  en  agissant  ainsi, 
vous  nous  permettrez  de  mettre  en  doute  votre 
honorabilité  scientifique  et  alors  que  deviendra 
votre  méthode?  La  Presse  médicale,  qui  s'est  cru 
obligée  de  garder  le  silence  jusqu'à  ce  jour, 
quittera  cette  prudente  réserve  et  arrivera  à  cri- 
tiquer les  faits.  Ce  que  nous  avons  bien  voulu 
considérer  jusqu'à  ce  jour  comme  de  l'ignorance 
de  votre  part  pourrait  alors  être  interprété  autre- 
ment. 
Que  dire,  par  exemple,  du  silence  prudent  que 

14 


—  234  — 

vous  avez  observé  à  Tégard  de  la  mort  des  trois 
Russes  qui  ont  succombé  depuis  leur  retour  en 
Russie  et  que  vous  aviez  fait  figurer  parmi  les 
complètement  guéris.  Vous  aurez  plus  tard  des 
comptes  à  nous  rendre.  11  ne  suffit  pas  de  dire  : 
«  J'ai  guéri  1,500  enragés.  »  Il  faudra  vous  mettre 
en  mesure  de  dire,  dans  quelques  mois,  si  vos 
1,500  enragés  sont  encore  vivants. 

Est-il  besoin  d'ajouter  que  nous  désirons  au 
moins  autant  que  vous  que  la  rage  soit  curable 
et  que  vous  fassiez  disparaître  cette  affection 
qui,  tout  en  n'occasionnant  que  28  décès  par  an 
dans  toute  la  France,  n'en  est  pas  moins  le  cau- 
chemar du  genre  humain.  Xous  serons  donc 
les  premiers  à  faire  très  humblement  Je  pèleri- 
nage de  la  rue  d'Ulm  lorsque  vous  aurez  démon- 
tré que  votre  système  de  traitement  par  l'atté- 
nuation des  virus  s'applique  à  la  rage  et  surtout 
aux  autres  maladies  virulentes  qui,  comme  la 
syphilis,  ont  une  toute  autre  importance,  dans 
notre  cadre  pathologique. 

Un  autre  décès  survenu  à  Grenoble  mérite  en- 
core d'appeler  l'atlention  et  montre  comment 
on  pratique  la  vérité  scientifique  dans  le  grand 
laboratoire  de  la  rue  dUlm.  Xous  avons  souvent 
affirmé  qu'il  existait  à  l'Ecole  Normale  une  agen- 
ce de  publicité  ayant  pour  tâche  de  tromper  le 


■  -  235  ~ 

public.  Les  quelques  extraits  que  nous  allons 
donner  en  fourniront  la  preuve. 

On  verra,  d'autre  part,  par  ces  extraits  du 
Temps,  qu'on  ne  sait  la  vérité  sur  les  agisse- 
ments pastoriens  qu'en  s'adressant  à  des  «  cor- 
respondants particuliers  »,  c'est-à-dire  indépen- 
dants de  la  coterie  de  la  rae  d'Ulm. 

On  remarquera  que  tous  ces  faits  scientifiques 
ne  viennent  à  la  connaissance  du  public  médical 
que  parla  voie  des  journaux  politiques  (comme 
pour  les  pastilles  Géraudel)  I 

Commençons  par  une  citation  du  Figaro  : 

I.  «  Le  Peut  Lyonnais  annonce  la  mort,  à  Grenoble, 
de  M.  Marins  Bouvier,  qui  avait  été  mordu  par  un 
chat  enragé,  et  qui,  après  trois  ou  quatre  inoculations 
au  laboratoire  de  M.  Pasteur,  avait  commis  la  Jante 
de  ne  plus  venir  se  faire  soigner.  Il  n'a  pas  continué 
le  traitement,  et  il  a  malheureusement  payé  de  sa  vie 
cette  imprudente  négUgence.  » 

Voilà  ce  qu'annonce,  le  23  juillet,  le  Figaro. 
dans  une  note  communiquée  et  mensongère. 

IL  Autre  antienne  :  on  lit  dans  la  Liberté 
(journal  pastorien),  25  juillet  1886  : 

«  La  rage.  —  On  écrit  de  Grenoble  diU  Petit  Lyon- 
nais : 

«  Il  y  a  quelque  temps,  M.  Bouvier,  domicilié  à  la 
«  Greille,  était  mordu  par  un  chat  enragé.  11  partit 


--  236  — 

«  pour  Paris  afin  de  se  faire  traiter  par  M.  Pasteur. 
«  A  son  retour,  M.  Bouvier  se  montrait  très  satisfait 
«  de  son  voyage  et  faisait  les  plus  grands  éloges  de 
«  M.  Pasteur  pour  les  soins  qui  lui  avaient  été  prodi- 
«  gués.  C'est  le  30  avril  qu'il  avait  été  mordu  et  au- 
«  jourd'hui  (20  juillet),  après  8\  Jours,  vers  deux  heu- 
«  res  et  demie,  le  malheureux  était  amené  à  l'hôpital, 
«  dans  un  fiacre,  les  bras  et  les  jambes  liés.  Il  écu- 
«  niait  et  était  en  proie  à  de  terribles  contorsions.  Le 
«  docteur  Hermil  a  constaté  qu'il  était  atteint  depuis 
0  quarante-huit  heures  de  délire  hydrophobique.  Pou- 
ce vier  est  mort  dans  des  souffrances  épouvantables.  » 

«  Nous  sommes  allés  aux  renseignements  et  voici 
ce  que  nous  avons  appris  : 

«  M.  Bouvier,  mordu  à  la  main  gauche  par  un  chat 
enragé  et  non  par  un  chien,  s'est  présenté  le  4  mai 
au  Laboratoire  de  M.  Pasteur,  où  il  a  subi  une  pre- 
mière inoculation.  Il  y  est  revenu  les  5,  6  et  7  mai. 
}tl?iis,  à  partir  de  celte  date,  u.  paraît  n'avoir  pas  conli- 
mié  le  traitement, 

«  C'est,  du  moins,  ce  qui  semble  résulter  d'une  let- 
tre écrite  par  M.  Bouvier  à  M.  Pasteur,  lettre  dans 
laquelle  il  s'excuse  de  partir  précipitamment  pour 
Grenoble,  une  dépêche  lui  annonçant  que  sa  femme 
est  gravement  malade. 

«  Le  nombre  des  personnes  inoculées  jusqu'à  ce 
jour  au  Laboratoire  de  M.  Pasteur  s'élève  à  1,630, 
sur  lesquelles  12  décès  ont  été  constatés  :  5  person- 
nes ont  succombé  aux  morsures  de  chiens,  1  à  celle 
d'un  chat  (Bouvier)  et  6  aux  morsures  de  loups.  » 


—  237  — 

Le  chiffre  de  mortalité  avoué  ici  est  absolu- 
ment faux.  Ce  qui  est  vrai,  c'est  le  chiffre  fan- 
tastique des  inoculés,  attendu  qu'on  inocule  tous 
ceux  qui  se  présentent,  le  but  étant  d'avoir  un 
chiffre  énorme  d'inoculés  (quelconques)  à  oppo 
ser  au  chiffre  des  morts  de  rage  à  la  suite  d'ino- 
culations. 

III.  La  note  vraie  est  enfm  donnée  par  le 
Temps,  toujours  Pastorien.  mais  avant  tout  res- 
pectueux de  la  vérité  comme  de  ses  lecteurs. 

On  lit  dans  ce  journal  à  la  date  du  20  juillet 
1886  : 

«  LE   CAS  DE  RAGE  DE  MABIUS  BOUVIER. 

«  Nous  recevons  de  notre  correspondant  particulier 
de  Grenoble,  la  dépêche  suivante  : 

<c  Grenoble,  24  juillet  1886. 

«r  Un  grand  nombre  de  journaux  de  Paris  ont  ra- 
conté que  Marins  Bouvier,  âgé  de  trente-cinq  ans, 
représentant  de  commerce,  mort  le  21  juillet,  à  Gre- 
noble, après  avoir  été  mordu  par  un  chat  enragé,  le 
3J  avril  dernier,  n'avait  suivi  que  pendant  trois  jours 
le  traitement  Pasteur.  M.  le  Docteur  Girard,  de  Gre- 
noble, qui  a  procédé  avec  son  confrère  Hermil  à  l'au 
topsie  de  Bouvier, a  reçu  aujourd'hui  de  M.  le  Docteur 
Brouardel,  de  Paris,  une  lettre  lui  demandant  des 
explications  à  ce  sujet. 

«  Personnellement  je  puis  affirmer  que  j'ai  eu  en- 


—  238  — 

tre  les  mains  et  que  j'ai  encore  vu  aujourd'hui  à  la 
mairie  le  certificat  délivré  par  M.  Pasteur  à  Bouvier, 
et  attestant  qu'il  avait  suivi  le  traitement  préventif 
de  la  rage  du  4  au  13  mai  1886. 
«  Il  est  ainsi  conçu  : 

«  Laboratoire  de  la  rue  d'Ulm. 

«  Je  déclare  que  le  sieur  Marius  Bouvier,  de  Greno- 
«  ble,  a  subi  le  traitement  préventif  de  la  rage  du  4 
au  13  mai  1886  (10  jours). 

«  Signé  :  Pastelb.  » 

«  M.  Girard  a  envoyé  à  ^I.  Pasteur,  sur  sa  deman- 
de, le  bulbe  du  cerveau  de  Bouvier.  Je  puis  ajouter 
que  Fillustre  savant  a  écrit  à  son  confrère  de  Greno- 
ble que  c'est  la  première  fois  que  son  traitement  se- 
rait suivi  d'insuccès  sur  un  homme  mordu  à  la  main 
(et  par  un  chat). 

ï  Avec  une  partie  du  cerveau  que  l'on  a  conservée 
à  l'hôpital  de  notre  ville,  on  a  inoculé  un  lapin  et  un 
chien.  Le  lapin  est  mort  hier  soir,  et  le  chien  est  ma- 
jade.  Il  est  donc  certain,  et  c'est  l'avis  des  deux  mé- 
decins qui  ont  fait  l'autopsie  du  cadavre  de  Bouvier, 
que  celui-ci  est  bien  mort  de  la  rage. 

«  Il  faut  remarquer,  il  est  vrai,  que  cet  homme 
était  un  alcoolique  invétéré,  s'enivrant  deux  ou  trois 
fois  par  semaine  et  se  querellant  du  matin  au  soir.  » 
(Encore  l'alcoolisme,  comme  pour  Gagu,  le  Roumain 
calomnié  par  les  Pastoriens.) 

Une  note  aussi  exacte  ne  pouvait  pas  ne  pas 
être  suivie  d'un  «  Communiqué  ■»  destiné  à  atté- 


—  239  — 

nuer  les  fâcheux  effets  d'une  telle  et  si  rare  sin- 
cérité. 

Voici  ce  «  Communiqué  »,  d'un  français  et 
d'une  franchise  à  l'estampille  de  M.  Pasteur  : 

IV.  Le  7'emps,  27  juillet  1886. 

(C    I,E  CAS  DE  RA.'^E     DE   MARIUS   BOUVIER 

«  On  a  reçu  hier,  au  laboratoire  de  la  rue  d'Ulm, 
le  bulbe  du  cerveau  de  Marins  Bouvier  qui,  mordu 
par  un  chat  enragé,  a  succombé  à  Grenoble,  le  21 
juillet,  après  avoir  subi  le  traitement  Pasteur.  Au 
moyen  de  cet  organe,  on  a  pratiqué  aussitôt  des  ino- 
culations sur  divers  animaux.  Dans  quinze  jours  envi- 
ron, on  connaîtra  leurs  résultats.  En  ce  qui  concerne 
celles  qui  ont  été  faites  à  Grenoble  sur  un  lapin  et 
sur  un  chien,  l'opinion  de  M.  Pazteiir  est  qu'e/Zes  ?,ont 

SANS  VALEUR. 

«  On  pense,  au  laboratoire,  que  Marins  Bouvier  a  pu 
ne  p.is  subir  toutes  les  inoculations  prescrites.  En  ef- 
fet, au  cours  de  son  traitement,  sa  femme  est  tombée 
malade  ;  à  cette  occasion.  Bouvier  s'est  peut-être  ab- 
senté de  Paris.  On  croit  aussi  ({ue  Bouvier,  qui  se  li- 
vrait aux  amusements  (1),  a  pu  volontairement  man- 
quer quelques-unes  des  séances  d'inoculations.  Ce 
qui  le  ferait  admettre  aux  personnes  qui  s'occupent 
des  inoculations,  c'est  que  la  famille  du  défunt  lui 
reprochait  d'avoir  négligé  sa  maladie  ;  les  remon  • 
trances  qui  lui  furent  faites  à  ce  sujet  déterminèrent 

(1)  Voilà  du  vrai  français  Pastorien  ? 


—  240  — 

Bouvier  à  demande/-  avec  instance  à  M.  Pasteur  un 
CERTIFICAT  attestant  qu'il  avait  subi  ponctuellement 
le  traitement  ;  ce  certificat  lui  fut  délivré  (l). 

«  On  reste  convaincu,  au  laboratoire  de  la  rue 
d'Ulm.  que  la  mort  de  Bouvier  ne  saurait  remettre 
en  question  Tefficacité  de  la  méthode  Pasteur,  sur- 
tout si  Ton  considère  que  sur  1,700  personnes  traitées 
jusqu'à  aujourd'hui  ou  en  traitement,  quatre  seule- 
ment sont  mortes,  sans  compter,  bien  entendit,  les 
Russes  mordus  par  des  loups  enragés.  » 

Ce  dernier  communiqué  n'a  nul  besoin  de 
commentaires.  Remarquons  seulement  l'opinion 
aimable  de  M.  Pasteur  relativement  à  nos  sa- 
vants confrères  de  Grenoble,  MM.  Girard  et  Her- 
mil,  et  le  cas  qu'il  fait  de  leurs  expériences. 
C'est  qu'à  Grenoble  pas  plus  qu'à  Paris  il  ne  fait 
pas  bon  se  mettre  en  travers  de  la  puissante 
Ecole  des  miracles,  et  la  simple  exposition  de  la 
vérité  est  de  nature  à  soulever  les  colères  et  les 
tempêtes  des  thaumaturges  qui  ont  la  prétention 
d'entraîner  à  leur  suite  la  clinique  française.  La 
courageuse  conduite  du  professeur  Girard  me 
donne  à  penser  qu'ils  n'y  ont  pas  encore  pleine- 
ment réussi. 

Enfin,  nous  citerons  avec  détail,  un  troisième 
fait  qui  montre  également  que  les  Pastoriensne 

(1)  Voyez-vous  d'ici   Pasteur  violeuté  par  Bouvier  !  Ce 
qui  est  violenté  c'est  la  vérité  ! 


—  241  — 

peuvent  se  résigner  à  accepter  un  insuccès  sans 
invoquer  pour  leur  défense  des  arguments  em- 
pruntés à  l'Ecole  de  Basile. 

Voici  le  fait  : 

<  Les  deux  fils  d'un  paysan  hollandais  des 
«  environs  de  Dordrecht,  mordus  par  un  chat 
«  devenu  hydrophobe  à  la  suite  d'une  morsure 
«  de  chien  enragé,  étaient  venus,  il  y  a  troi:> 
4  semaines  environ,  aux  frais  du  gouvernement 
«  hollandais,  prendre  les  soins  de  M.  Pasteur. 

Œ  Retourné  dans  son  pays  natal,  l'un  de  ces 
«  enfants,  âgé  de  treize  ans,  est  mort  de  la  rage 
«  mardi  dernier  (1).  » 

C'est-à-dire  un  mort  sur  deux  inoculés,  c'est- 
à-dire,  une  mortalité  de  cinquante  pour  cent. 
Voilà  un  gouvernement  bien  récompensé  de  ses 
frais  !  et  qui  doit  avoir  une  juste  idée  de  ï  «  il- 
lustre savant  »,  comme  de  sa  prophylaxie  anti- 
rabique ! 

Le  journal  le  Temps  l'a  bien  compris,  car, 
voulant  (chose  assez  contradictoire)  être  véridi- 
queet  rester  pastorien,  il  insère  après  sa  «  nou- 
velle »,  le  «  communiqué  »  (2)  suivant  : 

(1)L3  Tettîps,  9  août  1836. 

(2)  Le  service  de  publicité  de  la  maisoa  Pasleur 
adresse  à  tous  les  journaux  politiques  de  Paris  ot  des 
départements  des  notes  qui  rappellent  los  communiqués 
de  l'Empire.  C'est  M.  Vallcry-Radot,  gendre  du  grand 

14* 


—  242  — 

«  M.  Pasteur  a  été  informé  de  ce  décès  par  un 
«  de  nos  confrères  de  la  presse  hollandaise. 

«  L'illustre  savant  (1)  craint  que  ses  prescrip- 
ft  tions  ne  soient  pas  toujours  exactement  sui- 
«  vies  par  les  étrangers  auxquels  il  donne  ses 
«  soins,  qui  ne  comprennent  pas  le  français  et 
«  qui  une  fois  présentés  au  laboratoire,  ne  sont 
«  plus  accompagnés  d'aucun  interprète.  » 

On  reconnaît  là  le  français  et  la  franchise  de 
M.  Pasteur. 

L'  0-  illustre  savant  »  craint,  c'est  une  insinua- 
tion, que  ses  prescriptions  ne  soient  pas  tou- 
jours exactement  suivies.  Qu'est-ce  que  cela 
veut  dire?  de  quelles  prescriptions  s'agit-il  ? 

La  prophylaxie  antirabique  de  1'  «  illustre  sa- 
vant »  réside  tout  entière  dans  les  inoculations 
dites  a  vaccinations  ».  En  dehors  de  celles-ci.  il 
n'y  a  rien. 

Voyons  !  Est-ce  qu'avant  d'inoculer  les  moel- 

clîimisle  et  futur  hérilier  de  la  pension  de  25,000  fr. 
cfui  est  chargé  d'entretenir  l'enthousiasme  et  de  distri- 
buer les  notes  à  la  Presse.  C'est  ainsi  que  le  cotnmit- 
niqiié  que  nous  reproduisons  a  paru  identique  dans 
tous  les  journaux  pastoriens  :  le  Temps,  le  Matin,  le 
Siècle,  etc. 

(1,  Le  cliché  illustre  savant  romplac.e  désormais 
dans  la  presse  politique,  le  cliché  antérieur  aussi  dé- 
modé que  peu  justifié   de  savant  désintéressé. 


^    243  — 

les  aux  hommes,  M.  Pasteur  ne  les  a  pas  ino- 
culées aux  chiens  ?  Quels  étaient  les  interprè- 
tes entre  ces  chiens  («  qui  ne  comprenaient  pas 
le  français  »  de  M. Pasteur)  et  lui  ?  Quelles  étaient 
les  «  prescriptions  »  de  M.  Pasteur  à  ces  chiens  ? 
Et  comment  étaient-elles  «  exactement  suivies  » 
par  ceux-ci  ? 

Mais  il  s'agit  d'égarer  le  public  non  médical 
qui  lit  la  nouvelle  ;  c'est  pourquoi  on  parle  de 
prescriptions . 

«  Voilà  !  s'écrie  alors  le  bon  bourgeois  (qui  a 
souscrit  à  l'Institut  Pasteur),  l'illustre  savant  et 
sa  méthode  sont  toujours  aussi  infaillibles  ; 
mais  on  n'avait  pas  suivi  ses  prescriptions  !  o 

Quels  misérables  subterfuges  ! 

Eh  quoi  I  l'esprit  français,  si  clair,  si  scientifi- 
que et  si  franc,  serait  à  ce  point  méprisé  ? 

Et  l'on  oublierait  en  France  ces  paroles  si  ju- 
dicieuses de  Voltaire,  adversaire  de  Maupertuis 
le  «  Pasteur  de  son  époque  !  »  (Qui  de  nos  jours 
connaît  l'illustre  Maupertuis,  lequel  fut,  lui 
aussi,  en  son  temps,  de  l'Académie  des  sciences 
de  France,  puis,  fondateur  et  président  de  celle 
de  Berlin.) 

«  Tenons -nous  seulement  en  garde  contre  les 
apparences,  qui  trompent  si  souvent  ;  contre 
l'autorité  magistrale,  qui  veut  subjuguer  ;  con- 
tre le  charlatanisme,  qui  accompagne  et  qui  cor- 


—  244  — 

rompt  si  souvent  les  sciences  ;  contre  la  foule 
crédule,  qui  est,  pour  un  temps. ^  l'écho  d'un  seul 
ho^nme.  »  (l) 

Peut-on  mieux  dire  ?  et  n'est-ce  pas   absolu- 
ment vrai,  à  cent  ans  de  distance  ? 


(\}Yo\\3livc.D.'S  singiilarilcs  de  lanûtiire,\1QS./6'>a\'\néi\. 


CHAPITRE  XVI 

QUELQUES  RÉFJ.EXIONS  SUR  LA  LON- 
GUEUR DE  UINCUBATIOX.—  FRÉQUEN- 
CE LE  LA  RAGE. 

Le  Journal  de  Médecine  de  Paris  a  fait  con- 
naître la  mort  par  la  rage  d'un  inoculé  de  M. 
Pasteur  qui  mérite  d'appeler  l'attention  sur  la 
longueur  de  l'incubation. 

Rappelons  qu'il  s'agit  d'un  enfant  (le  jeune 
Mathieu  Vidau)  —  mordu  par  un  chien  —  à  la 
paupière  et  au  poignet  —  mordu  superficielle- 
ment. Rappelons  que  l'enfant  fut  inoculé  trois 
jours  seulement  après  la  morsure —  par  le  por- 
te-seringue de  la  méthode,  M.  Grancher  ;  — 
qu'il  y  eut  neuf  inoculations  pratiquées  ;  —  que 
l'enfant,  pendant  sept  mois,  fut  considéré  com- 
me «  guéri  »  ;  —  et  qu'enfin,  après  cette  longue 
incubation,  l'enfant  succomba  à  la  rage. 

C'est  évidemment  là  le  coup  le  plus  rude 
qu'ait  encore  reçu  le  funèbre  chimiste  de  la  rue 
d'Ulm.  Tout  y  est  comme  à  dessein  réuni  pour 


~  246  — 

réfuter  d'un  seul  coup  la  série  de  sophismes 
qu'avait  accumulés  —  pour  atténuer  ou  expli- 
quer ses  insuccès  —  le  solennel  et  lugubre  em- 
pirique. 

On  sait  que,  pour  se  disculper  de  la  mort  de  la 
petite  Pelletier,  sa  première  victime  connue,  M. 
Pasteur  avait  invoqué  :  1°  la  blessure  profonde  ■ 
à  la  tête  ;  2"  le  long  temps  écoulé  entre  la  mor- 
sure et  l'inoculation  dite  préventive. 

On  sait,  d'autre  part,  que,  pour  se  disculper 
de  la  mort  coup  sur  coup  de  ses  Russes,  il  in- 
voqua :  1°  la  blessure  à  la  tête  ;  2'  le  nombre  et 
la  profondeur  des  blessures  ;  3°  le  fait  que  le 
vulnérateur  était  un  loup. 

Ces  arguments  n'étaient  pas  destinés  à  con- 
vaincre les  membres  de  l'Académie  de  médecine 
qui  les  écoutaient  tête  basse  ;  ils  avaient  pour 
but  d'abuser  le  grand  public  incompétent. 

Car,  1"  relativement  au  premier  argument, 
aucun  médecin  n'ignore  qu'en  fait  d'absorption, 
c'est  une  circonstance  insignifiante  que  la  dis- 
tance qui  sépare  le  point  d'inoculation  du  point 
de  réception.  (On  est  aussi  bien  vacciné  pour 
l'avoir  été  à  la  jambe  que  pour  l'avoir  été  au 
bras  ;  et  ceux  qui  assistent  M.  Pasteur  le  savent 
si  bien  qu'ils  inoculent  leurs  crédules  patients  à 
la  région  diaphragmatique.  Pourquoi  ne  le  font- 
ils  pas  à  la  face  pour  «   accélérer  »  l'absorption 


—  247  — 

par  le  bulbe,  et  hâter  ici  l'immunité  '?  Les  mo- 
ments perdus  étant  si  redoutables,  ils  sont  bien 
coupables  d'agir  ainsi.) 

2"  Relativement  au  second  argument  (le  long 
temps  écoulé},  aucun  médecin  n'ignore  que,  la 
durée  d'incubation  de  la  rage  étant  indéterminée, 
le  temps  écoulé  ne  signifie  rien  (abstraction  faite 
de  la  cautérisation  immédiate)  et  que,  si  l'ino- 
culation dite  antirabique  était  efficace,  —  ce  qui 
n'est  pas, —  elle  le  serait  autant  —  ou  aussi  peu 
—  huit  jours  après  la  morsure  que  vingt  ou 
trente  jours  plus  tard. 

3''  Relativement  au  troisième  argument  {le 
nombre  et  la  -profondeur  des  morsures),  il  est  de 
nature  à  faire  hausser  les  épaules  au  médecin 
même  le  moins  instruit,  et  à  plus  forte  raison  à 
un  membre  de  l'Académie.  Ne  savent-ils  pas 
qu'une  seule  piqûre  sous-hypodermique  suffit 
à  l'inoculation  d'une  maladie  virulente  ? 

Mais  ce  qu'il  y  a  déplus  terrible  pour  M.  Pas- 
teur dans  le  fait  du  petit  Mathieu  Vidau,  c'est 
l'explosion  de  la  rage  sept  mois  après  les  inocu- 
lations dites  antirabiques  pratiquées  cependant 
TROIS  JOURS  après  la  morsure,  c'est-à-dire  dans 
les  conditions  de  prophylaxie  que  M.  Pasteur 
assurait  être  les  plus  certaines.  Ainsi,  pendant 
sept  mois,  ce  petit  inoculé  a  été  considéré  comme 
a  guéri  »,  et  voici  que  sa  mort  par  la  rage  vient 


—  248  — 

frapper  de  suspicion  tous  les  cas  de  prétendue 
guérison,  la  rage  pouvant  se  développer  chez  les 
inoculés  de  M.  Pasteur  sept  mois  et  plus  après 
le  traitement  soi-devant  préventif. 

En  fait  (et  les  médecins  qui  assistent  le  chi- 
miste auraient  dû  l'en  informer),  tout  ici  est 
dominé  par  la  prédisposition. 

1°  La  rage  n'étant  pas  une  maladie  propre  à 
l'homme,  celui-ci  n'y  est  pas  prédisposé,  d'où 
l'immunité  pour  la  rage  d'au  moins  cinq  sur  six 
mordus  et  qui  l'ont  été  dans  des  conditions  d'ino- 
culabilité  certaine  et  absolue,  c'est-à-dire  sur 
des  parties  découvertes. 

2'  D'une  part,  l'absorption  étant  beaucoup 
plus  active  dans  l'enfance  qu'à  tout  autre  âge 
(la  croissance  exige  cette  plus  grande  activité), 
et  les  sympathies  nerveuses  y  étant  plus  intenses 
pour  les  mêmes  raisons  d'exubérance  de  vitalité 
—  d'où  les  complications  nerveuses  des  mala- 
dies de  l'enfance  —  :  d'autre  part,  la  rage  étant 
une  maladie  nerveuse,  on  comprend  que  l'enfant 
y  soit  plus  prédisposé  que  l'adulte. 

3°  Pour  les  mêmes  raisons,  pendant  l'incuba- 
tion de  la  rage,  un  accident  nevoeux  quelque 
peu  intense  (émotion,  peur,  chagrin,  etc.)  peut 
déterminer  l'explosion  de  la  maladie. 

4°  La  rage  étant  une  maladie  qui  se  traduit 
par  des  actes  de  violence,  on  peut  admettre  que, 


—  249  — 

plus  féroce  sera  l'animal,  plus  actif  sera  son  vi- 
pyg  _d'où  la  plus  grande  virulence  de  la  bave 
du  loup.  —  Ce  serait  affaire  de  qualité  et  non  de 
quantité. 

Mais  ce  sont  là  des  considérations  trop  scienti- 
fiques pour  avoir  appelé  l'attention  de  l'Ecole 
Pastorienne.  Comme  l'a  si  bien  dit  M.  le  profes- 
seur Bouchard  au  Congrès  de  Nancy,  on  fait  à 
l'Ecole  Normale  de  l'empirisme  et  non  de  la 
science.  Ce  qu'on  veut  avant  tout,  c'est  offrir  au 
public  un  nombre  fantastique  d'inoculés,  afin  de 
le  tromper  sur  la  valeur  thérapeutique  de  la  nou- 
velle méthode. 

Si  ce  traitement  a  une  action  quelconque,  ce 
n'est  certes  pas  une  action  préservatrice,  mais 
seulement  consolante.  La  méthode  pastorienne 
agit  sur  les  crédules  patients  comme  les  pilules 
de  micœpanis  dans  l'hystérie.Ce  n'est  plus  alors 
de  la  vaccination^  mais  de  la  suggestion. 

En  ce  qui  concerne  l'incubation,  il  n'est  pas 
sans  intérêt  de  rappeler  qu'un  des  guéris  de  M. 
Pasteur  (Marius  Bouvier,  de  Grenoble)  est  mort 
après  une  longue  incubation. 

Ce  malheureux  avait  été  mordu  le  30  avril 
188G.  Il  avait  suivi  le  traitement  réglementaire 
de  l'Ecole  normale  du  4  au  13  mai.  Il  a  succom- 
bé à  la  rage  le  21  juillet,  c'est-à-dire  82  jours 
après  la  morsure.  Ce  fait  vient  à  l'appui  de  i'opi- 


-  250  — 

nion  que  nous  avons  émise  que  l'incubation  de 
la  rage  peut  être  de  plusieurs  mois  ;  d'après  l'en- 
quête du  comité  d'hygiène  reproduite  par  M. 
Brouardel  (Dictionnaire  Dechambre,  article 
Rage),  la  durée  de  l'incubation  peut  aller  jus- 
qu'à 240  jours. 

On  voit  donc  que  les  Pastorlens  se  sont  trop 
hâtés  d'exploiter  leur  découverte  auprès  du  pu- 
blic extra-médical  et  qu'il  eût  été  cent  fois  plus 
digne  de  rester  dans  une  prudente  réserve. 

Le  tableau  suivant,  emprunté  au  Diction- 
naire encyclopédique  des  sciences  médicales, 
donne  des  renseignements  très  précis  sur  la  lon- 
gueur de  l'incubation. 

Boudin  a  communiqué  à  l'Académie  de  mé- 
decine, le  20  octobre  1863,  une  statistique  dans 
laquelle  nous  trouvons  que  le  nombre  annuel 
moyen  des  décès  qausés  par  la  rage,  a  été  : 

En  Prusse 19,5  de  1854  à  1858 

En  Bavière 3,5  de  1855  à  1856 

En  Belgique 2,6  de  1856  à  1860 

En  Angleterre  (Ecos- 
se et  Irlande  non 

comprises) 10  de  1853  à  1857 

En  Ecosse 1  de  1855  à  1885 

En  Suède,  cette  proportion  des  décès  a  varié 
ainsi  qu'il  suit  à  quatre  époques  différentes  : 


—  251  — 

De  1776  à  1855 —  5,8  décès,  année  moyenne 

—  1786  à  1790....  13,8      —  — 

—  1831  à  1835  ...       0,6      —  — 

—  1856  à  1860....       4,2      —  — 

En  France,  sur  l'initiative  du  comité  consulta- 
tif d'hygiène,  une  circulaire  nainistérielle  en 
date  du  17  juin  1850,  prescrivit  une  enquête 
générale  sur  la  rage.  Depuis  lors,  de  noncibreu- 
ses  circulaires  ont  rappelé  la  première,  et  l'en- 
quête, résumée  dans  cinq  rapports  de  Tardieu,  et 
un  de  Bouley,  nous  donne  une  idée  exacte  de  la 
fréquence  de  la  rage  et  de  sa  répartition  sur  le 
territoire  français, 

1850 27  cas  de  mort 

1851 12  - 

1852 46  — 

1853 37  - 

1854 21  - 

1855 21  _ 

1856 20  — 

1857 13  _ 

1858 17  — 

1859 19  — 

1860 14  — 

1861. 21  - 

1862 26  — 

1863 49  _ 

A   reporter 343    cas  de  mort. 


î    252  — 

Report 343  cas  de  mort. 

1864.... 66  — 

1865 48  — 

1866 64  — 

1867 37  — 

1868  56  — 

1869 36  — 

1870 6  — 

1871 14  — 

1872 15  — 

Total 685  cas  de  mort 

en  23  ans  ou  30  par  an  en  moyenne. 

Dans  Y  Autriche  méridionale,  les  personnes  mor- 
dues de  1879  à  1885  par  des  chiens  enragés  ont  été 
au  nombre  de  42,  37,  42,  67,  93,  85  et  28  ;  la  rage  est 
survenue  chez  13,  8,  5,  7,  2,  10  et  3  personnes. 

En  Prusse,  il  y  a  eu  dans  les  cinq  dernières  années, 
10,  6,  4,  I  et  0  individus  atteints  de  rage.  Ces  chif 
fres  sont  dus  à  ienergie  avec  laquelle  on  exécute  le 
règlement  qui  oblige  les  propriétaires  des  chiens  à 
les  museler. 

Voilà  les  chiffres  officiels  fournis  parle  gouverne- 
ment hollandais  : 

En  1869,  2:  en  1870,  1  ;  en  1871,  2  :  en  1872,3  :  en 
1873,  1  ;  en  1874,  5  ;  en  1875,  2  ;  en  1876,3  ;  en  1877, 
1  ;  en  1878,  0  ;  en  1879,  1  ;  en  1880,  0:  en  1881,  0  ; 
en  1882,  0;  en  1883,  0;  en  1884,  0. 


CHAPITRE  XVII 

LA  RAGE  EXISTE-T-ELLE.-  LA  RAGE  ET 
LE  TÉTANOS 

Le  docteur  Lorinser,  une  des  célébrités  médi- 
cales de  rAutriche,  écrit  dans  un  journal  de 
Vienne,  à  propos  de  M.  Pasteur  et  de  tout  le 
bruit  fait  autour  de  sa  prétendue  découverte  d'un 
nouveau  traitement  de  la  rage  : 

Le  tapage  exagéré  que  fait  M.  Pasteur  avec 
ses  inoculations  antirabiques  commence  à  agacer 
les  médecins  et  les  profanes  réfléchis. 

L'enthousiasme  des  premiers  jours  s'est  con- 
sidérablement refroidi,  et  une  opinion  plus  scep- 
tique gagne  peu  à  peu  le  public. 

Dans  ces  conditions,  je  fais  de  nouveau  appel 
au  jugement  calme  et  sain  de  mes  collègues  et 
m'efforcerai  de  leur  démontrer  quelle  confusion 
déplorable  règne  encore  aujourd'hui  dans  les 
idées  sur  la  rage  du  chien  et  la  lysse  des  hom- 
mes, malgré  tous  les  progrès  de  la  thérapeu- 
tique. 

Parce  que  des  hommes,  mordus  par  des  chiens 


—  254  — 

enragés  ou  simplement  surexcités,  ont  éprouvé, 
au  bout  d'un  certain  temps,  des  contractions  té- 
taniques, on  a  supposé  que  la  maladie  du  chieu 
se  transmettait  à  l'homme  par  la  morsure  em- 
poisonnée, que  l'homme  devenait  enragé,  d'oîi 
le  nom  de  rage  de  r/iomme. 

Ce  vieux  préjugé  a  de  graves  conséquences, 
notamment  chez  les  gens  du  peuple;  car,  au 
commencement  de  ce  siècle,  on  procédait,  avec 
les  hommes  ditsenragés,commeavecles  chiens  : 
on  croyait  à  la  nécessité  de  les  tuer. 

Il  n'était  pas  rare  de  voir  les  gens  effrayés,  à 
la  vue  des  convulsions  des  malades,  se  débar- 
rasser d'eux  en  les  étouffant,  soit  entre  des  ma- 
telas (Rochoux),  soit  sous  des  couvertures. 

L'expression  rage  de  l'homme  est  scientifique- 
ment inadmissible.  L'état  tétanique  des  mor- 
dus ne  ressemble  en  rien  à  la  rage  canine.  Les 
rapports  médicaux,  qui  parlent  de  malades 
aboyant  et  cherchant  à  mordre,  sont  dus  à  l'i- 
magination des  spectateurs  effrayés  par  les  con- 
vulsions et  les  cris  du  malade  et  ne  signifient 
pas  autre  chose.  Il  y  a  surtout  contraction  du 
larynx  et  du  pharynx  :  tandis  que  chez  les 
chiens,  c'est  surtout  le  besoin  de  mordre  qui  se 
manifeste  dès  le  début  et  que  l'on  a  désigné  sous 
le   nom  de  rage. 

Pour  admettre  la  transmission  de  la  rage  du 


-  255  - 

chien  à  l'homme,  il  faudrait  démontrer  deux 
choses  :  a)  Qu'il  existe  un  contagium  ou  agent 
de  transmission  ;  bj  que  la  rage  du  chien  est 
une  maladie  spécifique  bien  caractérisée.  Or, 
jusqu'à  ce  jour,  aucun  de  ces  deux  points  n'a  été 
scientifiquement  établi. 

Pour  ce  qui  concerne  le  contagium,  il  est  dé- 
montré : 

1°  Que  tous  les  essais  faits  avec  des  chiens  en- 
ragês  n'ont  donné  que  des  résultats  contradic- 
toires ; 

2°  Les  résultats  des  injections  faites  avec  la  sa- 
live des  chiens  enragés  sont  d'autant  plus  incer- 
tains —  que  la  salive  des  chiens  sains  produit 
des  symptômes  rabiformes  (Wright).  Des  inocu- 
lations de  terreau  provoquent  chez  les  animaux 
des  accidents  tétaniques. 

3"  La  morsure  de  chiens  sotws  surexcités  peut 
provoquer  la  rage. 

40  La  rage  transmise  du  chien  à  l'homme, 
n'est  pas  transmissible  d'homme  à  homme. 

50  La  présence  d'un  virus  spécifique  n'est  pas 
nécessaire  pour  qu'un  homme  mordu  éprouve 
des  contractions  tétaniques. 

Maintes  fois  des  personnes  sont  mortes  à  la 
suite  de  morsures  faites  par  des  chiens  parfaite- 
ment sains,  simplement  surexcités. 

Remarquons  que,  dans  bien  descas,d6schiens 


^  256  — 

surexcités  et  des  loups  affamés  sont  déclarés  en- 
ragés, simplement  parce  qu'ils  ont  mordu  :  ce 
qui  n'est  pas  une  preuve. 

Pour  ce  qui  est  du  second  point  —  quoique  la 
rage  du  chien  soit  considérée  comme  une  mala- 
die spéciale,  les  vétérinaires  en  sont  encore  à  nous 
donner  sa  caractéristique.  Les  plus  expérimentés 
affirment  qu'il  est  exlraordinairement  difficile 
de  diagnostiquer  la  rage  chez  les  chiens  vivants, 
etquesurle  cadavre,  elle  se  manifeste  d'une 
façon  si  variable  qu'il  est  impossible  d'en  faire 
une  maladie  spéciale  bien  caractérisée. 

Pour  procéder  scientifiquement,  il  aurait  fallu 
partir  des  phénomènes  anatomico-pathologiques 
du  cadavre,  pour  remonter  aux  symptômes  ac- 
compagnateurs. Mais  l'usage  des  vétérinaires  est 
de  beaucoup  parler  de  la  rage,  et  de  s'en  tenir 
aux  symptômes  extérieur?. 

On  leur  serait  reconnaissant  de  faire  de  la  zoo- 
tomie  pathologique,  et  par  l'étude  comparée  des 
différentes  maladies  des  chiens,  d'éclaircir  ce 
qu'ont  d'obscur  et  de  contradictoire  les  expé- 
riences d'inoculations,  et  les  cas  de  rage  sponta- 
née et  épidémique. 

En  considérant  la  rage  du  chien  comme  une 
maladie  spécifique  transmissible  àl'homme,  on  a 
attribué  à  la  morsure  d'un  animal  enragé  tous 
les  accidents  tétaniques  consécutifs, et  c'est  ainsi 


—  257  — 

que  l'on  est  arrivé  à  faire  croire  à  des  inocula- 
tions fantastiques,  durant  des  années  entières. 
On  n'admettait  pas  la  spontanéité  de  la  préten- 
due rage  de  l'homme. 

N'est-ce  pas  le  renversement  de  toute  logique 
scientiQque d'admettre  la  contagion  d'une  mala- 
die dont  le  virus  reste  dans  le  corps  pendant  cinq 
et  même  dix  ans,  et  provoque  subitement  une 
crise  mortelle  sans  la  moindre  analogie  avec  la 
rage  canine. 

Les  mêmes  accidents  tétaniques  n'ont-ils  donc 
pas  été  constatés  à  la  suite  de  maladies  du  cer- 
veau, de  la  moelle  épinière  et  des  nerfs  (Ghomel, 
Burder,  Mills,  etc.),  après  de  fortes  secousses  mo- 
rales (Bosquillon,  Bellinger,  Dick,  '1  uke,  Lau- 
der-Lindsay,  etc.),  par  l'introduction  d'un  corps 
étranger  (Héger),  sans  la  moindre  morsure  an- 
térieure ? 

Si  nous  mettons  de  côté  les  vieux  préjugés, 
les  idées  préconçues,  et  les  opinions  enracinées, 
il  reste  cette  simple  observation.  L'homme  mor- 
du par  un  animal  quelconque  peut  contracter 
le  tétanos  et  en  mourir. 

La  seule  conclusion  à  tirer  de  ce  fait  est  que 
dans  ces  cas,  nous  avons  affaire  aux  suites  mor- 
bides d'une  lésion,  forme  particulière  du  tétanos 
(Tétanos  lyssoïde)^  Virchow  ;  Tétcmos  rabi- 
cus,  Girard. 

15 


—  258  — 

On  ne  peut  logiquement  attribuer  ces  suites 
aux  blessures,  que  si  le  temps  écoulé,  ou  une 
altération  de  la  plaie  capable  de  provoquer  le  té- 
tanos, rendait  la  chose  vraisemblable.  Les  cas 
qui  surviennent  des  années  après  la  blessure  en 
sont  évidemment  indépendants  et  spontanés. 

On  voit  dès  lors  ce  qu'il  faut  penser  de  préten- 
dus traitements  préventifs  du  tétanos  après  mor- 
sure. Tout  repose  sur  une  confusion  déplorable 
avec  la  rage  du  chien  —  champ  fructueux  qui 
permet  de  se  présenter  au  grand  public  incom- 
pétent comme  possesseur  d'un  préservatif  infail- 
lible. 

Le  médecin  milanais  Cormani  énumère  338 
substances  différentes  qui  ont  été  préconisées, 
contre  la  rage  du  chien  :  larves  de  cétoines, 
pommes  épineuses,  alismaplantaho  hieracium 
jnlosella,  injections  d'opium,  électricité,  et  fina- 
lement moelle  de  lapin. 

Les  propagateurs  de  ces  remèdes  ont  toujours 
employé,  jusqu'à  ces  derniers  temps,  le  moyen 
suivant  pour  démontrer  l'efficacité  de  leur  mé- 
thode. 

Les  nombreux  mordus  qui  ne  contractaient 
pas  le  tétanos  étaient  déclarés  guéris  et  earegis  - 
très  à  l'actif  de  la  méthode:  ceux  qui  mouraient, 
ou  n'avaient  pas  pris  le  remède  en  temps  voulu, 
ou  bien  l'avaient  pris  en  quantité  insuffisante  ; 


—  259  - 

enfin  on  trouvait  toujours  un  prétexte  analo- 
gue. 
Mais  la  méthode  restait  infaillible  ! 

(Traduit  de  l'allemand  par  Slcwa.) 


LA  RAGE  EXISTE-T-EI.LE? 

A  la  suite  des  remarques  très  intéressantes 
du  professeur  Viennois,  il  nous  a  paru  utile  de 
présenter  quelques  considérations  sur  une  théo- 
rie qui  a  rencontré  de  nombreux  défenseurs,  à 
savoir  Veœistence  même  de  la  rage. 

Les  faits  survenus  récemment  ont  démontré 
que  cette  théorie  n'était  plus  aujourd'hui  soute- 
nable.  Il  nous  a  paru  utile  cependant  de  repro- 
duire les  arguments  présentés  en  sa  faveur.  Ils 
se  trouvent  très  habilement  et  npirituellement 
groupés  dans  une  lettre  qui  a  été  écrite  par  un 
médecin  vétérinaire  quia  désiré  garder  l'ano- 
nyme. 

«  Puisque  vous  servez  à  vos  lecteurs  tous  les 
documents  de  nature  à  élucider  cette  terrible 
entité  morbide  qu'on  nomme  la  Rage,  je  vous 
présente  aujourd'hui  un  travail  qui  ne  me  pa- 
raît pas  assez  scientifique  pour  prendre  place 
dans  un  traité  purement  médical.  Il  soutient 


—  260 

une  thèse  trop  hardie  peut-être,  à  savoir  :  La 
rage  n'existe  pas  comme  entité  morbide.  Lisez 
et  vous  jugerez  : 

(  Je  ne  suis  pas  même  médecin,  mais  simple 
vétérinaire  de  province.  J'ajoute  que  j'habite  un 
pays  de  grandes  chasses  :  c'est-à-dire  un  pays 
plein  de  chiens,  et  que  j'ai  vu  plus  de  cas  de 
rage  que  la  plupart  des  illustres  médecins  pari- 
siens. Je  me  sens  donc  aussi  autorisé  que  ces 
savants  professeurs,  et  plus  autorisé  que  la  plu- 
part de  vos  confrères  à  dire  mon  avis  sur  cette 
terrible  et  bizarre  maladie  dont  il  se  peut  que 
M.  Pasteur  préserve  mes  semblables,  au  moyen 
d'un  miracle  que  seul  il  pouvait  opérer,  peut- 
être,  et  non  pas  au  moyen  d'un  remède. 

Je  m'explique.  Ma  conviction  profonde  est 
que  la  rage  n'existe  pas  chez  l'homme,  ainsi 
d'ailleurs  que  beaucoup  d'autres  maladies  spé- 
ciales aux  espèces  animales.  Un  grand  nombre 
de  maladies  humaines  également  ne  peut  pas 
atteindre  les  bêtes.  Je  veux  dire  que  le  virus 
rabique,  inoculé  par  le  chien,  par  le  loup,  ou  par 
l'aiguille  de  M.  Pasteur,  n'a  aucune  action  sur 
l'organisme  humain.  La  rage,  mal  contagieux, 
ne  peut  être  communiquée  à  l'homme  par  au- 
cun procédé  scientifique  ou  naturel,  alors  même 
que  beaucoup  d'hommes  meurent  de  bizarres 
accidents  rabiformes  qu'on  nomme  également 


—  261  — 

«  rage  »,  mais  qui  ne  proviennent  que  d'une 
idée  fixe,  c'est-à-dire  d'une  affection  nerveuse  de 
la  famille  du  tétanos. 

Les  preuves  dont  je  pourrais  appuyer  cette 
opinion  sont  innombrables.  Je  me  contenterai 
d'en  citer  quelques-unes  puisées  soit  dans  mon 
expérience  personnelle,  soit  dans  les  savants  ou- 
vrages de  MM.  Bouley,  Bréchet,  Portai,  Magen- 
die,  Tardieu,  Boudin,  Vernois,  Sausen,  Renault, 
etc.,  etc.,  et  aussi  dans  un  petit  volume  des  plus 
curieux  de  M.  Faugère-Dubourg,  publié  en  18(3(3, 
sous  ce  titre  :  Le  Préjugé  de  la  Rage. 

Je  suis  donc  convaincu  que  la  rage  propre- 
ment dite  n'existe  pas,  n'a  jamais  existé  chez 
l'homme. 

Deux  cas  se  présentent. 

Les  gens  qui  meurent  à  la  suite  d'une  mor- 
sure de  chien  qui  est  ou  qu'on  suppose  enragé 
succombent  : 

Soit  par  des  accidents  du  genre  tétanique  que 
produirait  tout  aussi  bien  chez  eux  la  morsure 
d'un  autre  animal  quelconque,  chat,  rat,  lapin, 
mouton,  cheval,  singe,  etc.,  etc.,  ou  même  une 
blessure,  un  coup,  une  piqûre,  une  coupure  ; 

Soit  par  des  accidents  nerveux  en  tout  sembla- 
blables  à  ceux  de  la  rage,  mais  produits  par  l'ob- 
session de  l'idée  fixe. 

J'arrive  aux  preuves.  Il   faut  constater  d'à 

15- 


--  262  — 

bord  que  beaucoup  de  personnes  mordues  j^ctr 
des  chiens  non  enragés,  meurent  de  la  rage, 
avec  tous  les  symptômes  caractéristiques  de  ce 
mal. 

J'ai  vu  moi-même  trois  exemples,  ayant  gar- 
dé des  chiens  en  pension  pendant  deux  ans 
après  le  décès  des  victimes. 

Tout  le  monde  se  rappelle  aussi  un  garçon 
fort  connu  à  Paris,  mort  récemment  de  la  rage 
alors  que  le  chien  par  lequel  il  fut  mordu  vit 
encore,  et  qu'une  autre  personne,  mordue  en 
même  temps,  n'a  rien  eu. 

Qu'est-ce  donc  qu'un  virus  communiqué  par 
l'animal  qui  ne  le  porte  pas  en  lui  ? 

Autre  exemple  fort  cité,  d'un  ordre   différent. 

Le  10  janvier  1853,  deux  jeunes  gens  se  di- 
saient adieu  dans  le  port  du  Havre,  l'un  d'eux 
partant  pour  l'Amérique.  Ils  furent  mordus  en 
môme  temps  par  le  même  chien. 

Celui  qui  restait  mourut  au  bout  d'un  mois. 
L'autre  ne  le  sut  point  et  demeura  quinze  ans 
en  Amérique  ignorant  absolument  ce  qu'était 
devenu  son  compagnon. 

A  son  retour,  au  mois  de  septembre  1868,  il 
apprit  soudain  la  fin  misérable  de  son  ancien 
ami  ;  il  prit  peur,  et  expira  trois  semaines  plus 
tard  avec  tous  les  symptômes  connus  de  la 
rage. 


~  2G3  — 

Donc,  dans  ces  deux  cas,  nous  avons  affaire, 
sans  hésitation  possible,  à  la  rage  morale  que 
les  médecins  eux-mêmes  ont  dénommée  hydro- 
phobie rabiforme.  Le  docteur  Gaffe  dit  à  ce  su- 
jet :  «  Seule  la  rage  spontanée  (hydrophobie  ra- 
biforme) est  susceptible  de  guérison,  l'imagina- 
tion pouvant  détruire  ce  qu'elle  a  enfanté.  » 

Donc,  il  existe  une  rage  imaginaire,  impossi- 
ble à  distinguer  de  l'autre,  mortelle  quand  l'i- 
magination qui  l'a  créée  ne  la  guérit  pas,  et 
présentant,  jusqu'à  la  fin,  tous  les  signes  carac- 
téristiques de  la  vraie. 

Je  dis  moi,  qu'il  n'y  en  a  qu'une,  V imaginai- 
re, à  moins  qu'on  ne  soit  en  présence  d'une 
sorte  de  tétanos  produit  par  une  morsure,  assi- 
milable à  une  blessure  quelconque. 

Je  m'appuierai  d'abord  sur  ceci  que  cette  ma- 
ladie, présentant  chez  l'animal  des  signes  ca- 
ractéristiques absolument  opposés  à  ceux  obser- 
vés chez  l'homme,  ne  peut  être  que  d'une  nature 
essentiellement  différente. 

1°  L'autopsie  révèle  chez  le  chien  des  lésions 
profondes,  des  altérations  des  organes,  des  pou- 
mons et  de  l'encéphale  engorgés  de  sang,  des 
inflammations  violentes  des  bronches,  delà  tra- 
chée artère,  du  larynx,  de  l'arrière-bouche,  de 
l'œsophage,  de  l'estomac,  de  l'utérus, de  la  ves- 
sie, et  enfin  des  infiltrations  sanguines  dans  le 


—  264  — 

tissu  cellulaire  environnant  les  nerfs,  sans  tou- 
tefois révéler  le  siège  même  du  mal  (observa- 
tions de  Dupuy). 

Chez  l'homme,  rien  de  tout  cela,  rien  que  les 
désordres  légers  des  centres  nerveux  et  les  épan- 
chements  au  cerveau,  remarqués  dans  toutes  les 
maladies  de  l'encéphale.  —  Or,  les  névroses  ont 
cela  de  particulier  qu'elles  ne  laissent  pas  d'au  • 
très  vestiges  après  la  mort. 

Ce  n'est  pas  tout. 

Chez  les  chiens,  la  rage  amène  une  insensibili- 
té absolue  de  l'épiderme.  Onpeutles  battre,  les 
brûler  au  fer  rouge,  les  tailler  à  coups  de  cou- 
teau sans  qu'ils  accusent  aucune  douleur,  eux 
qu'un  simple  coup  de  fouet  fait  hurler  cinq  mi- 
nutes quand  ils  sont  dans  leur  état  normal. 

Chez  l'homme,  au  contraire,  la  prétendue  ra- 
ge développe  une  telle  excitation  nerveuse  qu'il 
ne  peut  tolérer  aucun  contact  même  celui  d'une 
plume,  même  celui  du  plus  léger  courant  d'air 
sur  la  peau,  supporter  aucun  bruit,  même  celui 
d'une  montre,  ni  aucun  reflet  de  lumière,  ni  au- 
cune odeur  sans  être  saisi  aussitôt  par  d'intolé- 
rables douleurs. 

Nous  retrouvons  encore  là  les  symptômes  or- 
dinaires des  névroses,  absolument  différents,  on 
le  voit,  de  ceux  que  présente  la  rage  confirmée 
chez  le  chien. 


—  265  — 

Or,  cherchons  maintenant  si  d'autres  acci- 
dents que  des  morsures  de  chien  peuvent  pro- 
duire tous  les  symptômes  de  la  rage  chez  l'hom- 
me. 

1°  Marcel  Donnât  a  vu  mourir  de  Vhydropho- 
bie  deux  personnes  chez  qui  cette  maladie  ner- 
veuse provenait  de  rhumatismes. 

2"  Le  baron  Portai  cite  le  fait  d'une  jeune  fille 
atteinte  d'une  angine,  dont  elle  mourut  avec  tous 
les  signes  les  plus  flagrants  de  l'hydrophobie. 
L'autopsie  révéla  que  le  pharynx,  l'œsophage, 
le  larynx  et  la  trachée-artère  étaient  enflammés 
dans  toute  leur  étendue  et  gangrenés  sur  quel- 
ques points. 

Voici  encore  une  observation  du  docteur 
Selig,  citée  par  le  docteur  Marc  dans  le  Diction- 
naire des  sciences  médicales,  et  rapportée  par 
M.  Faugère-Dubourg  : 

oUn  homme  âgé  de  trente  et  quelques  années, 
aprèss'étre  échauffé  par  des  travaux  champê- 
tres pendant  une  journée  des  plus  chaudes  du 
mois  de  juillet,  se  baigna  le  soirdans  une  rivière 
dont  l'eau  était  très  froide  Le  lendemain,  il 
éprouva  une  douleur  rhumatismale  au  bras 
droit  et  de  la  roideur  dans  la  nuque  :  le  troisiè- 
me jour,  en  outre,  un  sentiment  de  pesanteur 
dans  tous  les  membres  et  quelques  mouvements 
fébriles. 


—  206  — 

«  La  douleur  du  bras  disparut  à  la  suite  d'un 
vomitif  qu'on  lui  fit  prendre  :  mais  celle  de  la 
nuque  était  plus  prononcée,  et  la  céphalalgie, 
l'ardeur,  ainsi  que  la  soif,  devinrent  plus  inten- 
ses. Pendant  la  nuit,  les  accidentsaugmentèrent. 
Il  s'y  joignit  une  hydrophobie.  Toutes  les  fois 
qu'il  approchait  de  ses  lèvres  un  verre  ou  une 
cuillerée  remplie  de  liquide  et  même  lorsqu'un 
de  ces  objets  frappait  sa  vue,  il  éprouvait  un 
tremblement  universel  avec  convulsion, et  pous- 
sait des  cris  aigus  ;  jusqu'à  l'haleine  des  per- 
sonnes qui  s'approchaient  trop  près  de  lui  Tin- 
commodait,  de  sorte  qu'il  les  suppliait  de  s'éloi- 
gner. 

»  Comme  ce  malade  n'avait  été  mordu  par 
aucun  animal,  M.  le  docteur  Selig  fit  la  méde- 
cine antiphlogistique  dérivative  et  calmante. 
Vers  midi,  amélioration  sous  tous  les  rapports, 
nulle  agitation,  nulle  anxiété,  point  de  chaleur, 
ni  de  soif,  possibilité  d'avaler  de  temps  à  autre, 
quoique  avec  difficulté,  des  cuillerées  d'infusion; 
cependant,  tremblements  et  mouvements  con- 
vulsifs.  Après-midi,  un  peu  de  sommeil.  I  esoir 
à  huit  heures,  chaleur  fébrile,  agitation,  anxié- 
té, soif  ardente,  avec  impossibilité  d'avaler  seu- 
lement unegouttede  liquide,  sans  tremblements 
et  convulsions.  Le  voisinage,  l'atmosphère,  l'ha- 
leine du  chirurgien  agitent  le  malade  au  point 


de  déterminer  un  tremblement  continuel  avec 
convulsions  et  sueur  profuse.  Dans  les  moments 
de  rémission,  le  malade  assure  que  l'atmosphè- 
re, ainsi  que  l'haleine  des  personnes  qui  l'entou- 
rent, lui  deviennent  insupportables,  et  prie  avec 
instance  les  assistants  de  s'éloigner.  L'agitation 
et  Tanxiété  s'accroissent  d'heure  en  heure,  au 
point  que  la  malade  supplie  de  le  contenir.  II 
mourut  à  onze  heures. 

»  Cette  hydrophobie  spontanée  a  été  causée 
par  le  transport  d'une  irritation  rhumatismale 
sur  les  muscles  du  larynx  et  de  l'œsophage, 
ainsi  que  par  le  spasme  et  l'inflammation  déter- 
minés de  cette  manière  dans  ces  parties.» 

Voilà  donc  l'hydrophobie  déterminée  par  des 
rhumatismes  !  !  !  On  la  constate  aussi  très  sou- 
vent par  suite  d'affections  nerveuses  ou  de  ma- 
ladies du  cerveau. 

Ajoutons  une  observation  du  baron  Larrey  : 

»  Un  boulet  avait  emporté  à  François  Pomaré, 
un  grenadier,  la  peau  de  l'omoplate  droite  ;  la 
sécrétion  purulente  ayant  cessé,  la  cicatrice  fit 
de  très  rapides  progrès  ;  en  deux  fois  vingt-qua- 
tre heures  elle  couvrit  la  moitié  de  la  plaie,  et  le 
blessé  éprouva  bientôt  un  pincement  douloureux 
sur  tous  les  pointscicatrisés;  il  ressentait,  disait- 
il,  la  même  sensation  que  si  l'on  eût  saisi  les 
bords  de  la  plaie  avec  des  tenailles,  et  le  moin- 


—  268  — 

dre  attouchement  sur  cette  cicatrice  très  mince 
lui  faisait  jeter  les  hauts  cris.  Tous  les  symptômes 
du  tétanos  s'aggravaient  sensiblement  ;  l'appro- 
che de  l'eau  limpide  provoquant  des  mouve- 
ments convulsifs,  les  mâchoires  se  contrac- 
taient.» 

Le  chirurgien  brûla  tout  simplement  la  cica- 
trice au  fer  rouge.  Aussitôt  le  malade  écarta  les 
mâchoires,  but,  et  fut  guéri. 

Mais  s'il  avait  été  mordu  par  un  chien  au  lieu 
d'être  blessé  par  un  boulet? 

Je  pourrais  citer  des  milliers  d'exemples  de 
même  nature. 

En  résumé,  on  nepeutconstater  chez  l'homme 
que  des  accidents  de  l'ordre  nerveux,  tantôt 
mortels,  tantôt  guérissables,  selon  qu'ils  pro- 
viennent de  désordres  assimilables  au  tétanos 
produit  par  une  blessure  ou  de  désordres  pure- 
ment moraux, 

Pour  prouver  encore  l'influence  de  l'imagina- 
tion sur  les  gens  dits  enragés,  je  citerai   ce  fait  : 

Le  docteur  Flaubert,  père  d'Achille  et  de  Gus- 
tave Flaubert,  fut  appeléau  village  deLaBouiile, 
auprès  d'un  homme  atteint  d'hydrophobie.  Le 
malade,  vu  entre  deux  crises,  accepta  d'être  em- 
mené à  Rouen,  par  le  médecin,  qui  le  prit  dans 
son  coupé.  Or,  vers  le  milieu  de  la  route  il  cria 
qu'il  sentait  venir  une  attaque,  affirmant  qu'il 


—  269  — 

allait  mordre  le  docteur,  et  le    suppliant  de    se 
sauver. 

M.  Flaubert  répondit  tranquillement  : 

3>  Alors  mon  ami,  vous  n'êtes  pas  enragé.  Le 
chien  enragé  se  sert  de  ses  crocs,  parce  qu'il  n'a 
pas  d'autre  moyen  d'attaque  que  sa  gueule,  de 
môme  que  le  chat  se  sert  de  ses  griffes  et  le 
bœuf  de  ses  cornes.  Vous,  vous  devez  vous  ser- 
vir de  vos  poings  etpasd'autre  chose.  Si  vous  me 
mordez,  vous  n'êtes  qu'un  fou ,» 

Le  malade  n'eut  pas  de  crise  avant  d'entrer  à 
l'hôpital  ;  mais,  à  peine  arrivé,  il  en  subit  une 
terrible  etdistribua  aux  garçons  de  salle  comme 
aux  internes,  des  volées  de  coups  de  poing  di- 
gnes d'un  boxeur  anglais. 

Il  mourut  cependant. 

Maintenant  j'affirme  qu'il  suftit  de  ne  pas 
croire  à  la  rage  pour  être  absolument  rebelle  à 
ce  virus  prétendu. 

Pour  ma  part,  j'ai  été  mordu  quatre  fois,  et  je 
sais  deux  vétérinaires  qui  se  sont  laissé  mordre 
ou  fait  mordre  chaque  fois  qu'une  bonne  occa  - 
6'fo/2  se  présentait  !  On  cite  un  Américain,  M. 
Stevens,  qui  fut  mordu  jusqu'à  quarante-sept 
fois,  et  un  Allemand,  M.  Fischer,  dix-neuf  fois, 
uniquement  pour  prouver  l'innocuitéde  ce  virus. 

Je  conclus. 

Un  homme  mordu  par  un  chien  ou  par  un 

16. 


—  270  — 

autre  animal  peut  succomber  à  la  suite  d'une 
hydrophobie  rabiforme  qui  serait  déterminée 
également  chez  lui  par  toute  autre  blessure  et 
même  par  des  rhumatismes. 

Cest  probablement  le  cas  des  paysans  russes, 
que  M.  Pasteur  n'a  pu  guérir  en  raison  de  la 
nature  et  de  la  gravité  de  leurs  morsures. 

On  peut  succomber  également  à  la  suite  d'ac- 
cidents nerveux  produits  par  l'obsession  de  l'i- 
dée fixe. 

Or,  dans  ce  cas,  il  suffit  de  la  foi  dans  un  re- 
mède pour  être  sauvé,  car,  selon  l'expression  du 
docteur  Gaffe,  <  l'imagination  peut  détruire  ce 
qu'elle  a  enfanté  ». 

Cette  foi  dans  le  remède,  beaucoup  d'empiri- 
ques, beaucoup  de  charlatans  l'ont  imposée  dans 
les  campagnes  aux  paysans  simples  et  crédules  ; 
et  toujours  la  guérison,  la  guérison  miraculeuse 
se  produit  à  la  suite  des  remèdes  les  plus  bi- 
zarres, hannetons  piles,  écorce  de  citrouille, 
yeux  de  chouette  écrasés  dans  l'huile,  etc.,  etc., 
car  la  foi,  qui  transporte  les  montagnes,  guérit 
aisément  d'un  mal  qui  n'a  pour  cause  que  la 
peur  du  mal. 

Mais  cette  conviction  de  laguérison  ne  pouvait 
être  imposée  à  l'humanité  tout  entière  par  les 
vulgaires  empiriques  en  qui  croient  aveuglément 
des  campagnards  ignorants. 


—  271  — 

Alors  un  homme  s'est  rencontré,  un  très  grand 
homme,  un  savant  illustre  dont  les  travaux  ad- 
mirables avaient  déjà  enthousiasmé  la  terre, 
dont  les  recherches  mystérieuses  sur  la  rage  in- 
quiétaient et  passionnaient  depuis  des  années  ; 
et  cet  homme,  en  qui  l'univers  tout  entier  avait 
confiance  s'est  écrié  :  a  Je  guéris  la  rage,  j'ai 
trouvé  ce  grand  secret  de  la  Nature  !  » 

Et  il  a  guéri,  en  effet,  à  la  façon  des  saints  qui 
faisaient  marcher  les  paralytiques  par  la  simple 
imposition  des  mains.  Il  a  guéri  le  monde,  il  a 
rendu  à  la  race  humaine  un  des  plus  grands  ser- 
vices qu'on  puisse  lui  rendre  :  il  l'a  sauvée  de 
la  peur  qui  tuait  comme  un  mal. 

Du  fond  de  mon  obscurité,  je  salue  Monsieur 
Pasteur. 

Et  si  j'étais  mordu  demain  j'irais  le  prier  de 
me  soigner  comme  les  athées  qui  appellent  un 
prêtre  à  leur  dernière  heure.  —  En  effet,  si  la 
dent  du  chien  ne  peut  me  communiquer  la  rage, 
l'aiguille  du  savant  ne  me  la  donnera  pas  da- 
vantage. —  Et  je  serais  sauvé  par  la  seule  puis- 
sance de  la  statistique,  car,  à  l'exception  des 
Russes  et  des  Roumains,  bien  peu  sont  morts  de 
ceux  qu'il  a  soignés.  Combien  en  moarait-il 
donc  autrefois  ?  Bien  peu.  Dix-neuf  par  an,  disent 
les  chiffres  offlciels.  Et  nous  savons,  par  les  ino- 


—  272  — 

culations  récentes  de  M.  Pasteur,  que  le  nombre 
des  gens  mordus  atteignait  trois  mille. 

Recevez,  etc. 

Un  vieux  Vétérinaire. 


CHAPITRE  XVIÏI 

LA  RAGE  EST-ELLE  CONTAGIEUSE  DE 
L'HOMME  A  L'HOMME  ?  —  OPINION  DE 
M.  PASTEUR. 

La  note  suivante  est  dénature  à  nous  éclairer 
sur  les  opinions  que  professe  M.  Pasteur  sur  la 
transmissibilité  de  la  rage  et  sur  l'opinion  qu'ont 
sur  lui  les  médecins  étrangers. 

Il  s'agit  de  la  transmissibilité  de  la  rage  de 
l'homme.  Deux  médecins  russes  avaient  été 
mordus  par  un  homme  enragé.  Ils  se  décident  à 
consulter  le  grand  guérisseur.  Voici  quel  a  élé 
le  résultat  des  négociations  d'après  le  Novoe 
Vremia,  qui  publie  l'importante  lettre  suivante 
du  savant  professeur  Paul  Kovalski,  de  Khar- 
kow  : 

<t  Permettez-moi  de  faire  savoir  à  vos  lecteurs  pour- 
quoi les  médecins  Goutnikoff  et  Davidoft'  ne  sont  pas 
allés  à  Paris  se  faire  traiter  par  M.  Pasteur. 

ï  Ces  médecins  avaient  reçu  dans  leur  clinique  un 
homme  mordu  par  un  chien  enragé.  Dans  un  accès 
d'hydrophobie,  le  malade  mordit  au  doigt  le  Dr  Gout- 
nikoff et  lui  cracha  au  visage.  La  salive  entra  dans 


—  274  — 

l'œil, et  atteignit  aussi  le  Dr  DaYidoff  aune  écorcliure 
récente  qu'il  s'était  faite  à  la  main.  Le  malade  expira 
peu  après. 

«  La  morsure  du  D"^  Goutnikoflf  et  tous  les  endroits 
atteints  par  la  salive  avaient  été  cautérisés  immédia- 
tement. 

«  Une  question  se  posait  :  La  morsure  d'un  homme 
était-elle  capable  de  communiquer  la  rage  ?  Notre 
opinion  personnelle  est  pour  la  négative  ;  mais,  com- 
me il  s'agit  ici  d'une  question  de  vie  ou  de  mort,  je 
crus  devoir  consulter  à  cet  égard  plusieurs  hommes 
de  science.  Leur  avis  unanime  fut  :  «  Nous  n'avons 
pas  connaissance  de  cas  de  contagion  de  la  rage 
d'homme  à  homme.  » 

«  Je  consultai  également  ]\I.  Pasteur,  qui  envoya  ce 
télégramme  :  «  Qiie  les  médecins  viennent  me  trouver 
sans  retard.  » 

On  le  voit,  l'illustre  savant  refuse  d'abord  de 
donner  son  avis.  Ce  qu'il  veut  avant  tout,  c'est 
augmenter  le  nombre  des  inoculés.  On  lui  de- 
mande si  la  rage  esttransmissible  de  l'homme  à 
l'homme,  et  il  répond  :«  Envoyez  vite  les  clients.* 
Les  deux  malades  étaient  d'autant  plus  désirés 
par  M.  Pasteur  qu'il  s'agissait  de  deux  médecins 
distingués  dont  on  aurait  habilement  exploité  la 
prétendue  guérison. 

Mais  les  Russes  sont  obstinés  et  ils  insistent. 
Un  second  télégramme  détaillé  est  envoyé  à  M_ 
Pasteur.  On  lui  pose  nettement  la  question  pour 


~  275  — 

la  seconde  fois  :  «  Croyez-vous,  oui  ou  non,  au 
danger  de  la  contagion  de  la  rage  de  V homme  à 
Vhomme  ?  » 

Cette  fois  il  fallut  s'exécuter,  et  voici  l'incroya- 
ble réponse  qu'adressa  le  grand  chimiste  aux 
médecins  russes  :  «  Personnellement,  je  crois, 

MAIS  SANS  PREUVES,  AU  DANGER  DE  LA  MORSURE 
d'un  homme  HYDROPHOBE.  » 

Voici  comment  le  professeur  Kovalski  inter- 
préta la  réponse  de  notre  grand  savant  dans  sa 
lettre  adressée  à  la  Novoe  Vremia  : 

«  Cette  opinion  personnelle,  sans  preuves  positives, 
était  évidemment  sans  valeur  pratique  pour  nous. 

«  Au  moment  où  nous  compulsions  tout  ce  qui 
s'est  écrit  sur  cette  question,  parut  le  n»  4  du  Journal 
de  la  Clinique  du  Dr  Botkine,  dans  lequel  le  Dr  Pi- 
trowsld  dit  ceci  :  «  Tous  les  savants  cliniciens  an- 
ciens et  modernes  s'accordent  à  dire  que  la  rage  ne 
se  transmet  pas  d'homme  à  homme,  aucun  exemple 
d'une  semblable  transmission  ne  pouvant  être  cité. 
Cette  opinion  reste  invariable  depuis  que  la  maladie 
est  connue,  c'est-à-dire  depuïs  30  siècles.  » 

«  Devant  un  pareil  concours  d'opinions,  les  doc- 
teurs Goutnikotr  et  Davidoff,  convaincus  de  la  non- 
transmissibilité  de  la  rage  humaine,  n'ont  pas  jugé 
opportun  de  quitter  leur  maison,  leur  famille,  leur 
patrie,  pour  aller  au  loin  subir  l'inoculation  d'un 
virus  inconnu. 

«  Nous  ne  devons  pas  perdre  de  vue  que    les  ino- 


—  276  — 

CLilations  de  M,  Pasteur  ne  remontent  qu'au  mois 
d'octobre  1885,  et  qu'elles  sont  encore  loin  d'avoir 
fait  leurs  preuves. 

a  Recevez,  etc..  i 

La  lettre  du  professeur  Kovalskl  se  passe  de 
commentaires.  On  m'avait  bien  dit  que,  lors  du 
décès  d'un  des  Russes  àl'Hôtel-Dieu,  M.  Pasteur 
n'osait  approcher  du  lit  du  malade  et  avait  pro- 
noncé les  paroles  suivantes  :  «  Empêchez,  je  vous 
prie,  que  cet  homme  ne  m'approche  ;  je  crains 
fVêtre  mordu.  »  Mais  j'avais  considéré  ce  racon- 
tar comme  une  plaisanterie  colportée  par  les 
malveillants. 

Mais  le  télégramme  adressé  aux  médecins  rus- 
ses nous  fait  connaître  positivement  l'opinion  du 
grand  homme.  M.  Pasteur  en  est  encore  au  temps 
où  on  croyait  que  les  hydrophobes  mordaient  et 
inoculaient  la  rage  à  leurs  semblables  par  leurs 
morsures.  Il  a  sur  la  rage  la  même  opinion  que 
votre  concierge  ou  votre  tailleur.  Pour  lui,  les 
enragés  mordent  et  leurs  crachats  sont  dange- 
reux ;  il  en  arrivera  bientôt  à  faire  enfermer  les 
hydrophobes  dans  une  cage  de  fer  ou  à  les  étouf- 
fer entre  deux  matelas  selon  la  méthode  prati  - 
quée  jadis  dans  nos  campagnes. 

Voilà  où  on  en  est  à  l'École  normale  ! 


CHAPITRE    XIX 

LE  TRAITEMENT  RATIONNEL  DE  LA  RAGE 
MESURES  PROPHYLACTIQUES. 

Nous  dirons  quelques  mots  dans  ce  chapitre 
du  traitement  de  la  rage  tel  qu'il  était  pratiqué 
avant  l'avènement  de  M.  Pasteur. 

Nous  avons  combattu  dès  le  début  avec  la  plus 
grande  énergie  la  nouvelle  méthode  inoculatrice 
non  seulement  parce  que  nous  la  considérions 
comme  irrationnelle,  puérile  et  inefficace,  mais 
surtout  parce  que  l'engouement  dont  elle  était 
l'objet  empêchait  les  malades  et  même  les  méde- 
cins d'appliquer  immédiatement  la  seule  pro- 
phylaxie vraiment  utile,  nous  voulons  parler  de 
la  cautérisation. 

Avant  les  téméraires  assertions  de  M.  Pasteur 
et  la  triste  condescendance  de  MM.  Vulpian  et 
Grancher,  aussitôt  qu'un  individu  était  mordu 
par  un  chien  suspect,  le  médecin,  le  pharmacien 
et  même  les  personnes  absolument  étrangères  à 
l'art  deguérirs'empressaientde  cautériser  la  plaie 
avec  un  fer  rougi  ou  tout  autre  acide.  Immédia- 


—  278  - 

tement  pratiquée,  la  cautérisation  avait  pour  but 
de  détruire  le  virus  morbide  et  d'empêcher  son 
absorption  par  l'économie. 

Mais,  hélas  !  l'engouement  et  la  crédulité  du 
public  ont  fait  négliger  cette  partie  importante 
du  traitement  depuis  que  l'agence  Havas  et  tous 
les  organes  dévoués  à  la  coterie  pastorienne  ont 
annoncé  —  avec  M.  Vulpian  —  qu'on  avait  dé- 
couvert une  méthode  nouvelle  qui  guérissait  a 
COUP  SUR  la  rage. 

On  verra  dans  les  tables  de  mortalité  que  nous 
reproduisons  plus  loin  que  la  plupart  des  mal- 
heureux qui  ont  succombé  avaient  d'abord  été 
dirigés  sur  le  laboratoire  de  l'Ecole  normale, 
SANS  AVOIR  ÉTÉ  CAUTÉRISÉS.  Ccttc  précaution  était 
inutile,  puisqu'on  obtenait  la  guérison  a  coup  sur 
par  la  méthode  nouvelle. 

Je  n'hésite  pas  à  déclarer  que  si  la  mortalité 
par  la  rage  a  été  sensiblement  i^^ws  élevée  pen< 
clant  Vannée  1886  que  pendant  les  années 
précédentes,  c'est  à  cette  méthode  néfaste  qu'il 
faut  attribuer  cette  triste  nécrologie. 

IMPORTANCE  DE    LA    CAUTÉRISATION. 

Nous  ne  saurions  trop  le  répéter,  le  premier 
devoir  du  médecin  ou  de  toute  autre  personne 
appelée  auprès  d'une  personne  mordue  par  un 
chien  suspect  est  de  pratiquer  la  cautérisation. 


-  279  - 

Les  praticiens  les  plus  autorisés  sont  unani- 
mes sur  ce  point.  Les  anciens  :  Rufus  d'Ephèse, 
G-alien,  Aetius  et  tous  les  médecins  grecs  comp- 
taient plus  sur  le  cautère  actuel  que  sur  toutes 
les  a:utres  médications.  Dioscoride,  Celse  l'ont 
aussi  conseillé  et  ont  donné  des  indications  pré- 
cises à  cet  égard. 

Les  auteurs  modernes  sont  non  moins  unani- 
mes. 

Nous  citerons  d'abord  le  vétérinaire  Bouley, 
qui  était  du  reste  un  des  plus  zélés  partisans  de 
M.  Pasteur. 

«  S'il  est  à  craindre,  dit  cet  auteur,  que  la  bles- 
sure a  été  faite  par  un  animal  enragé,  il  faut 
la  cautériser  partout  où  elle  se  trouve,  et  cela, 
non  pas  timidement,  mais  avec  hardiesse.  En 
conséquence,  on  portera  encore  le  fer  rouge  dans 
la  plaie,  malgré  le  voisinage  d'une  artère  même 
considérable. 


«  Le  point  capital  est  de  prévenir  le  développe- 
ment de-  l'hydrophobie.  Si  donc,  il  est  certain 
que,  pour  atteindre  ce  but,  il  soit  nécessaire  de 
sacrifier  un  vaisseau  ou  un  tronc  nerveux,  il 
n'y  a  point  à  hésiter  ;  on  doit  cautériser  hardi- 
ment comme  s'il  n'y  avait  point  de  vaisseau, 


—   280  — 

après  en  avoir  toutefois  pratiqué  la  ligature  au- 
dessus  de  la  plaie. 


«  Qu'importe  la  douleur  d'une  cautérisation,  à 
supposer  que  le  diagnostic  ultérieur  de  l'état  du 
chien  démontre  qu'elle  était  inutile,  comparée 
aux  terribles  conséquences  que  peut  avoir  l'abs- 
tention ou  l'application  trop  tardive  du  cautère.  » 

Le  professeur  Bouchardat  formulait  ainsi  le 
seul  traitement  de  la  rage  :  «  Une  seule  chose 
est  certaine  dans  le  traitement  prophylactique 
de  la  rage,  c'est  l'utilité  de  la  cautérisation.  » 

Le  professeur  Tardieu,  dont  tout  le  monde  con- 
naît l'autorité  et  la  compétence  en  pareille  ma- 
tière, s'exprimait  ainsi  :  «  On  ne  saurait  trop  le 
répéter,  la  seule  chance  de  salut  qui  soit  offerte 
aux  personnes  mordues  par  les  animaux  atteints 
de  la  rage  consiste  dans  la  cautérisation  la  plus 
prompte  et  la  plus  complète  des  plaies  virulenter,. 

«  Combien n'est-ildoncpas regrettable,  ajoutait 
Tardieu,  de  voir  se  perpétuer,  malgré  les  progrès 
delà  science  et  les  efforts  incessants  de  l'admi- 
nistration, des  pratiques  obscures,  des  supersti- 
tions d'un  autre  âge,  qui,  remplaçant  le  seul 
traitement  encore  efficace,  livrent  des  malhcu- 


—  281  — 

reuses  victimes  à  uii  mai  qui  ne  pardonne  pas.  » 
Ces  remarques  sévères  ne  sont-elles  pas  égale- 
ment applicables  aux  deux  médecins  (1)  qui  ont 
abusé  de  leur  situation  scientifique  pour  procla- 
mer 6.2?  caz^/zecZra  que  le  chimiste  de  l'Ecole  nor- 
male avait  découvert  un  remède  infaillible  qui 
dispensait  par  conséquent  du  traitement  local. 

Tardieu  insiste  encore  sur  la  cautérisation,  seul 
traitement  prophylactique  rationnel. 

«  La  question  qui  nous  reste  à  examiner  est, 
sans  contredit,  celle  qui  offre  l'intérêt  pratique  le 
plus  considérable,  et  sur  laquelle  il  serait  le  plus 
utile  que  l'opinion  non  seulement  des  médecins, 
mais  encore  du  public  tout  entier,  fût  éclairée  et 
définitivement  fixée.  Nous  voulons  parler  de  l'u- 
tilité absolue  et  de  l'efficacité  relative  des 
moyens  destinés  à  empêcher  le  développement 
de  la  maladie  chez  les  personnes  mordues  par 
des  animaux  enragés,  notamment  de  la  cautéri- 
sation à  l'aide  des  divers  caustiques. 


«  On  ne  saurait  donc  répéter  avec  trop  d'insis- 
tance que  le  seul  refuge  contre  ce  mal  redouta- 
ble, est  la  cautérisation  immédiate  avec  le  fer 
rouge  et  que  tout  autre  moyen  compromet  l'ave- 

(1)  MM.  Yulpian  et  Grancher. 


—  282  — 

nir  par  la  perte  irréparable  des  seuls  moments 
où  le  traitement  préventif  est  applicable.  > 

Enfin,  M.  Pasteur  lui-mêmeconsidérait  autre- 
fois les  cautérisations  comme  très  efficaces,  puis- 
qu'il écrivait  au  D'Rigault  la  lettre  suivante  re- 
produite dans  le  Journal  de  Médecine  de 
Paris  : 

«  Je  ne  puis  vous  indiquer  aucun  traitement 
pour  l'enfant.  Les  cautérisations  que  vous  avez 
pratiquées  doivent  vous  rassurer  pleiiiement 
sur  les  conséquences  de  la  morsure.  -^ 

Il  est  donc  avéré  que  M.  Pasteur  lui-même 
croyait  à  l'efficacité  de  la  cautérisation  comme 
traitement  prophylactique. 

Ce  n"est  point  ici  le  lieu  de  décrire  les  procédés 
à  l'aide  desquels  on  doit  cautériser  les  morsures 
de  chiens  suspects.  Le  fer  rouge,  dont  l'applica- 
tion est  moins  douloureuse  qu'on  ne  le  croit,  sera 
préféré.  N'importe  quel  instrument  peut  être 
employé  pour  l'opération.  Une  clef  rougie,  un  pi- 
que-feu, peuvent  servir  si  l'on  est  éloigné  des 
secours  médicaux.  Lessentiel  est  d'agir  promp- 
tement. 

La  cautérisation  peut  être  également  prati- 
quée avec  des  agents  chimiques,  tels  que  l'acide 
phénique,  le  beurre  d'antimoine,  etc. 


—  283  - 

On  a  conseillé  la  succion  de  la  plaie.  Ce  pro- 
cédé est  très  recommandable  en  attendant  la 
cautérisation.  Il  est  inoffensif  si  la  personne  qui 
le  pratique  ne  possède  aucune  plaie  ou  érosion 
des  lèvres  ou  de  la  bouche. 

Nous  le  répétons,  notre  intention  n'est  pas  de 
donner  ici  tous  les  détails  du  traitement  local, 
mais  d'insister  seulement  sur  son  importance. 

Nous  supplions  les  personnes  mordues  par  des 
chiens  suspects  de  se  faire  cautériser  immédia- 
tement. Si  cette  cautérisation  est  bien  faite,  elles 
seront  garanties  bien  mieux  que  par  le  traite- 
ment Pasteur  qui  s'est  montré  non  seulement 
inefficace,  mais  dangereux. 

AUTRES  MOYENS  DE  TRAITEMENT. 

Disons  maintenant  quelques  mots  des  autres 
procédés  de  traitement  qui  doivent  passer,  à  no- 
tre avis,  au  second  rang. 

Dans  un  traité  publié  en  1885  sous  le  titre  : 
Rage,  moyen  préservatif  et  curatif,  le  docteur 
Buisson, de  la  Faculté  de  Paris,  qui  avait  eu  l'oc- 
casion ()i  expérimenter  son  moyen  sur  lui^ 
même,  indique  les  prescriptions  suivantes  : 

Œ  Quand  une  personne  a  été  mordue  par  un 
«  chien  enragé,  il  faut  lui  faire  prendre  sept 
«  bainsde  vapeur,  un  par  jour,  dit  à  la  russe.,  de 


-^  284  — 

«  57  à  64  degrés.  »  C'est  là  le  moyen  préventif. 
«  La  maladie  déclarée,  dit-il  plus  loin,  je  ne 
«  fais  prendre  qu'un  seul  bain  et  j'y  laisse  le  ma- 
a  lade  jusqu'à  sa  guérison,  en  ayant  le  soin  de 
«  donner  de  la  chaleur  graduellement.  Ce  seul 
*  bain,  monté  rapidement  à  57  degrés  centigra- 
«  des  puis  lentement  à  63  degrés,  doit  suffire.  Le 
«  malade  doit  être  tenu  enfermé  dans  sa  cham- 
«  bre  jusqu'à  guérison  complète.  » 

Le  docteur  Buisson  déclare  avoir  guéri  par  ce 
moyen   ln  graad  nombre  de  personnes  atteintes 

DE  RAGE  CONFIRMÉE. 

•«  L'expérience  m'a  prouvé,  dit-il  enfin,  après 
«  une  longue  pratique,  que  la  maladie,  quand 
a  elle  a  fait  explosion,  dure  ordinairement  trois 
«  jours.  Le  premier  jour,  la  guérison  est  cer- 
«  taine  par  le  traitement  sudoriflque  ;  elle  est 
«  incertaine  le  second  et  à  peu  près  sans  espoir 
«  le  troisième,  à  raison  de  l'état  de  crise  violente 
«  où  se  trouve  le  malade.  Mais,  qui,  connais- 
«  sant  le  remède,  laisserait  volontairement  arri- 
a  ver  la  dernière  période  de  la  maladie  ?  On  n'at- 
»  tendra  pas  même  la  maladie,  on  la  préviendra 
«  toujours.  > 


285 


CAS  DE    GUERISON    PAR    DIVERS    TRAITEMENTS. 

En  Russie,  une  jeune  fille  de  douze  ans,  at- 
teinte de  rage  confirmée,  a  été  guérie  en  quel- 
ques jours  par  les  docteurs  Sclimidt  et  Ledebew, 
à  l'aide  d'inhalations  d'oxygène. 

L'an  dernier,  au  mois  de  juillet,  près  de  Pq- 
jols  (Gironde),  un  homme  a  été  guéri  de  la  rage 
par  le  docteur  Darsigne,  à  Faide  du  traitement 
suivant  : 

Potion  contenant  arséniate  de  strychnine  et 
bromure  de  camphre  ;  piqûres  de  sous-nitrate 
de  pilocarpine  (sudoriflque).  Après  quoi  le  ma- 
lade est  plongé  jusqu'au  cou  dans  une  caisse 
chauffée  avec  des  bougies  et  une  lampe  à  alcool 
(autre  moyen  sudorifique,  véritable  bain  de  va- 
peur). En  cinq  jours  60  piqûres  et  20  heures  dans 
la  caisse,  Guérison  complète. 

En  1882,  le  docteur  Denis-Dumont,  médecin 
en  chef  de  l'hôpital  de  Caen,  obtint,  en  quelques 
jours,  la  guérison  d'un  hydrophobe,  1©  nommé 
Grillée,  à  l'aide  du  bromure  de  potassium,  du 
sirop  de  codéine,  du  chloral  et  d"injections  sous- 
cutanées  de  sous-nitrate  de  pilocarpine  (sudo- 
rifique. 

M.  le  docteur  Barthélémy,  médecin  des  hôpi- 
taux de  Nantes,  a  publié  un  cas  de  rage  traitée 
par  le  Hoang-han.  Cette  substance,  qui  s'emploie 


—  280  — 

sous  forme  de  poudre  à  la  dose  de  10  centigram- 
rpes  toutes  les  heures,  a  été  importée  duTonkin. 

M.  Barthélémy  croit  pouvoir  affirmer  l'effi- 
cacité de  ce  médicament  à  titre  préventif.  Dans 
un  cas  où  il  a  été  appliqué  lorsque  la  maladie 
a  été  déclarée,  il  n'a  pas  réussi. 

En  1883,  M.  Dujardin-Beaumetza  soumis  trois 
personnes  mordues  par  un  chien  enragé  à  un 
traitement  par  l'ail  et  les  bains  de  vapeur.  Au- 
cune d'elles  n'a  contracté  la  rage. 

Tout  récemment  le  docteur  Jagell  citait  devant 
l'Académie  de  médecine  de  Paris,  de  nombreux 
cas  de  guérison  de  la  rage  qu'il  a  obtenus  par 
l'administration  de  tisane  de  spirée  filipendule 
{reine  des  prés). 

Le  Paris-Médical  (Il  septembre  1886)  signale 
un  cas  de  guérison  de  la  rage  confirmée,  obtenue 
le  28  juillet  dernier,  à  Naples,  par  le  docteur  de 
Capud,  à  l'aide  d'injections  d'atropine  et  de  su- 
blimé corrosif  (deutochlorure  de  mercure). 

De  l'examen  de  ces  diverses  méthodes,  il  ré- 
sulte que  les  spécifiques  employés  pour  la  plupart 
sont  des  calmants  énergiques,  des  stupéfiants, 
que  les  injections  pratiquées  sont  destinées  à 
provoquer  une  salivation  et  des  sueurs  abondan- 


—  287  — 

tes  ;  en  d'autres  termes  :  tous  moyens  d'amener, 
—  d'une  part,  la  détente  générale  du  système 
nerveux,  et,  d'autre  part;  l'élimination  du  virus 
rabique  par  les  voies  naturelles  :  glandes  sali- 
vaires  ou  glandes  sudoripares. 

Ce  sont  là  des  traitements  rationnels,  physio- 
logiques, qui  sont  loin  d'offrir  une  garantie  abso- 
lue, mais  qui  sont  préférables  et  surtout  moins 
dangereux  que  les  virus  moelleux  de  M,  Pas- 
teur. 

MESURES   PROPHYLACTIQUES 

On  sait  que  la  seule  application  des  mesures 
prophylactiques  d'ordre  purement  administra- 
tif a  suffi  pour  faire  descendre  à  0  la  mortalité 
par  la  rage  en  Prusse. 

Les  mêmes  mesures  auraient  certainement  le 
môme  effet  en  France  et  nous  constatons  du  reste 
avec  plaisir  que  l'attention  si  vivement  appelée 
sur  la  rage  pendant  1886  a  eu  pour  effet  de  ren- 
forcer ces  mesures. 

Les  vétérinaires  ont  fait  abattre  un  nombre 
considérable  de  chiens  suspects.  A  Alfort,  la  pro- 
portion de  chiens  abattus  a  été  quadruplée. 

Voici  l'indication  des  mesures  qui  ont  été  pri- 
ses pour  obtenir  la  diminution  des  cas  de  rage  : 
1°  Arrestation  et  abatage  des  chiens  errants 


—  288  — 

dans  la  ville  et  dans  la  banlieue  alors  que  ces 
animaux  sont  dépourvus  de  collier  portant  le 
nom  et  l'adresse  de  leur  maître  ; 

2°  Enquêtes  sérieuses  faites  sur  les  cas  de  rage 
et  par  suite  application  de  l'ordonnance  aux  ani- 
maux mordus  ou  soupçonnés  de  l'avoir  été  ; 

30  Affichage  des  instructions  émanant  du  con- 
seil d'hygiène  indiquant  les  symptômes  de  la 
maladie  et  les  mesures  à  prendre  en  cas  de  mor- 
sure ; 

40  Poursuites  exercées  contre  les  propriétaires 
de  chiens  qui  laissent  errer  ces  animaux  avec 
ou  sans  collier  et  contre  ceux  dont  les  chiens  ont 
mordu  des  personnes. 

Des  statistiques  comparées  des  années  1î>77 
à  1879,  il  résulte  que,  grâce  au  redoublement  de 
rigueur  dans  l'application  des  mesures  ci-dessus 
édictées  par  arrêté  ministériel,  le  nombre  des 
cas  de  morsures  rabiques  est  tombé  de  613  en 
1877  à  285  en  1879,  soit  une  diminution  de  plus 
de  moitié. 

Le  nombre  des  personnes  mordues  a  été  de  67 
(connues)  au  lieu  de  103  en  1878,  et  l'on  n'a  eu 
connaissance  que  de  12  cas  de  décès  par  la  rage 
au  lieu  de  24  signalés  en  1878. 

Il  en  est  de  même  pour  les  animaux  mordus, 
dont  le  chiffre  est  tombé  à  314  en  1879  au  lieu  de 
485  en  1878. 


—  289  — 

Sur  ces  314  animaux  mordus.  300  ont  été  abat- 
tus. 

Nous  avons  le  ferme  espoir  que  l'application 
rigoureuse  de  ces  mesures  que  chaque  ciloyen 
doit  s'efforcer  de  seconder  fera  diminuer  consi- 
dérablement la  mortalité  de  la  raffe  en  1887. 


CHAPITRE    XX 

L'INSTITUT    PASTEUR    ET    SES    SUCCUR- 
SALES  A  L'ÉTRANGER^ 

On  se  souvient  que  le  grand  chimiste  avait 
fait  décréter  la  fondation  d'un  établissement  in- 
ternational destiné  à  traiter  les  enragés  «  de  la 
France,  de  l'Europe  et  de  l'Amérique  du  Nord  » . 
Un  million  et  demi  prélevé  sur  les  fonds  de  l'E- 
tat, des  Conseils  généraux  et  municipaux  lui  a 
été  confié  pour  l'exécution  de  ce  projet. 

Nous  n'avons  jusqu'à  présent  élevé  aucune 
objection  à  la  fondation  d'un  Institut  Pasteur. 
Nous  pensions  que,  lorsque  la' folie  antirabique 
serait  passée,  l'établissement  pourrait  être  utile- 
ment employé  au  traitement  des  maladies  con- 
tagieuses et  pourrait,  de  toutes  façons,  avoir  un 
but  scientifique  et  humanitaire. 

Les  fonds  ont  été  souscrits, il  est  vrai, pour  créer 
un  établissement  vaccinal  contre  la  rage.  Or, 
la  vaccination  de  M.  Pasteur  contre  la  rage 
devant  être  aussi  efficace  et  aussi  éphémère  que 
celle  de  M.  Ferran  contre  le  choléra,  il  faudra 


—  £91  — 

de  toute  nécessité  donner  une  autre  destination 
au  fameux  Institut  qui,  du  reste,  n'est  pas  encore 
créé,  les  fonds  versés  ayant  été  uniquement  em- 
ployés jusqu'à  ce  jour  à  fournir  quelques  pré- 
bendes à  de  jeunes  savants  sans  emploi. 

Mais  il  est  à  craindre  qu'un  certain  nombre 
de  donateurs  ne  viennent  à  réclamer  les  fonds 
qu'ils  ont  souscrits  lorsqu'il  verront  que  l'éta- 
blissement n'est  plus  exclusivement  affecté  au 
traitement  de  la  rage. 

Dans  tous  les  cas,  le  conseil  municipal  de 
Paris,  qui  n'a  fait  don  à  l'établissement  d'un 
terrain  estimé  plus  d'un  demi-million  qu'à  la 
condition  qu'on  ne  puisse  en  changer  la  destina- 
tion, sera  parfaitement  en  droit  de  reprendre  sa 
donation  lorsque  la  clientèle  des  enragés  aura 
disparu. 

Quoiqu'il  en  soit,  nous  ne  pouvons,  comme 
médecin,  que  nous  féliciter  de  la  générosité  de 
l'Etat  et  du  public,  puisque  nous  disposons  d'un 
capital  déplus  de  deux  millions  pour  fonder  un 
établissement  médical  et  humanitaire.  Nous 
avons  le  ferme  espoir  que,  lorsque  l'Ecole  pasto- 
rienne  aura  disparu  pour  faire  place  à  l'Ecole  du 
bon  sens,  les  administrateurs  de  cet  établisse- 
ment en  tireront  le  meilleur  parti  dans  l'intérêt 
de  la  science  et  de  l'humanité. 


—  292  — 


LES  INSTITUTS    A    L  ETRANGER. 

Quelques  savants  étrangers  ayant  demandé 
à  M.  Pasteur  de  leur  fournir  les  éléments  né- 
cessaires pour  la  fondation  d'un  semblable  éta- 
blissement dans  leurs  capitales,  celui-ci  s'y  était 
refusé.  Répondant  à  une  lettre  du  ministre  de 
l'instruction  publique  de  Russie,  le  chimiste 
s'exprimait  ainsi  :  c  J'ai  formulé  mon  opinion 
au  sujet  de  la  fondation  de  l'Institut  internatio- 
nal à  Paris  et  j'ai  dit  qu'il  pouvait  suffire  pour 
la  France,  l'Europe  et  l'Amérique  du  Nord. 
Je  persiste  à  croire  qu'on  aura  le  temps  de  ve- 
nir de  tous  les  points  de  la  Russie  en  temps 
utile.  »  En  somme.  M.  Pasteur  voulait  monopo- 
liser sa  méthode  et  conserver  le  secret  de  son 
traitement  afin  d'en  tirer,  selon  ses  habitudes, 
les  plus  grands  avantages  moraux  et  matériels. 

Mais  les  choses  ont  changé  depuis  quelques 
mois.  Les  Russes  qui  étaient  vraiment  enragés 
ont  tous  succombé.  M.  Pasteur,  pour  expliquer 
ces  insuccès,  a  changé  d'opinion  ;  il  a  prétendu 
que  a  les  Russes  n'avaient  pu  arriver  à  temps 
pour  être  utilement  soignés  ï>. 

Il  n'a  pu  alors  refuser  aux  savants  étrangers 
la  création  des  succursales  demandées. 

Un  professeur  de  Rio  de  Janeiro  est  parti  en 


--  293  — 

emportant  un  lapin  trépané  et  inoculé  selon  la 
méthode.  Le  précieux  animal  doit  servir  à  en 
inoculer  d'autres  pour  la  fondation  d'un  «  Insti- 
tut »  à  Rio. 

Depuis  cette  époque,  un  nombre  considérable 
d'Instituts  se  sont  fondés  à  rétran^/or,  notam- 
ment en  Russie  ;  mais  les  divers  établissements 
actuellement  affectés  à  la  guérison  de  la  rage 
portent  généralement  le  nom  plus  rationnel 
d'Instituts  bactériologiques. 

Il  en  existe  en  Russie  : 

Un  Institut  à  Saint-  Pétersbourg  ; 

Un  à  Odessa  ; 

Deux  à  Moscou,  qui  se  font  concurrence  ; 

Un  à  Sancarra. 

L'Institut  fondé  àVarsovie,par  le  D^^Boui ville, 
a  dû  être  fermé  par  suite  de  manque  de  fonds 
et  surtout  parce  qu'on  croit  qu'un  jeune  lycéen 
y  a  été  inoculé  de  la  rage  au  lieu  d'en  être  guéri. 

L'Espagne,  l'Italie  et  l'Amérique  du  Sud  se 
sont  couvertes  d'Instituts  Pasteur.  Seuls  quel- 
ques grands  Etats  tels  que  l'Angleterre,  l'Au- 
triche, l'Allemagne  et  les  Etats-Unis  se  sont  gar- 
dés de  cet  engouement. 

Il  existe,  il  est  vrai,  une  chaire  et  un  labora- 
toire de  bactériologie  à  Vienne,  mais  cet  établis- 
sement dirigé  par  von  Frisch  existait  avant  l'a- 
vènement de  M.  Pasteur  et  de  sa  rabiomanie. 

17. 


—  294  — 

Mais  ces  diverses  succursales  ne  semblent  pas 
devoir  donner  de  meilleurs  résultats  que  la 
«  maison  mère  ». 

Le  Novoê  Vrémia  nous  fournit  encore  des  dé- 
tails intéressants  sur  les  ridicules  et  les  insuccès 
de  l'application  de  la  méthode  de  Pasteur  en 
Russie. 

•A  l'institut  fondé  à  Saint-Pétersbourg  par  le 
prince  d'Oldenbourg,  quatre-vingt-dix  malades 
se  sontdéjà  présentés  pour  subir  les  inoculations, 
mais  sans  qu'il  fût  possible,  la  plupart  du  temps, 
de  constater  s'ils  avaient  été  mordus  par  des  ani- 
maux réellement  enragés.  Dans  bien  des  cas, 
ceux-ci  n'ont  pu  être  retrouvés. 

A  l'institut  d'Odessa,  deux  enfants  du  district 
de  Brianski  :  Paul  Potaïkinn,  âgé  de  sept  ans, 
et  Vassa  Voropaïeff,  âgée  de  seize  ans,  furent 
mordus  par  un  chien  enragé,  le  27  juin.  Ils  re- 
çurent à  l'Institut  d'Odessa  :  le  premier,  une  sé- 
rie et  demie  d'inoculations  ;  la  seconde,  une  sé- 
rie de  dix  inoculations. 

Potaïkinn  est  mort  à  l'hôpital  Orloff,  le  15 
août,  quarante-six  jours  après  la  morsure,  un 
mois  environ  après  la  fm  du  traitement.  La  jeu- 
ne Voropaïeff  est  morte  le  22  août,  cinquante- 
trois  jours  après  la  morsure,  un  mois  et  demi  en- 
viron après  les  inoculations. 

Ces  accidents  fâcheux  ont  eu  cet  effet  singu- 


—  295  — 

gulier  que,  depuis  le  mois  d'août,  l'Institut  d'O- 
dessa a  supprimé,  dans  les  journaux  de  la  loca- 
lité, le  bulletin  qu'il  publiait  sur  les  résultats  des 
inoculations.  C'était  pousser  un  peu  loin  l'imi- 
tation des  procédés  Pasteur. 

Le  résultat  obtenu  à  Varsovie  par  le  D""  Bouï- 
ville  est  malheureusement  aussi  triste  que  ceux 
constatés  au  laboratoire  Pasteur  dans  le  dernier 
trimestre  de  l'année  à  la  suite  de  la  méthode 
dite  intensive. 

Voici  le  fait  : 

Le  11  novembre,  à  Lubline,  est  mort  d'hy- 
drophobie  l'élève  du  lycée  Arthur  Stoboï.  Au 
mois  de  juillet,  il  fut  mordu  par  un  chien  que 
l'on  supposait  enragé.  Immédiatement,  on  mit 
Arthur  Stoboï  à  l'Institut  du  D'  Bouïville,  pour 
y  être  soumis  aux  inoculations  du  système  Pas- 
teur. Le  jeune  garçon  y  resta  jusqu'au  11  août  ; 
on  lui  inocula  du  virus  d'un  lapin. 

Ensuite,  Arthur  Stoboï,  ayant  présenté  un  cer- 
tificat d'inoculation,  fut  admis  au,  lycée.  Le  9 
novembre,  il  sentit  une  douleur  à  l'endroit  où 
on  lui  avait  fait  l'inoculation  et,  deux  jours  plus 
tard,  il  mourait  de  la  rage.  Cependant,  le  chien 
qui  avait  mordu  l'enfant  est,  jusqu'à  présent, 
vivant  et  bien  portant  et  ne  manifeste  aucun 
symptôme  d'hydrophobie.  Il  est  clair,  par  consé- 


—  296  — 

quent,  qu'il  faut  attribuer  la  mort  de  l'enfant 
à  l'inoculation  pastorienne. 

Les  Russes  ont  été  plus  heureux  que  les  Fran- 
çais et  l'Institut  Pasteur  de  Varsovie  a  été  fermé 
à  la  suite  de  cet  homicide  par  imprudence. 

A  Moscou,  les  résultats  semblent  avoir  été 
moins  malheureux.  Il  est  vrai  qu'on  n'a  pas  en- 
core osé  inaugurer  le  système  dit  intensif. 

Voici  quelques  résultats  publiés  par  le  B^ 
Petermann,  directeur  d'un  des  deux  établisse- 
ments : 

En  trois  mois,  115  individus  ont  été  traités.  85 
avaient  été  mordus  par  des  chiens,  18  par  des 
loups,  5  par  des  chevaux,  4  par  des  chats  et  1 
par  un  corbeau  (sic),  enfin,  parmi  eux,  il  y  en 
avait  11  qui  étaient  blessés  au  visage.  Petermann 
commença  ses  inoculations  avec  des  moelles  de 
12  à  13  jours,  et  il  arriva  successivement  à  cel- 
les de2  à  3  jours.  Au  moment  de  la  publication 
de  ces  résultats  dans  la  Mecl.  Ohosrenije  20/86 
(en  russe),  il  était  mort  2  malades  sur  les  115; 
voici  leur  histoire  sommaire  : 

I.  A.  Kurbatow,38  ans,  mordu  le  13  juillet  par 
un  chien,  inoculé  le  27,  par  conséquent  14  jours 
après  l'accident. 

Le  9'  jour  du  traitement,  il  succomba  aux  ac- 
cidents ordinaires  de  l'hydrophobie . 


—  297  — 

IL  P.  Gorbunow,  mordu  à  Ferme,  par  un 
loup  le  5  août  ;  huit  jours  après  on  commença 
les  inoculations  préventives,  mais  le  T'^jour  du 
traitement  le  malade  mourut. 

A  la  station  bactériologique  d'Odessa, les  résul- 
tats furent  quelque  peu  dilférents.  Sur  103  ino- 
culés, il  y  eut  7  morts,  et  la  période  d'incubation 
varia  entre  30et  62  jours.  Il  est  vrai  de  dire  qu'à 
Odessa  le  matériel  expérimental  était  très  défec- 
tueux; en  tout  cas,  la  mortalité  y  fut  plus  gran- 
de qu'à  Moscou  et  qu'à  Paris.  {Deut.MecUz. 
Zeitung,  98/c6.) 

Nous  aurons  l'occasion  de  revenir  dans  notre 
récapitulation  générale  des  décès  sur  les  résul- 
tats obtenus  en  Russie  par  les  établissements 
créés  à  l'instar  de  celui  de  Paris. 


CHAPITRE  XXI 

LA  STATISTIQUE.- COMMENT  M.  PASTEUR 
TRAITE  LES  CHIFFRES  ET  ARRIVE  A  UN 
CHIFFRE  PRODIGIEUX   DE  GUÉRISONS. 

FRÉQUENCE  DE  LA  RAGE. 

M.  Pasteur,  qui  traite  l'arithmétique  en  grand 
seigneur,  a  fait  dire,  le  10  octobre  1886,  à  la  Sor- 
bonne  par  son  lieutenant  Chautemps  que  la  mor- 
talité par  rage,  en  France,  pendant  les  sept  der- 
nières années  de  l'Empire,  donnait  une  moyenne 
annuelle  de  51  décès,  chiffre  qu'il  s'est  permis 
d'élever,  en  dépit  des  statistiques  officielles,  jus- 
qu'à 76,  sous  prétexte  qu'un  tiers  des  départe  ■ 
ments  français  n'avaient  pas  signalé  de  cas  de 
rage  durant  cette  période. 

Or,  en  nous  basant  sur  ces  mêmes  statistiques 
des  sept  dernières  années  de  l'empire,  savoir: 
1864,  6Q  décès  ;  1865,  48  ;  1866, 64;  1867,  57  ;  1868 
56  ;  1869,  36,  et  1870,  6,  nous  dégageons  une 
moyenne  annuelle  de  47 décès  7  dixièmes,  et  non 
de  51. 

Il  convient  de  faire  remarquer  que,  sauf  la  der- 


—  299  — 

nière  année,  M.  Pasteur  a  choisi  de  préférence 
les  années  fournissant  les  chiffres  les  plus  élevés, 
alors  qu'il  invoquait  un  tableau  dressé  de  1850  à 
1872,  d'après  les  indications  officielles  du  comité 
consultatif  d'hygiène  de  France,  par  M.  le  doc- 
teur Brouardel,  dans  son  Dictionnaire  encyclo- 
pédique des  sciences  médicales  (S^  série,  vol.  2, 
page  192). 

Voici  ce  tableau  : 
1850    27  décès    1858    17  décès    1800    04    décès 


1851 

12  — 

1859 

19  — 

1867 

57 

1852 

40  — 

1800 

14  — 

1868 

5o 

1853 

37  — 

1801 

21  — 

1869 

36 

1854 

21  — 

1802 

20  — 

1870 

6 

1855 

21  — 

1863 

49  — 

1871 

14 

1856 

20  — 

1804 

06  — 

1872 

15 

1857     13—        1865      48  — 

D'après  les  chiffres  qui  précèdent,  la  moyenne 
annuelle  des  décès  par  rage  est  donc  de  30,  selon 
l'arithmétique,  et  non  de  76,  comme  le  prétendent 
ceux  qui  jonglent  avec  les  chiffres. 

On  a  essayé  d'établir,  à  l'aide  de  déductions 
plus  habiles  que  sincères,  que  la  rage  eût  du 
faire,  cette  année,  en  France,  155  victimes  au 
lieu  de  10,  la  nouvelle  méthode  en  ayant  sauvé, 
nous  dit-on,  145. 

Les  statistiques  officielles  qu'on  vient  de  lire, 


—  300  — 

établissant  que  la  rage  n'a  jamais  fait  en  France 
155  victimes  en  une  année  'v^le  chiffre  le  plus  éle- 
vé ne  dépassant  pas  60  décès),  infligent  à  cette 
prétention  un  démenti  formel. 

Nous  avons  déjà  traité,  dans  un  chapitre  précé- 
dent, la  question  de  la  fréquence  de  larago. 

Il  nous  paraît  utile  de  placer  de  nouveau  sous 
les  yeux  de  nos  lecteurs  l'opinion  des  hommes 
compétents  pour  répondre  aux  assertions  des 
pastoriens  depuis  l'impression  de  la  première 
partie  de  ce  livre. 

Voici  ce  que  disait  M.  Leblanc,  vétérinaire, 
membre  de  l'Académie  de  médecine: 

ï  La  rage,  quoique  étant  une  cause  presque 
infaillible  et  épouvantable  de  mort,  est  infmiment 
moins  fréquente  que  beaucoup  d'autres  causes 
dont  le  résultat  est  le  même.  D'après  M.  Vernois, 
la  moyenne  des  cas  de  rage  chez  l'homme  pour 
toute  la  France,  a  été  de  17.08  pour  100  ;  et  selon 
M.  Tardieu,  de  20  à  24,3  pour  100  ;  les  coups  de 
pieds  de  cheval  eux  seuls,  par  exemple,  occasion- 
nent une  bien  plus  grande  mortalité.» 

En  ce  qui  concerne  la  mortalité  par  la  rage, 
Bouley,  qui  était  un  des  plus  fervents  défenseurs 
de  la  méthode  Pastorienne,  s'exprimait  ainsi  : 

a  En  voyant  combien  les  cas  de  rage  sont  rares 


—  301  — 

sur  l'espèce  humaine  relativement  au  nombre  des 
animaux  de  l'espèce  canine  qui,  chaque  année, 
sont  atteints  de  cette  maladie,  nous  inclinons  à 
penser  que  la  proportion  établie  par  Hunter  est 
celle  qui  se  rapproche  le  plus  de  la  réalité  :  5  pour 
100  seulement  des  personnes  mordues  seraient 
vouées  à  la  rage.» 

On  comprend  facilement  l'intérêt  qu'ont  au - 
jourd  hui  les  Pastoriens  à  exagérer  la  fréquence 
de  la  rage,  l'année  1886  qui  vient  de  s'écouler 
ayant  donné  une  mortalité  par  la  rage  de  beau- 
coup supérieure  à  celle  des  années   précédentes. 

Comment  il  est  mort  en  1886, 46  personnes  de  la 
rage  alors  qu'il  n'en  devait  mourir  que  25  ou  30 
d'après  les  slatistiques  des  années  antérieures  ; 
où  donc  sont  les  avantages  de  votre  méthode  ? 

Dans  la  séance  du  18 janvier  1887  (Académie 
de  médecine),  M.  Brouardel  contestait  ce  chiffre 
de  30  par  an  qu'il  avait  lui-même  donné  dans 
son  article  i?r/^e,  du  Dictionnaire  encyclopédi- 
que des  sciences  médicales. 

La  meilleure  réponse  à  opposer  à  M.  Brouar- 
del et  aux  Pastoriens  qui  cherchent  à  s'illusion- 
ner sur  la  fréquence  de  la  rage  en  France  est  le 
passage  suivant  de  Tardieu  qui  est  extrait  d'un 


—  302  — 

rapport  officiel  que  ce  grand  hygiéniste  a  pré- 
senté au  ministre  en  1863. 

«...  Ce  cliiffre(24  à  25,  s'il  n'est  pas  l'expression 
absolue  de  la  vérité,  n'en  est  pas  certainement 
très  éloigné  :  car  grâce  à  la  stimulation  inces- 
sante de  l'administration  supérieure,  grâce  au 
concours  des  autorités  locales  et  des  conseils 
d'hygiène  d'arrondissement,  on  est  arrivé  à  ob- 
tenir des  réponses  à  l'enquête  presque  dans  la 
totalité  des  départements.  Je  maintiens  donc 
par  toutes  ces  raisons  ce  chiffre  de  25  cas  de  rage 
comme  représentant  très  approximativement  les 
faits  de  transmission  qui  se  produisent  chaque 
année  en  moyenne  dans  toute  la  France,  chiffre 
encore  trop  considérable,  à  coup  sûr,  mais  qu'il 
est  consolant  de  pouvoir  opposer  à  ce  nombre  de 
victimes  six  ou  huit  fois  plus  grand,  dont  il  ne 

DOIT  PLUS  ÊTRE  PERMIS  d'EFFRAYER  LES    ESPRITS. 

MM.  les  pastoriens  ont  trouvé  là  un  juge 
sévère.  En  exagérant  la  fréquence  de  la  rage, 
ils  ont  simplement  pour  but  ô.'eff'rayer  les  es- 
/inïs  et  d'augmenter  la  peur  qu'engendre  cette 
maladie  afin  de  faire  croire  à  la  valeur  de  leur 
méthode  miraculeuse  de  traitement. 


—  303  — 

COMMENT  M.  PASTEUR   PRÉSENTE  LA   STATISTIQUE 

Voici  comment  un  écrivain  distingué,  colla- 
borateur du  Journal  de  médecine  de  Paris,  a 
commenté  les  récentes  statistiques  fournies  par 
M.  Vulpian,  au  nom  de  M.  Pasteur,  à  l'Aca- 
démie des  Sciences  et  à  l'Académie  de  Médecine. 

Comment  un  homme  de  la  valeur  de  mon- 
sieur Vulpian  peut-il  soutenir  l'argument  sui- 
vant qu'il  emploie  à  la  défense  de  la  méthode 
Pasteur  ? 

«  Il  est  mort  dans  une  année  16  individus  en- 
ragés, non  inoculés  préventivement  :  les  sta- 
tistiques antérieures  donnaient  une  moyenne  de 
16  décès  pour  100  mordus  par  des  chiens  enra- 
gés, il  y  a  donc  eu  en  France,  dans  l'année  qui 
vient  de  s'écouler,  100  individus  mordus  par  des 
chiens  enragés  et  qui  ne  se  sont  pas  fait  inocu- 
ler I  » 

Jusqu'ici  rien  de  mieux  et  rien  de  plus  limpi- 
de mais  après,  quel  brouillard  et  par  conséquent 
quelle  chute  ! 

«  Par  contre,  le  laboratoire  a  inoculé  1726  mor- 
dus et  n'a  eu  que  12  décès  au  lieu  de  276  que  ce 
chiffre  de  1726  aurait  dû  produire  ;  donc,  par  le 
procédé  Pasteur,  la  mortalité  est  abaissée  à 
0,93  "IJBull.  de  VAcad.  n'  3,  page  105,  1887). 


—  304  — 

Est-il  un  raisonnement  plus  faux  ?  et  ne  doit- 
on  pas  dire  au  contraire  : 

«  Il  est  mort  cette  année  30  personnes  de  la 
rage  ;  c'est  la  moyenne  normale.  » 

Or  cette  moyenne  s'appuyant  sur  le  chiffre 
de  16  décès  de  rage  pour  100  mordus  faisait  sup- 
poser pour  les  années  antérieures  200  individus 
environ  mordus  par  année  et  pas  six  de  plus. 

Pourquoi,  cette  année,  transfigurer  ce  chiffre 
de  200  et  accepter  de  gaité  de  cœur  que  la  som- 
me totale  annuelle  de  200  mordus  par  an  qui  a 
paru  rationnelle  pour  une  statistique  de  20  ans 
sesoit  élevée  d'un  bond  à  1826  ? 

Nous  savons  bien  qu'on  vient  nous  dire  d'au- 
tre part  que  le  chiffre  de  30  décès   par  an  pour 
la  rage  est  approximatif,  qu'un  tiers  des  dépar- 
tements n'a  pas  répondu  à  l'enquête  et  que,,  par 
conséquent,  il  doit  être,  non,  il  est  trop  faible  : 
soit.  En  ce  cas  il  est  permis  de  supposer  que  ce 
tiers  du  territoire  de  la  République  n'était  ou 
n'est  pas  plus  mal  partagé  que  les  deux  autres  ; 
il  y  a  même  des  esprits  mal  faits  qui,  s'appuyant 
sur  les  exemples  de   Gonstantinople  et   d'au- 
tres lieux,  prétendraient  au  contraire  que  ce  tiers 
était  peut-être  mieux  partagé  et  que   pour  cette 
raison  l'enquête   n'a  pas  eu  sa  réponse,  mais 
nous  ne  sommes  pas  de  ces  esprits-là  et  nous 
mettons  au  passif  de  ces  départements  heureux 


—  305  — 

ou  négligents  le  tiers  qu'aurait  dû  représenter 

sa  mortalité  par  cas  de  rage,  ci 15 

Mortalité  déclarée  d'autre  part 30 


Total....  45 


C'est  bien  loin  du  chiffre  supposé  par  M.  Vul- 
pian. 

Mais  on  vient  nous  dire  encore:  «  Ce  chiffre 
est  inférieur  à  la  vérité  parce  qu  il  y  a  un  grand 
nombre  de  décès  rabiques  cachés  par  un  autre 
diagnostic,  intentionnellement  ou  non.  » 

Nous  croyons  que  c'était  maintenant  que  cela 
pouvait  se  dire  :  mais  enfin  soyons  coulants  et 
quelque  peu  de  créance  que  nous  ayons  dans 
ce  raisonnement,  car  il  n'y  a  pas  de  maladie 
inspirant  tout  à  la  fois  plus  de  pitié  et  d'horreur, 
plus  terrible,  plus  frappante  et  par  conséquent 
moins  ignorée  dans  ses  résultats  apparents  que 
la  rage,  admettons  pour  un  instant  que  la  moitié 
des  décès  demeure  inconnue:  Nous  n'en  croyons 
rien,  mais  c'est  pour  faire  plaisir  à  nos  adversai- 
res. 

Nous  voilà  donc  en  face  de  '^  fois  45,  soit  90 
décès  annuels  par  rage  :  la  proportion  des  décès 
pour  cent  n'a  pas  changé,  elle  est  la  même  ou  à 
peu  près  dans  tous  les  pays  qui  ont  fait  les  mê- 
mes recherches  ;  cela  suppose  donc  563  mordus. 

Voilà,  nous  l'espérons,  une  concession  suffîsan- 

18 


—  306  — 

te,  et  si,  sur  ce  chiffre-là,  la  statistique  de  la 
rue  d'Ulm  avait  trouvé  1  décès  %,  exactement 
0,93  % , comme,  à  tout  prendre, il  peut  s'approcher 
de  la  vérité,  nous  aurions  été  les  premiers  à  crier 
victoire. 

Mais  nous  sommes  loin  de  compte.  On  vient 
nous  dire  :  «  Ce  n'est  pas  30  décès  qu'il  y  avait 
par  année,  on  a  mis  ce  chiffre  dans  les  diction- 
naires, c'est  vrai,  mais  les  dictionnaires,  qu'est-ce 
que  ça  prouve,  si  ce  n'est  que  les  éditeurs  gagnent 
beaucoup  d'argent,  ce  n'est  même  pas  90,  c'est 
276  décès  qu'il  aurait  dû  y  avoir  cette  année  !..., 
plus  16  enragés  de  mauvais  caractère  qui  sont 
morts  dans  Timpénilence  finale  sans  recevoir  les 
secours  de  la  nouvelle  religion  :  total  292  décès  qui 
doivent  avoir  eu  lieu  antérieurement  ou  qui  au- 
raient dû  avoir  lieu  cette  année  ;  et  cela  parce 
qu'il  y  a  eu  100  mordus  de  votre  côté  et  1726 
du  nôtre,  autrement  dit  1826  mordus. 

Nous  déclarons  bien  humblement  ne  pas  être 
en  état  de  suivre  de  pareils  raisonnements.  Le 
moyen  de  croire,  en  effet,  qu'un  chiffre  puisse 
être  diminué  ou  faussé  par  l'erreur  de  la  statisti- 
que de  9  fois  sa  valeur  !  11  ny  a  qu'une  coquille 
qui  puisse  donner  un  semblable  résultat.  Que 
dans  une  épidémie  de  choléra  ou  autre,  même  à 
l'heure  actuelle  et  malgré  les  moyens  perfection- 
nés que  nous  avons,  il  se  commette  des  erreurs, 


—  307  - 

que  quelques  centaines  puissent  être  marquées 
en  plus  ou  en  moins,  c'est  admissible  ;  il  s'agit 
là  de  chiffres  imposants  et  se  marquant  par  mil- 
liers oudizainede  mille,  mais,  pour  unemaladie 
si  terrifiante,  si  connue  dans  la  plupart  de  ses 
phénomènes  extérieurs,  que,  du  chiffre  de  30  dé- 
cès qu'une  enquête  minutieuse  a  enregistrés  et 
que  nous  portons  à  90  par  une  hypothèse  aussi 
large  que  gracieuse,  on  saute  à  292  décès,  pour 
un  lapin  c'est  peut-être  facile,  mais  pour  nous, 
nos  jarrets  s'y  refusent. 

Le  goût  des  chiens,  heureusement  pour  le 
fisc,  s'est  très  répandu,  c'est  vrai,  les  petites  da- 
mes promènent  une  meute  de  gros  chiens,  les 
hommes  grands  en  ont  de  tout  petits,  mais  cela 
suffit- il  à  prouver,  à  faire  supposer  môme,  que 
malgré  l'abandon  dans  lequel  les  ordonnances 
de  Police  ont  été  laissées,  nous  voulons  dire 
malgré  l'absence  des  muselières,  le  nombre  des 
mordus  et  par  conséquent  le  nombre  des  chiens 
enragés  ait  pu  augmenter  dans  une  proportion 
aussi  notable  ?  Non,  évidemment.  Nous  disons 
ceci  avec  d'autant  plus  de  conviction  que  nous 
sommes  loin,  bien  loin  même,  de  critiquer  la 
méthode  en  elle-même.  Nous  voudrions  la  voir 
plus  parfaite,  voilà  tout.  Les  essais  tentés  par 
Monsieur  Pasteur  sur  les  chiens  sont  assez  en- 
courageants pour  que  son  institut  continue  ses 


—  308  — 

recherches  de  ce  côté.  Les  expériences  qu'a  pro- 
duites bien  involontairement  la  recherche  de  la 
pierre  philosophale  ont  fait  progresser  la^chi- 
mie  beaucoup  plus  que  n'aurait  pu  le  faire  cette 
découverte  impossible. 

Cherchez  donc,  messieurs  les  physiologistes, 
et  vous  trouverez  peut-être;  mais  en  attendant 
que  vous  ayez  résolu  ce  merveilleux  problème, 
ne  vous  hâtez  par  trop  de  nous  comparer  à  des 
chiens,  il  n'y  a  pas  que  des  chrétiens  en  ce  monde 
et  vous  n'êtes  pas  musulmans.  En  attendant,  et  si 
A^ous  êtes  mordus,  entrez  toujours  chez  un  ser- 
rurier, chez  un  maréchal-ferrant,  chez  un  char- 
ron, faites  rougir  à  blanc  un  clou  bien  pointu  et 
faites-vous  cautériser  profondément  si  vous  ne 
pouvez  vous  cautériser  vous-mêmes. 

Vous  avez,  sans  ce  moyen,  cinq  chances  sur 
six  en  votre  faveur  :  après  la  cautérisation  vous 
en  aurez  un  peu  plus,  mais  pas  beaucoup,  car, 
dans  l'état  actuel  de  la  science,  si  on  admet 
qu'un  virus  inoculé  préventivement  puisse 
préserver  d'un  autre  virus  (exemple  unique 
chez  l'homme,  la  Vaccins  pour  la  Variole)  rien, 
absolument  rien,  n'a  jamais  laissé  supposer  que 
la  marche  d'un  virus  inoculé  put  être  enrayée 
par  quoi  que  ce  fût. 

Les  cautérisations  les  plus  énergiques,  l'exci- 
sion même  du  chancre  ont-elles  jamais  empêché 


—  309  — 

le  développement  de  la  Syphilis  ?  la  Vaccine  a-t- 
elle  jamais  modifié  l'évolution  varioliqae  en  in- 
cubation? chacun  sait  bien  que  non  et  quelques- 
uns  ont  même  été  jusqu'à  dire  que  la  variole  en 
était  exaltée* 

Si  la  syphilis  doit  être  mise  à  part  à  cause  de 
la  longueur  de  son  incubation,  à  cause  surtout 
de  l'absence  absolue  de  phénomènes  précédant 
l'apparition  du  chancre,  condition  qui,  comme 
dans  la  rage,  rend  impossible  de  savoir  si  on  est 
ou  non  infecté,  les  autres  termes  de  comparai- 
son sont  exacts  et,  nous  le  répétons,  les  précau- 
tions qui  pour  cette  maladie  sont  à  la  disposi- 
tion de  la  science  n'offrent  qu'un  bien  faible  se- 
cours étant  surtout  donné  la  difficulté  de  leur 
emploi  immédiat. 

Pourquoi  donc,  dira-t-on,  refuser  aux  cauté- 
risations une  réelle  valeur  et  comment  expli- 
quez-vous sans  cela  le  chiffre  en  somme  mini- 
me de  16  décès  pour  cent  mordus. 

Nous  ne  refusons  pas  aux  cautérisations  un 
certain  bénéfice,  et  la  preuve,  c'est  que  nous  y 
aurions  recours,  mais  au  plus  vite  encore,  si 
jamais  un  caniche  prenait  notre  mollet  pour  un 
gigot,  mais  nous  n'en  restons  pas  moins  con- 
vaincus que  les  cautérisations  sauvent  peu  de 
monde  et  que,  s'il  y  a  16  malheureux  qui  meu- 
rent sur  cent  qui  ont  été  mordus, c'est  qu'il  n'y  a 


-  310  — 

que  16  enragés,  que  16  intoxiqués  si  vous  l'ai- 
mez mieux.  —  Et  les  autres  ?  —  Les  autres,  ils 
n'étaient  pas  inoculés  ou  ils  étaient  réfractaires, 
voilà  tout  ?  Qu'a  cela  d'extraordinaire  ?  Est-ce 
qu'on  ne  sait  pas  qu'il  y  a  des  gens  réfractaires 
à  la  variole,  à  la  scarlatine,  à  la  syphilis  même, 
quoique  ce  soit  moins  net  pour  cette  dernière 
affection  étant  donnée  maintenant  la  question 
d'hérédité  qui  explique  bien  des  mystères.  Et 
pais,  d'ailleurs,  j'espère  bien  que  vous  ne  croyez 
pas  aux  remèdes  des  sorciers,  des  empiriques 
quelconques  qui,  depuis  que  la  rage  existe^  ont 
inondé  la  terre  et  encombré  les  bureaux  acadé- 
miques de  leurs  panacées. 

Il  n'y  a  pas  une  province  du  monde  où  un 
charlatan  n'ait  préconisé  un  antidote  infaillible 
contre  la  rage  ;  vous  ne  croyez  pas  davantage, 
je  l'espère  pour  vous,  aux  miracles  ?  eh  bien, 
si  vous  n'admettez  pas  qu'il  y  ait  des  natures, 
des  organismes  réfractantes  à  la  rage,  vous  êtes 
obhgés  de  croire  «  toutes  les  bourdes  que  je 
pourrais  vous  énumérer  et  dont  vous  me  faites 
grâce,  n'est-ce  pas!  Car,  il  n'y  a  pas  à  dire,  dans 
chaque  pays  on  vous  citera  des  guérisons  au- 
thentiques par  le  remède  de  M.  un  tel,  de  Mlle 
une  telle  ou  de  tel  berger  ;  on  vous  citera  des 
guérisons  encore  bien  plus  nombreuses  par  l'effet 
de  telle  chapelle,  de  telle  eau  miraculeuse  et 


—  311  — 

pour  ne  citer  qu'un  seul  endroit  parmi  ceux-ci,  il 
y  a  pas  mal  de  siècles  que  le  pèlerinage  de  Saint- 
Hubert  a  la  réputation  de  guérir  de  la  rage;  la 
rue  d'Ulm  lui  fait  bien  du  tort  en  ce  moment. 
Or,  qu'est-ce  que  c'est  que  toutes  ces  guérisons? 
Ce  sont  des  individus  qui  étaient  bel  et  bien  mor- 
dus, mais  qui  n'étaient  pas  enragés,  qui  étaient 
réfractaires  ou  à  l'abri  et  qui  ont  guéri  parce 
qu'ils  n'avaient  pas  la  rage  quoique  mordus  par 
des  chiens  enragés.  Et  ne  croyez  pas  que  je  plai- 
sante en  disant  cela  ;  la  masse  du  public  est 
bien  stupide,  mais  si  une  apparence  de  raison 
ne  venait  pas  flatter  ses  erreurs,  elle  aurait  bien- 
tôt fait  de  jeter  aux  orties  ses  croyances  irréflé- 
chies et  ses  superstitions. 

in.  COMMENT  ON  AUGMENTE  LE  NOMBRE  DES 
GUÉRISONS    FICTIVES. 

Nous  avons  déjà  démontré  au  chapitre  IV  que 
la  grande  majorité  des  personnes  qui  ont  été 
inoculées  à  l'Ecole  normale  n'étaient  ni  enragées, 
ni  menacées  de  l'être.  Les  faits  que  nous  avons 
pubUés  sont  démonstratifs. 

Depuis  que  ce  chapitre  IV  est  imprimé  de  nom- 
breux faits  nouveaux  sont  venus  à  l'appui  de 
noti/e  assertion. 

La  lettre  suivante  que  M.  le  secrétaire  perpé- 
tuel communique  à  l'Académie  de  médecine 


—  312  — 

émane  du  docteur  Prince  de  Grodno  et  est  re- 
lative aux  prétendues  guérisons  de  la  rage  par 
M.  Pasteur.  (Séance  du  4  janvier  1887.) 

«  Au  mois  d'août  dernier,  par  ordre  du  gou- 
vernement russe,  M.  le  D""  Cywinski  a  conduit  à 
Paris,  chez  M.  Pasteur,  dix  soldats  de  Wilna 
mordus  par  un  chien  soi-disant  enragé.  A  tous 
ces  militaires,  M.  Pasteur  a  conseillé  des  inocu- 
lations antirabiques  ;  douze  jours  après,  les  voya- 
geurs retournèrent  à  Wilna  ;  mais  grand  fut 
leur  étonnement  de  trouver  à  leur  retour  le  chien 
qui  passait  pour  enragé  en  parfaite  santé  qu'il  a 
conservée  jusqu'à  aujourd'hui  (10/22  décembre). 
De  cette  manière  les  braves  militaires  ont  eu  l'a- 
gréable plaisir  de  voir  gratis  la  belle  ville  de 
Paris. 

«c  Le  chien  en  question  appartient  au  Régiment 
et  a  été  soupçonné  de  rage  pour  avoir  légèrement 
mordu  ces  soldats  qui  l'agaçaient.  Or,  les  sol- 
dats vinrent  dire  à  leur  chef  qu'ils  étaient  bles- 
sés par  ce  chien  enragé.  Etait-ce  là  leur  croyance 
ou  simplement  l'envie  de  voyager  ?  Ordre  fut 
immédiatement  donné  au  D""  Cywinski  de  les 
conduire  auprès  de  M.  Pasteur. 

»  Les  soldats  mordus  n'ont  pas  été  examinés 
avant  leur  départ  pour  la  France  (1).  » 

(1)  Ce  fait  a  été,  il  est  vrai,  contesté  par  le  gouver- 
neur. 


-  313  — 

Le  D""  Garcia  Sola,  professeur  à  l'Université  de 
Grenade  a  publié  l'article  suivant,  très  modéré 
dans  la  forme,  dans  la  Gaceta  Media  Calabona 
(31  octobre). 

f 

Comme,  en  ce  qui  concerne  la  rage,  on  ne 
connaît  pas  encore  aujourd'hui  d'une  façon  cer- 
taiue,  malgré  toutes  les  recherches,  le  micro-or- 
ganisme pathogène,  le  D""  {jarcia  Sola  estime 
qu'il  ne  s'agit  pour  le  moment  que  d'examiner 
les  résultats  empiriques  des  inoculations  de 
moelle  faites  par  Pasteur,  et  il  vient  juger  les 
garanties  qu'offrent  les  statistiques  du  grand 
chimiste  au  point  de  vue  de  cette  question  :  les 
Individus  donnés  comme  s-auvés  par  les  inocu- 
lations avaient-ils  réellement  la  rage  en  incu- 
bation ?  Sa  critique  présente  des  points  de  con- 
tact remarquables  avec  les  judicieux  arguments 
développés  à  ce  sujet  par  M.  Colin  (d'Alfort)  de- 
vant l'Académie  de  Médecine  (Voyez  le  chapitre 
IX,  page  149\  On  en  pourra  juger  par  l'énoncé 
des  conditions  qu'il  requiert  pour  qu'on  puisse 
admettre  la  réalité  de  l'incubation  rabique  chez 
l'homme  mordu.  Ce  sont  les  quatre  conditions 
fondamentales  suivantes  : 

1"  Que  le  sujet  soit  mordu  par  un  animal  (loup, 
vache,  chien,  renard,  chat)  qui  soit  atteint  d'hy- 
drophobie  rabique. 

18- 


—  314  — 

2°  Que  les  morsures  portent  sur  un  endroit 
découvert  (visage,  cou,  mains)  ou  qu'elles  aient 
lieu  de  telle  manière  qu'elles  déterminent  la  fixa- 
tion du  virus  sur  la  surface  cruente  ;  il  ne  faut 
pas  par  exemple  que  le  virus  soit  resté  attaché 
aux  vêtements  ou  ait  été  entraîné  au  dehors  de 
la  plaie.. 

3"  Que  le  sujet  n'ait  pas  d'immunité  qui  l'em- 
pêche de  contracter  cette  maladie.' 

4°  Qu'il  n'ait  été  employé  immédiatement  après 
l'inoculation  aucun  des  moyens  qui  sont  capa- 
bles d'en  annuler  les-effets  comme  la  cautérisa- 
tion ou  l'extirpation  de  la  partie  mordue. 

Pour  ce  qui  regarde  les  preuves  répondant  à 
la  première  condition,  il  n'accorde,  comme  M. 
Cohn,  qu'une  valeur  tout  à  fait  insignifiante  à 
l'autopsie,  et  il  cite  le  fait  suivant,  qui  montre 
bien  qu'on  ne  saurait  se  fier  pour  tous  les  cas  aux 
renseignements  recueillis  : 

a  Dans  la  soirée  du  11  mai  dernier,  dit-il, 
une  sentinelle  de  la  garnison  de  Grenade,  soldat 
des  chasseurs  de  Cuba,  fut  mordue  d'abord  à  la 
jambe,  ensuite  au  poignet  et  à  l'avant-bras  par 
un  petit  chien  que  le  blessé  jugea  enragé,  en 
raison  de  l'absence  de  motif  à  son  attaque  et  de 
sa  persistance  dans  ses  morsures.  Très  affecté, 
le  soldat  demanda  au  caporal  à  être  relevé  et  fut 


—  315  — 
mené  à  l'hôpital  militaire,  où  on  le  traita  par 
les  moyens  appropriés  pour  éviter  les  effets  pos- 
sibles d'une  inocnlation  rabique.  Quelques  mo- 
ments après  l'accident  le  chien  fut  tué  par  d'au- 
tres soldats  de  la  même  garde  ;  M.  Dimas  Mar- 
tin vétérinaire  militaire,  ayant  fait  son  autop- 
sie' me  remit  les  centres  nerveux  de  l'animal 
pour  les  examiner  dans  le  laboratoire  d'histolo- 
gie dont  j'ai  la  directionà  la  Faculté  de  Médecine, 
et  le  gouverneur  militaire  de  la  place  m  invita 
à  déclarer  si  le  chien  était  ou  non  atteint  de  la 

rage . 

.  Pour  m'acquitter  de  cette  recherche,  je  consi- 
dérai comme  très  secondaire  l'investigation  ma- 
croscopique et  microscopique  des    pièces    re- 
mises, car,  contrairement   à  l'aifirmation    de 
Gowers.  des  lésions  caractéristiques  de  la  rage 
manquent    dans   tous  les  débris    de    l'animal 
qui  en    a    souffert.   Je    me    bornai    donc    a 
faire  durcir  dans  la    solution  d'acide  chromi  - 
que  un  petit   fragment  du  lobule  frontal  gau- 
che au    niveau   d'un   point  qui  me  parut  un 
peu  congestionné  ;  et  je  n'observai,  après  le  dur- 
cissement obtenu,  pas  même  de  traces  d'encé- 
phalite dans  les  diverses  coupes  que  je  pratiquai. 
En  revanche,  je  disposais  d'un  matériel  irrépro- 
chable pour  pratiquer  les  inoculations  expéri- 
mentales, puisque  la  protubérance  et  le  bulbe 


—  316    ' 

du  chien  sont  les  points  organiques  où  la  viru- 
lence rabique  est  la  plus  grande.  Je  préparai  en 
conséquence,  pour  l'expérimentation ,  deux  lapins 
un  adulte  de  plus  d'un  an.,  et  un  autre  jeune 
de  4  mois,  et  je  procédai  à  leur  inoculation  dans 
la  forme  suivante.  Après  avoir  cautérisé  la  sur- 
face du  bulbe  rachidien,  au  moyen  d'une  ba- 
guette de  verre  chauîfée  que  je  passai  dessus, 
détruisant  ainsi  les  germes  atmosphériques  qui 
auraient  pu  se  déposer  sur  cette  surface,  je  sé- 
parai avec  des  ciseaux  courbes,  venant  d'être 
rougis,  une  portion  de  la  substance  du  bulbe, 
que  je  diluai,  après  broiement,  dans  de  l'eau 
bien  stérilisée,  et  je  fis  avec  cela  une  bouillie 
très  diffluente,  propre  à  l'inoculation.  Je  séparai 
par  une  incision  cruciale  les  parties  molles  extra- 
crâniennes  correspondantes  à  la  région  fronto- 
pariétale  gauche  du  plus  âgé  des  lapins,  puis  je 
fis  marcher  la  petite  scie  du  trépan  .-j'obtins  une 
rondelle  osseuse  de  5  millimètres  de  diamètre, 
dont  l'ablation  me  mit  à  découvert  ladure-mère, 
intacte.  Je  pratiquai  l'inoculation  de  la  bouillie 
au-dessous  de  cette  membrane,  je  lavai  aussitôt 
le  fond  de  la  plaie  avec  une  solution  phéniquée 
faible  et  suturai  ensuite  les  quatre  lambeaux 
triangulaires  des  parties  molles.  Le  lapin  qui, 
sans  avoir  été  chloroformé,  s'était  fort  peu  agité 
pendant  l'opération,  se  montra  gai  dès  qu'on  le 


—  317  — 

mit  par  terre,  poursuivant  son  repas  avec  la  plus 
grande  vivacité.  Chez  l'autre  lapin  je  fis  deux 
injections  sous-cutanées,  dans  les  flancs,  avec  la 
ménle  dilution  du  bulbe  du  chien.  24  heures 
après  l'inoculation,  les  animaux  présentaient 
seulement  comme  phénomène  anormal  une  hy- 
perthermie  de  2  degrés.  Cette  température  avait 
baissé  de  1  degré  au  bout  des  48  heures,  et  elle 
était  redevenue  physiologique  le  quatrième  jour 
après  l'inoculation.  Pendant  ce  temps,  de  même 
queles  jours  suivants,  jusqu'au  terme  d'un  mois 
plein  après  les  inoculations,  les  deux  lapins  res- 
tèrent en  parfaite  intégrité  physiologique,  étant 
vivaces  et  gais,  buvant  de  l'eau  bien  que  man- 
geant un  aliment  juteux  (laitue),  et  témoignant 
qu'ils  conservaient  intacte  la  motilité  des  extré- 
mités postérieures,  dans  lesquelles  s'accentue 
tant  la  paralysie  (forme  médullaire)  chez  ces  ani- 
maux, quand  ils  sont  atteints  de  la  rage.  Au  res- 
te, le  processus  de  réparation  du  traumatisme 
chez  le  lapin  trépané  marcha  avec  la  rapidité 
avec  laquelle  nous  surprend  toujours  cet  animal 
en  pareil  cas.  Considérant  donc  que  le  terme 
moyen  de  l'incubation  de  la  rage  transmise  au 
lapin  par  injection  sous-cutanée  de  bulbe  rabi- 
que,  etsurtout  par  inoculation  sous-arachoïdien- 
ne,  oscille  entre  7  et  18  jours,  je  jugeai  achevée, 
au  bout  des  30  jours,  l'observation  des  deux  la- 


-  318  — 

pins  et,  ceux-ci  se  trouvant  en  parfait  état 
pliysiologique,  je  conclus,  en  déduisant  que  le 
ctiien  en  question  n'était  pas  atteint  de  l'tiydro  - 
phobie  rabique. 

«  Mais,  pendant  que  je  tenais  en  observation 
les  animaux  inoculés,  l'autorité  militaire  me 
pressait  pour  me  faire  prononcer  à  la  hâte,  car 
elle  désirait  vivement  envoyer  à  Paris  le  pauvre 
soldat,  au  cas  où  le  résultat  de  mon  investiga- 
tion eût  été  affirmatif.  Je  répondis  que,  jusqu'à 
ce  qu'il  se  fût  écoulé  au  moins  17  jours  depuis 
l'inoculation  aux  lapins,  je  ne  pouvais  donner 
aucune  réponse  catégorique.  De  cette  lutte,  d'une 
part  entre  le  très  légitime  désir  des  chefs  du  sol- 
dat, qui  souhaitaient  vivement  qu'on  ne  perdit 
pas  de  temps,  et  d'autre  part,  le  non  moins  jus- 
tifié délai  imposé  par  moi  jusqu'à  ce  que  j'eusse 
vu  le  terme  de  la  période  d'incubation  chez  les 
animaux  qui  étaient  l'objet  de  mes  expériences, 
il  résultat  que,  ne  croyant  pas  opportun  d'atten- 
dre davantage,  l'autorité  militaire  envoya  à  Pa- 
ris, le  soldat  mordu,  pour  qu'il  s'y  soumît  aux 
inoculations  de  Pasteur.  Ce  départ  s'effectua  12 
jours  après  que  les  morsures  avaient  été  reçues 
et  11  jours  après  que  j'avais  inoculé  les  lapins, 
de  manière  que  le  soldat  était  déjà  àParis,  quand, 
le  29  mai,  je  certifiai  la  non-virulence  des  mor- 
sures. » 


--  319  — 

t  De  la  précédente  observation  il  ressort  que.  ce 
prétendu  malade  ayant  été  traité  par  M.  Pasteur 
et  la  rage  n'ayant  pas  fait  son  apparition  chez  lui, 
on  inscrira  ce  cas,  parmi  ceux  favorables  aux  ino- 
culations curatives.Tel  est  le  vice  de  la  statistique 
que  je  me  propose  de  signaler  ;  et  l'on  peut  tant 
généraliser  cette  objection  que  je  n'hésite  pas  à 
affirmer  que  le  fait  qui  vient  d'être  rapporté  se 
grossirait  de  beaucoup  d'analogues,  si  dans 
tous  les  cas  d'Espagnols  adressés  à  Pasteur,  on 
avait  fait  la  même  investigation  que  j'ai  ac- 
complie au  sujet  de  l'unique  qui  est  allé  de  Gre- 
nade à  Paris  (1).  m 

On  ne  saurait  fournir  un  fait  plus  probant  à 
l'appui  de  l'assertion  que  nous  avons  émise  dès 
le  début  :  t  On  inocule  chez  M.  Pasteur  tout 
individu  qui  doit  avoir  été  mordu  par  un 
chien  sans  qu'il  existe  aucune  preuve  que  ce 
chien  soit  enragé. 


(1)  Ce  fait  est  emprunté  à  la  Revue  internationale 
des  Sciences  médicales  que  M.  le  D^  Martel  dirige 
avec  autant  de  talent  que  d'indépendance. 


CHAPITRE  XXII 
LA  NOUVELLE  MÉTHODE  INTENSIVE. 

Nous  avons  exposé,  avec  la  plus  grande  im- 
partialité, dans  les  premiers  chapitres  de  cet  ou- 
vrage, la  méthode  Pasteur,  première  manière. 

Nous  avons  vu  que  le  Maître,  se  basant  du 
reste  sur  la  fantaisie  la  plus  pure,  inoculait  aux 
individus  qui  se  rendaient  dans  son  laboratoire 
sur  la  foi  des  réclames,  un  virus  moelleux  dont 
on  augmentait  chaque  jour  l'intensité. 

On  devait  ainsi  s'opposer  à  l'action  du  poison 
introduit  primitivement  dans  l'économie  par  la 
morsure  de  l'animal. 

C'était  en  médecine  l'application  renversée  du 
fameux  similia  similibus  des  homœopathes. 

Vous  avez  absorbé  un  poison  :  pour  vous  gué- 
frir,  on  vous  faisait  absorber  une  dose  centuple 
de  ce  môme  poison.  C'est  ainsi  qu'on  pratiquait  la 
logique  dans  le  laboratoire  de  l'Ecole  normale. 

Mais  hélas  !  La  méthode  Pasteur, /)7'emiè7'e 
manière,  que  M.  Vulpian  avait  déclarée  infail- 


—  321  — 

ijBLE  (1),  a  été  promptement  jugée.  Tous  ceux 
qui  venaient  au  laboratoire  et  qui  étaient  vrai- 
ment atteints  de  la  rage,  mouraient  après  la  du- 
rée ordinaire  de  l'incubation. 

Un  grand  nombre  d'étrangers,  notamment  les 
Russes,  les  Roumains  et  les  Hollandais,  qu'on 
avait  déclaré  PARFAITEMENT  guéris  ont  succombé 
dans  nos  hôpitaux.  Les  Français  payaient  mal- 
heureusement le  tribu  à  la  maladie  comme  au- 
paravant. C'était  une  véritable  catastrophe. 

Cette  catastrophe  était  à  prévoir.  Irrationnelle 
et  antimédicale  en  principe,  la  méthode  pasto- 
rie^me  devait  être  inefficace,  sinon  funeste  en 
réalité.  Irrationnelle,  puisqu'elle  supposait,  que 
dans  un  organisme  infecté  déjà  par  une  maladie 
virulente  en  incubation,  l'inoculation  d'une  ma- 
ladie virulente  ou  identique  mais  atténuée,  pou- 
vait empêcher  l'éclosion  de  la  maladie  incubante  : 
la  variole  étant  là  pour  démontrer  que,  dans  un 
organisme  en  puissance  de  cette  maladie,  l'ino- 
culation de  la  vaccine  n'entrave  point  l'appari- 
tion de  la  variole,  les  deux  maladies  infectieuses, 
variole  et  vaccine,  se  développent  simultané- 
ment. 

(l)  A  l'Académie  des  Sciences,  séance  du  12  avril, 
M.  Vulpian,  ex-doyen  de  la  Faculté  de  Médecine^ 
a  prononce  ces  paroles  :  «  La  métliode  Pasteur  em- 
pêche A  COUP  SUR  le  développement  de  la  rage  »  !!! 


—  322  ~ 

Maintenant,  que  la  méthode  pastorienne  soit 
inefficace,  les  résultats  sont  là  pour  le  démon- 
trer. 

En  présence   des  insuccès,  les  pastoriens  ont 
quelque  peu   perdu  la  tête,  et,  pour  égarer   la 
galerie  ignorante,  ils  ont,  sans  souci  de  la  vérité 
médicale,  entassé  hérésie  sur  hérésie.  Ils  ont, 
pour  expliquer  la  rage,  malgré  l'inoculation  pas- 
torienne, invoqué  le  fait  que    la  morsure  était 
plus  grave  venant  d'un  loup  —  sans  d'ailleurs 
comprendre  l'explication  vraie  de  ce  fait.  Ils  ont 
dit  ensuite  que  la  cause  de  la  rage  (malgré  les 
inoculations  du  Sauveur)  était,  dans  \q  nombre, 
\di profondeur  des  blessures,  sans  prendre  garde 
au  peu  qu'il  faut  de  virus  vaccin  ou  syphilitique 
pour  vacciner  ou  syphiliser  ;  sans  prendre  garde 
au  peu  de  profondeur  de  la  blessure  dans  la  vac- 
cination ;  sans  prendre  garde  enfin  à   l'absence 
même  de  toute  blessure  dans  le  cas  de  contagion 
syphilitique,   l'épiderme   restant    alors    intact, 
bien  que  le  chancre  induré  soit  engendré. 

Dans  un  effort  désespéré,  un  pastorien,  M. 
Grancher,  n'a  pas  craint  de  dire  cette  monstruo- 
sité :  qu'on  devait  au  Sauveur  une  nouvelle 
découverte,  à  savoir  que  désormais  il  fallait  faire 
entrer  dans  la  doctrine  de  la  virulence  la  notion 
de  la  QUANTITÉ  du  virus,  et  cela  à  propos  de  l'in- 
cubation de  la  diphthérie  ?  Ainsi,  il  faut  admet- 


—  323  — 

tre  maintenant  que  la  variole,  la  diphthérie,  la 
dothiénentérie  se  contractent  par  l'introduction, 
dansl'organisme  vivant,  d'une  quantité  notable 
de  matière  varioleuse,  diphthéri.que  ou  dothié- 
nentérique.  Et  c'est  un  professeur  de  la  Faculté 
de  Médecine  de  Paris  qui  dit  de  telles  choses 
pour  le  salut  d'une  doctrine  et  d'une  pathologie 
également  insensées  ? 

On  verra  plus  loin,  dans  nos  statistiques  de 
mortalité,  que  la  méthode  Pasteur,  première  ma- 
nière., n'avait  en  rien  diminué  la  mortalité  et  que 
du  30  octobre  1885  au  30  octobre  1886,  il  est  mort 
de  la  rage  en  France  le  môme  nombre  d'indivi- 
dus que  pendant  les  années  précédentes. 

LA    NOUVELLE   MÉTHODE   INTENSIVE. 

C'est  alors  que  ]\I.  Pasteur,  tellement  convain- 
cu de  l'inutilité  du  traitement  appliqué  pendant 
cette  première  année,  a  proposé  une  méthode 
différente  qu'il  qualifie  d'intensive. 

C'est  une  sorte  de  martingale  bizarre. 

Nous  en  reproduisons  religieusement  la  for- 
mule : 

I.  Traitement  pour  les  petites  morsures  à 
travers  les  vêtements.  —  (Les  moelles  sont  re- 
présentées par  des  chiffres  qui  indiquent  depuis 
combien  de  jours  elles  sont  soumises  à  la  des- 


5»     » 

6e     » 

7«     » 

8'^     » 

9^     » 

IGe  » 

—  324  — 

siccation.  La  moelle  8  est  celle  d'un  lapin  mort 
depuis  8  jours  de  rage  exaltée  :  la  moelle  1  celle 
d'un  lapin  mort  la  veille). 

!''•  jour  3  inoculations  avec  les  moelles  12, 11, 10 

2«     •      3            »              »  »  9,    8,    7 

3«    »      3            »              »  »  6.    5,    4 

4e  jour  1   inoculation  avec  la  moelle  3 

»               »  i>  2 

t>               t  »  1 

»                 »  »  4 

ï  K  »  3 

i  »  s  2 

»  »  »  1 

IL  Traitement  poin^  blessui^es  de  parties 
découvertes  autres  que  la  face.  —  Traitement 
précédent,  quelques  jours  de  repos  et  nouvelle 
série  4,  3,  2, 1. 

III.  Traitement  intensif  appliqué  aux  indi- 
vidus mordus  à  la  tête,  à  la  face  ou  aux  ré- 
gions immédiatement  voisines  {cou,  nuque), 
ainsi  qu'aux  individus  arrivés  tardivement. 
—  Traitement  précédent,  puis  la  série  4,  3,  2, 1 
est  reprise  plusieurs  fois  avec  intervalles  de  2  à 
4  jours,  pendant  4,  5  et  même  6  semaines. 

Voilà  les  formules  algébriques  que  M.  Pasteur 
nous  propose  pour  son  nouveau  traitement  et 
qu'il  applique  depuis  trois  mois,  ce  qui  ne  l'a 


—  325  — 

pas  empêché  de  perdre  un  grand  nombre  d'ino- 
culés. 

Sur  quoi,  du  reste,  repose  ce  traitement  ?  Est- 
ce  sur  l'expérimentation,  sur  la  clinique?  Hélas  ! 
il  faut  bien  le  reconnaître,  les  chimistes  de  l'E- 
cole normale,  épouvantés  et  déconcertés,  en  sont 
encore  à  la  période  de  tâtonnement.  Comme 
leurs  premiers  virus  moelleux  n'avaient  aucune 
action  sur  l'économie  (en  ce  qui  concerne 
l'homme,  tout  au  moino)  ils  administrent  leurs 
bouillons  au  hasard  comme  le  prouve  surabon- 
damment l'exposé  de  leur  nouvelle  méthode. 
Lorsque  nous  prescrivons  un  médicament 
toxique,  nous  tenons  compte  des  effets  qu"il 
produit  avant  d'en  augmenter  ou  d'en  diminuer 
la  dose  ;  en  un  mot  nous  faisons  de  la  méde- 
cine clinique:  maison  a  bien  souci  de  cela  à 
l'Ecole  normale. 

La  nouvelle  méthode  intensive  n'a  pas  tardé 
â  produire  ses  fruits.  Mise  en  pratique  à  la  fin 
de  septembre,  on  vit  aussitôt  se  produire  un 
nombre  considérable  de  décès  chez  les  impru- 
dents qui  s'étaient  placés  entre  les  mains  des 
empiriques  de  l'Ecole  normale. 

Les  individus  mouraient  non  pas  de  l'hydro- 
phobie  furieuse  qui  résulte  de  la  morsure  d'ani- 
maux enragés,  mais  d'une  sorte  de  rage  para- 
lytique présentant  une  analogie  frappante  avec 


—  326  — 

les  symptômes  observés  sur  les  lapins  auxquels 
M.  Pasteur  avait  inoculé  ses  virus. 

On  sait  que  lorsque  les  symptômes  convulsifs 
de  la  rage  se  manifestent  chez  l'homme,  ils  sont 
le  plus  souvent  précédés  par  une  douleur  sié- 
geant au  niveau  de  la  morsure.  Or,  chez  les  in- 
dividus traités  par  la  nouvelle  méthode,  les  dou- 
leurs se  montraient  au  niveau  des  points  d'ino- 
culation seulement  et  les  symptômes  étaient 
exactement  ceux  de  la  rage  du  lapin. 

En  présence  de  tels  faits  se  multipliant,  le  trai- 
tement Pasteur  était  devenu  un  véritable  danger 
public.  C'est  alors,  que  M.  le  professeur  Peter 
intervint.  On  verra  avec  quel  courage  l'éminent 
clinicien  a  fait  le  procès  des  dangereux  thauma- 
turges de  la  rue  d'Ulm. 


CHAPITRE    XXIII. 

M.  PASTEUR  NE  GUÉRIT  PAS  LA  RAGE,  - 
IL  LA  DONNE. 

Les  quelques  remarques  qui  terminent  le  cha- 
pitre précédent  ont  dû  faire  frissonner  les  moins 
indifférents.  Quelle  était  donc,  en  effet,  cette  nou- 
velle maladie  étrange,  dont  les  symptômes  n'a- 
vaient figuré  dans  aucun  Traité,  maladie  que 
discutaient  les  médecins  lesplus  expérimentés  et 
qui  survenait  invariablement  de  vingt  a  tren- 
te-cinq. JOURS  après  les  inoculations  pastoriennes 
et  qui  déterminait  la  mort  par  paralysie,  dans  un 
délai  de  deux  a  six  jours. 

Ce  n'était  plus  la  rage  avec  ses  symptômes 
convulsifs,  mais  une  affection  nouvelle  qui  pré- 
sentait une  analogie  absolue  avec  la  maladie  que 
M.  Pasteur  faisait  naître  chez  les  lapins,  par  ses 
inoculations.  C'était  en  un  mot  la  rage  du  la.pin^ 
la  rage  paralytique,  la  rage  de  laboratoire. 

Nous  avions  été  les  premiers  à  signaler  les 
symptômes  suspects,  avec-  toutes  les  réserves 


—  328  — 

que  comporte  un  sujet  aussi  grave,  dans  le  Jour- 
nal de  médecine  de  Paris. 

Un  médecin  éminent  de  Londres,  M.  J.  H. 
Clarlte^  avait  déjà  été  frappé  par  les  symptômes 
étranges  observés  chez  deux  malheureux  Anglais 
traités  à  l'Ecole  normale  par  les  virus  exaltés. 

Voici  la  lettre  que  publiait  le  D^  Clarke,  dans  le 
Daily  Telegraph.,  le  6  décembre  1886. 

«  La  mort  de  ces  deux  jeunes  gens  (Goffi.  à 
Londres,  et  Wilde,  à  Rotherham)  survenue  trois 
semaines  après  un  traitement  complet  à  l'École 
normale,  constitue  des  faits  qu'il  importe  d'exa- 
miner avec. la  plus  stricte  attention.  Dans  le  cas 
de  Goffi,  il  y  a  eu  une  enquête,  mais  la  mort  n'a 
pu  être  expliquée  par  aucune  autre  maladie  que 
la  rage  et  les  expériences  qu'on  nous  a  dit  avoir 
été  faites  n'ont  pas  encore  donné  de  résultat. 
Dans  le  cas  de  Wilde,  il  n'y  a  pas  eu  d'enquête, 
mais  les  renseignements  qui  m'ont  été  donnés 
par  la  mère, sont  de  telle  nature  que  je  considère 
comme  mon  devoir  de  médecin  de  leur  donner 
la  plus  grande  publicité. 

On  a  prétendu  que  cet  enfant  avait  succombé 
à  une  congestion  pulmonaire  :  mais  celte  version 
intéressée  ne  peut  être  acceptée.  Les  symptômes 
présentent  la  plus  grande  analogie  avec  ceux  ob- 
servés sur  Gofïi.  La  prostration  intense,  la  para- 


-  329  - 

lysie  générale  de  tous  les  organes,  l'invasion  fou- 
droyante de  la  maladie  et  la  rapidité  de  la  mort, 
tous  les  symptômes  présentent  une  identité  pres- 
que absolue  avec  ceux  que  M. Pasteur  a  décrits  et 
observés  sur  les  animaux  qu'il  a  inoculés  et  qu'on 
désigne  sous  le  nom  deparalysie  rabique.  Pour 
moi,  IL  ME  SEMBLE  ÉviD.iNT  que  CCS  clcux  ùiclwi- 
dusont  succombé  à  la  suite  des  dix-neuf  inocu- 
lations de  virusexaltés  qu'ils  ont  subies  à  Paris. 
La  mère  d'une  des  victimes,  madame  Wilde, 
m'a  autorisé  h  faire  connaître  ces  faits,  afm  que 
les  autres  individus,  mordus  légèrement  par  des 
animaux,  puissent  se  soustraire  aux  obsessions 
dont  ils  sont  l'objet  et  éviter  le  sort  malheureux 
de  son  enfant.  Pour  moi,  j'ai  la  conviction  que 
lejeuneWilde  n'a  pas  succombé  à  la  rage,  qui  ne 
lui  pas  été  inoculée  par  un  chien,  mais  qu'il  est 
mort  delà  paralysie  rabique  qui  lui  avait  été  ino- 
culée par  un  des  aides  de  M.  Pasteur  au  labora- 
toire de  l'Ecole  normale.  J.  H.  Clarke. 

Mais  le  docteur  Clarke  était  étranger,  et  les 
médecins,  aveuglés  par  une  sorte  de  chauvinis- 
nisme,  considéraient  ses  appréciations  comme 
dictées  par  l'envie  et  la  jalousie. 

Mais  les  décès  à  la  suite  du  traitement  Pasto- 
rien  devenaient  déplus  en  plus  nombreux.  Cha- 
que jour,  le  hasard  faisait  découvrir  un  nouveau 
cadavre. 

20. 


—  330  — 

C'est  alors  que  M.  le  Professeur  Peter,  qui 
avait  gardé  le  silence  depuis  l'annonce  pompeu- 
se de  la  prétendue  découverte  pastorienne,  s'est 
décidé  à  parler. 

Dans  une  première  séance  (4  janvier  1886),  M 
Peter  communique  à  l'Académie  l'observation 
deRéveillac,  mort  de  la  rage  paralytique,  à  la 
suite  du  traitement  Pastorien. 

Ce  fait  ayant  été  contesté  par  les  Pastorien,  M. 
Peter  recueillit  de  nouveaux  faits  qu'il  commu- 
niqua à  ses  collègues. 

Je  supplie  mes  lecteurs  de  lire  avec  attention 
cette  communication.  S'ils  ne  sont  pas  prévenus 
et  en  proie  à  l'esprit  qui  a  malheureusement  di- 
visé le  corps  médical,  ils  diront  : 

M.  Pasteur  ne  guérit  pas  la  rage,  il  la  donne. 

Voici  comment  s'est  exprimé  le  professeur 
Peter,  à  laséance  du  11  janvier  1887. 

Messieurs, 

J'ai  considéré  la  médication  antirabique  de 
M.  Pasteur,  telle  qu'il  l'avait  formulée  d'abord, 
comme  inefficace  et,  pendant  une  année  en- 
tière, j'ai  gardé  le  silence. 

Depuis  deux  mois,  elle  me  paraît  devenir 
périlleuse  sous  sa/orme  intensive^  je  considère 
comme  un  devoir  de  parler  : 


—  331  — 

RÉVEILLAC  EST  MORT  DE  LA  RAGE  EXPÉRIMENTALE 

Je  dirai  d'abord  quelques  mots  sur  le  cas  de 
Réveillac,  mort  de  la  rage  paralytique,  que  j'ai 
fait  connaître  à  l'Académie,  le  4  janvier  dernier. 

Il  résulte  de  l'enquête  qui  vient  d'être  faite  par 
M.  Pujardin-Beaumetz  et  moi.  que  les  détails 
que  j'ai  donnés  à  la  dernière  séance  sont  abso- 
lument exacts.  Il  en  résulte  ensuite  une  dé- 
monstration de  plus  en  plus  évidente  sur  la 
nature  de  la  mort.  Cet  individu  a  en  effet  suc- 
combé à  une  affection  paralytique  sur  la  natu- 
re de  laquelle  je  reviendrai  plus  tard. 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  curieux  dans  cette  en- 
quête conduite  avec  sa  loyauté  habituelle  par 
M.  Dujardin-Beaumetz,  c'est  que  plus  on  cher- 
chait le  chien,  plus  on  voyait  apparaître  le 
lapin  : 

Douleurs  au  niveau  des  points  d'inoculations 
et  non  du  doigt  mordu  ; 

Forme  paralytique  de  la  maladie,  et  non  for- 
me convulsive,  furieuse  et  délirante  ; 

Impossibilité  de  cracher  et  difficulté  d'avaler, 
au  lieu  de  la  sputation  et  de  l'hydrophobie  ; 

Cécité  pendant  les  dernières  heures  de  la  vie, 
au  lieu  de  l'acuité  de  la  vision,  etc  ,  etc. 

En  résumé,  Réveillac  n'est  pas  mort  de  la 


—  332  - 

RAGE  DU  CHIEN,  MAIS  d'uNE  AFFECTION    QUI    RAP- 
PELLE LA  RAGE  EXPÉRIMENTALE. 

Et  voilà  pourquoi  les  médecins  qui  l'ont  vu 
vivant  n'ont  pas  pu  faire  le  diagnostic  exact;  il 
n'en  faut  pas  accuser  leur  ignorance  ;  ils  se 
trouvaient  en  présence  : 

Non  pas  d'une  maladie  naturelle, 

Mais  d'une  maladie  artificielle; 

Non  pas  d'une  maladie  qu'on  observe  dans  la 
salle  de  clinique,  mais  d'une  maladie  qu'on  ne 
voit  que  dans  le  laboratoire  ;  d'une  maladie  créée 
de  toutes  pièces  ;  d'une  maladie  expérimentale. 

Ils  se  trouvaient  en  présence  de  la  rage  de  la- 
boratoire. 

En  voulez-vous  la  preuve  ?  rappelez- vous  la 
parole  de  M.  Pasteur  lui-même. 

A  la  séance  du  26  février  1884,  M.  Pasteur  rap- 
pelle à  l'Académie  que,  dans  sa  communication 
du  11  décembre  1882,  il  avait  annoncé  que  l'i- 
noculation  de  virus  rabique  dans  le  système 
sanguin  offrait  le  plus  souvent  des  rages  vk- 
RALYTiQUEs  avec  (26se/ice  de  fureur  q\.  ^'aboie- 
ment rabique  : 

La  trépanation  donne  le  plus  souvent  la  rage 
furieuse. 

Il  cite,  en  outre,  le  cas  d'un  lapin  qui  est  pris 
de  parahjsie  rabique,  treize  jours  après  la  tré- 
panation. Les  jours  suivants,  il  se  guérit  complé- 


—  333  — 

tement  ;  la  paralysie  reprend  quarante-trois 
jours  après,  et  il  meurt  rabique  le  quarante-si- 
xième jour. 

Chez  la  poule,  il  y  a  absence  de  symptômes 
violents^  mais  somnolence,  inappétence  et  joa - 
ralysie  des  membres. 

Or,  que  fait  M.  Pasteur  dans  ses  inoculations, 
sinon  des  injections  qui  pénètrent  dans  la  cir- 
culation ?  Et  qu'obtient-il  maintenant  avec  ses 
inoculations  intensives  ?  de  la  paralysie  I!  (cas 
de  Réveillac  à  Paris,  de  Née,  à  Arras)  ou  de  la 
courbature  générale  (cas  de  Soudini  à  Constanti- 
ne). 

Mes  collègues,  Dujardin-Beaumetz  et  Chau- 
veau,  ont  très  justementfait  observerque  la  rage 
PARALYTIQUE  était  absolumeut  exceptionnelle 
chez  l'homme.  Or  nous  venons  devoir  qu'elle 
est  fréquente  chez  le  lapin,  d'après  M.  Pasteur 
lui-même  ;  et  c'est  ce  qui  constitue  l'excessive 
gravité  du  fait  de  Réveillac  et  de  celui  de  Née, 
d'Arras,  que  je  vous  citerai  tout  à  l'heure. 

Rouyer  est  mort  delà  rage  expérimentale  et 
non  pas  d'urémie. 

Chez  l'enfant  même  dont  a  parlé  M.  Brouar- 
del(l),ce  qui  paraît  avoir  dominé,  ce  sont  bien  les 
syptômes  paralytiques.  En  effet,  cet  enfant  est 
bien  mort  de  la  rage,  les  détails  mêmes  fournis 

(1)  Vojezplus  ioinrobscrvalion  deRouyer. 

19* 


—  334  — 

par  M.  Brouardel  le  prouvent  avec  évidence.  On 
avait  pu  croire,  mardi  dernier,  que  l'autopsie 
avait  révélé  des  lésions  rénales  suffisantes  pour 
expliquer  la  mort.  Pas  le  moins  du  monde.  Les 
reins  étaient  sains,  sauf  cette  congestion  qu'on 
peut  rencontrer  dans  tous  les  cas  où  le  sujet  est 
mort  par  asphyxie,  dans  la  rage  sous  toutes  ses 
formes.  11  y  avait  de  l'albumine  dans  les  urines; 
mais  c'est  très  fréquent  chez  ceux  qui  meurent 
de  la  rage.  Dans  une  observation  écrite  en  1878, 
par  exemple,  M.  A.  Robin.insiste  justement  sur 
ce  point  :  il  raconte  que,  dans  l'urine  extraite 
par  le  cathétérisme  de  la  vessie  d'un  homme 
atteint  de  rage  classique,  convulsive,  il  a  cons- 
taté la  présence  de  l'albumine.  C'est  donc  un 
signe  qui  vient  appuyer  et  non  infirmer  le  dia- 
gnostic tmge.  D'ailleurs,  l'urine  dont  il  s'agitétait 
extraite  de  la  vessie  48  heures  après  la  mort  ; 
or  M .  Brouardel  lui-même  professe  qu'il  ne  faut 
pas  attacher  grande  importance  à  l'albumine 
trouvée  dans  la  vessie  d'un  cadavre. 

LE   DIAGNOSTIC   DE  LA   RAGE. 

Je  voudrais  dire  maintenant  deux  mots  seu- 
lement du  nouveau  critérium  de  la  rage,  formu- 
lé par  l'école  de  M.  Pasteur  ;  la  preuve  expéri- 
mentale par  inoculation  du  bulbe. 


—  335  — 

'  Autrefois,  vous  vous  le  rappelez,  tout  chien 
dans  Festomac  duquel  on  trouvait  des  corps 
étrangers  :  bois,  paille,  etc.,  était  réputé  enragé. 
Cette  preuve  est  abandonnée. 

Voici  la  nouvelle  :  le  diagnostic  de  la  rage  ne 
peut  plus  être  admis  que  quand  on  a  inoculé  le 
bulbe  de  l'animal  ou  de  l'homme  qui  a  suc- 
combé et  quand  cette  inoculation  donne  des 
résultats  positifs. 

Je  dis  que  c'est  là  une  prétention  antimê- 
dicale  et  antiscientifique. 

D'abord  elle  conduit  à  rejeter  comme  non 
avenues  toutes  les  observations  antérieures  de 
rage,  ce  critérium  que  l'on  préconise  leur 
ayant  manqué  jusqu'à    aujourd'hui. 

Cette  prétention  est  antiscientifique,  car  on 
ne  peut  jamais  tirer  une  conclusion  absolue,  en 
médecine,  du  résultat  purement  négatif  d'une 
expérience  quelle  qu'elle  soit.  Il  n'en  est  pas 
des  êtres  vivants  comme  des  réactifs  de  chi- 
mie :  ils  ne  se  comportent  pas  tous  de  la  même 
manière  quand  on  les  place  dans  ties  circons- 
tances analogues.  Ils  sont  plus  ou  moins  résis- 
tants aux  agents.  En  ce  qui  touche  la  rage,  par 
exemple,  il  paraît  certain  que  la  plupart  des 
hommes  y  sont  réfractaires  naturellement. 
D'ailleurs,  le  bulbe  qu'on  inocule  est  souvent 
déjà  plus  ou  moins  décomposé,  car,  s'il  s'agit 


—  336  — 

d'un  homme,  il  faut  attendre  l'autopsie  pour 
prendre  ce  bulbe  et  souvent  il  s'écoule  encore 
beaucoup  de  temps  avant  qu'il  n'arrive  au  labo- 
ratoire. Si  donc,  on  n'a  pas  produit  la  rage  en 
s'en  servant,  on  n'a  pas  le  droit  d'affirmer  que 
l'homme  qui  a  fourni  ce  bulbe  n'avait  pas  la 
rage. 

Est-ce  que  d'ailleurs  un  médecin  de  campa- 
gne a  à  sa  disposition  le  laboratoire  et  le  temps 
nécessaires  pour  ces  inoculations  ?  Et  s'il  ne  les 
a  pas  faites,  à  propos  d'un  cas  de  rage  chez  un 
inoculé,  ne pourra-t-on  pas  toujours  lui  répon- 
dre :  Votre  observation  ne  prouve  rien,  vous 
n'avez  pas  fait  la  preuve  expérimentale,  vous 
n'avez  pas  inoculé  à  un  animal  le  bulbe  de 
votre  malade  ? 

Je  vais  maintenant  faire  connaître  à  l'Aca- 
démie de  nouveaux  faits  qui  me  paraissent 
concluants. 


NOUVEAUX  CAS  DE  MORT  PAR  l.ARAGE. 

Après  l'observation  de  Réveillac,  je  désire  au- 
jourd'hui vous  exposer  celles  de  Jansen  (de 
Dunkerque),  de  Soudini  (de  Constantine)  et  de 
Née  (d'Arras). 

C'est  là  une  base  d'opération  solide  pour  l'ar- 


—  337  — 

gumentation  de  la  critique,  non  seulement  de 
la  médication  intensive,  mais  de  l'ensemble  de 
la  médication  de  M.  Pasteur. 

Je  vais  vous  communiquer,  en  premier  lieu, 
un  cas  de  rage  classique  développée  chez  l'hom- 
me, après  les  inoculations  intensives  précoces. 

Je  vous  signalerai  ensuite  des  cas  de  rage 
modifiée  ou  paralytique. 

Le  premier  cas  (rage  convulsive)  est  celui  d'un 
enragé  mort  à  Dunkerque,  et  qu'on  avait  résolu 
de  tenir  caché  (vous  en  verrez  la  preuve  tout  à 
l'heure). 

Je  dois  cette  observation  à  Tobligeance  de 
MM.  les  docteurs  Corties  et  Duriau,  de  Dun- 
kerque. 

Dunkerque,  le  9  janvier  1887. 

Le  médecin  major  de  l^"  classe  Corties,  médecin 
chef  de  l'hùpital  militaire  de  Dunkerque,  à  Mon- 
sieur le  Professeur  Peter. 

Monsieur  le  Professeur, 
J  ai  l'honneur  de  vous  adresser  la  relation  d'un 
cas  de  rage  qui  s'est  déclaré  132  jours  après  la  mor- 
sure chez  un  individu  qui  n'a  pas  été  cautérisé  et 
a  été  soumis,  48  heures  après  l'accident,  au  trai- 
tement antirabique  de  Pasteur,  d'après  la  métho- 
de iNTENSiYB  cowimwéQ pendant  15  jours. 


—  338  — 

Après  avoir  lu  la  discussion  qui  a  eu  lieu  mardi 
dernier  à  rAcadémie  de  médecine,  je  me  proposais 
de  vous  adresser  cette  observation  qui,  dans  Fétat 
actuel  de  la  question,  a  une  certaine  importance  et 
présente  un  réel  intérêt  en  raison  de  la  netteté  du 
cas. 

Voici  les  iaits  : 

Le  nommé  Jansen  (Louis- Victor),  âgé  de  47  ans, 
brigadier  des  douanes  à  Saint-Pol-les-Dunkerque.  a 
été  mordu  le  19  août  1886,  à  9  heures  1/2  du  matin, 
parmi  cliien  appartenant  au  préposé  Hamyau.  L'au- 
topsie du  chien  faite  par  M.  Boudy,  vétérinaire  àDun- 
kerque,  démontra  quil  était  enragé. 

Jansen  ne  fut  pas  cautérisé. 

Le  20,  le  Directeur  des  douanes  emmenait  à  Paris 
les  nommés  Jansen  et  Hamyau  et  les  conduisait,  le 
lendemain  21,  à  11  heures  du  matin,  à  lïnstitut  Pas- 
teur . 

Là,  il  fut  constaté  que  le  nommé  Jansen  était  por- 
teur de  34  ou  35  plaies  aux  deux  jambes  et  au  poi- 
gnet gauche.  Il  fut  immédiatement  inoculé  et,  à  da- 
ter de  ce  jour,  le  fut  deux  fois  par  jour  pendant  une 
quinzaine. 

Il  revint  parfaitement  rassuré  et  reprit  son  ser- 
vice. 

Tout  alla  bien  jusqu'au  29  décembre  ;  toutefois 
certains  signes  (augmentation  de  l'acuité  visuelle  et 
auditive)  permettent  de  supposer  que  la  première 
période  de  la  rage  dont  le  malheureux  allait  pré- 
senter un  cas  type,  a  débuté  le  27  dans  la  nuit. 

Le  29  décembre  (132  jours  après  la  morsure),  ma- 


—  339  — 

laise  dans  la  journée.  Il  ne  put  ni  manger  ni  boire  à 
son  dîner  et  emporta  son  repas  avec  lui  en  prenant 
sa  garde.  Dans  la  nuit,  vers  deux  heures,  violent  ac- 
cès de  suffocation. 

Le  30,  il  est  vu,  dès  le  matin,  par  leD""  Bernard,  de 
Saint-Pol-les-Dunkerque,  qui  constate,  ainsi  que  les 
docteurs  Duriau  père  et  fils,  dans  la  journée,  l'hydro- 
pliobie  et  des  accès  convulsifs. 

A  5  h.  1/2  du  soir,  il  est  amené  à  l'hôpital  mili- 
taire par  le  Dr  Duriau  père,  je  le  vois  immédiate- 
ment. Il  se  croit  atteint  d'asthme.  Il  présente  tous 
les  signes  caractéristiques  de  la  rage  à  la  deuxiè- 
me période  ;  regard  brillant,  fixe,  hyperesthésie 
cutané  et  sensorielle  amenant  par  action  réflexe  des 
spasmes  des  inspirateurs  ;  hydrophobie.  Rien  du 
côté  des  morsures. 

Le  30  décembre,  à  3  heures  du  matin,  l'agitation 
devient  plus  violente. 

Le  31  décembre,  à  7  heures,  les  crises  se  ra])pro- 
client,  commencement  du  délire  maniaque.  A  10 
heures,  manie  furieuse.  Il  se  lève  et  veut  se  jeter  par 
la  fenêtre.  On  est  obligé  de  lui  mettre  la  camisole  de 
force. 

La  longueur  des  cordes  lui  permet  de  se  tenir  assis 
et  de  se  servir  de  ses  mains,  mais  l'empêche  de  se  le- 
ver. Elles  sont  tenues  par  trois  infirmiers  ;  il  a  d'ail- 
leurs, toujours  auprès  de  lui,  2  à  4  infirmiers  sous  la 
surveillance  d'un  sergent. 

Dans  la  journée  (31),  les  accès  se  rapprochent  et 
deviennent  de  plus  en  plus  fréquents  et  longs.  Le 
déhre  et  l'agitation    sont    extrêmes  ;  crachements; 


—  340  — 

bave.  Tous  ces  symptômes  sont  momentanément 
calmés  par  des  injections  de  chlorhydrate  de  mor- 
phine. 

Les  visites  de  son  père,  de  sa  femme  et  de  sa 
amille  calment  aussi  pendant  quelques  instants  le 
malade  qui  va  s'affaiblissant. 

Jansen  ignore  la  cause  de  sa  maladie,  mais  a  le 
pressentiment  de  la  gravité  de  son  état.  J'ai  cepen- 
dant réussi  à  le  convaincre  qu'il  n'avait  que  des 
accès  d'asthme  nerveux. 

Vers  minuit,  lagitation  diminue,  il  tombe  dans  le 
collapsus  (vers  3  heures  du  matin,  le  1er  janvier)  et 
meurt  à  7  heures. 

A  aucun  moment  le  malade  n'a  présenté  de  paraly- 
sie. Ce  n'est  pas  un  cas  de  rage  paralytique,  mais  bien 
ie  type  absolument  classique  que  j'ai  d'ailleurs  ob- 
servé plusieurs   fois. 

Le  seul  phénomène  nouveau  pour  moi  a  été  l'exci- 
tabilité exagérée  du  nerf  olfactif.  L'odeur  du  tabac 
perçue  par  lui  au  moment  où  l'un  de  ses  beaux-frè- 
res, qui  avait  fumé,  l'embrassait,  a  provoqué,  le  31, 
dans  l'après-midi,  un  violent  spasme  réflexe  des 
muscles  de  l'inspiration  et  de  la  déglutition. 

L'autopsie  faite  le  2  janvier,  à  deux  heures  de  l'a- 
près-midi, n'a  tait  découvrir,  comme  toujours  en 
pareil  cas,  aucune  lésion  caractéristique,  mais  seu- 
lement les  signes  de  l'asphyxie.  Congestion  intense 
des  méninges  du  cerveau  et  de  la  moelle  ;  pas  même 
de  piqueté  cérébral  manifeste  ;  la  substance  grise 
tranche  un  peu  plus  vivement  peut-être  que  d'ha- 
bitude par  sa  coloration    sur  la  substance  blanche. 


—  341  — 

Congestion  hypostatique  des  poumons,  rougeur  des 
bronches,  mucosités  visqueuses,  sang  noir,  fluide;  pas 
de  caillots  dans  le  cœur.  Traces  d'éjaculation. 

Autopsie  faite  en  présence  des  D^s  Duriau  père  et 
fils,  qui  l'ont  yu  plusieurs  fois  après  son  entrée  à 
l'hôpital. 

J'ai  envoyé  à  M.  le  Dr  Pelletan,  rédacteur  du  Jour- 
nal de  Micrographie,  176,  boulevard  Saint-Germain, 
qui  me  l'avait  demandé,  un  morceau  de  moelle  allon- 
gée et  de  protubérance  annulaire. 

En  résumé,  un  homme  mordu  par  un  chien  en- 
ragé n'ayant  pas  été  cautérisé  et  soumis  au  traite- 
ment antirabique  par  la  méthode  intensive,  conti- 
nuée 15  jours,  a  été  atteint  de  la  rage  132  jours  après 
l'accident  et  a  succombé  à  la  forme  ordinaire  de 
l'affection. 

Le  préposé  Hamyau,  propriétaire  du  chien  qui  a 
mordu  Jansen,  en  apprenant,  le  19  août,  que  son 
chien  était  enragé,  s'est  rappelé  que  le  31  juillet  il 
avait  été  mordu  à  la  fesse  par  lui  et  a  été  pris  de 
peur.  Il  a  été  conduit  avec  Jansen,  le  21,  à  l'institut 
Pasteur.  Là  on  n'a  pu  trouver  trace  de  la  cicatrice 
de  la  morsure.  Cet  homme  était  absolument  dé- 
monté; on  fut  obligé  de  le  faire  asseoir,  il  était  sur 
le  point  de  se  trouver  mal.  On  chercha  à  le  rassurer  ; 
on  lui  disait  que  le  31  juillet  le  chien  ne  pouvait  être 
enragé. 

Lorsque  le  Directeur  des  Douanes  apprit  le  déve- 
loppement de  la  rage  chez  Jansen,  pour  ne  pas  ef- 
frayer Hamyau,  il  pria  le  préfet  du  Nord  et  les 
journaux,  de  ne  pas  donner  de  publicité  au  fait, 

20 


—  342  -- 

et  une  permission  de  lO  jours  fut  accordée  au  pré- 
posé Hamyau,  qui  n'est  pas  encore  rentré. 

Je  me  borne  à  constater  ces  faits  et  à  vous  les  si- 
gnaler. 

Il  s'agit  là,  bien  évidemment,  d'un  cas  de 
rage  convulsive  classique^  développée  malgré 
les  inoculations  intensives,  bien  que  ces  inocula- 
tions aient  été  pva.iiquGes  hâtivement  (4^  heures 
après  les  morsures).  —  On  ne  peut  donc  pas  in- 
voquer ici  l'époque  tardive  des  inoculations. 

On  remarquera  que  les  premiers  symptômes 
de  la  rage  se  manifestent  cent  trente-deux 
jours  après  les  morsures  %icent  ?^re/z^e  jours 
après  les  inoculations  ;  c'est-à-dire  que  la  rage 
canine  est  arrivée  ici  plus  tardivement  que  la 
rage  canino-pastorienne  dont  je  vous  citerai  des 
exemples  tout  à  l'heure. 

On  remarquera,  enfin,  la  difficulté  qu'on  éprou- 
ve à  connaître  les  décès  des  inoculés.  —  Il  y  a 
toujours  une  raison  pour  le  secret  :  ici  c'est  une 
raison  d'humanité,  là  c'en  est  une  autre. 

Voici  maintenant  un  fait  de  rage  modifiée,  de 
rage  canino- expérimentale. 

Observation  de  rage  chei  un  sujet  mordu  par  un 
chien  enragé  ayant  subi  les  inoculations  préventives  à 
l'Ecole  normale  et  développée  15  jours  après  dans  sa 
famille, 

Sodini  (Bernard);  âgé  de  46  ans,  observé  à  l'Iios- 


—  343  — 

pice  civil  de  Gonstantine,  dans  le  service  de  M.  le 
Dr  Leroy. 

Le  12  octobre  1886,  un  chien  enragé  lui  fait  trois 
morsures  à  la  partie  interne  et  postérieure  de  la 
jambe,  au  niveau  du  tendon  du  demi-membraneux. 
Il  entre  de  suite  à  l'hôpital,  d'où  il  part  le  16  pour 
Paris. 

Le  21,  à  11  heures  du  matin,  M.  Pasteur  lui  fait 
une  première  piqûre  à  la  partie  antéro-latérale  du 
thorax  du  côté  droit,  vers  la  dernière  vraie  côte, 
puis  une  seconde  à  quatre  heures  du  soir,  puis  une 
troisième  à  neuf  heures  du  soir.  Dans  les  onze  jours 
suivants,  16  autres  piqûres  dans  la  même  région  (à 
droite  et  à  gauche). 

Le  malade  revient  à  Gonstantine,  en  bonne  santé  le 
8  novembre. 

Après  diverses  applications  de  calmants,  les  dou- 
leurs tendaient  à  disparaître,  lorsque  le  20  au  matin 
elles  reparaissent  et  s'accentuent  de  jour  en  jour 
jusqu'au  23.  Pendant  ces  trois  jours, /es  régions  inocu- 
lées sont  le  siège  de  douleurs  aiguës  à  pointe  dirigée 
vers  le  cœur.  Le  malade  ne  dort  pas  la  nuit. 

Le  23  novembre,  à  la  visite,  ■  les  douleurs  dans  la 
jambe  mordue  sont  lancinantes  et  s'irradient  pres- 
que vers  la  partie  supérieure  de  la  cuisse.  Il  y  a  op- 
pression, courbature  générale,  inappétence,  les 
yeux  sont  hagartis  et  la  parole  est  un  peu  difficile. 
Sentiment  léger  de  répulsion  pour  les  liquides. 

Vers  quatre  heures  du  soir,  respiration  gênée  au 
point  de  produire  un  afflux  de  mucosités  difficiles  à 
expectorer.  Quelques  crachats  rejetés.  Emphysème 


"-  344  — 

pulmonaire.  Sentiment  de  répulsion  pour  les  liquides 
très  prononcé,  urines  ai.bumineusks.  La  connaissance 
est  conservée  jusqu'au  dernier  moment. 

A  l'autopsie,  on  trouve  une  congestion  intense  du 
cerveau  et  du  cervelet,  il  y  a  épanchement  séreux 
dans  les  ventricules.  Les  poumons  sont  fortement 
congestionnés;  il  y  a  emphysème. 

Les  autres  organes  n'offrent  rien  de  particulier. 

On  remarquera,  dans  cette  observation,  au 
point  de  vue  des  douleurs  prodromiques  de  la 
rage,  l'apparition  de  celles-ci  d'abord  au  point 
mordu,  ensuite  aux  points  inoculés,  c'est-à-dire 
qu'on  voit  deux  virus  se  réveillant  et  collaborant, 
le  virus  canin  et  le  virus  expérimental. 

On  verra  ensuite,  au  point  de  vue  des  sym- 
ptômes :  1°  La  courbature  et  la  prostration  du 
virus  du  lapin,  qui  se  manifestent  d'abord  ;  2-^ 
l'hydrophobie  du  virus  canin  se  montrant  en- 
suite, mais  légère  et  tardive. 

On  verra  enfin  qu'il  y  a  dans  ce  cas  de  l'albu- 
minurie comme  dans  le  lait  du  petit  enragé  ob- 
servé par  M.  BroUardel,  albuminurie  qui  peut 
exister  dans  la  rage  convulsive  classique.  Par 
conséquent,  l'argument  qu'en  avait  tiré  M. 
Brouardel  contre  l'existence  de  laragedansce 
cas  milite  au  contraire  en  faveur  de  la  rage. 

Quant  aux  centres  nerveux  et  aux  poumons, 


—  345  — 

ils  présentaient  les  symptômes  de  la  rage  clas- 
sique. 

En  conséquence,  il  s'agit  bien  ici  d'un  cas  de 
rage,  mais  de  rage  canino- expérimentale  démon- 
trant à  la  fois  l'impuissance  de  la  méthode  et  la 
collaboration  des  deux  virus. 

Voici  un  troisième  fait  de  rage  nouvelle  plus 
expérimentale  que  canine. 

C'est  celui  de  l'enragé  d'Arras  chez  le  chien 
duquel  le  vétérinaire  a  nié  l'existence  de  la  rage. 

Je  dois  cette  observation  à  l'obligeance  de 
M.  le  D' Germe,  d'Arras. 

Arras,  6  janvier  1887. 
Cher  confrère  et  ami, 

Je  m'empresse  de  vous  adresser  la  relation  des 
renseignements  que  j'ai  recueillis  de  la  bouche  de  la 
femme,  de  la  sœur  et  des  frères  du  décédé. 

Le  nommé  Léopold  Née,  âgé  de  42  ans,  colportait 
des  objets  de  vannerie  dans  les  campagnes,  avec  une 
voiture  sous  laquelle  un  chien  était  attaché.  Le 
vendredi  12  novembre  1886,  étant  près  de  Avesnes-le 
Comte,  il  détacha  son  chien  dans  le  but  de  calmer 
ses  aboiements.  Mis  en  liberté,  le  chien  mordit  son 
maître  à  la  jambe  droite,  au  travers  des  vêtements, 
au  niveau  de  la  partie  moyenne  de  la  région  antéro- 
interne.  Comme  il  menaçait  de  le  mordre  de  nou- 
veau, Née  le  saisit  par  le  collier,  rattacha  et  le  tua. 
Jusqu'alors  le  chien  avait  continué  à  manger. 


—  346  — 

Rentré  à  Arras,  il  fit  faire  l'autopsie  de  son  chien 
par  un  vétérinaire,  qui  déclara  à  la  famille  qu'il  n'a- 
vait constaté  aucun  fait  Vauiorisant  à  penser  que  ce 
chien  était  enragé.  Le  cadavre  de  l'animal  fut  envoyé 
immédiatement  à  l'institut  de  M.  Pasteur,  et,  jusqu'à 
présent,  les  parents  de  Léopold  Née  attendent  tou- 
jours un  avis  leur  apprenant  si  le  cliien  était  ou 
Nox  enragé. 

M.  Née  entra  à  l'institut  de  M.  Pasteur  le  mercredi 
17  novembre  ;  il  y  resta  11  jours,  pendant  lesquels  il 
subit  22  inoculations,  et  jusqu'à  trois  en  un  seul  jour; 
à  la  suite  de  ces  inoculations,  il  se  plaignait  d'éprou- 
ver des  douleurs  cuisantes  à  leur  niveau,  et,  en  sor- 
tant de  l'établissement,  il  éprouvait  chaque  fois  des 
éblouissements,  se  sentait  sur  le  point  de  tomber 
faible,  et  avait  souvent  des  vomissements. 

Revenu  à  Arras  le  29  novembre,  il  ne  présenta  rien 
de  particulier  jusqu'au  10  décembre,  excepté  un  appé- 
tit exagéré  qui  s'était  déjà  manifesté  pendant  son 
séjour  à  Paris. 

Dans  la  nuit  du  10  au  11  décembre  il  eut  des  vomis- 
sements abondants  de  matières  glaireuses  qui  conti- 
nuèrent un  peu  les  jours  suivants  ;  il  éprouva  ensuite 
de  vives  douleurs  au  niveau  des  piqûres  d'inocula- 
tion, douleurs  qui  s'étendaient  dans  la  région  lom- 
baire pour  remonter  le  long  du  rachis,  et  qui  per- 
sistèrent jusque  vers  les  derniers  jours.  Le  malade  se 
plaignait  aussi  d'une  grande  fatigue,  il  était  triste  et 
se  trouvait  dans  un  état  nerveux  qui  lui  fit  dire  qu'il 
ressentait  la  même  chose  qu'après  les  inoculations, 
et  qu'il  ne  résisterait  pas  à  ce  mal. 


—  347  — 

Je  vous  ferai  remarquer  que,  dans  le  cours  de  sa 
maladie,  M.  Née  n'a  jamais  accusé  aucune  douleur 
AU  NIVEAU  delà  morsure  du  chien,  ni  dans  le  mem- 
bre correspondant. 

Un  médecin,  appelé  le  13,  crut  d'abord  avoir  affaire 
à  un  lumbago,  et  quelques  jours  après  à  une  myélite. 

Les  phénomènes  signalés  plus  haut  furent  bientôt 
accompagnés  et  suivis  d'une  grande  gêne  dans  la  res- 
piration, d'une  sensation  de  poids  au  niveau  de  la 
partie  antérieure  de  la  poitrine  et  de  sputation  ;  la 
parole  devint  brève,  saccadée,  interrompue  par  des 
mouvements  respiratoires  involontaires  et  entrecou- 
pés ;  des  convulsions  se  manifestèrent  dans  les  mus- 
des  de  la  face  qm  élsiil  très  altérée,  dans  ceux  du 
thorax  et  des  membres  supérieurs  ;  le  sommeil 
était  agité,  troublé  par  des  cauchemars;  la  peau,  sen- 
sible au  froid,  était  chaude  et  toujours  couverte  de 
sueurs  excessivement  abondantes.  Il  n'y  eut  pas  de 
convulsions  générales,  ni  d'hydrophobie.  La  déglu- 
tition se  faisait  assez  facilement,  excepté  dans  fies 
deux  derniers  jours. 

Le  14,  deux  médecins  furent  adjoints  au  premier. 
En  présence  de  la  gravité  des  phénomènes  morbides, 
ils  se  demandèrent  s'il  s'agissait  d'une  myélite  ou 
d'accidents  consécutifs  aux  inoculations, 

Bientôt,  les  phénomènes  paralytiques  se  manifes- 
tèrent, la  vue  se  troubla  pour  s'abolir  complètement, 
la  respiration  devint  de  plus  en  plus  embarrassée, 
accompagnée  d'un  écoulement  abondant  de  salive  au 
niveau  des  commissures,  et  le  malade  mourut  le  17 
décembre  vers  1 1  heures  du  soir. 


—  348  — 

En  présence  de  ces  phénomènes,  et  bien  que  le 
symptôme  hydrophohie  ait  fait  défaut,  je  pense  que 
l'on  doit  conclure  que  Léopold  Née  a  succombé  à  la 
rage.  Et  vu  l'absence  complète  de  douleurs  au  niveau 
de  la  morsure  et  le  long  des  trajets  nerveux  du  mem- 
bre correspondant,  vu  les  douleurs  au  niveau  des 
piqûres  d'inoculation  et  le  long  des  nerfs  se  rendant 
de  ces  joints  à  la  moelle  épinière,  douleurs  que  le 
malade  a  accusé  si  vivement  et  dont  il  s'est  toujours 
plaint  à  partir  du  début  de  la  maladie  jusque  vers  ses 
derniers  jours,  je  pense  encore  qu'il  est  permis  de 
conclure,  sans  s'écarter  de  la  réserve  qu'impose  une 
question  aussi  délicate  et  aussi  grave,  qu'il  est  extrê- 
mement probable  que  cet  infortuné  —  peut-être  des- 
tiné ou  non,  à  succomber  à  la  rage  canine  —  a  com- 
mencé par  mourir  de  la  rage  du  lapin. 

J'ajoute,  entre  parenthèses,  que  Mme  Née  m'a  com- 
muniqué une  lettre  de  condoléances  de  son  frère  qui 
habite  l'Angleterre,  et  dans  laquelle  il  lui  raconte 
qu'il  connaît  deux  Anglais  qui  sont  morts  de  la 
rage  en  1886,  quelque  temps  après  leur  retour  de 
l'institut  de  M.  Pasteur,  oii  ils  étaient  allés  se  faire 
inoculer. 

D""  L.  Germe. 

Je  n'insisterai  pas  longtemps  sur  l'importance 
de  cette  observation. 

Un  vétérinaire  nie  l'existence  de  la  rage  chez 
le  chien,  néanmoins  le  mordu  se  fait  inoculer 
par  la  méthode  intensive  et  il  meurt  25  jours 


_.  349  — 

après  d'une  rage  étrange,  d'une  rage  exception- 
nelle chez  l'homme,  de  la  rage  paralytique,  fré- 
quente au  contraire  chez  le  lapin. 

Je  ne  peux  pas,  d'ailleurs,  ne  pas  insister  sur 
ce  fait  que  les  douleurs  prodromiques  se  sont 
fait  sentir  exclusivement  aux  points  inoculés  et 
non  pas  aux  points  mordus,  comme  il  est  arrivé 
d'ailleurs  chez  Réveillac. 

Or,  rappelez-vous  cette  phrase  classique  de 
CœUus  Aurélianus,  ce  premier  historien  scienti- 
fique de  la  rage  :  Prœpatitur  pars  quœ  morsa 
vesatafuerit,  quia  pars  quœ  prœpatitur  non 
est  ea  quœ  morsa  vesata  fuerit,  secl  quœ 
inoculata,  celle  qui  a  été  inoculée  et  qui  a  reçu 
le  virus  pastorien. 

Vit-on  jamais  fait  plus  hautement  et  plus 
tristement  significatif  ? 

Quant  aux  symptômes,  on  y  vit,  au  début,  de 
la  fatigue  et  de  la  tristesse,  puis,  contrairement 
à  ce  qu'on  observe  dans  la  rage  classique,  des 
douleurs  lombaires  qui  font  croire  à  l'existence 
d'une  myélite,  puis  une  paralysie  complète,  puis 
même  de  la  cécité,  contrairement  à  l'acuité 
visuelle  ordinaire  de  la  rage  classique,  cécité 
telle  qu'on  l'a  observée  dans  le  cas  de  Réveillac. 
Ne  sont-ce  pas  là  tous  les  symptômes  d'une  rage 
due  au  virus  du  lapin  ? 

Et  l'absence    d'hydrophobie,    n'est-elle   pas 

20* 


-  350  — 

encore  une  preuve  qu'il  s'agit  ici  d'une  rage,  non 
pas  d'origine  canine,  mais  d'origine  expérimen- 
tale. 

J'ajoute,  cependant,  qu'il  y  a  eu  de  la  rage 
canine,  la  sputation  et  l'écoulement  de  la  salive, 
mais  que  les  phénomènes  dominants  ont  été  chez 
cet  enragé  ceux  qu'on  observe  par  le  fait  du 
virus  du  lapin. 

Mais  de  tels  faits  de  rage  paralytique  ne  s'ob- 
servent pas  qu'en  France  ;  on  a  constaté  cette 
même  rage  paralytique  en  Angleterre,  chez  des 
inoculés  de  M.  Pasteur.  Et  ces  faits  ont  donné 
lieu  aux  appréciations  que  je  vais  vous  lire.   . 

Voir  plus  haut  la  lettre  du  D»"  Clarke. 

Le  docteur  Clarke,  qui  a  publié  deux  cas  de 
rage  paralytique,  n'hésite  pas  à  dire  que  c'est  bien 
là  cette  forme  de  rage,  si  rare  chez  l'homme,  si 
commune  chez  les  animaux  inoculés,  qu'on 
pourrait  nommer  essentiellement  la  rage  de 
laboratoire  ou  la  rage  expérimentale.  Il  n'y  a 
donc  pas  lieu  de  s'étonner  que  les  médecins 
aient  de  la  peine  à  reconnaître  cette  forme  de 
rage.  C'est  une  forme  nouvelle  chez  l'homme  et 
qui  pourrait  bien  être  le  résultat  même  des  ino- 
culations dites  préventives. 

Quoi  d'étonnant,  d'ailleurs,  dans  de  pareils 
faits  ?  On  injecte  dans  l'organisme  d'un  homme 
un  virus  d'une  puissance  telle  qu'il  peut  donner 


-  351  — 

la  mort  à  un  animal  et  on  cherche  à  utiliser  cette 
puissance  pour  neutraliser  le  virus  rabique  ino- 
culé par  la  morsure  d'un  animal  enragé.  De 
sorte  que  l'organisme  de  cet  homme  se  trouve 
infecté  par  deux  virus  :  le  virus  rabique  naturel 
et  le  virus  rabique  artificiel.  Et  vous  voulez  que 
ce  dernier  virus,  dont  vous  voulez  utiliser  la 
puissance  pour  neutraliser  le  virus  rabique 
canin,  ne  puisse  parfois  exercer  cette  puissance 
au  détriment  même  de  l'organisme  humain. 
Vous  admettez,  par  hypothèse,  qu'il  n'a  de  pou- 
voir qu'à  l'égard  du  virus  canin  et  que  son  pou- 
voir cesse  à  l'égard  de  l'organisme  humain  ;  qu'il 
est  toujours  bienfaisant  et  jamais  malfaisant. 
Qu'en  savez-vous  ? 

En  tout  cas,  et  pour  se  placer  dans  l'hypothèse 
qui  soit  la  plus  favorable  à  vos  tentatives  témé- 
raires, vous  ne  pouvez  pas  ne  pas  admettre  la 
collaboration  néfaste  des  deux  virus.  Les  ana- 
logies pathologiques  sont  contre  vous .  Ne  voit- 
on  pas,  chez  un  individu  en  incubation  de 
variole,  l'inoculation  du  virus  vaccin  ne  pas  neu- 
traliser l'action  du  virus  varioleux  ?  Ne  voit-on 
pas  alors  chacune  de  ces  maladies  virulentes 
apparaître  à  son  jour,  à  son  heure,  le  malade 
présenter  à  la  fois  les  pustules  de  la  variole  et 
celles  de  la  vaccine  ?  Mais  au  moins,  quand  on 
a  inoculé  la  vaccine,  on  a  inoculé  une  maladie 


—  852  — 

toujours  bénigne.  Il  n'en  est  pas  ainsi  dans  vos 
inoculations  ;  ce  que  vous  inoculez,  c'est  un 
virus  mortel. 

Que  savez-vous  d'ailleurs  si,  dans  certains  cas, 
ce  ne  sera  pas  le  virus  rabique  artificiel  qui  pré- 
dominera et  fera  naître  alors  cette  forme  mor- 
bide paralytique,  inconnue  jusqu'alors  chez 
l'homme,  et  que  nous  observons  dans  quelques- 
uns  des  cas  que  je  vous  ai  signalés  et  en  parti- 
culier chez  Réveillac  et  chez  Née  ? 

Pourquoi  donc  vous  refuser  à  ouvrir  les  yeux 
et  à  ne  pas  voir  dans  les  faits  de  morts  que  je 
vous  signale  des  faits  qui  attestent,  au  moins,  la 
collaboration  des  deux  virus  ? 

Enfin,  depuis  deux  mois,  au  lieu  des  bien- 
faits annoncés  do  la  méthode  intensive,  je 
vois  se  multiplier  les  cas  de  mort  et  j'estime 
qu'il  est  de  mon  devoir  de  le  signaler  à  votre 
attention. 


DIFFERENCE  ENTRE  LA  RAGE  DU  CHIEN  ET  LA 
RAGE     DE    LABORATOIRE. 

Dans  la  séance  suivante  (18  janvier  1887), 
M.  le  professeur  Peter,  après  avoir  commu- 
niqué deux  nouvelles  observations  de  mort 
par  la  rage  paralytique,  après  le  traitement  Pas- 


—  353  — 
teur(l),a  continué  ainsi  son  argumentation: 

1°  La  rage  du  cliien  est  convulsive  ;  inoculée 
à  l'iiomrae,  elle  est  conmilsivante. 

Par  conséquent,  lorsqu'un  homme  est  mordu 
par  un  chien  enragé,  la  rage  qu'il  peut  contrac- 
ter est  convulsive. 

Vous  en  concluez  que  c'est  le  chien  enragé 
qui  lui  a  donné  cette  maladie  ;  ici,  vous  êtes 
logiques. 

2°  La  rage  du  lapin  est  paralytique  ;  l'induc- 
tion légitime  est  que,  inoculée,  elle  doit  être  pa- 
ralysante. 

Vous  inoculez  à  un  homme  la  moelle  de  ce 
lapin  rabique,  paralytique.  Il  meurt  quelque 
temps  après,  avec  des  symptômes  paralytiques. 
Et  vous  concluez  que  le  lapin  ne  lui  apas  donné 
cette  maladie.  Ici,  vous  cessez  d'être  logiques. 

3"  La  rage  paralytique  est  excessivement  rare 
chez  l'homme.  Elle  est  devenue  fréquente  depuis 
les  inoculations  antirabiques. 

Et  vous  niez  que  cette  plus  grande  fréquence 
soit  due  aux  inoculations.  Ici  encore,  vous  ces- 
sez d'être  logiques. 

Pourquoi  ?  C'est  que  vous  avez  la  conviction 

(1)  Nous  reproduisons  ces  deux  observations  plus 
loin,  dans  un  chapitre  spécialement  consacré  à  l'étude 
de  la  rage  paralytique  o\x  rage  de  laboratoire. 


—  354  — 

profonde,  sincère,  de  l'efficacité,  je  dirai  presque, 
de  l'infaillibilité  de  ces  inoculations  antirabiques . 
Ceci  me  ramène  à  la  discussion  des  cas  que  je 
vous  ai  signalés,  de  ceux  de  Réveillac,  de  So- 
dini,  de  Rouyer  (1). 

LES    PASTORIENS   PLAIDENT    LES     CIRCONSTANCES 
ATTÉNUANTES. 

Les  défenseurs  de  la  médication  antirabique 
invoquent  volontiers  la  doctrine  de  Yalihi  et  des 
circonstances  atténuantes. 

Ainsi,  pour  la  petite  Pelletier,  la  première 
qui  succomba  malgré  les  inoculations,  on  crut 
d'abord  à  une  méningite  ;  puis,  lorsqu'il  devint 
évident  que  c'était  bien  de  la  rage  qu'il  s'agis- 
sait, on  plaida  les  circonstances  atténuantes  ;  on 
avait  «  amené  l'enfant  trop  tard  »  (trente-six 
jours  après  la  morsure).  Ainsi  pour  Moermann, 
inoculé  43  jours  après  avoir  été  mordu. 

Et  Pelletier,  comme  Moermann,  sont  rejetés 
de  la  statistique  mortuaire;  on  n'en  a  pas  le  droit 
étant  données  les  prémisses  de  la  méthode,  l'idée 
mère  dont  elle  dérive,  et  que  je  rappellerai  tout 
à  l'heure. 

C'est  également  l'alibi  qu'invoquent  les  parti- 

(1)  Ces  observations  sont  décrites  plus  loin,  chapitre 
XXIV. 


-  355  - 

sans  de  la  médication,  pour  les  cas  successifs  de 
llouyer,  de  Réveillac,  de  Sodini  et  de  Née. 

Rouyer,  dont  M.  Brouardel  vous  a  lu  l'obser- 
vation, n'est  pas  mort  de  la  rage,  mais  «  d'uré- 
mie »  ;  Réveillac  est  mort,  «  on  ne  sait  pas  de 
quoi  »  ;  Née,  d'Arras,  «  de  même  ».  Eh  bien  ! 
Rouyer,  Réveillac,  Sodini  et  Née,  d'Arras,  sont 
morts  :  voilà  qui  est  certain  ! 

Ils  sont  morts  dans  les  limites  du  temps  de 
Vinoculation  ordinaire  de  la  rage  :  ainsi 
Rouyer,  le  46'^  jour,  —  Réveillac,  le  37e  jour,  — 
Sodini,  le  39'=  jour.  —  Née,  d'Arras,  le  38e  jour, 

—  après  leurs  morsures. 

.  Ils  sont  morts  d'une  maladie  nerveuse, 
étrange,  insolite,  qui  déroute  le  diagnostic  et  fait 
hésiter  les  plus  clairvoyants  en  clinique. 

Ils  sont  morts  dans  les  limites  du  temps  que 
met  la  rage  kparcourirson  cycle  ;  ainsi  Rouyer, 
en  Qz/a^re  jours,  —  Réveillac,  en  cinq  jours, 

—  Sodini,  en  trois  jours,  —  Née,  en  sepi^  jours. 

—  Gérard  (de  Boran),  en  six  jours,  —  Letang 
(de  Gourgeon),  en  siâ?  jours. 

—  Mais,  dira-t-on,  «  Rouyer  a  succombé  à  l'uré- 
mie ».  —  Singulière  urémie  qui  apparaît  juste- 
ment chez  un  mordu  inoculé,  qui  apparaît 
quarante-six  jours  après  la  morsure,  qui  tue  en 
deux  jours  ;  qui  n'a  été  précédée  d'aucun  des 
prodromes  urinaires  de  l'urémie  aiguë  (la  cépha- 


~  356  — 

lalgie,  les  troubles  visuels^  les  vertiges^  les 
vomissements,  V œdème  léger  du  visage,  etc.); 
qui  débute  tout  à  coup  dans  un  état  de  santé 
si  parfaite  que  l'enfant  se  livrait  aux  jeux  actifs 
et  batailleurs  de  son  âge  ;  même  qui  débute 
brusquement  en  plein  jeu,  et  à  l'occasion  d'un 
coup  reçu  dans  la  région  des  inoculations. 

Singulière  urémie  !  où  l'on  ne  voit  aucun  des 
symptômes  soit  de  l'urémie  co/iuw/si'ye  (éclamp- 
sie),  soit  de  l'urémie  comateuse.,  soit  de  la  déli- 
rante —  et  méconnaissable  à  ce  point  qu'au- 
cun des  médecins  appelés  ne  sait  la  reconnaître, 
pas  même  le  docteur  Rueff,  ancien  chef  de  clini- 
que pour  les  maladies  mentales  et  par  consé- 
quent très  versé  dans  l'étude  et  la  connaissance 
de  ces  maladies  dont  relève  précisément  l'uré- 
mie. 

Singulière  urémie  !  que  cette  affection  où  l'on 
constate,  avec  la  conservation  de  l'intelligence 
(il  ne  s'agit  donc  pas  ù'yxvéïnxo,  délirante).,  le 
nasonnement  de  la  voix,  comme  dans  la  para- 
lysie diphthérique,  la  difficulté  paralytique  d'a- 
valer, «  le  liquide  s'écoulant  le  long  des  commis- 
sures labiales  ». 

Singulière  urémie  !  qui  se  traduit  par  des 
collapsus  et  se  termine  au  milieu  d'un  état  de 
dépression  absolu  avec  pâleur  extrême,  symp- 
tômes qui  rappellent  si  bien  les  paralysies  infec- 


—  357  — 

tîeuses  et  particulièrement  celle  de  la  diphthérie 
avec  paralysie  du  voile  du  palais. 

Il  n'y  a  guère  que  l'urémie  dijspnêique  qu'on 
puisse  un  moment  invoquer  ici  —  en  raison  de 
la  difficulté  qu'éprouvait  le  malade  à  respirer  ; 
mais  cette  difficulté  était  du  même  ordre  et  de 
la  même  origine  que  celle  d'avaler  ;  elle  tenait 
vraisemblablement  à  une  paralysie  des  nerfs 
glosso-pharyngiens  et  pneumo-gastriques,  nerfs 
qui  émergent  du  bulbe  —  région  intéressée  dans 
l'infection  rabique. 

Toutes  ces  raisons,  et  elles  sont  suffisantes,  me 
font  donc  rejeter  la  supposition  de  l'urémie,  et 
admettre  la  rage  ;  —  mais  une  rage  modifiée,  dé- 
formée, transformée,  une  rage  qui,  si  elle  n'est 
pas  la  rage  paralytique  du  lapin,  est  au  moins 
une  rage  mixte,  produit  hybride  de  la  collabo- 
ration du  virus  rabique  du  chien  et  de  celui  du 
lapin. 

En  résumé,  pour  rejeter  une  rage  insolite,  où 
l'on  ne  sait  pas  voir  ce  que  j'y  vois,  on  invoque 
une  urémie  bien  autrement  insolite. 

Dira-t-on  que  c'est  à  l'urémie  que  Sodini  a 
succombé?  car  lui  aussi  avait  des  urines  albumi- 
neuses.  Ici  l'urémie  serait  plus  insolite  encore  et 
ne  se  rattacherait  à  aucun  des  types  symptoma- 
tiques  de  cette  affection.  Lamaladie  débute  tren- 
te-neuf jours  ^'pvès  la  morsure,  par  des  douleurs 


~  358  — 

simultanées  au  niveau  des  morsures  et  des  piqû- 
res d'inoculation,  comme  si  les  deux  virus  vou- 
laient signaler  leur  active  collaboration  morbifl- 
que; —  et  ce  qui  domine  dans  ce  drame  qui  dure 
tr^ois j ours  seiilement,  ce  sont  encore  des  phéno- 
mènes paralytiques  :  difficulté  de  la  parole,  de 
l'expectoration,  de  la  respiration,  avec  courbatu- 
re générale. 

Pour  Réveillac  (où  l'on  ne  peut  pas  invoquer 
l'urémie,  cette  fois)  mêmes  difficultés  d'avaler  ou 
de  cracher, —  courbature  générale  dès  le  début  et 
paralysie  terminale.  Tout  cela  commençant  tren- 
te-sept  jours  B.'^vè,?^  la  morsure  (comme  pour  So- 
dini,39  jours,  et  Rouyer,  46  jours)  ;  et  le  début 
n'étant  signalé  que  par  la  mise  en  branle  d'un 
seul  virus  —  le  virus  du  lapin  manifestant  à  la 
fois  sa  présence  et  son  activité  au  niveau  des  ré- 
gions inoculées. 

Bien  autrement  significatif  encore  le  fait  de 
Née,d'Arras.lci  Xql  paralysie  n'est  pas  douteuse, 
pas  plus  douteuse  n'est  Vactivité  d'un  seul  vi- 
rus—  celui  du  LAPIN  :  —  début  par  des  douleurs 
exclusivement  aux  points  d'inoculation  — 
rayonnement  de  ces  douleurs  vers  la  moelle, 
rachialgie.puis  finalement  paraplégie. —  Et  avec 
cette  paraplégie,  paralysie  bulbaire  caractérisée 
par  la  gêne  de  la  déglutition  et  de  la  respiration  ; 
par  l'écoulement  de  la  salive  le  long  des  commis- 


—  359  — 

sures  labiales  ;  enfin  paralysie  de  la  rétine,  cécité 
pendant  les  deux  derniers  jours  de  la  vie. 

Yit-on  jamais  plus  large  ensemble  de  phéno- 
mènes paralytiques  ?  Et  peut-on  ici  nier  l'évi- 
dence, à  savoir  le  développement  che;^  cethorri' 
me  de  la  rage  du  lapin  ? 

ILS  SONT  MORTS  DE  LA  IIAGE  EXPERIMENTALE. 

En  résumé,  lesquatre  observations  de  Rouyer, 
de  Réveillac,  de  Sodini  et  de  Née  ont  entre  elles 
d'incontestables  traits  de  par  enté,  début  deV  a.ï- 
lection  le  quarante-sixième  jour  (Rouyer)  :  le  37" 
jour  (Réveillac),  le  39^  jour  (Sodini),  le  38e  jour 
(Née)  ;  —  durée  de  l'affection  :  4  jours  (Rouyer), 
4  jours  (Réveillac),  3  jours  (Sodini),  7  jours 
(Née)  ;  enfm,  nature  nerveuse  de  l'affection  avec 
prédominance  des  phénomènes  paralytiques. 

Or,  il  est  impossible  de  nepas  rappeler  ici,  que 
c'est  aux  alentours  du  40^  jour  que  se  développe 
ordinairement  la  rage  classique,  qu'elle  dure  de 
trois  à  cinq  jours  ;  que  ses  symptômes  sont  d'or- 
dre nerveux  mais  convulsifs  etnon  paralytiques. 

Or  ce  sont  maintenant  des  accidents  paralyti- 
ques que  l'on  observe  après  les  inoculations  in- 
tensives dans  l'énorme  proportion  de  ^z(«^re/o?s 
sur  cinq  cas  (Rouyer,  Réveillac,  Sodini,  Née), 
les  accidents  convulsifs  de  la  rage  classique 


—  360  — 

n'ayant  été  observés  qu'une  fois  sur  cinq  (Jan- 
sen). 

Je  ne  veux  pas  insister  davantage  et  j'ai  résolu 
de  la  sorte  la  seconde  et  la  troisième  partie  du 
problème  que  je  m'étais  posé  :  Comment  est  mort 
Réveillac  ?  De  quoi  est-il  mort? 

Concluez  ! 

LA  MÉTHODE  CONTRÔLÉE  PAR  l'eXPÉRIMENTATION. 

Nous  venons  de  voir  les  résultats  pratiques  de 
la  méthode  ;  voyons  maintenant  ce  qu'apprend, 
à  ce  sujet,  le  contrôle  de  V expérimentation  (1). 

Je  ne  vous  aurais  pas  parlé  de  von  Frisch,  crai- 
gnant qu'on  ne  m'accusât  d'aller  chercher  des 
armes  à  l'étranger  ;  mais  puisqu'on  a  invoqué 
ici  son  autorité,  je  puis  bien  le  faire  à  mon  tour. 
Et,  comme  on  n'a  cité  von  Frisch  que  pour  celles 
de  ses  expériences  qui  sont  confirmatives  de 
celles  de  M.  Pasteur,  et  qu'on  a  omis  de  citer 
celles  qui  sont  contradictoires  de  celles  de  M. 
Pasteur,  laissez-moi  combler  cette  lacune. 

Voici  ce  que  dit  von  Frisch  :  (or,  il  faut  que 
vous  sachiez  que  von  Frisch  est  professeur  de 
bactériologie  à  Vienne,  qu'il  était  venu  à  Paris, 
en  partisan  de  M.  Pasteur,  qu'il  s'est  instruit  sur 

(1)  Nous  avons  déjà  reproduit,  dans  le  chapitre  VIII, 
les  expériences  du  savant  Viennois  avec  quelques  com- 
mentaires. (Voyez  p.  131). 


—  361  — 

lesujetqui  nous  occupe,  dans  le  laboratoire  delà 
rue  d'Ulm,  et  qu'il  a  fait  ses  expériences  avec  du 
virus  de  lapin  emporté  par  lui  de  ce  labora- 
toire) ;  donc  voici  ce  que  dit  von  Frisch  : 

A.  Des  animaux  aiiquels  on  a  injecté  sous  la  peau 
une  série  de  vaccins  atténués  (par  un  dessèchement 
plus  ou  moins  long),  sont  rendus  réfractaires  par  les 
vaccins  plus  faibles  à  l'action  des  vaccins  plus  forts, 
à  la  condition  que  les  virus  renforcés  graduellement 
ne  se  suivent  pas  trop  rapidement. 

B.  Des  animaux  auxquels  on  a  introduit  sous  la 
peau  pendant  10  jours  des  vaccins  d'une  virulence 
toujours  croissante  (de  la  moelle  de  quinze  jours 
jusqu'à  celle  d'un  jour),  ne  sont  pas  restés  complète- 
ment réfractaires  à  l'infection  avec  du  virus  frais  de 
la  rage  des  rues  et  ont  échappé  très  exceptionnelle- 
ment à  l'action  de  l'infection  intra-crânienne. 

C.  Des  lapins  et  des  chiens,  infectés  après  trépana- 
tion par  la  voie  intra-crànienne  avec  du  virus  de  la 
rage  des  rues  (d'une  période  d'incubation  de  16 
jours),  ont  succombés&ns  exception  à  la  rage,  mal- 
gré le  traitement  préventif  institué  de  la  manière 
ci-dessus  mentionnée. 

Z).  M.  Pasteur  a  attribué  à  la  méthode  de  vacci- 
nation lente  les  résultats  obtenus  par  M.  von  Frisch, 
et  a  recommandé  un  procédé  plus  rapide  :  «  La  vac- 
«  cination  doit  commencer  peu  de  temps  après  l'i- 
«  noculation,  dès  le  lendemain,  et  l'on  doit  y  procé- 
«  der  rapidement,  donner  la  série  des  moelles  préser- 
«  vatrices  en  24  heures  et  même  dans  un  délai  moin  - 


—  362  — 

«  dre,  puis  répéter,  de  2  en  2  heures,  le  traitement 
0  une  ou  deux  fois.  »  Les  expériences  exécutées 
con/orméjnent  à  ces  indications  n'ont  donné  aucun 
résultat  favorable,  tous  les  ani^lvux  sont  morts  de 

LA  RAGE. 

E.  Ces  expériences  ont  encore  montré  un  fait -très 
important,  c'est  que,  par  ce  procédé  rapide,  les 
moelles  plus  faibles  n'otfrent  plus  avec  la  même  cer- 
titude, l'immunité  contre  les  plus  fortes.  Sur  une 
série  de  chiens  et  de  lapins,  qui  ont  servi  de  témoins 
pour  les  expériences  dont  il  est  question  à  la  lettre 
D.,  et  chez  lesquels  on  a  appliqué  le  procédé  rapide 
sans  infection  préalable,  la  plupart  sont  morts  de  la 
rage. 

«  F.  Des  animaux  qui  ont  subi  le  traitement  pré- 
ventif après  l'infectioji  sous-cutanée  avec  la  rage  des 
rues,  sont  aussi  presque  tous  morts  de  la  rage,  même 
lorsque  la  période  d'incubation  était  de  34  jours. 

«  Il  résulte  de  ces  expériences,  dit  M,  von  Frisch, 
que  la  méthode  de  M.  Pasteur,  tendant  à  rendre  les 
animaux  réfractaires  à  la  rage,  nécessite  encore 
beaucoup  de  recherches  et  d'expériences  avant  qu'on 
puisse  prétendre  qu'elle  est  sûre  et  certaine.  En  at- 
tendant, il  n'existe  pas  de  hase  scientifique  suffisante 
pour  l'institution,  chez  l'homme,  d'un  traitement 
préventif  de  la  rage  après  morsure  ;  en  outre,  il  est 
possible  de  supposer  que,/)ar  le  tt^aitement  préven- 
tif \m-mème,  ou  tout  au  moins  par  le  procédé  rapide 
préconisé  par  M.  Pasteur,  on  pourrait   transmettre 

LA  MALADIE.  J 


—  363  -> 

De  quelque  façon  donc  que  j'envisage  la  ques- 
tion :  soit  au  point  de  vue  de  l'observation  clini- 
que, soit  à  celui  de  l'expérimentation,  j'arrive  à 
cette  même  conclusion,  à  savoir  que  la  méthode 
intensive  peut  être  périlleuse. 

Le  6  juillet  1885,  sur  l'avis  conforme  de  MM. 
Vulpian  et  Grancher,  M.  Pasteur  inocula  au  petit 
Meister,  60  heures  après  les  morsures  d'un  chien 
enragé,  une  moelle  de  15  jours  :  puis  successive- 
ment il  fit  treize  inoculations  en  10  jours  de 
moelles  de  plus  en  plus  virulentes.  Aucun  acci- 
dent ne  s'en  suivit  et,  près  de  quatre  mois  plus 
tard,  le  26  octobre,  Meister  ne  présentait  aucun 
symptôme  rabique. 

A  la  suite  de  cette  communication  de  M.  Pas- 
teur à  l'Académie  des  sciences,  M.  Vulpian,  dans 
un  véritable  élan  d'enthousiasme;,  s'écria  :  «  La 
rage,  cette  maladie  terrible,  a  enfin  trouvé  son 
remède.  » 

Le  pubhc  fut  entraîné  par  cet  enthousiasme 
et  la  prophylaxie  de  la  rage  après  morsure  fut 
essayéa  sur  une  foule  de  mordus. 

On  fit  ainsi  un  nombre  considérable  d'inocu- 
lations sans  accidents  par  les  inoculations  et  sans 
rage  consécutive  à  la  morsure  ;  aussi,  quelques 
mois  plus  tard,  M.  Pasteur  venait-il  dire  aux 
corps  savants  :  «  La  prophylaxie  de  la  rage  après 


—  364  — 

morsure  est  assurée  ;—  il  y  a  lieu  de  fonder  un 
établissement  à  cet  effet.  » 

Malheureusement,  il  y  eut  un  premier  cas  de 
mort,  celui  de  la  petite  Pelletier,  puis  trois  cas 
successifs  chez  des  Russes,  qui  émurent  vive- 
ment M.  Pasteur.  Il  fit  alors  une  première  mo- 
dification à  son  traitement  et  pratiqua  pour  les 
morsures  de  loup  qu'il  jugea  avec  raison  beau- 
coup plus  virulentes  que  celles  des  chiens,  jus- 
qu'à trois  inoculations  par  jour.  Il  n'eut  aucun 
accident  à  déplorer  à  la  suite  de  cette  modifica- 
tion assez  profonde  déjà  de  sa  méthode. 

J'abrège  pour  dire  qu'au  bout  d'une  année  la 
mortalité  chez  les  inoculés  de  France  a  été  de  18, 
et  comme  il  y  a  eu  d'autre  part  17  morts  par  la 
rage  chez  des  non  inoculés,  la  mortalité  s'est 
trouvée  être  ainsi  de  35,  ce  qui  dépasse  la 
mortalité  moyenne  annuelle  par  la  rage  en  Fran- 
ce, cette  mortalité  étant  de  30  (1),  d'après  M. 
Brouardel  lui-même,  et  pour  une  période  de  23 
ans  (de  1850  à  1872). 

Les  18  décès  chez  les  inoculés,  sont  :  14  ac- 
ceptés par  M.  Pasteur,  deux  qu'il  élimine  comme 
ayant  été  inoculés  trop  tard  (Pelletier  et  Moer- 
mann),  un  qu'il  a  oublié  de  citer,  à  l'hôpital  La- 

(1)  Quant  au  ciilffrc  de  30,  il  est  emprunté  à  l'article 
Rage,    de   M'  Brouardel. 


—  365  — 

riboisière(Bc)nnenfant),et  un  14"  (Christin,  delà 
Haute-Savoie) . 

Tels  ont  été  les  résultats  de  la  médication  an- 
tirabique en  France  pour  la  première  année. 

Insuffisamment  satisfait  de  ces  résultats,  M. 
Pasteur  résolut  de  modifier  plus  profondément 
encore  sa  méthode,  d'augmenter  le  nombre  des 
inoculations  et  d'arriver  plus  rapidement  aux 
moelles  virulentes  ;  c'est  ce  qu'il  a  appelé  la  mé- 
thode intensive.  Voici  d'ailleurs  textuellement 
l'exposition  par  M.  Pasteur  de  sa  nouvelle  mé- 
thode : 

«  Encouragé  par  ces  résultats  et  par  de  nouvelles 
expériences  que  j'exposerai  tout  à  l'heure,  j'ai  modi- 
fié le  traitement  en  le  faisant  à  la  fois  plus  rapide  et 
plus  actif  pour  tous  les  cas,  et  plus  rapide  encore, 
plus  énergique  pour  les  morsures  de  la  face  ou  pour 
les  morsures  profondes  et  multiples  des  parties  nues. 

«  Aujourd'hui,  dans  le  cas  de  blessures  au  visage 
ou  à  la  tète  et  pour  les  blessures  profondes  aux  mem- 
bres, nous  précipitons  les  inoculations,  afin  d'arriver 
promptement  aux  moelles  les  plus  fraîches. 

Π Le  premier  jour  on  inoculera,  par  exemple,  les 
moelles  de  douze,  de  dix  ,  de  huit  jours,  à  onze 
heures,  à  quatre  heures  et  à  neuf  heures;  le  deuxième 
jour,  les  moelles  de  six,  de  quatre,  de  deux  jours, 
aux  mêmes  heures  ;  le  troisième  jour,  les  moelles 
de  UN  jour.  Puis  le  traitement  est  repris:  le  quatrième 
jour  par  moeUes  de  huit,  de  six,  de  quatre iours.  Le 

21. 


^  366  — 

cinquième  jour  par  moelles  de  irors  et  de  deux  jouTS. 
Le  sixième  jour  par  moelle  d'uN  jour.  Le  septième 
jour  par  moelle  de  quatre  jours.  Le  huitième  jour 
par  moelle  de  trois  jours.  Le  neuvième  jour  par 
moelle  de  trois  jours.  Le  dixième  jour  par  moelle 
d'uNJour.  On  tait  ainsi  trois  traitements  en  dix  jours 
en  conduisant  chacun  aux  moelles  les  plus  fraîches. 

«  Si  les  morsures  ne  sont  pas  cicatrisées,  si  les  per- 
sonnes mordues  ont  tardé  de  venir  au  traitement,  il 
nous  arrive,  après  des  intervalles  de  repos  de  deux 
à  quelques  jours,  de  reprendre  de  nouveau  ces  mê- 
mes traitements  et  d'atteindre  les  périodes  dange- 
reuses pour  les  entants  mordus  à  la  face. 

«  Depuis  deux  mois,  ce  mode  de  vaccination  fonc- 
tionne pour  les  grièvement  mordus,  et  les  résultats 
sont  jusqu'ici  très  favorables. 

L'Académie  avouera  que  ces  formules  sont 
bien  plus  logarithmiques  que  médicales  ;  qu'el- 
les sont  purement  empiriques,  ou  plutôt  qu'il  s'a- 
git ici  d'expériences  a  prioiH  pratiquées  sur 
l'homme. 

Eh  bien  !  la  mortalité  par  la  rage  de  plus  en 
plus  fréquente  dans  ces  deux  derniers  mois,  la 
forme  singulière  des  accidents  auxquels  succom- 
bent les  inoculés  m'ont  conduit  à  vous  signaler 
ces  faits  sur  lesquels  je  crois  devoir  appeler  la  plus 
sérieuse  attention  de  l'Académie. 

Ainsi  la  médication  antirabique  subit  un  dou- 


—  367  — 

ble  échec  :  celui  de  l'expérience  sur  l'homme  et 
celui  de  l'expérimentation  sur  les  animaux. 

11  ne  me  reste  plus  qu'à  conclure,  et  c'est  ce 
que  je  fais  : 

1°  La  mortalité  annuelle  par  la  rage  en  France 
a-t-elle  diminuée  en  1886  par  la  médication  anti- 
rabique primitive  ?  —  Non. 

2"  Cette  mortalité  tend-elle  à  augmenter  avec 
la  médication  rabique  intensive  ?  —  Oui. 

Où  donc  est  le  bienfait  ? 

Ne  pensez-vous  pas,  Messieurs,  qu'il  faut  que 
je  sois  mù  par  une  conviction  bien  profonde 
pour  venir  adresser  ici  aux  doctrines  médicales 
de  M,  Pasteur  les  critiques  que  je  viens  de  for- 
muler, i 

Ne  pensez-vous  pas  qu'il  faut  que  je  sois  mû 
par  une  conviction  bien  profonde,  pour  risquer 
ainsi  de  perdre  ce  qu'on  appelle  la  popularité  et 
de  m'aliéner  ainsi  la  sympathie,  à  laquelle  je 
tiens  tant,  de  cette  Académie  ? 

Mais  j'ai  cru  qu'il  y  avait  péril  à  se  taire  da- 
vantage et  j'ai  accompli  ce  que  je  crois  être  un 
devoir.  —  Advienne  que  pourra  ! 

Enfin,  avant  de  terminer,  je  crois  aussi  de  mon 
devoir  d'adresser  quelques  paroles  à  M.  Vulpian. 

Je  lui  dirai  :  Comment,  vous,  M.  Vulpian, 
vous  médecin,  n'avez- vous  pas  vu  que  le  cas  du 
petit  Meister  ne  prouvait  rien,  un  seul  cas  étant 


—  368  — 

de  nulle  signification  en  thérapeutique  ;  —  et  le 
petit  Meister  pouvant  bénéficier  d'ailleurs  des 
5/6*  de  chance  que  nous  avons  de  ne  pas  deve- 
nir enragés  après   morsure  rabique  ? 

Comment  avez-vous  pu^  vous  médecin,  con- 
clure si  vite  et  si  facilement  du  laboratoire  à  la 
clinique,  du  chien  à  l'homme  ? 

Comment  avez-vous  pu  pousser,  au  lieu  de  l'y 
retenir,  M.  Pasteur  dans  cette  voie  inexplorée  et 
pleine  de  périls  où  il  allait  résolument  s'engager. 

Comment  avez-vous  pu,  vous  médecin,  profé- 
rer les  paroles  enflammées  que  je  vais  lire  : 

«  La  rage,  cette  maladie  cruelle,  contre  laquelle 
toutes  les  tentatives  thérapeutiques  avaient  échoué 
jusqu'ici,  a  enfin  trouvé  son  remède  !  M.  Pasteur  a 
créé  une  méthode  de  traitement  à  l'aide  de  laquelle 
on  peut  empêcher,  a  coup  sûr,  le  développement  de 
la  rage  chez  l'homme  mordu  récemment  par  un  chien 
enragé.  3e  ûu  à  coup  sûr,  ipàvce  que,  d'après  ce  que 
j'ai  vu  dans  le  laboratoire  de  M.  Pasteur,  je  ne  doute 
pas  du  succès  constant  de  ce  traitement  lorsqu'il 
sera  mis  en  pratique  dans  toute  sa  teneur,  peu  de 
jours  après  la  morsure  rabique .  » 

Comment  avez-vous  pu  risquer,  par  ces  pa- 
roles sans  mesure,  comme  sans  réserve,  de  com- 
promettre à  la  fois  rinstitut.M.  Pasteur  et  vous- 
même  ?  » 


—  369  — 

Le  discours  de  M.  Peter  a  été  accueilli  par  les 
applaudissements  enthousiastes  des  tribunes  de 
l'Académie. 

Enfin,  la  vérité  s'est  faite  et  le  bon  sens  mé- 
dical a  repris  ses  droits.  Une  année  d'observa- 
tion a  suffi  pour  réduire  à  néant  les  assertions 
téméraires  d'un  homme  qui  se  croyait  tout  per- 
mis. 

Les  faits  ont  parlé.  Pendant  un  an  la  méthode 
a  été  inoffensive  et  inefficace,  elle  a  succombé 
sous  le  ridicule. 

Aujourd'hui  elle  devient  dangereuse:  M. 
Pasteur  ne  guérit  pas  la  rage  ;  il  est  pro- 
bable Q.u'lL  LA  DONNE. 

Il  en  coûtera  sans  doute  à  nos  corps  savants 
d'avouer  qu'ils  ont  été  l'objet  d'une  triste  et  cruelle 
mystification  ;  il  en  coûtera  à  notre  amour-propre 
national  de  reconnaître  le  néant  d'une  découverte 
Imprudemment  annoncée  avec  tant  d'éclat  ;  mais 
la  vérité  scientifique  doit  dominer  toute  autre 
considération  et,  quelque  pénible  que  soit  la  dis- 
cussion qui  s'ouvre  aujourd'hui,  elle  doit  être 
envisagée  avec  calme.  11  n'est  pas  douteux 
qu'elle  ne  donne  raison  à  la  clinique  et  au  bon 
sens  médical  si  outrageusement  méconnus  par 
les  prétendus  savants  de  l'Ecole  normale. 


CHAPITRE  XXIV 

LA  NOUVELLE  MALADIE  PASTEUR.  RAGE 
PARALYTIQUE,  RAGE  DU  LAPIN,  RAGE 
EXPÉRIMENTALE. 

C'est  sous  ces  divers  synonymes  qu'on  dési- 
gne la  nouvelle  maladie  qui  a  occasionné  la  mort 
d'un  grand  nombre  des  malheureux  qui  ont  été 
traités  récemment  par  la  méthode  intensive. 

Le  danger  de  cette  méthode  avait  déjà  été  si- 
gnalé par  tous  les  savants  compétents  que  n'a- 
veuglait pas  l'admiration  irréfléchie  que  le 
monde  officiel  avait  vouée  à  M.  Pasteur. 

M.  Colin,  d'Alfort,  dont  tout  le  monde  appré- 
cie la  compétence  et  la  droiture,  disait  à  l'Aca- 
démie de  médecine  le  9  novembre  1886  (1)  : 

«  Vos  inoculations  peuvent  faire  naître  la  rage  ; 
d'autres  pourraient  penser  et  vous  dire,  non  sans 
vraisemblance,  que  de  tels  accidents  sont  déjà 
arriA^és En  effet,  si  parmi  les  10,  12  ou  34  su- 
jets morts  malgré  le  traitement  il  s'en  trouvait 
dont  les  morsures  n'étaient  pas  rabiques  ou  sur 

(1)  Nous  avons  reproduit  le  discours  de  M.  Colin 
chapitre  IX,  page  149. 


-  371  — 

lesquels  la  cautérisation  avait  complètement 
détruit  la  matière  virulente,  ne  serait-il  pas  cer- 
tain, ABSOLUMENT  CERTAIN  quc  la  ragc  leur  a 
été  communiquée  par  vos  injections.  » 

Voilà  un  premier  avertissement  !  Combien  il 
est  malheureux  que  les  Pastoriens  n'en  aient 
pas  tenu  compte  ! 

Von  Frisch  s'exprimait  ainsi  dans  sa  commu- 
nication faite  à  l'Académie  des  sciences  de  Vien- 
ne : 

«  Par  le  traitement  intensif  ou  tout  au  moins 
par  le  procédé  rapide  préconisé  par  M.  Pasteur 

ON    PEUT   TRANSMETTRE  LA  RAGE.  » 

Deuxième  avertissement  î  |\Iais  les  Pastoriens 
restent  sourds  à  la  voix  de  la  science  et  de  la 
raison  ;  ils  n'en  continuent  que  de  plus  belle 
leurs  pratiques  irrationnelles  et  arrivent  à  la  ca- 
tastrophe que  l'on  sait.  ...  ils  commettent  l'ho- 
micide PAR  imprudence. 

Il  faut  rendre  cette  justice  à  M.  Pasteur,  c'est 
qu'il  a  créé  une  maladie  nouvelle,  purement  ex- 
périmentale et  qu'il  est  arrivé  à  la  transmettre 
à  l'homme,  chose  qui  paraissait  au  premier 
abord  impossible,  étant  donné  les  difficultés 
qu'on  éprouve  à  acclimater  certains  virus  d'une 
espèce  à  l'autre. 

Ce  qui  est  certain,  et  c'est  ce  qui  restera  tou- 


—  372  — 

jours,  c'est  qu'on  a  créé  une  rage  nouvelle,  dont 
les  symptômes  présentent  une  analogie  frappan- 
te avec  celle  qu'a  obtenue  le  chimiste  de  l'Ecole 
normale  par  l'inoculation  de  la  rage  du  chien 
au  lapin. 

Il  nous  suffira  de  reproduire  l'observation  dé- 
taillée des  cas  de  rage  expérimentale  inoculée  à 
l'homme,  par  M.  Pasteur ,  pour  démontrer  qu'il 
s'agit  bien  là  d'une  entité  morbide  caractéristi- 
que et  dont  les  symptômes  sont  toujours  identi- 
ques. Les  faits  sont  malheureusement  assez 
nombreux.  Voici  les  principaux  observés  de- 
puis trois  mois  que  M.  Pasteur  pratique  sa 
nouvelle  méthode  homicide. 

On  remarquera  la  persistance  des  symptômes 
suivants  :  courbature  intense,  paraplégie  rapi- 
de, douleurs  au  niveau  des  points  d'inoculation, 
absence  de  douleurs  au  niveau  de  la  morsure. 

Voici  les  faits  : 

Obs.  I.  —  M.  Peter  communique  à  l'Académie  un 
cas  de  rage  survenu  à  Paris  après  traitement  par  la 
nouvelle  méthode  intensive,  et  dont  le  récit  lui  a 
été  communiqué  par  M.  le  docteur  Miquel. 

Réveillac,  jeune  homme  de  vingt  ans,  charbonnier, 
demeurant  à  la  Villette,  fut  mordu  à  un  doigt  de  la 
main  par  le  chien  de  son  patron.  Ce  chien;  fut  abat- 
tu peu  de  temps  après. 

Le  lendemain,  un  pharmacien,   consulté   par  le 


—  373  — 

jeune  homme  mordu,  lui  conseillait  de  s'adresser 
au  laboratoire  de  la  rue  Vauquelin,  ce  qu'il  fit  effec- 
tivement qurante-huit  heures  après  la  morsure. 

Au  laboratoire,  les  inoculations  furent  pratiquées 
à  la  région  des  hypochondres,  suivant  la  nouvelle 
méthode  intensive. 

La  santé  resta  parfaite  pendant  cinq  semaines,  jus- 
qu'au dimanche  12  décembre  exclusivement.  Ce 
jour-là  apparut  un  symptôme  prémonitoire  d'une 
importance  considérable  :  une  douleur,  qui  bientôt 
devint  constante,  au  niveau  de  la  cicatrice  des  piqû- 
res des  inoculalions  antirabiques,  et  non  au  niveau 
de  la  cicatrice  de  la  morsure  du  doigt. 

Bientôt  malaise  général  et  sentiment  d'extrême 
faiblesse.  La  journée  du  dimanche  se  passe  ainsi 
dans  l'immobilité  et  dans  la  tristesse. 

Le  lundi,  la  faiblesse  augmente,  le  malade  ne  peut 
quitter  la  chambre  et  prend  à  peine  quelque  nourri- 
ture. 

Le  mardi,  il  s'alite  définitivement  et  meurt  le  jeu- 
di, six  semaines  après  la  morsure.  Le  docteur  Mi- 
quel  appelé  ce  jour-là,  le  trouve  mort  ayant  une  ba- 
ve écumeuse  à  la  bouche. 

Des  renseignements  recueillis  dès  lors  et  depuis,  il 
résulle  que  le  mercredi  et  le  jeudi,  troisième  et  qua- 
trième jours  de  la  maladie,  il  y  eut  des  spasmes  de 
la  gorge,  de  l'impossibilité  à  avaler  les  liquides,  puis 
qu'à  d'autres  moments,  la  déglutition  de  petites 
quantités  de  boisson  pouvait  se  faire. 


—  374  — 

11  n'y  a  jamais  eu  de  convulsions,  mais  de  la  fai- 
blesse, puis  de  la  paralysie. 

Tel  est  le  cas  de  mort  chez  un  mordu  inoculé  sui- 
vant la  nouvelle  méthode  intensive. 

Il  semble  impossible  de  ne  pas  être  ici  frappé  d'au 
moins  deux  faits  : 

Le  premier,  c'est  que  les  douleurs  prémonitoires 
se  sont  montrées,  non  pas  au  niveau  des  piqûres  fai- 
tes par  les  inoculations  antirabiques  ; 

Le  deuxième,  c'est  que  les  symptômes  n*ont  pas 
été  ceux  de  la  rage  ordinaire,  puisque,  à  part  le  spas- 
me œsophagien j  les  accidents  dominants,  au  lieu 
d'être  convulsifs,  ont  été  paralytiques. 

Obs  IL— Le  i^r  décembre,\e  nommé  Amédée  Gé- 
rard, âgé  de  28  ans,  demeurant  à  Boran  (Oise),  fut 
mordu  gravement  à  la  main  par  un  chien  enragé. 
On  cautérisa  immédiatement  la  plaie  et  le  lendemain 
matin,  5  décembre,  Amédée  Gérard  partit  pour  Paris, 
où  pendant  12  jours  il  subit,  au  laboratoire  Pasteur, 
toutes  les  inoculations  selon  la  dernière  manière,  et 
au  bout  de  ce  temps,  il  fut,  comme  à  l'ordinaire,  ren- 
voyé chez  lui  avec  l'assurance  qu'il  était  parfaite- 
ment guéri. 

Cet  homme  reprit,  en  etfet,  son  travail  ordinaire, 
ne  pensant  plus  à  cet  accident  ;  mais  vers  le  29  dé- 
cembre, il  se  sentit  pris  d'un  étrange  malaise  avec 
douleurs  de  tête,  faiblesse,  étourdissements,  accu- 
sant en  outre  une  cZoM^eï^r  sourde  à  la  place  où  il 
avait  été  inoculé. 

Dans  cet  état,  il  se  rendit  aussitôt  chez  M.  Pasteur, 


—375  — 
accompagné  de  sa  femme.  Là,  on  lui  dit  qu'il  n'avait 
pas  lieu  de  s'inquiéter,  que  probablement  il  avait 
pris  froid,  qu'il  lui  suffirait  de  retourner  chez  lui  et 
de  s'y  tenir  chaudement. 

Ce  malheureux  repartit  donc  ;  mais  son  état  s'étant 
aggravé  pendant  le  voyage,  on  dut  le  transporter 
chez  lui  où  il  mourut  le  3  janvier. 

Un  médecin,  qu'on  avait  fait  venir  de  Beaumont. 
constata  que  le  malade  était  atteint  de  la  rage  et 
télégraphia  immédiatement  au  laboratoire  Pasteur, 
d'où  on  répondit  qu'il  n'y  avait  rien  à  faire,  attendu 
que  cet  homme  était  déjà  sous  l'influence  de  la  rage 
lors  du  dernier  voyage  qu'il  venait  de  faire. 

Ce  malheureux  est  mort  certainement,  non  pas 
de  la  rage  ordinaire,  furieuse  et  convulsive,  mais 
d'une  maladie  présentant  tous  les  caractères  de  la 
rage  de  laboratoire.  * 

En  eff"et,  pendant  les  quelques  jours  qu'il  a  souffert, 
le  malade  qui  avait  d'abord  accusé  une  sorte  de  gêne 
dans  la  région  où  il  avait  été  inoculé,  s'est  plaint 
constamment  à'atroces  douleurs  dans  le  ventre, 
comme  Révcillac,  et  d'une  rétention  d'urine  qui 
nécessita  un  sondage. 

Il  n'y  a  pas  eu  de  convulsions  ni  V horreur  des 
liquides,  puisque,  une  demi-heure  avant  de  mourir, 
en  pleine  connaissance,  on  lui  fit  boire  un  peu  de 
bouillon  et  de  1'  «  eau  de  Lourdes  !  » 

Il  n'a  présenté  qu'un  seul  symptôme  typique  de  la 
rage  ordinaire  qui  consistait  en  une  sorte  de  cra- 
chement continuel  et  bruyant  produit  par  une  cons- 
triction  de  la  gorge. 


—  376  — 

Obs.  III.  —  Communiquée  par  M.  le  D'  Pitoy, 
de  Combeau-Fontaine  (Haute-Savoie).  —  Le  sieur 
Létang  (de  Gourgeon),  tailleur  de  pierres,  et,  son 
fils  ont  été  mordus,  le  3  novembre  dernier,  par  un 
chien  reconnu  à  Tautopsie  être  atteint  de  la  rage. 
Le  père  avait  été  mordu  au  pied  et  le  fils  très  lé- 
gèrement au  poignet.  Ils  partirent  tous  deux,  le  7 
novembre,  à  Paris,  pour  suivre  le  traitement  antira- 
bique, et  revinrent,  je  crois,  le  21  du  même  mois. 

Le  2  décembre,  L père,  travaillant  dans  une 

carrière,  futpris  de  douleurs  violentes  dans  les 
côtes,  au  niveau  des  endroits  où  avaient  été  faites 
les  inoculations  anti-rabiques,  puis  dans  la  tête,  les 
7'eins,  et  tous  les  membres. 

Je  le  vis  pour  la  première  fois  le  5  décembre  ;  il 
n'offrait  pas  d'autres  symptômes  que  les  douleurs 
précitées  et  un  affaissement  général. 

A  ma  deuxième  visite,  le  7  décembre,  je  constatai 
une  paraplégie  totale,  avec  anesthésie  à  peu  près 
complète  des  membres  inférieurs  jusqu'à  la  ceinture. 
Cette  anesthésie  n'empêchait  pas  les  douleurs  spon- 
tanées dans  ces  membres  ;  c'était  ce  qu'on  a  appelé 
l'analgésie  douloureuse.  Pas  de  paralysie  de  la  ves- 
sie et  du  rectum  ;  continuation  des  douleurs  dans 
les  côtes,  les  reins  et  la  tête  ;  température  à  l'ais- 
selle, 37o6  ;  faiblesse  considérable.  Mort  le  8  décem- 
bre, à  cinq  heures  du  soir,  sans  que  j'aie  revu  le  ma- 
lade . 

Il  n'y  a  eu  ni  difficultés  de  déglutition,  ni  délire, 
ni  accès  convulsifs.    Hallucinations   passagères  de 


—  37r  — 

l'ouïe  la  veille  de  la  mort.  La  morsure  du  pied  était 
cicatrisée  et  n'offrait  rien  de  particulier. 

Le  fils  continue  à  bien  se  porter. 

J'ai  été  très  indécis  pour  formuler  un  diagnostic 
précis,  j'ai  songé  à  ce  moment  à  une  myélite  aiguë, 
et  j'ai  fait  part  à  M.  le  D^'Roux,  de  l'Institut  Pasteur, 
de  mes  observations  et  de  mon  opinion. 

Je  livre  cette  observation  à  la  publicité,  à  cause 
de  sa  ressemblance  avec  celle  du  malade  d'Arras, 
portée  à  la  tribune  de  l'Académie  de  médecine  par 
M.  le  professeur  Peter, 

Veuillez  agréer,  etc. 

D'  PlTOY. 

Combeau-Fontaiue  (Haute-Saône),  14  janvier  1887. 

Obs.  IV.  Née,  d'Arras.  Nous  avons  reproduit  cette 
observation  in  extenso  page  345,' dans  la  communi- 
cation faite  par  M.  Peter  à  l'Académie  de  médecine. 

Née  tut  mordu  par  un  chien  qui  fut  examiné  par 
un  vétérinaire  et  déclaré  non  enragé. 

Il  va  néanmoins  au  laboratoire  Pasteur  où  il  reste 
11  jours  et  subit  le  nouveau  traitement  intensif. 

Un  mois  plus  tard  il  éprouve  de  vives  douleurs 
au  niveau  des  points  d'inoculation,  devient  para- 
plégique et  meurt  de  la  rage  paralytique. 

M.  le  D""  Germe,  d'Arras.  qui  a  transmis  cette  ob- 
servation, déclare  que  ce  malade  a  succombé  à  la 
rage  du  lapin. 


22, 


—  378  — 

Obs  .  V .  Cas  de  rage  paralytique  survenu  après  le 

TR.UTEMENT  PaSTEUR.  DOULEURS  PREMONITOIRES  SUR- 
VENANT AU  NIVEAU  DES  POINTS  d'iNOCULATION  ET  NON 
AU  NIVEAU  DU  POINT   MORDU. 

Cette  observation  nous  est  transmise  par  MM.  les 
Di'5  Boisson  et  Daugats. 

Goriot  (Paul),  14  ans.  Bonne  santé  habituelle.  A  été 
mordu  à  Findex  gauche  par  un  chat,  fin  novembre 
1886.  Trois  semaines  après,  vers  le  21  décembre,  ino- 
culations antirabiques.  Durée  10  jours. 

Se  plaint  depuis  quelques  jours  de  malaises,  de 
fourmillements,  de  démangeaisons  au  niveau  des 
points  où  il  a  été  inoculé. 

Nous  le  voyons  le  U  janvier. 

Douleurs  lombaires  s'exagérant  par  les  mouve- 
ments. Se  plaint  légèrement  de  la  gorge.  A  Texamen, 
rien  de  particulier.  Bougeurs.  Diagnostic  :  lumbago 
à  la  suite  de  refroidissement,  pas  de  fièvre,  anorexie. 

Prescription.— Frictions,  chaleur,  purgation  limo- 
nade Bogé  pour    le  lendemain. 

15  janvier  matin  8  heures,  Temp.  38»5j  pouls  80.  A 
bien  dormi.  Bespiration  difficile,  saccadée.  Douleurs 
lombaires  plus  prononcées.  Impossible  delemettresur 
son  séant.  A  vomi  sa  purgation .  On  le  sort  du  lit.  Bai- 
deur  musculaire  s'étendant  du  cou  jusqu'aux  mem- 
bres inférieurs.  Auscultation.  Bespiration  normale. 

Pas  de  râles.  En  continuant  notre  examen,  nous 
constatons  qu'il  est  atteint  de  paralysie^ 

Il  soulève  cependant,  mais  très  légèrement,  ses 
membres  inférieurs. 


—  379  — 

Les  membres  supériem's  ont  conservé  jusqu'au 
dernier  moment  leur  mouvements.  Le  malade  n'a 
pas  uriné,  ni  fait  de  selles.  Stupeur.  Parle  moins  vo- 
lontiers, se  trouve  bien  dans  son  lit,  n'éprouve  aucun 
malaise,  que  de  la  difficulté  à  cracher.  Transpiration 
abondante. 

Prescription. — Vésicatoire  au  niveau  des  vertèbres 
lombaires  ;  à  l'intérieur,  alcool  de  racines  d'aconit. 

A  S  heures,  même  jour,  les  phénomènes  sont  les 
mômes.  Son  état  n'a  pas  varié.  A  partir  de  cette 
heure,  la  gêne  respiratoire  va  en  augmentant. 

De  4  à  6  heures;  il  étouffé  et  crache  abondamment 
une  salive  spumeuse  visqueuse. 

En  mon  absence,  mon  confrère  M.  Daugats,  vers 
6  heures  1/2,  le  voit,  applique  des  ventouses  scari- 
fiées le  long  des  vertèbres  doi'^ales  et  en  avant  des 
ventouses  sèches.  Il  paraît  momentanément  soulagé 
et  plus  calme,  sputation  abondante  facile. 

A7  heures  1/2,  nous  le  voyons  tous  les  deux  et  as- 
sistons pendant  une  heure  aux  phénomènes  suivants  : 

La  sputation  devient  plus  difficile  et  nous  remar- 
quons que  des  phénomènes  de  contraction  et  de  di- 
latation pupillaire,  ayant  lieu  alternativement,  sont 
plus  fréquents  au  moment  de  la  salivation.  Nous  re- 
marquons, en  outre  :  difficulté  de  la  déglutition, mais 
sans  hydrophobie.  La  paraplégie  est  complète.  La 
sensibilité  de  tout  le  corps  est  conservée. 

Mon  confrère  ayant  ordonné  un  lavement  purga- 
tif, le  malade  Ta  en  partie  rendu  avec  des  urines. 
Quelques  heures  auparavant  le  malade  avait  uriné .  Le 
pharmacien,  M.  Pierost,  ni  nous-mêmes  n'avons  trou- 


—  380  ~ 

vé  aucune  trace  d'albumine,  urines  troubles,  mates. 

La  stupeur  s'accentue.  Il  est  difficile  d'en  faire  sor- 
tir le  malade . 

Les  extrémités  supérieures  se  refroidissent,  la  trans- 
piration reste  toujours  abondante. 

A  8  heures,  le  pouls  est  à  140,  la  terap.  à  36o7. 
Nous  prescrivons  un  vésicatoire  à  la  nuque;  du  café. 

A  9  heures  1/2,  nous  revoyons  ensemble  notre 
malade.  Aggravation. 

La  respiration  est  de  plus  en  plus  mauvaise.  Mort 
à  11  heures  l/'2. 

A  3  heures  du  matin,  après  la  mort,  écoulement  de 
sang  par  le  nez  et  par  la  bouche  en  assez  grande 
quantité.  A  9  heures,  nous  constatons  qu'il  s'en 
écoule  encore  pas  mal. 

Le  corps  est  à  l'état  de  rigidité  cadavérique.  Le 
siège  et  les  membres  inférieurs  présentent  de  larges 
taches  ecchymotiques  rougeâtres . 

Obs.  VL  Sodini,  de  Constantine.  Nous  avons  repro- 
duit cette  observation  in  cœtenso,  page  342. 

Mordu  par  un  chien  le  12  octobre  1886,  —  subit  le 
traitement  intensif  du  21  au  24  octobre  au  labora- 
toire de  la  rue  Vauquelin. 

Quand  le  24  novembre  il  ressentit  des  douleurs 
aiguës  au  niveau  des  points  d'inoculation. 

Paraplégie  —  Urines  albumineuses. 

Obs.  vil  Le  20  octobre  1886,  le  jeune  Rouyer,  âgé 
de  douze  ans,  demeurant  58,  rue  de  Bretagne,  était 
mordu  par  un  chien. 


-  381  — 

Les  parents,  avant  même  de  faire  faire  une  enquête 
pour  savoir  si  le  chien  était  enragé,  s'empressèrent 
de  conduire  leur  enfant  au  laboratoire  de  M.  Pasteur, 
où  il  fut  soumis  au  traitement  antirabique  intensi 
inauguré  le  1"  septembre  dernier  et  renvoyé  guéri 
dans  sa  famille. 

Le  23  novembre,  le  jeune  Rouyer,  qui  avait  repris 
ses  habitudes  et  était  retourné  à  Técole,  reçut  en 
jouant,  d"un  de  ses  camarades,  un  coup  de  poing 
dans  le  côté. 

Quelques  heures  après,  il  fut  pris  d'une  crise  ner- 
veuse et  se  roula  à  terre  en  poussant  des  cris  déchi- 
rants. Il  accusait  surtout  de  vives  douleurs  au  ni- 
veau des  points  d'inoculation.  Rien  au  niveau  de 
la  morsure. 

On  le  ramena  en  toute  hâte  tliez  ses  parents,  où  le 
Dr  Ruet,  appelé  aussitôt,  lui  prodigua  des  soins  sans 
se  prononcer  toutefois  sur  les  causes  de  la  maladie. 
Le  26  novembre,  le  malheureux  enfant  expirait  en 
présentant  tous  les  symptômes  de  la  rage  paralyti- 
que. 

Le  corps  a  été  transporté  à  la  Morgue  où  l'autop- 
sie a  été  faite  le  29,  à  deux  heures,  par  M.  Brouardel. 
L'éminent  professeur  a  déclaré  que  le  malade  n'a- 
vait pas  succombé  des  suites  du  coup  de  poing  qu'il 
avait  reçu,  mais  qu'il  était  peut-être  mort  d'urémie. 

Obs.  VIIL  Ce  cas  est  survenu  dans  la  commune  de 
la  Tour-du-Pin  (Isère).  Nous  avons  attendu  la  con- 
firmation officielle  du  décès  émanant  de  la  mairie 
de  celte  ville  avant  de  le  pubher. 


—  383  — 

Le  nommé  Fonlup,  mordu  par  un  chien  en  décem- 
bre dernier,  venu  de  suite  au  laboratoire  Pasteur 
pour  y  suivre  le  nouveau  traitement,  a  été  renvoyé 
guéri.  Son  traitement  avait  duré  douze  jours. 

Le  20  janvier,  Fonlup  éprouva  des  douleurs  au  ni- 
veau des  points  d'inoculation,  puis  une  faiblesse  ex- 
trême, puis  de  la  paraplégie  et  des  symptômes  pul- 
monaires qui  fm-ent  d'abord  attribués  à  une  pneu- 
monie. Il  succomba  de  la  rage  paralytique  le  24  jan- 
vier . 

On  a  cherché  à  faire  passer  le  décès  sur  le  compte 
d'une  pneumonie. 

Obs.  IX.  La  femme  Albert,  de  la  commune  des 
Vigneaux,  près  de  Vallouise  (Basses-Alpes)  est  morte 
de  la  rage  paralytique  le  26  janvier,  après  avoir  subi 
le  nouveau  traitement  du  2.5  décembre  au  5  janvier  à 
l'Institut  Pastem\ 

Le  Dr  Vagniat,  de  Briançon,  appelé  près  de  cotte 
malade,  n'a  pu  arriver  avant  sa  mort. 

Voici  les  symptômes  observés.  Ils  présentent  une 
analogie  frappante  avec  ceux  qui  ont  été  constatés 
sur  les  inoculés.  Douleurs  intenses  au  niveau  des 
points  d'inoculation  s'étendant  jusqu'aux  reins,  mort 
après  3  jours  de  maladie  avec  paraplégie  et  prostra- 
tion. L'autopsie  n'a  pas  été  faite. 

Ce  cas  nous  a  été  confirmé  par  le  maire. 

Obs  X.  Le  23  octobre  1856,  une  enquête  publique  eut 
lieu  devant  le  coroner  du  district  sur  la  mort  du  nom- 
mé Joseph  Goj5^  (surnommé  Smith),  employé  dans 


—  383  — 

Brown  Institution,  sorte  d'hôpital  pour  les  animaux. 

Le  4  septembre  1886,  il  fut  mordu  à  la  main  gau- 
che par  un  chat  qu'on  supposa  enragé  ;  la  plaie  fut 
immédiatement  cautérisée  et  Goffi  fut  envoyé  à  Pa- 
ris où  le  traitement  commença  le  6  septembre.  Il 
resta  à  Paris  jusqu'au  9  octobre.  Quelques  jours  après 
son  arrivée  à  Londres  il  se  plaignit  d'une  faiblesse 
extrême  dans  les  jambes  et  entra  à  l'hôpital  Saint- 
Thomas,  le  9  octobre.  On  diagnostiqua  une  paralysie 
de  Landry.  Il  mourut  le  ^0.  Les  médecins  qui  dépo- 
sèrent devant  le  coroner  ne  purent  affirmer  d'une 
manière  positive  que  Goffi  avait  succombé  à  l'hy- 
drophobie  et  le  jury  rendit  un  verdict  de  mort  na- 
turelle. 

Le  professeur  Horsley,  directeur  de  la  Brown  Ins- 
titution, inocula  des  lapins  avecja  moelle  de  Goffi, 
afin  de  s'assurer  si  l'individu  était  mort  de  la  rage. 
J'ai  appris,  de  source  certaine,  que  les  lapins  ainsi 
inoculés  sont  morts  au  bout  de  sept  jours. 

On  sait  que  M.  Pasteur  affirme  que  la  petite  Le- 
pelletier  était  morte  de  la  rage  du  chien  et  non  des 
inoculations  parceque  les  lapins  inoculés  avec  la 
moelle  de  l'enfant  ne  sont  morts  qu'au  bout  de  dix- 
huit  jours.  Si  les  lapins  étaient  morts  au  bout  de  sept 
A  HUIT  jours,  ajoutait  M.  Pasteur,  ce  fait  aurait  prou- 
vé que  l'enfant  avait  succombé  à  la  rage  du  lapin  in- 
troduite dans  l'économie  par  les  inoculations. 

Les  expériences  faites  avec  la  moelle  de  Goffi  prou- 
vent donc,  d'après  M.  Pasteur,  que  la  mort  de  cet 
individu  est  due  aux  inoculations. 


—  384   ■ - 

Obs.  XI.  Arthur  Wilde  fut  mordu  au  commence- 
ment d'octobre  par  un  individu  qu'on  croyait  atteint 
d'iiydrophobie.  Les  plaies  furent  immédiatement 
cautérisées. 

Le  6  octobre,  il  arriva  à  Paris  où  il  fut  soumis  au 
traitement  intensif  et  reçut  19  inoculations.  Il  retour- 
na chez  lui  le  19  et  paraissait  bien  portant.  Le  30  oc- 
tobre il  éprouva  une  grande  faiblesse  et  accusa  des 
douleurs  au  niveau  des  points  d'inoculation.  Il  de- 
vint de  plus  en  plus  faible  et  dut  s'aliter.  Plusieurs 
médecins  furent  appelés  et  ne  purent  arriver  à  un 
diagnostic.  Les  uns  diagnostiquèrent  une  attaque  bi- 
ieuse,  les  autres  une  paralysie  intestinale,  et  ce  n'est 
que  quelques  heures  avant  la  mort  qu'on  parla  d'une 
congestion  pulmonaire. 

C'est  cependant  ce  dernier  diagnostic  très  invrai- 
semblable qui  fut  maintenu. 

Le  D"^  Whileside-IIime,  de  Sheffield,  est  un  des 
médecins  qui  se  sont  fait  remarquer  par  l'ardeur 
avec  laquelle  ils  ont  soutenu  la  méthode  Pasteur  en 
Angleterre.  Aussitôt  qu'il  apprit  la  mort  de  Wilde,  il 
arriva  à  Rotherham  afin  de  parer  le  coup  que  la  mort 
de  cet  enfant  devait  nécessairement  porter  à  la  cé- 
lèbre méthode.  Son  intention  était  sans  doute  de 
faire  des  expériences  et  le  British  médical  Journal 
du  6  novembre  dit  «  qu'il  espère,  dans  l'intérêt  de  la 
science,  qu'on  fera  des  inoculations  avec  la  moelle 
pour  vérifier  le  diagnostic  ■» . 

Mais  le  D""  Hime  trouva  à  son  arrivée  à  Rotherham 
que  les  choses  ne  pouvaient  pas  s'arranger  comme  il 
'aurait  désiré.  La  mort  tragique  de  Wilde  avait  été 


—  385  — 

ébruitée  et  l'enquêle  publique  était  nécessaire.  Notre 
confrère  pensa  que  la  réputation  scientifique  de  Pas- 
teur, intimement  liée  à  la  sienne,  aurait  fort  à  souf- 
frir, si  l'on  connaissait  la  vérité  et  ne  jugea  pas  né- 
cessaire de  faire  aucune  expérience.  Peut-être  avait- 
il  eu  connaissance  des  résultats  obtenus  par  le  Df 
Horsley  en  inoculant  la  moelle  de  Goffi. 

Il  fallaitcependant  rassurer  le  public.  C'est  alors  que 
le  Dr  Hime  écrivit  à  la  presse  médicale  et  politique 
et  déclara  qu'on  ne  pouvait  pas  soupçonner  l'existen- 
ce de  l'hydrophobie  dans  le  cas  de    Wilde. 

M.  le  D' Glarke,  de  Londres,  qui  a  fait  sur  ce  sujet 
une  sérieuse  enquête,  nous  a  transmis  les  renseigne- 
ments suivants  : 

La  question  qu'il  importe  d'élucider  est  la  sui- 
vante: de  quoi  est  mort  Wilde  Or,  c  3  ne  it  pas  en 
s'adessant  au  D'^  Hime  qui  n'a  assisté  ni  à  la  mort 
ni  à  l'autopsie  que  nous  connaîtrons  la  vérité,  mais 
en  consultant  l'opinion  de  ceux  qui  l'ont  soigné  pen- 
dant la  vie  et  ont  fait  l'examen  post-mortem .  Or, 
voici  les  renseignements  fournis  sur  ce  sujet  par  le 
Rotherham  Advertiser  du  6  novembre  1886  : 

«  Le  6  octobre  Wilde  se  rendit  à  Paris,  quelques 
jours  après  avoir  été  mordu  par  l'infortuné  Oates. 
Le  traitement,  qui  dura  dix  jours,  consista  en  19  ino- 
culations selon  la  méthode  nouvelle  intensive. 

Les  premières  inoculations  avaient  déjà  produit  un 
malaise  étrange  (1).  Le  30  octobre    Wilde  se     plai- 

(1)  Née,  d'Arras,  qui  a  succombé  à  la  rage  paralytique,  avait 
déjà  éprouvé  des  sensations  analogues  à  la  suite  des  ino- 
culations. (Note  de  la  Rédaction.) 

22* 


—  386  — 

gnit,  et  le  D^  Foote,  qui  fut  appelé  auprès  de  lui 
crut  d'abord  qu'il  s'agissait  d'une  attaque  bilieuse 
{BUious  attack).  Des  vomissements  eurent  lieu  en 
effet,  le  jour  suivant.  On  observe  ensuite  une  sorte 
de  paralysie  intestinale. 

Le  1=^  novembre  l'état  s'aggrava,  et  la  prostration 
devint  extrême.  Le  pouls  était  normal  ainsi  que  la 
température  ;  mais  il  n'y  avait  aucun  trouble  de  la 
respiration. 

Ce  n'est  que  le  mardi  soir,  veille  de  la  mort,  que  la 
respiration  devint  difficile.  Le  malade  succomba  le 
mercredi  3  novembre.  La  maladie  avait  duré  trois 
jours.  A  l'autopsie  on  trouva  dans  le  poumon  les  si- 
gnes de  la  congestion  hypostatique. 

Je  le  demande  au  D""  Hime  et  à  tous  les  cliniciens, 
sont-ce  là  les  symptômes  de  la  pneumonie  ? 

A-t-on  jamais  vu  une  pneumonie  occasionner  la 
mort  en  4  jours  sans  fièvre,  sans  point  de  côté,  sans 
troubles  de  la  respiration  et  sans  élévation  de  la  tem- 
pérature? Ce  n'est  que  la  veille  de  la  mort  que  les 
symptômes  respiratoires,  qui  sont  ceux  de  la  paraly- 
sie bulbaire  observés  chez  tous  les  rabiques,  se  sont 
manifestés  ! 

Je  comprends  que  le  Dr  Hime  ait  pu  dire  que  Wilde 
n'a  pas  présenté  les  symptômes  ordinaires  de  l'iiy- 
drophobie.  En  effet,  la  paralysie,  la  prostration,  la 
mort  rapide  sans  convulsions  ni  hydropliobie  cons- 
tituent les  symptômes  d'une  maladie  nouvelle  que  le 
Dr  Hime  n'avait  pas  encore  observée  par  cette  raison 
bien  simple  qu'ils  appartiennent  à  une  maladie  non- 


—  387  — 

velle  introduite  dans  la  pathologie  par  M.  Pasteur. 
C'est  la  rage  du  lapin,  la  rage  du  laboratoire  dont  es 
cas  se  sont  malheureusement  multipliés  depuis  l'ap- 
plication de  la  méthode  intensive.  Wilde  est  mort  de 
la  même  maladie  que  Gotfi.  Je  maintiens  donc,  dans 
Fintérèt  du  public,  que  les  deux  individus  ont  suc- 
combé dans  des  circonstances  plus  que  suspectes  et 
j'ai  les  plus  sérieuses  raisons  de  croire  que  M.  PaS' 
teùr,  au  lieu  de  faire  disparaître  une  maladie,  en  a 
créé  une  nouvelle. 

Ainsi  voilà  onze  cas  de  rage  paralytique  re- 
cueillis en  moins  de  trois  mois. 

Nous  ne  comptons  pas  dans  ce  nombre  les 
cas  de  rage  convulsive  et  les  cas  de  rage  surve- 
nus en  dehors  de  tout  traitement  Pasteur. 

Que  conclure  de  ces  faits,  sinon  que  le  nou- 
veau traitement  a  considérablement  augmenté 
la  mortalité  par  la  rage  et  que  dans  on::e  cas  au 
moins  il  a  inoculé  la  maladie  à  des  gens  qui 
vraisemblablement  ne  l'avaient  pas. 


CHAPITRE    XXV 

RÉSULTATS  COMPLETS  DU  TRAITEMENT 
PENDANT  L'ANNÉE  1886.  CONCLUSION. 

I.  CHIFFRE  DES  INOCULÉS. 

D'après  le  document  qu'ils  ont  bien  voulu 
communiquer  à  l'Académie  de  médecine,  le  18 
janvier  1887,  les  Pastoriens  ont  traité,  dans  leur 
célèbre  Institut,  jusqu'au  31  décembre  1886,  2682 
enragés. 

Sur  ce  nombre  se  trouvaient  1929  Français. 

Les  Pastoriens  faisaient  alors  le  calcul  sui- 
vant : 

Nous  avons  inoculé  1929  individus,  il  en  est 
mort  dix-huit,  nous  en  avons  donc  guéri  1911. 

On  est  vraiment  tenté  de  se  demander  si  MM. 
Pasteur,Vulpian  et  Grancher  ne  se  moquent  pas 
de  l'Académie  en  voulant  faire  croire  aux  hono- 
rables mathématiciens  qui  en  composent  la 
majorité  que  ces  2.682  clients  étaient  atteints  de 
la  rage.  Nous  savons  tous  qu'on  a  inoculé  à  l'E- 
cole normale  tous  les  individus  qui  s'y  sont  pré- 


—  389  — 

sentes,  enragés  ou  non,  et  nous  avons  publié  sur 
ce  point  des  faits  nombreux  et  démonstratifs. 

Il  nous  paraît,  en  effet,  difficile  d'admettre  que 
le  fait  d'avoir  découvert  le  traitement  de  la  rage 
par  les  virus  moelleux  exaltés,  ait  donné  à  cette 
affection  îine  fréquence  inconnue  jusqu'à  ce 
jour.  Comment  expliquer  que  la  rage,  qui  faisait 
en  France  30  victimes  chaque  année,  ait  pris  de 
telles  proportions  ascensionnelles,  depuis  la 
découverte  du  grand  chimiste  1 

M.  Vulpian  a  complètement  omis  de  répondre 
à  cette  question  qui  avait  bien  son  importance. 
Nous  aurions  vivement  désiré,  dans  l'intérêt  de 
la  méthode  Pasteur  et  de  la  science  française, 
qu'il  voulût  bien  donner  à  cet  égard  quelques 
explications. 

A  notre  avis^  ce  n'est  pas  en  s'ébahissant 
devant  les  2,682  inoculés  qu'on  peut  savoir  si 
M.  Pasteur  guérit  la  rage,  mais  en  recherchant 
combien  d'individus  succombent,  chaque  année, 
à  la  suite  de  morsures  d'animaux  enragés. 

Nous  ne  songeons  nullement  à  contester  que 
le  laboratoire  de  l'Ecole  normale  ait  inoculé  le 
nombre  fantastique  de  2G83  individus  ;  ce  que 
nous  nous  refusons  à  admettre  ce  sont  les  con- 
séquences que  les  Pastoriens  en  tirent,  à  savoir 
qu'ils  ont  réduit  la  mortalité  par  la  rage  i  1  pour 
cent. 


—  390  — 

Le  raisonnement  repose  sur  trois  suppositions 
ou  jwstulats: 

Le  1"  postulat  consiste  à  supposer  que  les 
1,538  individus  ont  été  mordus  —  ce  qui  n'est 
pas.  Il  y  en  a  qui  n'ont  pas  même  été  griffés 
(j'en  ai  la  preuve). 

Le  2"  postulat  suppose  que  tous  les  individus 
vraiment  mordus  l'ont  été  par  des  animaux  vrai- 
ment enragés  (ce  qui  n'est  pas,  j'en  ai  la  preuve 
également). 

Enfin  le  3*  postulat  suppose  que  tout  individu 
mordu  par  un  animal  enragé  est  destiné  à  deve- 
nir enragé  (ce  qui  n'est  pas  —  de  l'avis  des  plus 
compétents). 

En  effet,  Hunter  —  savant  anglais  de  premier 
ordre  —  admettait  que  la  rage  ne  se  dévelop- 
pait, chez  les  individus  mordus  par  des  animaux 
enragés,  que  dans  la  proportion  de  5  0/0.  M. 
Leblanc,  un  éminent  vétérinaire  français,  croit 
cette  proportion  plus  élevée  et  la  porte  à  16  0/0. 
Un  autre  vétérinaire.  M.  Bourre! ,  estime  que  la 
proportion  ne  dépasse  pas  6  0/0. 

Admettons  —  pour  raisonner  dans  le  sens  le 
plus  large  —  la  proportion  de  M.  Leblanc,  choi- 
sie par  M.  Vulpian,  et  appliquons-la  à  ces  1,538 
mordus  —  nous  arrivons  par  une  règle  de  trois 
très  simple,  comme  l'a  fait  M.  Vulpian  lui-même 
—  au  chiffre  monstrueux  de  246  cas  de  rage  en 


-  391  — 

France,  dans  l'année  85-86,  s'arrétant  au  31  oc- 
tobre dernier  ! 

«  Si,  dit  M.  Vulpian,  la  méthode  prophylacti- 
que ne  leur  avait  pas  été  appliquée,  ces  246  mor- 
dus seraient  morts  de  la  rage.  Or,  comme  il  n'en 
est  mort  que  16,  il  y  en  a  eu  230  de  sauvés  par 
les  inoculations  de  M.  Pasteur.  » 

Eh  bien  !  veut- on  savoir  ce  que  dans  une 
période  de  treize  années,  qui  s'arrête  à  1863,  un 
savant  d'une  haute  valeur,  M.  Tardieu,  profes- 
seur de  médecine  légale  et  président  du  comité 
consultatif  d'hygiène,  a  trouvé  comme  chiffre 
officiel  de  la  mortalité  annuelle  par  la  rage  en 
France  ?  25  cas  !  Et  le  docteur  Tardieu  ajoute  : 
a  que  presque  tous  les  arrondissements  de 
»  France  ayant  répondu  à  l'appel  de  l'enquête, 
»  le  chiffre  de  25  cas  doit  être  opposé  aux  chif- 
»  fres  6  ou  8  fois  plus  élevés,  dont  il  ne  doit 

J)  PLUS  ÊTRE  PERMIS  d'eFFRAYER     LES    ESPRITS.  S> 

{Académie  de  Médecine,  1863.) 

D'autre  part,  M.  Brouardel,  investi  à  cette 
heure  des  mêmes  fonctions  que  M.  Tardieu, 
donne  comme  chiffre  de  la  mortalité  annuelle 
en  France  :  trente  cas  ;  mais  il  ajoute  que  les 
deux  tiers  seulement  des  départements  ont  ré- 
pondu à  l'enquête.  Supposons,  avec  M.  Vulpian, 
que  le  tiers  qui  n'a  pas  répondu,  ait  eu  la  même 
mortalité  que  les  deux  autres,  cela  porterait  le 


—  392  — 

chiffre  de  la  mortalité  totale  à  45.  (Je  crois, 
que  les  départements  silencieux  n'avaient  point 
de  cas  de  rage  à  signaler.) 

Il  s'ensuivrait  donc  logiquement  et  arithméti- 
quement  que,  dans  les  douze  derniers  mois 
écoulés,  il  y  aurait  eu  en  France  cinq  fois  plus 
de  cas  de  rage  que  dans  les  années  antérieures. 
Eh  bien  !  j'affirme  que  la  chose  est  monstrueu- 
sement invraisemblable.  Et  c'est  là  que  gît  l'ar- 
tifice mathématique  sur  lequel  les  Pastoriens 
ont  échafaudé  leur  système  (1). 

NOMBRE   EXACT  DES  DÉCÈS. 

Dans  la  communication  faite  à  l'Académie  de 
médecine,  le  11  janvier  1887,  M.  Grancher  affir- 
mait que  le  nombre  total  des  décès  à  la  suite  du 
nouveau  traitement  s'élevait  à  16. 

Or  nous  sommes  en  mesure  d'affirmer  que 
M.  Grancher  se  trompait  ou  trompait  l'Acadé- 
mie. A  cette  époque  le  laboratoire  Pasteur  avait 
été  informé  et  avait  accepté  comme  réel  le  q\\\Î- 
[yq  de  dix-huit  décès.  Voilà  comme  on  a  tou- 
jours honoré  la  vérité  à  l'Ecole  normale. 

Mais  ce  n'est  encore  rien.  Nous  affirmons  que 
le  nombre  des  décès  survenus  en  France  à  la 


(1)  Ce  raisonnement  a  été  exposé  magistralement  par 
M.  le  professeur  Peter  dans  une  leçon  clinique  professée 
le  26  janvier  1887. 


—  393  — 

suite  du  nouveau  traitement  s'est  élevé  à  28  dé- 
cès dont  22  pendant  l'année  1886  seulement. 

Les  faits  mortels  se  trouvent  établis  dans  le 
tableau  suivant  dont  nous  garantissons  l'au- 
thencité.  Afin  de  faire  porter  la  statistique  sur 
une  année  entière  nous  n'y  faisons  pas  figurer 
les  décès  des  enfants  Pelletier  et  Bonenfant  qui 
ont  eu  lien  en  1885. 

Ainsi  la  mortalité  par  la  rage  après  le  traite- 
ment Pasteur  comprend  : 

Bonenfant  et  Pelletier  inoculés  en  1885. 

Les  22  individus  dont  les  noms  figurent  dans  le  ta- 
bleau suivant. 

Quatre  individus  ayant  succombé  en  1887  et  q'ie 
nous  mettons  à  pai  t  pour  ne  pas  établir  de  confusion 
en  empiétant  d'une  année  sur  l'autre. 

Nous  avons  publié  dans  le  chapitre  précédent  trois 
individusmortsen  I887dela  rage  paralytique  (page  381). 

Voici  un  quatrième  décès  qui  porte  à  28  le  total  des 
décès  connus  pour  la  France  jusqu'à  ce  jour  (15  fé- 
vrier 1887). 

Bercé,  de  Bordeaux,  mordu  en  septembre  dernier  par 
un  chien  enragé,  vint  immédiatement  à  Paris,  suivre  le 
trait'iraent  Pasteur.  11  fut  renvoyé  complètement  guéri. 

Le  28  janvier,  il  fut  pris  des  premiers  symptômes  et 
succomba  le  1er  février,  ^  l'hôpital  Saint-André  de  Bor- 
deaux, à  la  rage  convulsive.  L'aulopsie  a  été  pratiquée 
par  le  D"^  Pitres.  Aucune  lésion  n'a  pu  expliquer  la  mort 
par  une  maladie  autre  que  la  rage. 

11  va  sans  dire  que  les  pastoriens  ont  émis  des  dou- 
tes sur  le  diagnostic  et  vont  attendre  l'épreuve  du  lapiu . 

Une  des  choses  les  plus  tristes  qui  ressort  du  tableau 
suivant  est  que  sur  S3  personnes  ayant  succombé  à  la 
rage,  2  seulement  avaient  été  cautérisées.  Il  est  constant 
que,  depuis  la  prétendue  découverte,  on  ne  cautérise  plus 
les  morsures  suspectes. 


—  394  — 

Individus  traités  au  laboratoire  Pasteur  pendant  Vannée  1886 


2 

SIÈGE 

DATE 

DATE 

— 

It 

NOMS 

AGE 

DES 

DES 

DU 

P 

morsures. 

morsures . 

traitement. 

1 

Videaii 

(Mathieu.) 

3  ans 

Arcade  sour- 
eilière. 

24  février. 

27  févr.— 7mars 

2 

Lagut 
(Elvina.) 

11  ans 

Lèvre    infé- 
rieure. 

18  mai. 

24  mai.— 2  juin. 

3 

Bouvier 
(Marius.) 

40  ans 

Main. 

avril. 

4 

Clédière 
(Emile.) 

21  mois 

Face  palm. 
et    deux 
doigts  de 
la    main 
droite. 

17  juin. 

21juin.— SOjuiu. 

5 

Peytel 
(Henri.) 

6  ans 

Annulaire  et 
médius  droit 

28  juin. 

SOjuin.— 9  juillet 

6 

Leduc 

(Zélie.) 

70  ans 

A  la  main. 

14  juillet. 

àul8au25juill. 

7 

Magnevon 
(Norbert.) 

18  ans 

A  la  main. 

25  juillet. 

du  1"  au  7  août. 

8 

Moermann 
(Alfred.) 

40  ans 

A  la  main. 

28  juin. 

du  11  au  21  août. 

9 

Cliristin 
d'Evian, 

12  ans 

Paupière 
supérieure. 

juin. 

du  lor  au  10  juin. 

10 

Moulis 
(André .  ) 

6  ans 

Avant-bras. 

31  juillet. 

6  août.—  12  août 

11 

Grand 
(Louis.) 

41  ans 

A  la  main. 

5  septembre. 

du  14  au  28  sept. 

12 

Duresset 
(Edouard.) 

A  la  jambe. 

août. 

septembre. 

—  395  — 

et  ayant  succombé  à  la  rage  après  le  traitement  Pasteur  {France). 


NATURE 

DU 

traitement. 


moelles  de  14 
à  6  jours. 

moelles  de  14 
à  5  jours. 


moelles  de  14 
à  4  jours. 


DATE 

DE  LA 

m  0  r  t . 


24  sept.  1886 

17  juin. 
21  juillet. 

17  août. 

16  juillet. 
lOseptemb. 

16  octobre. 

7  septemh. 

17  juillet. 


8  septemb. 
10  octobre, 
tin  septemb 


cs  1=: 
O  o 

Animal 

ayant 

mordu. 

non 

cluen 

non 

» 

non 

chat 

non 

cliien 

non 

» 

non 

» 

caut. 

» 

3j. 

après 

» 

non 

» 

caut. 

non 

» 

'i 

» 

OBSERVATIONS. 


Moi'surc  légère.  Incubation 
remarquablement  longue. 
Rage  convulsive.  200  jours 
d'incubation. 

Rage  convulsive  du  chien. 

Rage  convulsive.  Les  Pa.s- 
toriens  ont  prétendu  qu'il 
s'agissait  du  delirium  tre- 
mens.  Incubation  longue. 

Rage  convulsive  du  chien. 


Rage  convulsive  du  chien. 
Courte  incubation  de  18  jours 

Rage  convulsive.  Incuba- 
tion de  50  jours. 

Rage  convulsive.  81  jours 
d'incubation. 

Rage  convulsive. 

Le  laboratoire  dit  que 
l'enfant  est  mort  d'une  mé- 
ningite, mais  l'autopsie  faite 
à  l'hôpital  d'Evian  n'a  révélé 
aucune  lésion.  L'enfant  est 
mort  de  rage  furieuse  après 
la  morsure. 


Le    malade   a   été  soigné 
par  le  D''  Yot,  à  Versailles. 


396 


Individus  traités  au  laboratoire  Pasteur  pendant  Vannée  1886 


9 

SIÈGE 

DATE 

DATE 

èi  î; 

NOMS 

AGE 

DES 

DES 

DU 

'^  o 

%3 

morsures. 

morsures. 

traitement. 

13 

Astier 
(Justin) . 

2  ans 

Deux  joues. 

4  août. 

5  août.— 21  août 

14 

Janseu 
(Louis.) 

47  ans 

Jambes     et 
•  poignets. 

18  août. 

du   21   août   au 
3  septembre. 

15 

Clerjot 
(Eugène  ) 

27  ans 

Avant-bras . 

7  août. 

du  11  au  23  août. 

v:i6 

Sodini 

46  ans 

A  la  jambe. 

12  octobre. 

du21au31octob. 

1 

(Bernard .  ) 

fn 

Leteng 

59  ans 

Mordu     a  u 

3  novembre. 

du  8  au  20  no- 

fl 

(Etienne.) 

pied  recou- 

vembre. 

j- 

vert    d'un 

s 

chausson. 

^18 

Née 

42  ans 

Mordu  à   la 

21  novembre. 

du  17  au  26  no- 

^ 

(Léopold .  ) 

jambe  re- 

vembre. 

3 

couverte 

■a 

d'un  panta- 

OJ 

lon. 

^19  J 

Gérard 

28  ans 

A  la  main. 

1"  décembre. 

du   3  au  13  dé- 

:  ' 

(Amédé .  ) 

décembre. 

:;^2oi 

Réveillac 

25  ans 

A  la  main. 

g  i 

(Louis) 

|2lJ 

Rouyer 

12  ans 

A  la  main. 

20  octobre. 

25  octobre  au  5 

f 

(Arthur.) 

novembre. 

ce 

|.22, 

Goriot 

12  ans 

A  l'index. 

fin  décembre. 

• 

-  \ 

(PauL) 

Ainsi  il  est  bien  établi  que  22  des  individus 
qui  ont  été  inoculés  à  l'Ecole  normale  en  1886 
ont  succombé.  On  remarquera  que  les  sept  der- 
niers sont  morts  de  la  rage  paralytique  et  que 


—  397  — 

et  ayant  succombé  à  la  rage  après  letraitement  Pasteur  (France  Suite-j 


NATURE 

DU 

traitement. 


moelles  de  12 
à  5  jours. 


Nouveau  trait, 
indiqué  dans 
la  com.  du  2 
iiov.  1886. 


DATE 

DE    LA 

mort. 

u  O 

'S  ^ 
1^ 

Animal 

■=           ayant 

mordu. 

16  septemb . 

caut. 

31  décemb. 

non 

» 

24  octobre. 

non 

» 

24  novemb. 

non 

■B 

8  décembre. 

non 

3) 

17  décemb. 

non 

S 

3  janvier. 

non 
non 

» 

26  novemb. 

non 

S 

14  janvier. 

chat 

OBSERVATIONS. 


Rage  convulsive,  146  jours 
d'incubation. 


Rage  paralgtique.    Dou- 
leurs au  niveau  des  piqûres. 


Rage  paralytique.  Dou- 
leurs au  niveau  des  piqûres, 
non  à  la  morsure. 

Rage  paralytique.  Dou- 
leurs au  niveau  des  piqûres, 
rien  à  la  morsure. 


Rage  paralytique.  Dou- 
leurs au  niveau  des  piqûres, 
rien  à  la  morsure. 

Rage  paralytique.  Dou- 
leurs au  niveau  des  piqûres, 
rien  à  la  morsure. 

Rage  paralytique.  Dou- 
leurs au  niveau  des  piqûres, 
rien  à  la  morsure.  Ce  cas 
d'après  Brouardel  serait  de 
l'urémie. 

Ruge  pctralytique.  Dou- 
leurs au  niveau  des  piqûres. 


cette  mortalité  énorme  qui  porte  sur  deux  mois 
seulement  semble  être  la  conséquence  du  nou- 
veau traitement, 
Pour  avoir  le  chiffre  exact  des  individus  ayant 


—  398  — 

succombé  à  la  rage  pendant  l'année  1886  il  faut 
ajouter  à  ce  chiffre  celui  des  individus  ayant 
succombé  à  la  rage  sans  avoir  subi  le  traite- 
ment Pasteur. 

Ils  sont  au  nombre  de  17  : 


Nécrologie  de  la  rage  en  i886  sans  traitement 
Pasteur  [France.) 


NOMS   DKS  MALADES 


Un  enfant 

bagaz. 

Beau-père  de  Lagaz. 
Haremburc.. .... 

Une  femme 

Riffiondi 

Une  femme 

Jamin. ... 

Masson  (enfant) . . . . . 

Ruffiu 

Carpier 

Jules  L'hôte 

Un  enfant. 

Ganet  (MUe) 

Deux    malades    (D" 

Tueffard  et  Boucher) 

Briimeaux 


LOCALITES 


Couvent  de  l'Aima 

(Alger) 

Vovray(Hte-Saône) 

Amorates  (Basses- 
Pyrénées) 

Dauljeuf     (  Seine- 
Inférieure)  

Hôpital  Beaujon.. 

Vouiaucourt 
(Doubs) 

Sarthe 

Hôtel-Dieu  de  Mar- 
seille  

Hôtel-Dieu  de  Pa- 
ris .. .  

Vervins 

Morte   en  chemin 
de  fer  


Chavellois  (Aisne) 


DATE 
DE    LA     MORT 


Janvier     1886 
Janvier     1886 


Janvier  21  ■ 

Août 
Février 

Juin 
Août 

Juin 

Août 
Septembre  ■ 

Août 


Décembre  — 


—  390  — 

Nous  avons  donc  pour  l'année  188G  : 

22  décès  après  l'application  de  la  méthode  Pas- 
teur. 

17  décès  sans  l'application  de  la  méthode  Pas- 
teur, 

Total  39  DÉCÈS.  La  moyenne  annuelle  des 
décès  pour  la  France  étant  de  30,  d'après  Tar- 
dieu  et  Brouardel,  il  y  a  donc  pendant  l'an- 
née 188Ô  où  la  méthode  a  été  appliquée,  neuf 
décès  de  plus  que  les  années  précédentes  ! 

Voilà,  Messieurs  les  Pastoriens,  ce  qu'a  pro- 
duit votre  méthode  ! 

Tout  ce  que  nous  venons  de  dire  se  rapporte  à 
la  France  où  nous  sommes  à  même  de  contrô- 
ler les  faits.  Voyons  maintenant  ce  que  la  triste 
méthode  des  inoculations  a  produit  sur  les  étran- 
gers à  qui  vous  faisiez  subir  les  fatigues  d'un 
long  voyage  et  dont  plusieurs  succombaient  en 
route  quelques  jours  après  avoir  quitté  votre  la- 
boratoire. 

NOMS  DES  PERSONNES  ÉTRANGÈRES  MORTES  DE   LA 
RAGE  APRÈS  LE  TRAITEMENT. 

Observations  résumées. 

IvANow^  (femme  russe,  60  ans).  Mordue  le 
21  mars,  au  front  et  aux  mains,  (blessures  mul- 
tiples sur  les  mains),  par  unchieil,  21  plaies  eau- 


—  400  — 

térisées  par  un  agent  chimique  (?),  on  ne  sait  à 
quel  moment.  Mise  en  traitement  le  5  avril, 
c'est-à-dire  15  jours  après.  Traitée  du  5  avril  au 

20  avril.  Premier  symptômes  de  rage  le  20  avril. 
Morte  le  22  avril. 

Gagou  (Roumain.  40  ans).  Mordu  le  11  mai  au 
sourcil  gauche,  par  un  chien,  cautérisé  12  heu- 
res et  demie  après  à  l'acide  phénique.  Mis  en 
traitement  le  25  mai,  c'est-à-dire  14  jours  après 
la  morsure.  Traité  du  25  mai  au4juin.  Premiers 
symptômes  rabiques  le  4  juin  au  soir.  Mort  le  6 
juin.  5  îiutres  personnes  mordues  enmême  temps 
et  traitées  sont  en  bonne  santé. 

ZoroFF  (Russe,  8  ans).  Mordu  par  un  cbien  le 
16  mai  à  la  lèvre  supérieure  (2  dents  ont  été  en- 
levées), et  à  la  joue  droite.  Cautérisé  2  heures 
après  au  thermo-cautère.  Mis  en  traitement  le 
25  mai,  c'est-à-dire  10  jours  après  la  morsure. 
Traité  du  25  mai  au  1""  juin.  Pris  de  la  rage  le 

21  juin,  20  jours  après  la  fin  du  traitement.  (TA- 
BLEAU B,) 

Mjasnikoff  (Russe,  8  ans).  Mordu  en  même 
temps  que  le  précédent  à  la  joue  droite  et  au 
bras  droit,  cautérisé  au  thermo-cautère  2  heures 
après.  Mis  en  traitement  du  26  mai  au  1"  juin. 
Pris  de  rage  le  25  juin,  25  jours  après  le  traite- 
ment. (En  même  temps  que  ces  deux  enfanls, 


—  401  — 
5  autres  enfants  mordus  par  le  même  chien  ont 
été  traités  et  vont  bien.) 

GiinzA  (Roumain,  7  ans).  Mordu  par  un  chien 
le  10  juin  au  bras  droit  de  chaque  côté  du  biceps, 
12  morsures  profondes,  et  à  l'épaule  droite  une 
morsure  plus  légère,  cautérisé  au  fer  rouge  6 
heures  après.  Mis  en  traitement  le  25  juin,  15 
jours  après  la  morsure.  Traité  du  25  juin  au  4 
juillet.  Pris  de  rage  le  16  juillet,  12  jours  après 
le  traitement.  IMort  le  19  juillet. 

Leendet  (Hollandais,  13  ans).  Mordu  sur  le 
dos  de  la  main  droite  par  un  chat,  cautérisé  par 
un  médecin,  on  ne  peut  a\^oir  d'autres  détails. 
Mis  en  traitement  du  25  juin  au  29  juin.  Pris  de 
rage  le  5  août,  40  jours  après  la  fm  du  traite- 
ment. 

NiKiFOROFF  (Russe,  17  ans).  Mordu  le  5  juin 
au  pouce  droit  par  un  chien.  Mis  en  traitement 
le  5  juillet,  un  mois  après  la  morsure,  traité  du 
5  au  12  juillet.  Pris  de  rage  le  2  août,  21  jours 
après  le  traitement.  Mort  le  5  août. 

GuARDiA  RiBÈs  (Espagnol  de  Reuss,  14  ans)- 
Mordu  par  un  chien  le  3  juillet  à  la  main  droite, 
2  morsures.  Les  plaies  sont  sucées,  lavées  avec 
du  rhum.  Mis  en  traitement  le  9  juillet,  traité 
du  9  au  17  juillet".  Pris  de  rage  le  15  août,  17 
jours  après  le  traitement. 

PiTA  (Espagnole, 70  ans.)  Mordue  le  15  juillet. 

23. 


—  402  — 

par  un  chien,  à  la  main  gauche,  2  morsures. 
Aucun  traitement.  Mise  en  traitement  ie  8  juil- 
let, traitée  du  28  juillet  au  4;aoùt.  Prise  de  rage 
le  12  août,  Sjours  après  la  fm  du  traitement. 

Requejo  (Espagnol,  30  ans).  Mordu  le  17  juil- 
let par  un  chien  à  la  main  gauche  et  avant-bras 
droit,  plusieurs  fortes  morsures.  Mis  en  traite- 
ment le  20  août,  34  jours  après  la  morsure,  trai- 
té du  20  au  28  août.  Pris  de  rage  le  4  septem- 
bre, 7  jours  après  la  fin  du  traitement. 

Bergui  (Italien,  10  ans).  Mordu  le  23juin 
main  droite  et  main  gauche,  par  un  chien,  cau- 
térisé une  heure  après  au  fer  rouge,  dans  une 
morsure,  et  au  nitrate  d'argent  pour  les  autres, 
mis  en  traitement  le  28  juin  jusqu'au  8  juillet. 
Pris  de  rage  le  12  septembre,  66  jours  après  la 
morsure. 

CoLLiNGE  (Anglais,  9  ans).  Mordu  le  8  juillet 
par  un  chien  à  la  lèvre  supérieure  et  à  la  lèvre 
inférieure,  sur  la  muqueuse,  2  fortes  morsures. 
Cautérisé  au  nitrate  d'argent  3  heures  après. 
Traité  du  17  juillet  au  28  juillet.  Pris  de  la  rage 
le  16  août,  21  jours  après  le  traitement. 

Smith  dit  Goffi  (Anglais,  36  ans).  Mordu  ie 
4  septembre  par  un  chat,  à  la  main  gauche,  5 
morsures.  Plaie  lavée,  puis  cautérisée  au  phénol 
10  minutes  après,  les  blessures  ont  été  excisées 
plusieurs  heures  après.  Traité   du  5  septembre 


--  403  — 

au  30  septembre  avec  des   poses  dans  le  traite- 
ment. Pris  de  rage. 

Nous  ne  reproduisons  pas  les  chiffres  qui  nous 
sont  transmis  sur  la  mortalité  de  la  rage  par  le 
traitement  Pasteur  pratiqué  à  l'étranger  et  no- 
tamment en  Russie.  Nous  n'avons  pas  pour  cela 
des  données  assez  précises  et  nous  n'avons  ac- 
cepté dans  ce  chapitre  que  les  chiffres  précis  et 
indiscutables  qui  nous  ont  été  transmis  par  le 
laboratoire  lui-même. 

RÉSUMÉ 

Le  nombre  des  individus  ayant  succombé 
après  le  traitement  Pasteur,  se  décompose  donc 
ainsi  : 

FRANCE. 

En  1885 2J 

En  1886  (Voyez  le  tableau).   .     22  [Total. . .     28 
En  1887  (Janvier) 4  ) 

ÉTRANGER. 

Chiffre  accepté  au  laboratoire 15 

Total 43 

Sur  ce  nombre,  11  ont  succombé  à  la  rage  pa- 
ralytique fVoyez  obs.  détaillées  plus  haut). 

Ce  chiffre  de  43  ne  comprend  pas  les  nombreux 
individus  qui  ont  succombé  à  la  suite  du  traite- 
ment appliqué  à  l'étranger,  en  présentant  éga- 


—  404  -  • 

lement  les  symptômes  de  la  rage  paralytique 
(Varsovie,  Odessa,  etc.) 

CONCLUSIONS. 

Nous  ne  pouvons  que  reproduire  les  terribles 
conclusions  formulées  par  M.  Peter  devant  l'A- 
cadémie de  médecine  (séance  du  ISjanvier  1886). 

<  Eh  bien  !  la  mortalité  par  la  rage  de  plus  en 
plus  fréquente  dans  ces  deux  derniers  mois,  la 
forme  singulièredesaccidents  auxquels  succom- 
bent les  inoculés  m'ont  conduit  à  signaler  ces 
faits  sur  lesquels  je  crois  devoir  appeler  l'atten- 
tion. 

Ainsi  la  médication  antirabique  subit  un  dou- 
ble échec  :  celui  de  l'expérience  sur  l'homme  et 
celui  de  l'expérimentation  sur  les  animaux. 

Il  ne  reste  plus  qu'à  conclure. 

1°  La  mortalité  annuelle  par  la  rage  en  France 
a-t-elle  diminuée  en  1883  par  la  médication  an- 
tirabique primitive  ?  —  Non. 

2"  Cette  mortalité  tend-elle  à  augmenter  avec 
la  médication  rabique intensive  ?  —  Oui. 

Où  donc  est  le  bienfait  ?  » 


APPENDICE 


A  COTÉ  DU  SAVANT,   L'HOMME    DÉSINTÉRESSE. 

Nous  avons  déjà  exposé  dans  la  Préface  quelques- 
unes  des  considérations  qui  nous  obligent,  après  avoir 
consacré  un  volume  au  savant,  à  consacrer  quelques 
lignes  à  l'homme. 

Avant  cette  malheureuse  affaire  de  la  rage  qui  a 
été  pour  notre  chimiste  le  signal  d'une  chute  terri- 
ble, le  point  de  départ  d'une  véritable  catastrophe, 
les  découvertes  de  M.  Pasteur,  les  services  que 
M.  Pasteur  avait  rendus  à  l'agriculture  et  à  l'indus- 
trie, le  désintéressement  de  M, Pasteur  étaient  pas- 
sés à  l'état  de  dogme  indiscutable. 

Seuls  quelques  rares  esprits  d'élite  avaient  pu  se 
garer  de  l'engouement  et  gémissaient    en   silence. 

La  lettre  suivante,  écrite  par  M.  de  Saint- Valher, 
sénateur  et  ambassadeur  de  la  République  Française 
en  Allemagne,  adressée  à  M.  Ghavée-Leroy,  montre 
quel  était  alors  l'état  des  esprits  indépendants  : 

le'  juillet  1883. 
...  Je  crois  que  vos  observations    sont    dictées  par 
votre  sage  et  exacte  connaissance  des   choses  et  des 
faits,  par  votre  expérience  et  qu'elles  ont  l'autorité  - 

23* 


—  406  — 

du  bon  sens  et  de  la  pratique  ;  mais  les  assemblées 
et  les  gouvernements  subissent,  comme  les  popula- 
tions, des  courants  d'engouement,  et  c'est  le  cas  en 
ce  moment  pour  ce  qui  concerne  M.  Pasteur  et  ses 
découvertes;  on  se  briserait,  on  s'exposerait  à  des  re- 
proches violents,  à  des  huées,  si  l'on  voulait  s'oppo- 
ser, au  Sénat  comme  à  la  Chambre,  au  projet  de  loi 
accordant  une  pension  de  25,000  francs;  ses  services 
à  l'agriculture,  ses  découvertes,  sont  à  l'état  de  dog- 
me indiscutable  pour  la  plupart  des  membres  des 
assemblées,  et  s'il  y  a  quelques  membres  qui  ne  par- 
tagent pas  l'enthousiasme  admiratif  général,  ils  ne 
peuvent  que  s'abstenir  et  garder  le  silence. 

Par  le  triste  temps  où  nous  vivons,  avec  les  faux 
savants  à  bruyante  trompette, de  l'espècede  Pasteur, 
ce  ne  sont  ni  les  sages,  ni  les  modérés,  ni  les  hom- 
mes pratiques  que  l'on  écoute.  La  faveur  est  à  ceux 
qui  cherchent  les  sensations  et  font  la  plus  bruyante 
parade.  Tous  histrions  de  foire,  s'embrassant  pour 
se  décerner  mutuellement,  dans  les  journaux  amis 
et  complices,  l'encens  de  la  célébrité.  » 

Cette  lettre,  empreinte  d'une  profonde  tristesse, 
nous  représente  quelle  était  l'opinion  des  hommes 
sensés  sur  M.  Pasteur  dont  les  réclames  intéressées 
fatiguaient  depuis  longtemps  les  oreilles. 

Mais  la  question  de  la  rage  est  venue  rappeler  l'at- 
tention sur  le  merveilleux  savant.  C'est  alors  que  la 
réclame  organisée  par  M.  Vallery-Radot  ne  connut 


—  407  — 

plus  de  bornes  et  qu'on  vit  de  nouveau  apparaître 
les  clichés  : 

M.  Pasteur  le  savait  désintéressé. 

M.  Pasteur  qid  a  rendu  la.  joie  et  la  fortune  aux 
départements  du  midi 

M.  Pasteur,  etc.,  etc. 

On  sait  le  reste. 

Eh  bien  !  il  nous  a  paru  bon,  utile  et  sain  de  pla- 
cer sous  les  yeux  de  nos  lecteurs  quelques  documents 
de  nature  à  les  éclairer  sur  le  désintéressement  de 
M.  Pasteur  et  sur  la  valeur  réelle  de  ses  prétendues 
découvertes.  Nous  aurions  voulu  nous  borner  à  trai- 
ter dans  cet  ouvrage  la  seule  question  scientitîque, 
mais  l'attitude  imprudente  prise  par  M.  Pasteur  et 
ses  acolytes  dès  le  début  de  cette  campagne  où  il 
s'est  posé  en  maître  indiscutable  et  infaillible,  nous 
a  obligé  à  nous  livrer  à  une  étude  approfondie  de  la 
personne  et  de  l'œuvre  tout  entière  de  ce  nouveau 
génie. 

Les  documents  que  nous  publions  et  qui  seront 
certainement  utilisés  par  ceux  qui  écriront  plus  tard 
riiistoire  scientifique  du  XIX«  siècle  sont  de  la  plus 
scrupuleuse  authenticité.  Nous  les  synthétiserons 
autant  que  possible. 

i   I.  —  M.   PASTEUR   SAVANT    DÉSINTÉRESSÉ. 

L'étude  attentive  des  travaux  publiés  par  AL  Pas- 
teur pendant  ces  vingt  dernières  années  nous  mon- 
tre que  ces  travaux  ont  toujours  eu  pour  but  la  re- 


—  408  — 

cherche  de  la  fortune  ou  d'un  procédé  capable  de  la 
conquérir  rapidement.  A  peine  M.  Pasteur  croyait-il 
avoir  fait  une  découverte  qu'il  s'empressait  d'en 
monopoliser  le  profit  par  un  brevet. 

Nous  ne  critiquons  pas  cette  manière  d'agir  qui  est 
celle  d'un  homme  qui  cherche  à  s'enrichir,  mais  nous 
faisons  simplement  remarquer  qu'elle  est  absolu- 
ment en  contraste  avec  les  habitudes  habituellement 
en  honneur  dans  les  sciences  médicales.  Tout  méde- 
cin qui  fait  une  découverte  utile  à  l'humanité  s'em- 
presse de  la  rendre  publique  et  non  de  la  monopo- 
liser à  son  profit. 

Avant  d'exposer  les  brevets  pris  par  M.  Pasteur 
pour  se  réserver  le  profit  de  découvertes  qui,  hélas  ! 
n'avaient  aucune  importance,  nous  allons  examiner 
dans  quelles  circonstances  M.  Pasteur  s'est  fait  al- 
louer une  pension  de  25.000  fr.  de  rente  réversible  à 
sa  veuve  et  à  ses  enfants. 

II.   —   LA  PENSION  DE   25,000  FR. 

Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  se  rendre  compte  de 
la  situation  de  fortune  de  M.  Pasteur  au  moment  où 
il  sollicitait  cette  pension  de  25,000  fr. 

Il  ne  nous  appartient  pas,  cela  va  sans  dire,  de 
parler  de  la  fortune  de  M.  Pasteur,  nous  n'avons  à 
nous  occuper  que  des  sommes  qui  lui  étaient  four- 
nies annuellement  par  le  Trésor  et  dont  le  con- 
trôle appartient  à  tout  citoyen. 

Les  revenus  de  M.  Pasteur  consistaient  en  1883  en  : 


—  409  — 

Pension  nationale 12.000 

Subvention  annuelle  pour  son  la- 
boratoire      40.000 

Traitement  de  l'Ecole  normale,  lo- 
gement, chauffage,  éclairage,  etc.    20.000 

Traitement  de  l'Institut,  jetons  de 
présence  au  comité  d'iiygiène,  à 
l'Académie,  etc 3.000 

Produit  de  la  vente  des  tubes  à  vac- 

.  cin  (d'après  l'estimation  de  M. 
Pasteur  lui-même) 100.000 

Total...     175.500 

Ainsi,  voilà  un  homme  qui,  outre  son  revenu  per- 
sonnel, se  fait  un  traitement  de  175.000  fr.  Quelle  que 
soit  la  valeur  du  savant,  on  conviendra  que  la  pré- 
bende était  bonne  et  que  beaucoup  s'en  seraient  con- 
tentés. 

Mais  M.  Pasteur  veut  encore  de  l'argent.  Pensant 
que  le  revenu  provenant  de  la  vente  des  tubes  à  vac- 
cin n'aurait  qu'un  temps  il  veut  s'assurer  un  revenu 
plus  sûr  pour  lui  et  les  siens. 

Voici  comment  il  s'y  prit. 

M.  Pasteur  savait  que  M.  Paul  Bert,  membre  de  la 
commission  du  budget,  était  tout-puissant  auprès  du 
Gouvernement.  Il  savait  aussi  que  M.  Paul  Bert  dési- 
rait vivement  entrer  à  l'Institut. 

Or  l'Institut,  corps  bien  pensant,  ne  voulait  à  au- 
cun prix  accepter  dans  son  sein  un  homme  aussi 
compromis  que  Paul  Bert,  qui  affichait  partout  ses 
opinions  révolutionnaires  et  athées,  qui  avait  dit  en 


—  410  — 

pleine  assemblée  que  la  France  était  envahie  par  le 
phylloxéra  clérical. 

Voici  ce  qui  advint.  Je  tiens  les  faits  comme  abso- 
lument exacts  ;  ils  m'ont  été  aftirmés  par  Paul  Bert 
lai-même. 

Pasteur,  qui  était  tout-puissantà  l'Institut,  s'en  fut 
trouver  Paul  Bert  et  lui  dit  :  «  L'Académie  des 
sciences  doit  procéder  prochainement  à  une  élection  ; 
c'est  Davaine  qui  est  désigné,  mais  j'ai  assez  d'in- 
fluence sur  ce  corps  savant,  pour  vous  faire  nommer. 
Je  le  ferai  à  une  condition,  c'est  que  vous  fassiez  ac- 
cepter par  la  commission  du  budget  ma  commission 
de  25,000  fr,  » 

4  Marché  conclu  »,  répond  Paul  Bert.  Et,  en  effet, 
Paul  Bert  entra  à  l'Institut  à  une  voix  de.  majorité, 
contre  ce  pauvre  Davaine  qui  en  mourut  de  chagrin. 

Ceux  qui  savent  que  Davaine  a  été  le  maître  et  le 
précurseur  de  Pasteur,  qu'il  a  été  son  ami  et  son 
bienfaiteur,  seront  surpris  de  cet  acte  d'ingratitude. 

Mais  Paul  Bert  a  tenu  sa  promesse  et  la  pension  de 
25,000  fr.  a  été  votée.  Le  vote  a  été  escamoté,  afin  d'é- 
viter la  divulgation  à  la  tribune  de  certains  docu- 
ments que  M.  Michou  avait  préparés  pour  démon- 
trer que  M.  Pasteur  tirait  un  immense  profit  de  la 
vente  de  ses  tubes  à  charbon.  Ces  documents,  qui 
prouvent  également  le  désintéressement  de  M.  Pas- 
teur, n'ayant  pas  été  portés  à  la  tribune,  nous  devons 
les  publier  ici.  Ils  nous  ont  été  remis  par  M.  le  D"" 
Michou,  député  de  l'Aube. 


—  411  — 

III.  —  LA  VENTE  DES  TUBES  A  CHARBON. 

Aussitôt  qu'il  ei!it  fait  ses  retentissantes  communi- 
cations à  l'Académie  des  sciences  sur  la  prétendue 
valeur  de  ses  vaccins  charbonneux,  M.  Pasteuri son- 
gea à  en  tirer  le  meilleur  parti  possible. 

Il  organisa  donc  immédiatement  à  Paris,  22,  rue 
Vauquelin,  une  sorte  d'usine,  de  dépôt  pour  la  vente 
de  ses  vaccins.  Afin  d'éviter  les  critiques  que  n'eût 
pas  manqué  de  soulever  le  côté  marchand  de  cette 
affaire,  il  choisit  comme  prête-nom  un  certain  M. 
Boutroux.  » 

Ce  M.  Boutroux,  qui  est  le  gérant  du  célèbre  chi- 
miste, est  le  beau-frère  du  fils  de  M.  Pasteur,  aujour- 
d'hui attaché  d'ambassade  à  Rome. 

Les  affaires  marchèrent  à  souhait.  Pendant  un 
temps  il  exista  chez  les  vétérinaires  un  véritable  en- 
gouement pour  les  vaccins  charbonneux.  Les  maires 
des  communes  rurales  étaient  accablés  de  prospec- 
tus, circulaires,  etc.,  vantant  les  avantages  de  la 
nouvelle  vaccine,  le  bon  marché  des  tubes,  etc.  D'a- 
près un  compte  estimatif  établi  par  M.  Pasteur  lui- 
même,  Iors([u'il  a  cherché  à  vendre  ses  brevets,  le 
produit  (les  tubes  à  vaccin  était  le  suivant  : 

On  vend  en  moyenne  5,000  doubles  doses  par  joUr 
à  10  centimes,  soit  francs  500  par  jour  ou  francs 
180,000  par  an.  Défalquez  de  cette  somme  appointe- 
ments à  ses  trois  collaborateurs. . . .  francs  29,000 

à  M.  Boutroux —       5.000 

dépenses  réelles  pour  double  dose,  1  centime,  soit 


—  412     • 

par  5,000  doubles  doses  50  francs  par  jour  (ce  qui 
est  exagéré)  ou  18,000  par  au.  Total  des  dépen- 
ses 52,000,  bénéfice  net  128.000  par  an,  car  son  appar- 
tement et  ses  laboratoires  sont  fournis  gratis  par  la 
ville  et  le  gouvernement. 

Mais  il  était  facile  de  prévoir  que  l'engouement  des 
vétérinaires  pour  le  vaccin  charbonneux  ne  pouvait 
durer  éternellement.  M.  Pasteur  était  trop  habile 
pour  ne  pas  se  préoccuper  de  Favenir. 

Aussi  chercha-t-il  Tcccasion  de  vendre  sa  décou- 
verte. Un  agent  d'affaires,  nommé  Kuntz,  entra  aussi- 
tôt en  campagne  et  s'aboucha  avec  des  banquiers. 

Les  premiers  pourparlers  euren  t  lieu  avec  la  mai- 
son Cordier,  toujours  par  l'intermédiaire  de  Kuntz. 
Lors  du  vote  de  la  pension  de  25,000  francs  à  la  Cham- 
bre, ]\1.  Michou,  député  de  l'Aube,  demanda,  sans 
pouvoir  l'obtenir,  rajournement  de  la  discussion, 
alin  d'examiner  diverses  lettres  dans  lesquelles  M. 
Pasteur  demandait  un  million  pour  livrer  le  secret 
de  son  vaccin  charbonneux.  M.  ù\licliou  montra  néan- 
moins, séance  tenante,  ces  lettres  à  M.  Paul  Bert  qui 
répondit  :  «  Je  connais  ça,  je  vais  l'expUquer.  Des 
propositions  ont  été  faites  à  M.  Pasteur  qui  les  a 
noblement  refusées,  disant  qu'ayant  une  pension  de 
l'Etat,  ses  travaux  ajipartiennent  à  l'Etat.  » 

Or,  ce  que  le  futur  vice-roi  du  Tonkin  avançait 
ainsi  était  précisément  tout  le  contraire  de  la  vérité, 
comme  on  va  le  voir.  Ces  lettres,  qui  n'ont  jamais 
été  publiées  que  nous  sachions,  nous  allons  les  re- 
produire textuellement,  telles  qu'elles  nous  ont  été 
remises  par  l'honorable  député  de  l'Aube.  Il  est  bon 


—  418  - 

de   faire  remarquer  cju'elles  étaient  adressées  à  l'a- 
gent d'affaires  allemand  Kuntz. 

La  première,  datée  de  Paris,  20  mai  1882,  est  ainsi 
conçue  : 

«  Monsieur,  sauf  revision  par  un  homme  d'atFaires, 
je  suis  disposé  à  accepter  votre  projet  de  traité  aux 
clauses  suivantes  :  Somme  fixe  à  payer  le  jour  du 
contrat:  un  million  de  Jrancs.  Part  dans  les  bénéfi- 
ces nets.  30  0/0.  Le  maximum  des  demandes  de  vac- 
cin sera  de  20,000  tètes  d'animaux  pendant  10  mois 
de  l'année:  de  10,000  pendant  les  deux  autres  mois. 
C'est  un  maximum  de  6,600,000  têtes  par  an,  qui,  au 
prix  actuel,  (10  c.  par  tête  de  mouton  ;  20  c.  par  bœuf 
ou  vache)  pour  la  France,  représenterait  un  bénéfice 
net  déplus  de  600,000  fr.  —  Signé  :  L.  Pasteur. 

—  «  Un  des  savants  russes  qui  m'ont  été  adressés 
par  le  Ministre  de  la  Maison  de  l'Empereur,  m'a 
appris  ce  matin  qu'un  propriétaire  de  800,000  têtes 
de  moutons  avait  perdu  100,000  têtes  en  1878.  » 
Signé  :  Pasteur. 

Voici  une  autre  lettre,  datée  du  16  juin  : 
«  Je  reçois  votre  lettre  au  moment  où  je  suis  obligé 
de  sortir,  sans  avoir  le  temps  de  vous  attendre.  D'ail- 
leurs, je  vous  prie  de  considérer  qu'il  me  serait  im- 
possible de  donner  une  signature  avant  d'être  en 
présence  d'une  société  constituée.  D'autre  part,  ainsi 
que  je  vous  l'ai  dit,  il  faut  que  je  consulte  un  homme 
d'affaires  avant  de  rien  conclure  par  ma  signature 

24. 


—  414  — 

"donnée.  Je  suis  trop  ignorant  des  affaires  de  négoce 
et  de  commerce  pour  m'avenlurer  livré  à  mes  pro- 
pres inspirations.  Ce  qui  importe,  c'est  que  nous 
soyons  d'accord  sur  les  bases  ;  mais,  pour  le  reste,  je 
dois  m'en  rapporter  à  une  personne  compétente. 

Veuillez  agréer,  Monsieur,  l'assurance  de  mes 
sentiments  très  distingués.  Signé'.  Pastexir. 

Je  serai  chez  moi  ce  soir  à  5  h. 

Enfin,  voici  une  autre  lettre  adressée  au  même 
agent,  et  datée  du  10  octobre  suivant  ;  elle  est  plus 
laconique,  mais  non  moins  significative. 

ce  Monsieur,  après  avoir  pris  l'avis  de  mon  cher  et 
vénéré  maître  (il  s'agit  de  J.-B.  Dumas),  j'accepte 
avec  reconnaissance  pour  ma  femme,  mon  fils  et  ma 
fille.  Veuillez  agréer.  Monsieur  l'assurance  de  mes 
sentiments  très  distingués.  Signé  :  Pasteur.  » 

Nous  reproduisons  maintenant  le  projet  de  traité 
avec  la  maison  Cordier,  rédigé  par  les  soins  de  M. 
Josseau,  ancien  député,  demeurant  7,  rue  de  Sures- 
nes,  ami  et  avocat  de  M,  Pasteur.  Cet  avant-projet  a 
été  signé  par  MM.  Cordier  et  Pasteur,  devant  MM. 
Josseau  et  Seman,  le  27  octobre  1882. 

Article  premier,  —  Une  somme  de  1  million  de 
francs  sera  payée  à  M.  Pasteur  en  espèces  ou  en 
billets  delà  Banque  de  France,  le  jour  même  delà 
signature  de  l'acte  de  la  Société. 


—  415  — 

ARTICLE  DEUXIÈME,  —  UiiG  remisG  de  5  %  lui  sera 
allouée  et  en  cas  de  décès  sera  allouée  à  sa  veuve 
ou  à  ses  descendants  pendant  la  durée  de  la  Société, 

ARTICLE  TROISIÈME.—  M.  Pastcur  86  réscrve  la  four- 
niture du  vaccin  aux  vétérinaires  français  pour  leurs 
besoins  locaux. 

Il  fait  la  même  réserve  pour  les  colonies  françaises; 

ARTICLE  QUATRIÈME.—  La  société  prendra  le  nom  de 
Société  ou  Compagnie  générale  pour  l'exploitation 
du  vaccin  Pasteur,  ou  toute  autre  dénomination  à 
adopter  d'un  commun  accord. 

ARTICLE  CINQUIÈME.  —  M.  Pastcur  s'eugagG  à  four- 
nir du  vaccin  en  telle  quantité  qu'exigera  la  vente 
dès  que  la  fabrique  sera  construite,  mais  jusque-là, 
jusqu'à  concurrence  de  10,000  doses  par  jour. 

ARTICLE  SIXIÈME.  —  M.  PastGur  s'eugagG  à  rester  â 
la  tête  de  la  fabrication  pendant  toute  la  durée  de  la 
Société  (sans  aucune  rémunération  ni  appointe- 
ments), lia  fait  prendre  le  même  engagement  à  ses 
collaborateurs,  choisis  et  formés  par  lui  et  qui  seront 
rémunérés  de  ses  deniers  personnels. 

ARTICLE  SEPTIÈME.  —  M.  Pastcur  prend  en  outre 
l'engagement  de  ne  jamais  fabriquer  ni  vendre  du 
vaccin  que  pour  le  compte  de  la  Société  (sauf  l'ex- 
ception art  3.) 

En  conséquence,  toute  demande  qui  lui  arrivera 
directement  sera  transmise  par  lui  à  la  Société  et 
exécutée  pour  le  compte  de  la  dite  Société. 

ARTICLE  HUITIÈME.  -—  M.  Pasteur  s'engage  à  rédiger 


—  416  — 

ou  corriger  toutes  les  notices,  prospectus,  annonces 
etc.,  que  la  Société  croira  devoir  publier. 

ARTICLE  NEUTiÈME. —  M.  Pastcur  livrera  Ic  vaccin  à 
la  Société  au  prix  de  0.05  centimes  la  double  dose 
pour  les  petits  animaux. 

0.10  centimes  la  double  dose  pour  les  gros  ani- 
maux. 

ARTICLE  DIXIÈME.  —  La  Société  ne  pourra  vendre 
d'autre  vaccin  charbonneux  que  celui  de  M.  Pasteur. 

ARTICLE  ONZIÈME.  —  La  Société  devra  construire 
une  fabrique  à  Paris,  fde  préférence  rue  Vauquelin) 
Elle  ne  pourra  être  affectée  à  un  autre  usage. 

ARTiciE  DOUZIÈME. —  Toutc  amélioratiou  relative  au 
vaccin  sera  acquise  de  plein  droit  à  la  Société  qui 
aura,  en  outre,  la  préférence,  à  prix  égal,  pour  tout 
traité  à  intervenir,  qui  pourrait  être  la  conséquence 
de  découvertes  nouvelles  au  sujet  des  maladies  con- 
tagieuses des  animaux. 

ARTICLE  TREIZIÈME.  —  Lors  dc  la  constitution,  les 
présentes  seront  réalisées  par  acte  sous  seing  privé  ou 
authentique  aux  frais  de  la  Société. 

ARTICLE  QUATORZIÈME.  —  La  sommc  dc  1  million, 
ci-dessus  stipulée,  sera  payée  à  M.  Pasteur  le  jour 
de  la  signature  de  Lacté  de  Société.  —  Il  est  bien 
entendu  que  cette  somme  ne  devra  être  réduite  sous 
aucun  prétexte,  et  ne  devra  subir  aucune  diminution 
à  raison  des  frais  d'émission,  de  constitution,  ho- 
noraires, commissions,  prélèvements,  etc.,  etc.,  pour 


—  417   - 

lesquels  M.         fera  tels  arrangements  ou  telles  sti- 
pulations qu'il  lui  plaira  de  faire  avec  les  capitalistes. 


Ainsi  il  est  donc  établi  que,  contrairement  aux  as- 
sertions de  M.  Paul  Bert,  M.  Pasteur  avait  sol- 
licité et  accepté  de  vendre  son  vaccin  charbonneux, 
en  faisant  miroiter  personnellement,  devant  les  yeux 
de  l'acquéreur,  600,000  fr.  de  bénéfices  annuels.  Ce 
n'est  que  par  suite  de  difficultés  survenues  au  der- 
nier moment  qu'il  a  dû  renoncer  à  cette  affaire,  les 
intéressés  n'ayant  pu  se  procurer  la  somme  au  mo- 
ment voulu  et  la  diminution  de  la  vente  des  vaccins 
charbonneux  ayant  diminué  la  valeur  matérielle  de 
la  célèbre  découverte. 


IV.  —  LE  FILTRE  CHAMBERLAND-PASTEUR . 

Nous  voyons  chaque  jour  annoncer  dans  les  jour- 
naux un  célèbre  filtre  système  Pasteur. 

Ce  n'est  point  ici  le  lieu  de  discuter  la  valeur  de  ce 
filtre;  mais  ce  qui  est  certain,  c'est  que  MM.  Pasteur 
et  Chamberland  ont  passé  un  traité  avec  la  maison 
Hermaiin-Lachapelle  pour  l'exploitation  de  cet  ins- 
trument. 

Un  certain  nombre  d'industriels  ayant  également 
vendu  des  filtres  semblables  et  ayant  déclaré  qu'ils 
étaient  construits  d'après  les  principes  de  M.  Pasteur, 
le  pauvre  savant  entra  dans  une  vive  colère  et  écri- 


—  418  — 

vit  à  MM.  Hermann-Laçhapelle  la  lettre  suivante  qui 
fut  habilement  exploitée  pour  la  vente  du  filtre  Cliam- 
fcerland-Pasteur  : 

Paris,  le  l^mars  1886. 
Monsieur, 

Par  votre  lettre  en  date  du  26  février  1886,  vous  me 
demandez  si  j'ai  autorisé  de  vendre,  avec  mention  de 
mon  nom  sur  des  affiches  ou  prospectus,  des  filtres 
autres  que  celui  de  M.  Chamberland. 

Je  n'ai  point  donné  cette  autorisation  et  c'est  tout 
à  fait  à  mon  insu  et  contre  mon  gré  que  cette  usur- 
pation de  mon  nom  a  pu  avoir  lieu. 

Pour  le  filtre  de  M.  Chamberland,  filtre  imaginé 
par  moi  et  éprouvé  dans  mon  laboratoire,  récom- 
pensé d'un  des  prix  de  l'Académie  des  Sciences  et 
dont  je  connais  toute  la  valeur  scientifique  et  hygié- 
nique c'est  au  contraire  d'une  manière  voulue  et  re- 
fléchie que  jai  autorisé  M.  Chamberland  à  ajouter 
aux  mots '.Filtre  Chamberland,  ceux-ci:  Système 
Pasteur. 

Recevez,  Monsieur,  l'assurance  de  ma  considération 
très  distinguée.  Signé  :  L.  Pasteur. 


V.  —   LA    VACCINATION    CHARBONNEUSE. 

Nous  avons  vu  les  avantages  matériels  que  M.  Pas- 
teur avait  tirés  de  cette  découverte.  Nous  allons 
maintenant  dire  C[uelques  mots  de  la  découverte  elle- 
même  et  de  ses  résultats. 


—  419  — 

M.  Pasteur  isole  la  bactéridie  charbonneuse,  la 
cultive  à  part,  atténue  sa  virulence,  et  l'inocule  aux 
bêtes  à  cornes  comme  préservatif  du  charbon. 

Il  a  institué,  à  cet  effet,  une  fabrique  de  vaccin,  rue 
Vauquelin,  22,  sous  la  direction  de  M.  F.  Boutroux. 
Voici  un  extrait  du  prix  courant   imprimé  : 
«  Le  vaccin  charbonneux  est  expédié  franco,  par 
tubes,  aux  prix  suivants  : 

•    Le  tube  :  l^vacciu  2°  vaccin  Total 

Pour  24  bœufs,  ou  50  moutons.    2,50       2,50      5  fr. 
50       -™  100        —  5  5  10 

100       —  200        —         10  10  20 

«  Il  n'est  pas  envoyé  de  tubes  pour  un  nombre  d'a- 
nimaux inférieur  à  25  bœufs  ou  50  moutons,  » 

La  statistique  de  la  mortalité  à  la  suite  du  traite- 
ment par  le  vaccin  charbonneux  est  concluante. 

On  ne  peut  citer  que  quelques  laits  parmi  des  mil- 
liers. 

Dans  une  ferme  des  environs  de  Laon,  on  vaccina 
jusqu'à  trois  fois,  à  15  jours  d'intervalle, un  troupeau 
atteint  du  charbon,  sans  pouvoir  enrayer  la  maladie. 

Dans  une  ferme  voisine,  on  vaccina  les  chevaux 
qui  n'étaient  nullement  malades,  et  trois  périrent 
des  suites  de  l'opération  ;  M.  Magnier,  le  proprié- 
taire, réclama  le  prix  de  ses  chevaux,  qui  lui  fut 
remboursé. 

Aux  environs  de  Meaux,  un  vétérinaire  ayant  tué 
quatre  vaches  avec  le  fameux  vaccin,  M.  Pasteur  paya 
ces  animaux  pour  couper  court  aux  réclamations 
des  intéressés. 


—  420  — 

Autres  exemples,  cités  par  M.  Paul  Boullier,  vété- 
rinaire à  Gourville  (Eure-et-Loir)  : 

«  En  1882,  M.  Franchamp,  cultivateur  au  Trem- 
l)lay,  canton 'de  Châteauneuf  (Eure-et-Loir),  perdit 
pour  cinq  mille  francs  de  chevaux,  vaches  et  mou- 
tons, m  orts  des  suites  de  la  vaccination  charbon- 
neuse, 

«En  1883,  M,  Fournier,  vétérinaire  à  Angerville 
(Loiret),  vaccine  un  troupeau  de  400  moutons;  or, 
quelques  jours  après  l'application  du  premier  vaccin, 
90  moutons  succombaient  du  sang  de  rate  (charbon^ 

«  Enfin,  en  1884,  deux  de  mes  clients  et  amis,  M. 
Henri  Thirouin,  maire  de  Saint-Germain-le-Gaillard, 
et  M.  Marcel  Lebrun,  cultivateur  dans  cette  même 
commune,  firent  vacciner  leurs  moutons  par  un  de 
mes  collègues  de  Chartres,  M.'ErnestBoutet;  ils  per- 
dirent à  eux  deux  autant  de  moutons  qu'il  en  est 
mort  dans  les  trente  communes  où  j'exerce  la  mé- 
decine vétérinaire  et  où  l'on  ne  vaccine  pas,  et  qua- 
rante-cinq fois  plus  que  n'en  ont  perdu  cinquante 
autres  cultivateurs,  qui  possèdent  des  moutons  à 
S  ain  t-Ger  main-le-Gaillard . 

«  C'est  par  millions  que  se  chiffrent  les  pertes 
causées  en  France  par  la  vaccination  charbon- 
neuse !  » 

La  commission  sanitaire  du  gouvernement  hon- 
grois terminait  ainsi,  en  1881,  son  rapport  sur  l'ino- 
culation du  bétail  préconisée  par  M.  Pasteur  : 

«  Les  maladies  les  plus  graves,  pneumonie,  fièvres 
catarrhales,  etc.,  ont  frappé  exclusivement  les  ani- 


—  421  — 

maux  soumis  à  l'inoculation.  Il  suit  delà  que  l'inocu- 
lation Pasteur  tend  à  accélérer  l'action  de  certaines 
maladies  latentes  et  à  hâter  l'issue  mortelle  d'autres 
affections  graves.  » 

Le  gouvernement  hongrois  a  aussitôt  interdit  ces 
inoculations. 

Mais  la  meilleure  démonstration  de  l'inutilité  de 
la  vaccination  charbonneuse  est  qu'elle  cesse  d'être 
aujourd'hui  pratiquée,  la  plupart  des  vétérinaires 
ayant  reconnu  son  inefficacité. 


VI,  —  LE  CHOLÉRA    DBS   POULES. 

D'après  M.  Pasteur,  ce  choléra  est  produit  par  un 
microbe,  auquel  on  peut  opposer  un  vaccin  atténué. 

Malheureusement,  ces  inoculations  produisent, 
comme  toujours,  les  effets  les  plus  bizarres,  et  met- 
tent la  plupart  du  temps  en  défaut  les  prophéties 
qu'aime  à  faire  M.  Pasteur.  Mais,  sur  mille  expérien- 
ces, il  su^t  qu'une  seule  réussisse,  pour  qu'il  ait 
raison  (sic). 

Pratiquement,  les  inoculations  faites  aux  volailles 
restent  inutiles,  ou  deviennent  nuisibles. 

Le  mieux  est  de  ne  pas  les  pratiquer  et  d'attendre 
qu'on  ait  trouvé  le  véritable  remède  à  ce  mal  assez 
désastreux. 

Tout  récemment  une  épidémie  de  choléra  sévissait 
sur  les  basses-cours  de  Nancy  ;  après  s'être  localisée 
dans  le  quartier  de  l'avenue  delà  Garenne,  elle  s'est 

24- 


—  422  — 

étendue  sur  différents  points  de  la  ville.  Un  habitant 
a  perdu  120  poules  ;  un  propriétaire  de  la  même  ave- 
nue en  a  perdu  60,  Enfin,  un  troisième,  demeurant 
rue  du  faubourg  Sainte-Catherine,  a  perdu  en  un 
jour  13  poules  atteintes  de  la  même  maladie. 

Quelques  inoculations  pastoriennes,  pratiquées  sui- 
vant toutes  les  règles  de  l'art,  n'ont  pas  enrayé  la 
mortaUté  (1) 


VII.    —   LES    TRAVAUX    SUR     LE    ROUGET   DU     PORC.  — 
TOUJOURS  LE  MICROBE  ET  LE  VACCIN. 

Rien  de  plus  instructif  à  cet  égard  que  le  Rapport 
de  M.  le  baron  de  Serres  de  Monteil  sur  l'immu- 
nité des  porcs  ayant  reçu  le  vaccin  contre  la  mala- 
die du  rouget. 

Voici  ce  document,  lu  devant  la  Société  d'Agricul- 
ture de  Vaucluse,  et  inséré  dans  son  Bulletin  (jan- 
vier 1885). 

«  Messieurs,  le  vaccin  du  rouget  est  dû,  vous  le  sa- 
vez, aux  savantes  recherches  de  l'illustre  chimiste  M-. 
Pasteur,  qui  s'est  proposé  de  communiquer  aux  porcs 
une  maladie  anodine  pour  les  préserver,  pendant 
plusieurs  années,  du  mal  rouge  qui  décime  les  por- 
cheries presque  tous  les  étés,  au  grand  préjudice  des 
éleveurs  de  plusieurs  contrées. 

(1)  Ces  détails  sont  empruntés  à  un  très  intéressant  tra- 
vail de  M.  Paul  Combes,  intitulé:  Les  Douze  travaux  de 
Pasteur,  Paris,  Librairie  universelle,  41,  rue  de  Seine. 


—  423  — 

«  Le  porc  une  fois  vacciné,  nous  assure-t-on,  ac- 
quiert l'immunité  et  peut  impunément  être  rais  en 
contact  avec  ses  congénères  morts  ou  mourants  du 
rouget,  manger  même  de  leur  cliair  sans  prendre  la 
maladie. 

«  C'est  pour  bien  constater  cette  précieuse  pro- 
priété du  vaccin  que  notre  zélé  collègue,  M.  Maucuer, 
médecin-vétérinaire  à  Bollène,  nous  invita,  dans  le 
courant  de  novembre  dernier  (1884,)  à  nommer  une 
commission  qui  pût  constater  la  vérité  de  ce  fait, 
après  avoir  assisté  à  l'inoculation  du  microbe  du 
rouget  à  des  porcs  déjà  vaccinés. 

«  La  commission  fut  nommée  et  ses  membres,  MM. 
de  Balincourt,  Soumille,  Laugier  et  moi,  nous  nous 
rendîmes  le  29  novembre  à  Mondragon,  où  rendez- 
vous  nous  avait  été  donné  dans  une  des  fermes  de 
M.  Coste.  M.  Maucuernous  y  attendait  ;  il  avait  reçu 
de  M.  Pasteur  du  virus  virulent  qui,  inoculé  à  un 
porc  non  vacciné,  devait  lui  communiquer  la  maladie 
du  mal  rouge,  dont  il  mourrait  dans  les  48  heures, 
tandis  quïl  ne  produirait  aucun  effet  sur  un  porc 
déjà  vacciné. 

«  Cette  épreuve  réussissant,  elle  devait  être  très 
concluante  en  faveur  du  vaccin  préventif, 

«  Sur  six  porcs  âgés  de  six  mois,  de  race  com- 
mune, à  soie  longue,  ayant  été  déjà  vaccinés,  le  U 
et  le  16  juin,  M.  Maucuer  nous  en  fit  choisir  trois, 
auxquels  il  inocula  devant  nous,  M.  Coste  et  ses  fer- 
miers, le  virus  virulent,  contenu  dans  une  petite 
bouteille  que  lui  avait  envoyée  M.  Pasteur.  —  Cette 
opération  terminée,  trois  autres  porcs  de  la  même 


—  424  — 

race,  ceux-ci  non  vaccinés  et  âgés  de  40  jours  seule- 
ment, furent  également  inoculés  avec  le  même  virus 
qui  devait,  en  24  heures  environ,  produire  sur  eux 
un  rouget  suivi  de  mort. 

«  Ici,  Messieurs,  j"ai  le  regret  de  vous  dire  que 
nous  avons  tous  été  déçus  clans  notre  attente.  Tous 
les  sujets,  vaccinés  et  non  vaccinés,  ont  également 
résisté  à  l'inoculation  du  microbe  et  se  portent  par- 
faitement. 

8  Hâtons-nous  de  croire  que  le  vaccin  expédié  par 
M.  Pasteur  devait  être  éveuté  ou  détérioré  par  toute 
autre  cause.  Ce  fut  donc  partie  à  refaire. 

«  A  un  second  appel  de  M.  Maucuer,  le  29  décem- 
bre, votre  commission  s'est  de  nouveau  rendue  à 
Mondragon  pour  procéder  à  une  nouvelle  expérience 
d'inoculation.  La  même  opération,  avec  du  virus 
nouveau,/) réparé  exprès  et  envoyé  encore  par  M. 
Pasteur,  a  été  recommencée  sous  nos  yeux,  d'abord 
aux  trois  porcs  vaccinés,  les  mêmes  qui  avaient  été 
inoculés  le  20  novembre  devant  la  commission  ;  en- 
suite à  trois  nouveaux  sujets  âgés  de  deux  mois  en- 
viron, l'un  blanc  et  noir,  et  les  autres  noirs,  tous 
trois  de  la  race  commune  du  pays. 

«  Une  lettre  que  nous  avons  reçue  hier  (5  janvier 
1882)  de  M.  Maucuer,  nous  dit  que  cette  dernière 
opération  n'a  pas  mieux  réussi  que  la  première,  he?, 
porcs  inoculés  se  sont  montrés  réfrac taires  au  mi- 
crobe et  se  portent  à  merveille. 

«  M.  Maucuer  attribue  cet  échec  à  l'affaiblissement 
du  virus,  causé  par  un  trop  long  séjour  dans  le  vase 
qui  le  contenait.  Cette  opinion  peut  être  admise,  puis- 


—  425  — 

qu'il  est  notoire  que  dans  les  essais  de  vaccination 
qui  furent  laits  kHoWhBO, parMM.  Pasteur  et  Thuil- 
lier,  en  1882,  nombre  de  porcs  moururent  du  rou- 
get communiqué  par  la  simple  inoculation  du  vac- 
cin (préventif)  ,  Donc  le  virus  virulent  employé  à 
Mondragon,  par  M.  Maucuer,  aurait  dû  au  moins 
jeter  une  perturbation  dans  la  santé  des  trois  porcs 
non  vaccinés. S'il  n'a  produit  aucun  effet,  on  peut  en 
conclure  qu'il  était  certainement  altéré  ou  mal  pré- 
paré. 

«  Toutefois,  votre  commission,  Messieurs,  n'étant 
pas  suffisamment  éclairée  sur  l'immunité  des  porcs 
vaccinés,  s'en  tient  à  conseiller  la  prudence  aux 
éleveurs. — Le  président  de  la  commission,  baron 
DE  Serres  de  Monteil.  » 

On  ne  saurait  être,  en  effet,  trop  prudent  dans  le 
maniement  de  virus  qui  tuent  lorsqu'ils  sont  ^réyen- 
tifs  et  deviennent  inoffensifs  lorsqu'ils  devraient 
être  virulents. 


VIII.'—  LES  TRAVAUX  SUR  LES  VERS  A  SOIE. 

Le  cliché  sans  contredit  le  plus  répandu  est  le  sui- 
vant :  M.  Pasteur  a  rendu  la  fortune  aux  dépar- 
tements du  midi  en  leur  indiquant  le  moyen  de  gué- 
rir les  maladies  des  vers  à  soie. 

Or  c'est  là  une  des  assertions  les  plus  fausses  qui 
aient  jamais  été  produites. 

Malgré  M.  Pasteur  les  départements  du  midi  sont 
ruinés  et  n'ont  plus  de  vers  à  soie.  Voilà  le  fait. 


—  4-26  — 

Un  des  sériciculteurs  les  plus  expérimentés,  M.  de 
]\Iasquard,  de  Nîmes,  a  depuis  longtemps  démontré 
c[ue  le  grainage  des  vers,  à  soie  proposé  par  M.  Pas- 
teur n'a  aucune  influence  sur  cette  industrie. 

Le  grainage  des  vers  au  microscope  vulgarisé  de- 
puis  longtemps  par  d'Arbabitier  Ozimo,  Cantoni, 
Joly,  de  Plagniol,Cornalia,  qui  avaient  eu  la  bonne 
foi  d'en  reconnaître  plus  ou  moins  l'impuissance  ; 
repjris  par  M.  Pasteur,  à  grands  renforts  de  ré- 
clames, a  achevé  la  ruine  de  la  sériciculture. 

En  effet,  la  production  française  qui  était  autrefois 
de  30  millions  de  kilogrammes  de  cocons,  s'était 
abaissée  à  17  ou  18  millions  vers  1865,  époque  où  l'il- 
lustre chimiste  qui  n'y  entendait  rien  fut  envoyé 
pour  guérir  les  vers  à  soie  malades.  Naturellement, 
sous  son  influence,  comme  le  dit  le  savant  séricico- 
logiste  docteur  Luppi,  de  Lyon,  l'art  séricicole  fut 
bouleversé,  anéanti  et  la  production  s'abaissa  peu  à 
peu  à  3  ou  4  millions  de  kilog.  de  cocons. 

Ces  résultats  déplorables  que  les  statistiques  offi- 
cielles et  officieuses  ne  purent  parvenir  à  cacher  en- 
tièrement, n'empêchèrent  pas  ce  bon  Jules  Simon, 
ministre  de  l'instruction  publique,  de  s'écrier  devant 
les  Sociétés  savantes  réunies  àla  Sorbonne  :  «  M. 
«  Pasteur  a  fait  gagner  des  millions  aux  agriculteurs  ; 
5)  nos  vers  à  soie  étaient  malades  ;  grâce  à  lui,  leur 
»  santé  est  aujourd'hui  si  florissante  que  la  Chine  et 
»  le  Japon  viennent  se  pourvoir  de  graines  en  Fran- 
»  ce  ». 

Ce  fut  grâce  à  cette  monstrueuse  erreur  (système 
Pasteur)  que  P.  Bert  obtint  pour  le  prétendu  sauveur 


—  427  — 

de  vers  à  soie  une  première  récompense  nationale 
de  12  mille  francs  de  rente. 

D'après  M.  Pasteur,  la  maladie  était  produite  par 
un  microbe  que  le  microscope  permettait  de  dé- 
celer. 

En  choisissant,  par  un  examen  microscopique  at- 
tentif, les  graines  saines,  c'est-à-dire  ne  présentant 
pas  de  corpuscules,  on  devait  obtenir  des  vers  sains 
et  des  récoltes  superbes. 

M.  Pasteur  concluait  :  «  Je  suis  maître  de  la  mala- 
die, je  puis  la  donner  et  la  prévenir  quand  je  veux.  » 
(Rapport  au  Ministre.) 

Ces  affirmations  créèrent  l'industrie  des  graines 
microscopisées  système  Pasteur.  Tous  ceux  qui  en 
vendirent,  à  haut  prix,  firent  fortune.  Tous  ceux  qui 
en  usèrent,  continuèrent  à  voir  leurs  vers  devenir 
malades,  et  leurs  récoltes  péricliter. 

Au  début  de  la  maladie  (vers  1850),  la  France  pro- 
duisait annuellement  environ 30,000,000  de  kilogram- 
mes de  cocons.  En  1866-67,  la  production  s'était  abais- 
sée à  15,000,000  de  kilogrammes.  «  Depuis  lors,  dit 
M.  deMasquard,  sous  l'influence  du  remède  préventif , 
valant  mieux  à  beaucoup  d'égards  qu'un  remède 
crtraîft/ (Pasteur,  lettre  au  Ministre,  du  29  décembre 
1873),  la  production  continuant  sa  marche  descen- 
dante, est  arrivée  à  8,000,000  de  kilogrammes  en 
1873.  »  (E.  de  Masquard,  Le  Congrès  séricicole  inter- 
national de  Montpellier  et  les  doctrines  de  ses  prin- 
cipaux: membres^  librairie  agricole,  1875). 
,  Depuis  lors,  dit   M.  Combe,  à  qui  nous  emprun- 


—  428  — 

tons  plusieurs  documents  importants  (1),  les  récoltes 
ont  diminué  constamment  et  n'ont  plus  donné  que  l 
à  2,000,000  de  kilogrammes  de  cocons  dans  ces  der- 
nières années. 

Voilà  commentM.Fasteur  a  sauvé  la  sériciculture  ! 

La  réputation  qu'il  conserve  encore  à  cet  égard, 
auprès  des  ignorants  et  des  savants  à  vue  courte,  lui  a 
été  faite  1°  par  lui-même,  à  coups  d'affirmations 
inexactes;  2°  par  les  marchands  de  graines  microscopi- 
sées,  système  Pasteur,  qui  ont  réalisé  de  gros  bénéfi- 
ces aux  dépens  des  éleveurs  ;  3»  par  la  complicité  des 
académies  et  des  pouvoirs  publics,  qui,  sans  examen, 
répondent  aux  plaintes  des  sériciculteurs  :  «  Mais  la 
sériciculture  est  sauvée  !...  Employez  donc  le  systè- 
me Pasteur  !  »  Mais,  tout  le  monde  n'est  pas  disposé 
employer  un  système  qui  consiste  à  s'enrichir  en 
ruinant  les  autres. 


IX.  —   LES    TBAVATJX    SUR   LA   BIÈRE 

On  se  plaît  à  répéter  que  c'est  grâce  à  M.  Pasteur 
qu'on  peut  aujourd'hui  fabriquer,  conserver  et  boire 
de  la  bonne  bière  et  que  l'industrie  française  lui  est 
redevable  de  ce  chet  d'une  grande  source  de  ri- 
chesse. 

Or  il  est  certain  : 

1°  Que  le  procédé  préconisé  par  M.  Pasteur  est  ab- 

(1)  Les  douze  Travaux    de   M.  Pasteur,   par  M.  Paul 
Combes,  Paris,  1886,  41,  rue  de  Seine. 


—  429  •— 

solument  abandonné  et  n'est  jamais  entré  dans  la 
pratique. 

2°  Que  la  fabrication  de  la  bière  en  France  est  à 
peu  près  nulle  et  que  celle-ci  est  à  peu  près  exclusive- 
ment importée  d'Allemagne. 

S-'  Que  M.  Pasteur  avait  pris  des  brevets  sur  les 
procédés  et  fondé  en  1874  une  société  anonyme  pour 
les  exploiter. 

Il  suffit  de  consulter  le  Bottin  de  l'année  1874. 

On  y  lit,  page  693,  col.  2:  a  Société  des  bières  inal- 
térables, procédé  Pasteur,  siège  social,  31,  BdHauss- 
mann.  Président  du  conseil  d'administration,  M.  L. 
Pasteur  ,  commandeur  de  la  Légion  d'honneur, 
membre  de  l'Institut,  etc. 

Le  procédé  Pasteur  étant  inapplicable,  la  Société 
n'a  pas  tardé  à  tomber  en  déconfiture. 


X.    —    LES   TRAVAUX    SUR    LE    VIN,   SES   MALADIES,  ETC., 
DÉDIÉS  A    l'empereur  NAPOLÉON  III. 

«  Sire,  si,  comme  je  l'espère,  le  temps  consacre 
l'exactitude  de  mon  travail,  etc..  » 

Dans  ce  travail,  M.  Pasteur  proposait,  comme  Ap- 
pert, de  chauffer  les  vins,  pour  les  préserver  infailli- 
blement de  toute  altération. 

L'espérance  a  été  trompée.  Le  temps  n'a  pas  consa- 
cré l'exactitude  de  ce  travail.  Tous  ceux  qui  eurent 
confiance  en  ce  procédé  firent  de  grandes  perles.  L'E- 
tat seul  persista  à  chauffer  les  vins  destinés  aux  ar- 
mées de  terre  et  de  mer.  Gela  les  rendait  si  mauvais 


-  430  - 

que  les  hommes  préféraient  boire  de  l'eau.  Il  y  a 
beau  temps  que  les  œnothennes  —  appareils  pour 
chauffer  les  vins,  système  Pasteur  —  ont  été  mis  à  la 
Yieille  ferraille  (l). 


XI .  ---  M.  PASTEUR  ADMINISTRATEUR  DU  CREDIT  FONCIER . 

C'est  sans  cloute  comme  financier  que  M.  Pasteur 
doit  révéler  les  plus  remarquables  aptitudes. 

Il  est  entré,  en  effet,  dans  cette  grande  entreprise  à 
la  suite  de  la  mort  de  Dumas.  Nous  espérons  qu'il  y 
rendra  de  plus  grands  services  que  ceux  qu'il  a  ren- 
dus à  la  médecine  sur  cette  malheureuse  question  de 
la  rage. 

Enfin  nous  terminons  cet  appendice  en  reprodui- 
sant le  jugement  porté  sur  cet  homme  extraordinai- 
re par  un  savant  quil'a  longuement  étudié  (2). 

«  M.  Pasteur  n'est  pas  un  novateur  ordinaire  ;  il  ne 
veut  pas  seulement  révolutionner  la  médecine,  il 
travaille  tout  aussi  ardemment  à  révolutionner  les 
croyances  religieuses.  Autrefois  on  cherchait  à  ex- 
pliquer tout  par  l'infiniment  grand,  immatériel,  invi- 
sible, immortel  ;  aujourd'hui  on  veut  tout  expliquer 
par  les  infiniment  petits,  matériels,  visibles,  mor- 
tels. Voilà  où  tendent  les  théories  microbiennes  du 

(1)  Voir  les  importants  travaux  de  M.  Cliavée-Leroy,  à 
Clermont-les-Fermes,  par  Bucy  (Aisne) . 

(2)  M.  Chavée-Leroy. 


—  431  — 

protégé  des  athées  PaulBertet  Jules  Ferry.  Ces  théo- 
ries mensongères  ont  fait  déjà  un  mal  incalculable 
au  point  de  vue  matériel  elles  ont  jeté  la  médecine 
en  pleine  anarchie  ;  au  point  de  vue  religieux  elles 
ont  troublé  les  consciences  et  rendu  l'obscurité  plus 
profonde  ;  au  point  de  vue  politique,  elles  ont  si  bien 
conduit  à  la  confusion  des  idées  que  les  radicaux 
prennent  Pasteur  pour  un  clérical,  les  conservateurs 
pour  un  spiritualiste  et  les  opportunistes  pour  un 
matérialiste.  » 

Cette  appréciation  de  II.  Ghavée-Leroy  est  des  plus 
justes.  C'est  en  se  présentant  ainsi  sous  des  attitudes 
diverses  que  M.  Pasteur  a  pu  recueillir  l'appui  de 
tous  les  partis  qui  divisent  la  Piépublique.  C'est  ainsi 
qu'il  a  fait  nommer  son  préparateur  Ghamberland, 
député  radical  ;  qu'il  avait  fait  entrer  l'athée  Paul 
Bert  à  l'Institut  et  qu'il  a  sollicité  au  conseil  munici- 
pal de  Paris  l'appui  des  anciens  membres  de  la  com- 
mune, MM.  Humbert  et  Longuet. 


TABLE  ANALYTIQUE  DES  MATIÈRES 


PREFACE 


INTRODUCTION. 


Questions  a  M.  Pasteur 17 

Objections  théoriques  contre  la  méthode 17 

Le  chien  qui  a  fait  la  morsure  est-il  enragé  ?. . .  20 

L'individu  traité  est-il  atteint  de  la  rage  ? 23 

Pourquoi  le  nombre  des  enragés  a-t-il  centuplé 

depuis  la  découverte  de  la  méthode  ? 25 

Qu'est-ce  que  la  rage  des  loups  ? kl 

Pourquoi  la  rage  est-elle  plus  grave  lorsque  la 

morsure  est  plus  profonde  ? 31 

Pourquoi  le  virus  moelleux  ne  donne-t-il  lieu  à 

aucune  réaction  locale  ou  générale  ? 32 

Chapitre  I. 

exposé  de  la  méthode. 

1"  temps.  —  Trépanation  du  lapin 36 

5«  temps.  —  Dessfccation  des  moelles 39 

5e  temps.  —  Pï'éparation  du  virus  moelleux 40 

On  néglige  la  notion  de  quantité  et  de  poids 43 

4«  temps.  —  Inoculation  à  l'homme 45 

Rôle  du  professeur  Grancher 46 

Il  doit  y  avoir  des  erreurs 47 

Traitement  pour  les  morsures  du  loup 48 


—  433  — 

Chapitre  II. 

EXAMEN     DE    LA    MÉTHODE.     —    LES     PARTIES     VRAIMENT 
SCIENTIFIQUES  DE  LA  DÉCOUVERTE  NE  SONT  PAS  DUES  A 

M.  Pasteur. 

C'est  Magericlié  (jui  a  découvert  cliez  les  chiens 
l'état  réfractaire  à  la  rage 52 

Cest  Galtier,  qui  a  étudié  la  transmission  de  la 
rage  du  chien  au  lapin 56 

C'est  Duhoué  qui  a  démontré  que  les  centres 
nerveux  sont  le  siège  de  la  virulence 58 

Chapitre  III. 

POURQUOI  LE  VIRUS  MOELLEUX  NE  DONNE-T-IL  LIEU   CHEZ 
l'homme  a  AUCUN    PHÉNOMÈNE  MORBIDE  ? 

Comparaison  avec  la  vaccine.  le  charbon,  la 
svphiHs 62 

M.  Pasteur  ignore  l'action  des  virus  moelleux  sur 
l'homme 66 

Chapitre  IV. 

LES  PERSONNES  TRAITÉES  A    l'ÉCOLE     NORMALE    NE     SONT 
PAS  ENR.\GÉES. 

Des  individus  n'ayant  pas  même  été  mordus, 
sont  inoculés 68 

On  inocule  sans  avoir  aucune  preuve  de  la  rage 
du  chien 73 

Chapitre  V. 

FRÉQUENCE    DE    LA    RAGE, 

Fréquence  de  la  rage  en  France 77 

Fréquence  chez  les  enfants 7'J 

Combien  de  mordus  deviennent  enragés  ? 80 

Durée  de  l'incubation '. 81 

Les  médecins  observent  rarement  la  rage 83 


—   434  — 
Chapitre   VI. 

LA    RAGE     DU    CHIEN. 

Les  symptômes  sont  mal  définis 94 

Siège  de  la  virulence , 9(î 

Spontanéité  de  la  rage. . .  • 97 

Epidémies  de  rage 99 

La  rage  est  inconnue  dans  certains  pays 104 

Licubation  de  la  rage  du  chien , .  103 

Symptômes  de  la  rage  du  chien 108 

Le  chien  enragé  n'est  pas  toujours  furieux lit 

Le  chien  qui  lèche  est  dangereux 112 

Le  chien  enragé  hoit  et  mange 114 

Influence  des  lysses 116 

Frénésie  et  excitation  sexuelle 117 

Opinion  de  M .  Colin  d'Alfort 120 

Chapitre  VII, 

LA     RAGE     btr     LOUP. 

Gravité  de  la  morsure  du  loup 123 

Mortalité  après  les  morsures  de  loup 125 

Chapitre    VIII. 

LA  MÉTHODE  DEVANT  LE  CONTRÔLE  DE  L'EXI^ÉRlMENTAtlON 

Expériences  du  professeur  von  Frisch 131 

Réflexions  sur  les  expériences 136 

Réponse  de  M.  Pasteur  à  M.  von  Frisch 140 

Chapitre  IX. 

LA  MÉTHODE  A  l'aCADÉMIE  DE  MÉDECINE.  M.  COLIN. 

On  ne  peut  accepter   sans  examen  les  chiffres 

fournis  par  M .  Pasteur 152 

Importance  de  la  cautérisation 158 

Résultats  réels  du  traitement . . . . , 1 60 

Les  inoculations  charbonneuses 161 

Danger  des  vaccinations  rahiques , 163 


—  435  — 

Chapitre  X. 

LA   RAGE  DANS  LES  HÔPITAUX  DE  PARIS, 

M.  Pasteur  fournit  des  chiffres  inexacts ]65 

Mortalité  réelle  dans  les  hôpitaux 167 

Mortalité  pendant  l'année  1886 173 

Chapitre  XI. 

LA  MÉTHODE  DEVANT  LE  CONSEIL  MUNICIPAL  DE    PARIS. 

Discours  de  M.  Ghassaing 182 

Importance  réelle  de  la  rage  en  France  et  à  l'é- 
tranger  , . .     187 

Chapitre  XII. 

LA  MÉTHODE  A  LA  FACULTÉ  DE  MÉDECINE,  M.    PETER. 

La  pathogénie  est  diminuée  par  la  bactériologie     ?SG 
Les  inoculations  antirabiques 201 

Chapitre  XIII. 

l'opinion  de  LA    PRESSE    MÉDICALE. 

Le  Journal  de  Médecine  de  Paris 203 

Le  Progrès  médical S04 

Le  Praticien 206 

L'ouvrage  de  M.  Constantin  James. 209 

La  Société  de  médecine  de  Saint-Pétersbourg. . .  212 

Chapitre   XIV. 

LA  MÉTHODE   PASTEUR    A    LETRANGER. 

Opinion  du  D''  Kessler,  de  Saint-Pétersbourg. . .  2â0 

Ce  qu'on  en  pensait  en  Allemagne 221 

Ce  qu'on  en  pensait  en  Angleterre 226 

Ce.  qu'on  en  pensait  en  Suisse 229 

Chapitre  XV. 

GOMMENT  M.  PASTEUR  INTERPRÈTE  LES  INSUCCÈS. 

Les  malades  sont  morts,  non  de  la  l'age,  mais 


—  436  — 

de  toute  autre  maladie 230 

Le  roumain  Gagu  est  mort  alcoolique 231 

Bouvier,  de  Grenoble,  est  mort  alcoolique 235 

Chapitre  XVI. 

LONGUEUR  DE  l'iNGUBATION.   —  RARETÉ  DÉ  LA  RAGE. 

Réflexions  sur  le  cas  de  Videau,  7  mois   d'incu- 
bation    245 

La  rage  n'est  pas  une  maladie  propre  à  l'homme.  248 
Le  traitement  Pasteur  avait  surtout  une  action 

consolante 243 

Fréquence  de  la  rage  à  l'Etranger '  250 

Fréquence  de  la  rage  en  France 251 

Chapitre  XVII. 

LA  RAGE  EXISTE-T-ELLE .  —   SES  RELATIONS  AVEC  LE 
TÉTANOS. 

La  rage  et  le  tétanos 5^55 

Opinion  du  D"^  Lormser,  de  Vienne 255 

La  rage  existe-t-elle 259 

Chapitre  XVIII. 

LA  RAGE  EST-ELLE  CONTAGIEUSE  DE  l'hOMME  A   l'hOMME, 

Opinion  des  médecins  russes 273 

Opinion  de  M.  Pasteur 275 

Chapitre  XIX. 

LE  TRAITEMENT  RATIONNEL  DE  LA  RAGE. 

La  mortalité  a  été   augmentée  en    1886,   parce 

qu'on  n'a  pas  cautérisé §7T 

Il  faut  cautériser - 278 

Autres  moyens  de  traitement 283 

Mesures  prophylactiques 289 


—  437  — 

Chapitre  XX, 

l'institut  pasteur  et  ses  succursales  a  l'étranger  . 

Emploi  (les  fonds  remis  à  M.  Pasteur  pour  fon- 
der un  Institut 291 

Les  instituts  à  l'étranger . .  292 

Chapitre  XXL 

les  statistiques  pasteur. 

Gomment  M.  Pasteur  traite  les  chiffres 299 

Fréquence  réelle  de  la  rage 290 

Comment  il  faut  présenter  la  statistique 302 

M.  Vulpian  se  trompe 302 

Les  prétendus  guéris  n'étaient  pas  enragés 310 

Comment  on  augmente  les  guérisons  futures. . .  311 

Opinion  du  professeur  Garciasola,  de  Grenade..  312 

Chapitre  XXII. 

LA  NOUVELLE  METHODE  INTENSIVE. 

La  première  méthode  était  inefficace 320 

La  catastrophe 321 

La  nouvelle  méthode  intensive , 323 

Résultats  de  la  nouvelle  méthode 325 

Chapitre  XXIIl. 

M.  PASTEUR  NE  GUERIT  PAS  LA  RAGE;  IL  LA  DONNE. 

L'ne  nouvelle  et  terrible  maladie 3-26 

La  rage  du  laboratoire 327 

Opinion  du  D^  Glarke 329 

<->çinion  du  professeur  Peter 330 

Piéveillac  est  mort  de  la  rage  expérimentale 331 

Le  diagnostic  de  la  rage 335 

Les  cas  de  mort  se  multiplient 336 

Née,  d'Arras,  est  mort  de  la  rage  expérimentale. .  345 

Opinion  du  Dr  Germe,  d'Arras 347 

[ics  douleurs  ont  lieu  au  niveau  des  points  d'i- 

25. 


~  438  — 

nocalation  et  non  au  niveau  des  points  mordus  348 
Différence  entre  la  rage  du  chien  et  la  rage  du 

laboratoire 352 

Les  pastoriens  plaident  les  circonstances  atté- 
nuantes   354 

Ils  sont  morts  de  la  rage  expérimentale 359 

La  méthode  intensive  contrôlée  par  l'expérimen- 
tation. Nouvelles  expériences  de  von  Frisch.  360 

ChapitreXSlN . 

LA  NOUVELLE  MALADIE  PASTEUR. 

La  rage  paralytique  ou  la  rage  expérimentale. . .  370 

M.  Pasteur  transmet  la  rage 37 1 

Neuf  observations  de  rage  expérimentale  : 

Obs.  L  Réveillac 372 

Obs.  IL  Amédée  Gérard 374 

Obs.  III.  Letang  (D^  Piltoy) 376 

Obs.  IV.  Née,  d'Arras  (D^  Germe) 377 

Obs.  V.  Goriot,  de  Sceaux  (D^^  Boisson  et  Dauzats)  378 

Obs.  VI.  Sodini,  de  Gonstantine  (Dr  Leroy) 380 

Obs.  VIL  Rouyer,  de  Paris  (D^  Rueft) 380 

Obs.  VIII.  Fonlup,  de  la  Tour-du-Pin 381 

Obs.  IX.  Albert,  de  Vallouise 382 

Obs.  X.  Smith,  de  Londres 383 

Obs.  XL  Wilde,  de  Rotherham 384 

Chapitre  XXV. 

RÉSULTATS  RÉELS  DU  TRAITEMENT  PENDANT  UN  AN.  — 
LES  DÉCÈS.  —  CONCLUSIONS. 

Chiffre  des  inoculés...   388 

Nombre  exact  des  décès 392 

Personnes  étrangères  mortes  de  la  rage  après 

traitement 399 

APPENDICE 

M.  Pasteur  savant  désintéressé 405 

Les  grandes  découvertes  de  M.  Pasteur 417 

Clermont  (Oise).—  Imp.  Daix  frères,  place  Saint- André,  3' 


1